16/07/2015
Le Paradis Perdu de John Milton, mis en image par Pablo Auladell
Le Paradis Perdu de John Milton par Pablo Auladell, Actes Sud, 2015, 316p.
Ce livre graphique fait typiquement partie de ceux qu'on évite d'acheter à l'impro, sans y réfléchir : non seulement le sujet se choisit clairement, et ne se lit pas aisément entre la poire et le fromage, mais le prix conséquent du livre (35€) freine en outre les ardeurs aventurières. En gros, on se retrouve un beau jour avec ce bouquin dans les mains parce qu'on l'a voulu et parce qu'on a bien pesé le pour et le contre.
Dans cette optique de réflexion, je me suis délectée plusieurs jours de sa simple vue avant de l'entamer. Chaque page est un plaisir pour les yeux avec de l'être pour l'esprit et prépare avec douceur la plongée dans un univers d'une poésie toute martiale.
John Milton écrit Le paradis perdu en 1667, son œuvre la plus célèbre : un opulent poème épique qui brosse la chute de Lucifer puis la chute de l'Homme sous le joug perfide de sa tentation vengeresse. Je ne saurais vous en dire beaucoup plus, n'ayant pas lu le texte original, si ce n'est que j'ai été interpelée à travers l'adaptation qu'en fait Auladell par l'aspect profondément guerrier du récit où règne une volonté de domination et d'obéissance de part et d'autre - et c'est l'occasion de se remémorer à quel point le Dieu de l'Ancient Testament n'a rien de charmant. J'ai également été saisie par le questionnement crucial qui se joue entre l'orgueil et la liberté à travers le personnage de Lucifer/Satan. Au fond, où est la frontière entre les deux et à quel moment, ce qui semble être le droit le plus inaliénable devient un fléau destructeur ? Lucifer est exactement Dom Juan, ni plus ni moins, les nombreuses conquêtes féminines en moins. Lucifer, le premier libertin : n'est-ce pas savoureux ? (Spéciale dédicace à ma chère Mina!)
Quant au graphisme, car de cela je peux vraiment vous en dire quelque chose, c'est tout simplement du grand art. Pablo Auladell crée une atmosphère faite de brouillard et d'éclat, entre le doute - du lecteur, de Satan, de l'Homme - et la puissance divine, la certitude des choses immuables et grandioses.
Le projet d'Auladell, commandé initialement par un éditeur de poésie, a été arrêté au premier livre puis repris par un éditeur numérique puis par Actes Sud en France. Cela explique, nous dit l'auteur, une évolution du graphisme entre ce premier livre et les suivants, évolution qui me semble parfaitement correspondre à l'évolution narrative. On passe ainsi de la chute de Lucifer qui devient alors Satan, tout en bichromie saturée et dans des territoires désertiques, presque angoissants, à sa recherche de la terre des Hommes sous l'égide de la grâce de Dieu, tout en nuances, lumières et couleurs vaporeuses.
Cette œuvre est indéniablement une réussite totale, époustouflante de maîtrise, de talent et de poésie. Le dessin n'a rien à envier à l'illustre poème auquel il s'est attaqué brillamment. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il m'a donné envie de tenter de plonger dans Milton - il ne faut pas pousser mémé - mais il m'a donné envie de le chroniquer, ce qui est déjà en soi un exploit et signe qu'il mérite le détour - parce qu'allez savoir pourquoi, chroniquer les BD me broute un peu en ce moment. Mais je devais chroniquer celle-là. C'était une nécessité. Maintenant, lisez-là (s'il-vous-plait) !
Challenge A Year in England chez Titine
2ème lecture
14:58 Publié dans Art, Challenge, Classiques, Coups de coeur, Création, Littérature anglophone, Poésie | Lien permanent | Commentaires (16)
05/07/2015
Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll
Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Le livre de poche, 2009 [1865], 320p. (La Traversée du miroir comprise, que je n'ai pas relue, pour le coup)
Pas plus tard qu'hier, Alice au pays des merveilles fêtait ses 150 ans. Âge vénérable, n'est-ce pas, d'autant qu'elle a su inspirer à tous les enfants que nous sommes (encore) des rêves persistants à base de chats, de chenilles et de fumette (oui, soyons francs hein. Mais je ne vous avouerai pas ce que j'ai eu l'occasion de concrétiser depuis.) Du coup, quand Alice nous a invités à replonger dans ce délicieux univers le temps d'un mois pour fêter dignement cet anniversaire, j'ai évidemment trouvé l'idée géniale. Hier après-midi, je me suis donc armée de thé et d'un bon coussin moelleux et suis repartie à l'aventure aux côtés de cette friponne d'Alice et du lapin blanc.
Et là, comment vous dire... C'est un peu le gadin. Disons, un semi-gadin. Figurez-vous que je ne me suis pas autant éclatée que ça à la relecture du conte. J'ai suivi avec enthousiasme jusqu'à la chenille puis ai commencé à décrocher doucement ensuite, jusqu'à trouver franchement pénibles les deux/trois derniers chapitres. Oui, j'avoue ! Je vous assure que j'aurais adoré adorer. Mais voilà, malgré la bienséance d'être en pâmoison devant cet univers, ça n'a pas été mon cas. Je gardais d'Alice un souvenir entre merveille, précisément, et angoisse ; entre enchantement et frisson. J'aimais profondément cette savante dichotomie dans mon souvenir. Problème : je crois que je me rappelais bien plus du dessin animé de Disney que de l’œuvre de Lewis Carroll. Le conte original est essentiellement absurde, il faut bien le dire - et si, chez certains, cette absurdité conduit à ressentir la dichotomie sus-nommée, ce n'est malheureusement pas le cas chez moi. Trop d'absurdité tue l'absurdité. Et au lieu de m'enthousiasmer comme un jeune pinson frétillant, ça m'ennuie comme un rat crevé. Alors évidemment, l'adaptation de Disney conserve tout le sel de cette absurdité. Mais est-ce la nécessité d'en construire un scénario qui donne à l'ensemble un chouillas plus de cohérence et surtout de progression, ou bien est-ce le simple fait de la mise en image qui clarifie le propos et lui donne une visée, je ne saurais le dire. Toujours est-il que le conte original m'a semblé souffrir d'un manque de dynamisme qui ne m'a guère sied. A tel point que je n'ai finalement pas relu La traversée du miroir.
Soyons clairs : je n'avance ici qu'un avis très subjectif de lectrice un brin confuse. D'un point de vue littéraire, Alice au pays des merveilles est indéniablement un bijou d'humour british et fourmille surtout de réflexions complexes et passionnantes sur le rêve, le langage et le passage à l'âge adulte. De ce point de vue là, j'adorerais en savoir plus sur Alice et creuser la richesse de son œuvre. Comme il arrive parfois pour certains grands classiques, ce qu'on dit du texte est parfois plus alléchant que le texte lui-même...
N'empêche que me rendre compte de ça m'a bien emmerdée : je comptais coller Alice à mes 6e l'an prochain. Dois-je revoir mes plans sur la base de mon ressenti de présente lecture ou me fier à tous les avis enchantés alentours et au souvenir que j'en avais gardé. J'hésite.
Dans la foulée, j'ai revu également l'adaptation de Burton. Là aussi, c'est plutôt une tuile, mais sans surprise cette fois-ci. Comme lors de sa sortie ciné, j'ai apprécié le premier quart d'heure, jusqu'à ce que tout parte en cacahuètes. L'univers est charmant, les personnages farfelus comme on les aime chez ce réalisateur, même l'idée de la réécriture est intéressante au départ. Mais elle est décidément orchestrée n'importe comment du début à la fin, et cet espèce de couscous à base de mauvaise fantasy auquel on a droit toute la deuxième heure est parfaitement indigeste. Alice en armure face au dragon : c'est à se demander si Burton ne s'est pas trop pris pour la chenille.
Cela étant dit, je clos donc ce billet comme je l'ai commencé : à propos de fumette. J'espère que je ne suis pas celle qui a trop fumé avec cet avis en demi-teinte sur ce merveilleux conte (et que j'avais adoré dans mon souvenir en plus, raaaah). Peut-être est-ce la chaleur aussi ; elle me grille certains neurones. Toutes mes plus plates excuses.
Avec ce titre, je participe à l'année anglaise de Titine (en attente de logo), aux 150 ans d'Alice au pays des merveilles chez Alice, of course
Ainsi qu'aux 100 livres à avoir lus chez Bianca
21ème participation
11:45 Publié dans Aventure, Challenge, Classiques, Contes, Littérature ado, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (24)
22/06/2015
Le récital des anges de Tracy Chevalier
Le récital des anges de Tracy Chevalier, Folio, 2003, 434p.
Voilà, j'ai loupé la LC Tracy Chevalier de ce mois anglais. La faute à un week-end parisien : quel dommage :D Cela dit, je réussis du coup à publier mon billet un an jour pour jour après le dernier en date de cette auteure sur le charmant Prodigieuses créatures. C'est ce qu'on appelle les hasards insignifiants (et pas follement passionnants non plus, j'en conviens) de la vie que j'aime bien souligner, à l'occasion.
Pour ce roman, le troisième dans la bibliographie de l'auteure, Tracy Chevalier plante le décor dans cette époque charnière qu'est le tout début du dix-neuvième siècle ; ce fameux temps du roi Edouard joliment immortalisé entre autres par Vita Sackville-West. Le roman s'ouvre en janvier 1901, le jour de la mort de la Reine Victoria. Comme de coutume, les familles en deuil se rendent au cimetière, sur la tombe familiale. C'est là que se rencontrent les Waterhouse et les Coleman et leurs deux filles de cinq ans, Lavinia et Maude. Pourtant très différentes, elles deviennent inséparables et complémentaires. Les meilleures amies du monde, en somme. Cette complicité de chaque jour s'accentue lorsqu'elles deviennent voisines. Malheureusement, les deux mères ne s'entendent que peu. Gertrude Waterhouse est très conservatrice tandis que Kitty Coleman est de ces femmes qui aspirent à plus que la condition de femme au foyer corsetée. Elle trouve une échappatoire dans la passion puis dans la cause des suffragettes, l'une et l'autre accaparant dangereusement son temps et son esprit. Kitty Coleman a besoin de se fondre dans plus grand qu'elle pour oublier un vide et une forme de médiocrité quotidienne qui l'engluent. Pendant ce temps, les années passent et les filles grandissent. Les différences se font sentir progressivement, jusqu'à ce qu'un beau jour, le glas sonne à nouveau pour signifier la mort du roi Édouard. A cet instant, de l'eau aura déjà coulé sous le pont de l'amitié...
Je suis décidément bien bon public avec Tracy Chevalier. Parce que, même si j’ai globalement apprécié cette nouvelle lecture, il ne faut pas pour autant se mentir : ça ne casse pas trois pattes à un canard. Je me suis d’ailleurs demandé si j’allais poursuivre après la lecture des premières pages. Elles n’annonçaient pas grand-chose d’autre qu’un roman choral tout ce qu’il y a de plus classique voire un poil ennuyeux tant les considérations de chacun des personnages frôlent le degré zéro de la banalité. Pourtant, je ne sais quels ingrédients magiques distille Tracy Chevalier au cœur de toute cette superficialité pour que je m’attache malgré tout à ces consciences de papier, pour que j’aie envie de les suivre, de les regarder vivre et être au gré du siècle en train de se faire. Finalement, j’étais prise, banalité ou pas. Et j’ai aimé suivre le roman, même si j’y vois objectivement plus de défauts que de qualités – le défaut principal étant, à mon sens, de représenter de manière beaucoup manichéenne et dramatique la mutation du dix-neuvième siècle victorien vers un vingtième siècle sous bien des aspects révolutionnaire. Le trop est l’ennemi du bien, surtout en littérature. Mais, après tout, l’essentiel, c’est qu’il m’ait eue, ce qui prouve qu’au-delà des imperfections se dessinent une certaine intelligence narrative et, surtout, une douceur délicate qui installe le lecteur dans un coton paisible au sein duquel il se laisse transporter.
Le mois anglais 2015 de Lou, Titine et Cryssilda
6eme lecture
07:03 Publié dans Challenge, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (14)