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22/10/2012

Le Ventre de Paris d'Emile Zola

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Le Ventre de Paris d'Emile Zola


Voilà plusieurs années, Florent a été condamné à tort au bagne. Il finit par s'en évader et, après un périple éreintant, rejoint enfin Paris dans la charette à légumes de Madame François. C'est ainsi qu'immédiatement le lecteur pénètre avec lui dans le vrai protagoniste de ce troisième volet des Rougon-Macquart : Les Halles centrales de Paris - ce grand corps monstrueux et affamé de vies, comme ont pu l'être les mines de Germinal ou le grand magasin d'Au bonheur des dames. Car toute l'intrigue de ce roman a pour principal prétexte l'exposé de ce ventre de Paris, cette pieuvre gigantesque dans lequel ou autour duquel s'entasse tout un débordement de nourriture, des poissons aux fruits en passant par le beurre, les pâtés ou les pains ; où se tissent et se défont les relations humaines qui ne tiennent qu'à un fil.

 

"Elles étaient sans cesse là. Il ne pouvait ouvrir le fenêtre, s'accouder à la rampe, sans les avoir devant lui, emplissant l'horizon. Il quittait les pavillons, le soir, pour retrouver à son coucher les toitures sans fin. Elles lui barraient Paris, lui imposaient leur énormité, entraient dans sa vie de chaque heure. Cette nuit-là, son cauchemar s'effara encore, grossi par les inquiétudes sourdes qui l'agitaient. [...]
C'étaient les Halles crevant dans leur ceinture de fonte trop étroite, et chauffant du trop-plein de leur indigestion du soir le sommeil de la ville gorgée."

 

Florent, donc, y rejoint son frère Quenu, propriétaire d'une aimable charcuterie rue Rambuteau avec sa femme, la belle Lisa. C'est par elle que l'on se rattache à l'obscure famille Macquart : Petite-fille d'Adélaïde, la doyenne héroïne de La forture des Rougon, elle est également la soeur de Gervaise, héroïne de l'Assommoir, la tante de Claude, héros de l'Oeuvre que l'on retrouve ici en guide nomade et mystérieux, et la mère de Pauline, héroïne de La joie de vivre (et on pourrait continuer l'énumération encore longtemps).
Lisa est de ces belles femmes de l'époque, appréciée pour sa fraîcheur, ses formes opulentes, et son honnêteté à toute épreuve. Elle n'hésite pas à accueillir Florent sous le toit du ménage et à lui proposer sa part sur l'héritage de l'oncle Granelle. On comprend pourtant rapidement que toute cette probité souriante est surtout l'expression d'une pensée bien comme il faut, d'un petit esprit bourgeois qui n'aspire qu'au confort sans trop se mouiller. Lisa ou la figure de cette petite bourgeoisie que Zola fustige, dont il montre toute l'étroitesse d'esprit et tout l'égoïsme aveugle. A lire certains passages, on est choqué par l'actualité mordante du propos...

 

"- [...] Certainement que je profite du bon moment et que je soutiens le gouvernement qui fait aller le commerce. S'il commet de vilaines choses, je ne veux pas le savoir. Moi, je sais que je n'en commets pas, je ne crains point qu'on me montre du doigt dans le quartier. Ce serait trop bête de se battre contre les moulins à vent... Tu te souviens, aux élections, Gavard disait que le candidat de l'empereur était un homme qui avait fait faillite, qui se trouvait compromis dans de sales histoires. Ca pouvait être vrai, je ne dis pas non. Tu n'en as pas moins très sagement agi en votant pour lui, parce que la question n'était pas là, qu'on ne te demandait pas de prêter de l'argent, ni de faire des affaires, avec ce monsieur, mais de montrer au gouvernement que tu étais satisfait de voir prospérer la charcuterie."

 

Florent, quant à lui, fait presque figure de martyr. Embauché comme remplaçant au poste d'inspecteur des poissonniers, aux Halles, il n'hésite pas à verser l'intégralité de son salaire au titulaire du poste près de mourir. Il n'hésite pas non plus à investir temps et argent à un projet démocratique qui lui tient à coeur. De toutes ces bonnes intentions, il ne retire que la médisance des demoiselles aigries du quartier - un beau ramassis de poules cinglantes et ridées par le mépris - et la méfiance galopante de Lisa, uniquement concerné par la subsistance de son petit empire. Il faut pourtant se garder de tout manichéisme, car le malheur de Florent n'arrive pourtant pas sans crier gare et ce projet de révolution arrive bien trop grossièrement dans un quartier qui ne l'appelait pas.

Et puis au-delà de l'intrigue : les Halles sublimées par l'écriture de Zola - maître parmi les maîtres. Je ne suis pourtant pas fan des descriptions à n'en plus finir mais comment ne pas se délecter ici des pages florissantes, de tous ces étalages gourmands sous le soleil parisien. En vrai peintre impressionniste, Zola manie les mots comme Claude maniera les couleurs et ces Halles voraces scandent au fil du roman l'esprit de ses habitants. Tout d'abord havre de paix, figure d'un paradis terrestre, d'une opulence chatoyante retrouvée après les années du bagne, elles deviennent progressivement pourriture et monstre, à l'image de la dégradation de toute cette société commerçante.

 

"Le jour se levait lentement, d'un gris très doux, lavant toutes choses d'une teinte claire d'aquarelle. Ces tas moutonnants comme des flots pressés, ce fleuve de verdure qui semblait couler dans l'encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle des pluies d'automne, prenaient des ombres délicates et perlées, des violets attendris, des roses teintés de lait, des verts noyés dans des jaunes, toutes les pâleurs qui font du ciel une soie changeante au lever du soleil ; et, à mesure que l'incendie du matin montait en jets de flammes, au fond de la rue Rambuteau, les légumes s'éveillaient davantage, sortaient du grand bleuissement traînant à terre. Les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau, montraient leurs coeurs éclatants ; les paquets d'épinard, les paquets d'oseille, les bouquets d'artichaut, les entassements de haricots et de pois, les empilements de romaines, liées d'un brin de paille, chantaient toute la gamme du vert, de la laque verte des cosses au gros vert des feuilles ; gamme soutenue qui allait en se mourant, jusqu'aux panachures des pieds de céleri et des bottes de poireaux. Mais les notes aigües, ce qui chantait plus haut, c'étaient toujours les taches vives des carottes, les taches pures des navets, semées en quantité prodigieuse le long du marché, l'éclairant du bariolage de leurs deux couleurs."

 

Sans aucun doute, une de mes plus enthousiastes lectures zoliennes - car après tout, j'ai beau être une inconditionnelle, je n'en ai pas moins mes préférences. Je suis toujours autant subjuguée par tous ces tableaux, toutes ces senteurs. C'est décidément en chroniqueur acerbe de la société, les deux pieds dans sa bourbeuse humanité que je préfère Zola et Le ventre de Paris est encore une éclatante démonstration de ce talent si particulier.

 


71762180_p.jpgChallenge Rougon-Macquart

14/20






Classique-final-4.jpgChallenge Un classique par mois

Octobre, bis

01/10/2012

La ferme des animaux de George Orwell

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La ferme des animaux de George Orwell, 1945

 

A la solde de Mr Jones, les animaux de la ferme du Manoir n'ont pas une vie bien heureuse : beaucoup de travail, peu de nourriture et aucun temps libre. Mais les hommes, c'est bien connu, n'ont que faire du sort des bêtes. Pourtant, les animaux nourrissent l'espoir d'une liberté prochaine lorsque Sage l'Ancien, le plus vieux cochon de la ferme, leur raconte une vision où les animaux vivraient en parfaite harmonie et où le joug de l'homme serait aboli. Dès lors, le projet d'une révolte se forme puis se concrétise le 21 juin : Jones décampe et laisse les animaux livrés à eux-mêmes. Sage l'Ancien n'étant plus de ce monde, ce sont les cochons Napoléon et Boule de Neige qui prennent en main le nouveau régime.
Les premiers temps, tout semble fonctionner selon leurs aspirations : tous les animaux sont égaux, travaillent sans se tuer à la tâche, mangent à leur faim et jouissent de temps libre et de libre expression. Pourtant, cette utopie animalière va progressivement dégénérée jusqu'à mettre en lumière que certains animaux sont plus égaux que d'autres - et cela dans l'aveuglement le plus total de la troupe.

Encore une fois, Orwell me stupéfie par sa modernité et son affolante lucidité.
La ferme des animaux, vous l'aurez compris, n'a rien d'une historiette pour endormir les enfants. Il s'agit tout au contraire d'un apologue qui, sous les abords de la fable animalière, se donne pour objectif de réveiller les consciences. Ecrit avant 1984, il se lit également avec une plus grande facilité que ce dernier (le style et le volume de l'ouvrage l'expliquent) ; il véhicule néanmoins une thèse similaire: Une critique virulente du pouvoir stalinien, et plus largement de toutes dérives totalitaires post-révolutionnaires. Où l'on s'aperçoit que motivée par une volonté de changement, de mieux-être, de liberté, la révolution conduit insidieusement à reproduire un même schéma tout aussi asservissant. Il s'agit également d'une critique virulente des masses qui restent trop longtemps dans un aveuglement rangé, jusqu'à ne plus être en mesure de réagir.Bref, La ferme des animaux s'offre comme une reflexion ontologique sur la nature de l'homme, sur ses aspirations et sur ses dérives.

A lire, encore une fois, sans aucune modération et à mettre impérativement entre toutes les mains.

 

 

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Octobre 2012

 

03/09/2012

Martin Eden de Jack London

 

Voyez-vous, j'étais un peu basique : lorsqu'on me parlait de Jack London, je pensais à Croc-Blanc et à L'appel de la forêt, lectures de collège dont je n'ai, par ailleurs, aucun souvenir, et ça s'arrêtait là. Je savais vaguement que son oeuvre allait au-delà mais associé à tort dans mon esprit à un écrivain d'histoires canines pour la jeunesse, je n'ai jamais poussé plus loin.

Et vous savez quoi ? En finissant ce Martin Eden, j'ai fort envie de me fesser le cul avec un poireau en guise de punition et surtout, de lire un autre Jack London ! Parce que, ce livre, chers lecteurs, est tout simplement un chef d'oeuvre magistral !

 

 

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Martin Eden de Jack London, ed. Phébus, coll. Libretto, 438p.

 

Aux prémisces du XXeme, le jeune matelot Eden est invité à la table bourgeoise des Morses. Gauche et subjugué, il y fait l'expérience de la honte de sa classe ; y rencontre le luxe, la beauté, la poésie et évidemment, l'amour en la personne de Ruth, de quatre ans son aînée, diaphane à souhait et étudiante en Lettres.
Cet épisode réveille en Martin une ambition fulgurante : apprendre, élever son esprit, briller et gagner le coeur de sa belle.
Dès lors, il s'astreint à un emploi du temps sévère et monacal où se succèdent études, exercices et visites à l'être aimé. Il décide de devenir écrivain et ne ménage pas ses efforts, tant physiques que financiers, malgré l'incompréhension générale de son entourage. Ruth surtout, et sa famille, ne sauraient tolérer un gendre aussi "oisif" et aussi "original" dans ses parti-pris.
Et tandis que, persévérant malgré la faim et la douleur, il parvient enfin au succès, c'est le gouffre de la désillusion qui attend Martin. L'amour s'effrite pour mettre à jour l'opportunisme, la superficialité et la stupidité engoncée des valeurs bourgeoises. Car ce n'est pas tant la teneur des êtres qui intéressent le monde, mais bien plutôt la reconnaissance qu'ils inspirent. Ainsi donc, toutes ses aspirations ne sont plus rien, n'ont jamais rien été, si ce n'est de la poudre aux yeux - et il sombre progressivement.

Le sujet de ce roman, comme vous l'aurez compris à la lecture du résumé ci-avant, est vieux comme le monde : articuler la sagesse de l'amour et l'amour de la sagesse, brosser le portrait d'un ambitieux de basse extraction pour atteindre les sommets de la connaissance et en chuter aussitôt. On aura lu ça chez bien d'autres écrivains du siècle passé (comment ne pas penser à Balzac par exemple) et pourtant, le traitement de Jack London en révèle des éclats nouveaux, brillants, ironiques, d'une infinie pertinence.
Martin Eden est un roman total : à la fois roman d'amour, d'apprentissage, satire de la société bourgeoise, mise en abyme de la création littéraire, et roman philosophique puissant et désenchanté, il est non seulement d'une intelligence stylistique époustouflante mais également moteur d'une série de réflexions universelles autour de l'individualisme, de la pensée unique, et de l'écriture.
En outre, et cela ne gâche rien, il se lit d'une traite, avidement et avec délice.

Après un été de lectures en demi-teintes, soit un brin décevantes soit un brin ennuyeuses, ce Martin Eden m'a redonné un coup de fouet littéraire tout simplement magique !


Merci à ma Lolo pour ce merveilleux conseil de lecture que je ne saurais trop vous conseiller à mon tour avec un vif enthousiasme !

 

 

 

Classique-final-4.jpgChallenge "un classique par mois"

Septembre 2012