10/06/2013
Un, deux, trois d'Agatha Christie
Un, deux, trois d'Agatha Christie
Il y a des moments où, qu'on le veuille ou non, tous les êtres humains sont égaux. C'est le cas chez le dentiste. Que vous soyez un riche financier, un fonctionnaire à la retraite, une petite bonne femme revenue des Indes ou encore le célébrissime détective Hercule Poirot, il vous faut bien un jour vous assoir sur le fauteuil fatidique et vous faire soigner quelques caries. Néanmoins, Hercule Poirot reste Hercule Poirot et c'est avec le plus grand courage et des petites cellules grises point du tout stressées (héhé) qu'il affronte cette délicate épreuve.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsque son ami l'inspecteur-chef Japp l'appelle l'après-midi même pour l'informer du décès du Dr Morley : un suicide semble-t-il, et les faits s'enchaînent pour corroborer cette hypothèse. Mais cette apparente simplicité ne convainc pas Poirot qui aime, comme on le lui rappelle, à compliquer les choses. Le matin même, tandis qu'il le soignait, le dentiste allait tout à fait bien. Non, Hercule Poirot aime la vérité ! Et cette vérité pourrait bien commencer par une boucle de chaussure cassée.
Participer à un mois anglais sans lire un Agatha Christie, ç'aurait été un crime, n'est-ce pas ? Il me fallait absolument honorer d'une lecture cette reine inconstestée du whodunit que j'ai retrouvée, une fois de plus, avec grand plaisir.
Dans ce roman, elle met en place une intrigue très tarabiscotée qu'il n'est pas aisé de démêler avec la même intelligence qu'Hercule Poirot ! Je l'ai pourtant vu plusieurs fois en version télé avec David Suchet mais je ne m'en rappelais rien, si ce n'est quelques bribes, et j'ai été saisie avec délectation par l'intrigue tortueuse.
Celle-ci démarre par une mort d'une incroyable banalité, du moins, tel qu'on veut nous le faire croire. Le bon docteur Morley, intègre et respecté, est retrouvé mort d'une balle dans la tête et l'arme à la main. La cause du suicide serait une erreur médicale. Pourtant, toutes les personnes qui connaissaient Morley sont étonnées de ce geste. Et Hercule Poirot est d'emblée chatouillé par des traces sur le tapis sans parvenir à comprendre pourquoi. Puis, deux évènements majeurs vont tantôt éclairer, tantôt brouiller les pistes. Tout d'abord, un des clients de Morley ce matin là était le grand financier Alistair Blunt. Celui-ci incarne les principes fondamentaux d'une Angleterre vieillissante. Il est rigide, catégorique et persuadé que la stabilité du pays repose sur des gens comme lui. C'est pourquoi de nombreux révolutionnaires cherchent à le supprimer afin d'initier un ordre nouveau. Se pourrait-il alors que la victime initialement désignée n'était pas Morley mais Alistair Blunt ?
Et puis, une autre cliente du matin, Miss Sainsbury Seale, disparait dans de mystérieuses circonstances. Quel était son lien avec cette affaire pour le justifier?
Pendant longtemps, Hercule Poirot tatonne et hésite. Les morceaux du puzzle ne semblent pas coincider et ses petites cellules grises restent perplexes. D'ailleurs, une fois n'est pas coutume chez l'auteur, cette enquête couvre plusieurs semaines ! Mais Hercule Poirot n'est pas homme à se décourager et c'est au chant d'un psaume qu'il commencera à rassembler tous les éléments, non sans déplaisir.
Agatha Christie est depuis quelques temps, pour moi, un refuge régulier et douillet dans lequel je me love. C'est un peu ma madeleine de Proust littéraire. Elle a été une de mes premières auteurs fétiches puis je l'ai longtemps laissée en jachère. J'aime aujourd'hui y revenir avec un plaisir nostalgique et les yeux qui pétillent. Bien sûr, tout est suranné et les ficelles sont grosses. Pourtant, je n'arrive la plupart du temps pas à découvrir qui est le coupable, c'est donc bien que, grosses ou pas, elles me sont toujours efficaces ! Ici, l'enquête nous plonge dans une période charnière de l'Angleterre - où cet ordre ancien qui a fait ses preuves se sclérose et pétrifie plus qu'il ne crée et où un nouvel ordre crie de se mettre en place. Alistair Blunt, le symbole de cet ordre archaïque est au coeur de tout jusqu'à la fin. On peut se demander si une interprétation poussée du verdict ne pourrait pas être rapprochée de cette fameuse dichotomie entre ancien et nouvel ordre. Mais je me garderai d'aller sur ce terrain glissant et vous laisse vous régaler simplement !
Challenge Petit Bac 2013 chez Enna
Enfin une participation pour la catégorie chiffre/nombre !
Challenge Agatha Christie chez George
6eme participation
Et 2eme participation au mois anglais chez Lou et Titine
08:44 Publié dans Challenge, Classiques, Littérature anglophone, Polar | Lien permanent | Commentaires (18)
30/05/2013
Frankenstein de Mary Shelley
Frankenstein de Mary Shelley, 1818
Lecture numérique
Le roman s'ouvre sur les lettres du jeune Robert Walton à l'adresse de sa soeur. Il lui raconte son périple dans le grand nord, en quête de nouvelles découvertes géographiques. Il recueille un matin un homme en pleine mer de glace, près de se noyer : le docteur Frankenstein. Celui-ci, tout d'abord silencieux et faible, plongé dans une profonde mélancolie, finit par lui raconter son histoire, apeuré par l'orgueil de Walton qui aspire à faire évoluer la science à tous prix.
A partir de cet instant, Walton nous confie le récit de Frankestein qui devient le narrateur. Jeune homme d'une famille suisse aisée, il se passionne très tôt pour les sciences naturelles. Il lit tout ce qu'il trouve sur le sujet et nourrit rapidement l'ambition d'aller plus loin :
"Voilà ce qui a été fait, s'exclamait l'âme de Frankenstein, mais moi je ferai plus, beaucoup plus. Sur cette voie déjà tracée, je créerai une nouvelle route, j'explorerai des pouvoirs inconnus et j'irai révéler au monde les plus profonds mystères de la création."
Un intérêt plus particulier le pousse vers le principe même de vie :
"D'où vient, me demandais-je souvent, le principe de vie ? Une question hardie qui de tout temps avait constitué un mystère. Pourtant, que de secrets ne dévoilerions-nous pas, si la lâcheté et la négligence ne venaient perturber nos recherches ?"
Et ni l'un ni l'autre ne vont le perturber. Pendant ses années d'études, il s'échine à la tâche et commence par le plus désagréable et pourtant le plus nécessaire pour étudier la vie : la mort. Il passe de longues heures à disséquer des corps dans la puanteur et la faible lumière pour s'apercevoir, un beau jour, qu'il est en mesure de faire ce qu'aucun de ses éminents professeurs n'a pu jusqu'alors :
"Après des jours et des nuits de labeur incroyable et de fatigue, je découvrais la cause de la génération et de la vie. Davantage : je devenais capable d'animer la matière inerte."
Gonflé d'orgueil, il s'attaque alors à la création d'une créature composée de divers morceaux de cadavres. Il choisit sciemment de le créer plus grand qu'un homme car, sinon, certaines parties lui auraient été difficiles à assembler. Durant cette "création", Frankenstein ne pense qu'au présent ; pas du tout à l'après. Il ne pense qu'à lui, se prenant pour Dieu d'une manière à peine déguisée :
"J'allais donner la vie à de multiples créatures bonnes et généreuses, et nul père n'allait plus que moi mériter la gratitude de ses enfants. Dans le cours de mes réflexions, germait l'idée que si je pouvais animer la matière inerte (ce qui, plus tard, allait devenir impossible), je serais aussi à même un jour de redonner la vie à un corps apparemment voué à la décomposition"
Et de fait, à l'instant précis où la créature ouvre les yeux et prend vie, il la refuse et s'enfuit. D'un coup, sa difformité lui apparaît. D'un coup, il comprend l'ampleur et les risques possibles de ce qu'il vient de faire. Bref, les questionnements et la prise de conscience viennent après ici après l'acte ce qui va, évidemment, poser pas mal de problèmes.
Frankenstein nourrit une crainte totale pour la créature qu'il a lâché dans la nature le soir même de son éveil. Et celui-ci, livré à lui-même, revient à son créateur quelques années plus tard en tuant son jeune frère. Malice ? Instinct démoniaque ? Non. La créature est simplement pleine de colère et de haine envers celui qui l'a engendré pour s'en désintéressé aussitôt - pire : le rejeter. A cause de son apparence hideuse, il vit dans une solitude abyssale puisque tous fuient en le voyant. Tout le monde le prend pour un monstre sans chercher à comprendre ou à le connaitre.
"Je devrais être ton Adam mais je ne suis qu'un ange déchu que tu prives de toute joie. Partout je vois le bonheur et moi, moi seul, j'en suis irrévocablement exclu."
La créature, après un monologue poignant, accepte de ne jamais pouvoir cheminer à côté des hommes mais demande en échange à Frankenstein de lui créer une femme pour qu'il puisse au moins connaître la joie de n'être pas seul au monde. Après avoir accepté, Frankenstein renonce finalement à cette requête. Pour lui, la créature est un monstre profondément malveillant. Dès lors, la créature va déchaîner sa vengeance à l'endroit de cet être aux ambitions de démiurge finalement pétri de faiblesses bien humaines.
Une fois n'est pas coutume, je viens de vous gratifier d'un très long résumé agrémenté de citations (le charme du surlignage intempestif sur livre numérique!) mais il m'a semblé que c'était nécessaire avant de vous en donner mon avis.
J'ai laissé reposer un certain temps ma lecture avant de le faire, d'ailleurs. Même encore maintenant, je ne saurais dire si j'ai aimé ce livre ou pas. Une chose est sûre, il ne m'a pas laissée indifférente et bien qu'il date de deux siècles, il est encore d'une incroyable modernité sur l'être humain.
Frankenstein est sous titré Le Prométhée moderne, il est donc d'emblée aux prises avec ce fameux hybris : vouloir être l'égal des dieux. Notre personnage principal ici veut créer à l'image de celui qui l'a créé. Le problème étant qu'il ne conçoit à aucun moment la portée de son acte. Frankenstein ne parle que de lui même, il est pétri d'un orgueil démesuré que j'ai d'emblée détesté. Il faut avouer que le roman date du début du XIXe et que, donc, le style romantique n'aide sans doute pas à cet effet tantôt prétentieux, tantôt larmoyant du narrateur sur sa personne. La remise en question lui est parfaitement étrangère et bien qu'il se présente comme un puits de science (après tout, il réussit en peu de temps là où personne n'avait réussi jusqu'alors), il ne voit en fait pas plus loin que le bout de son nez et le bout de la bien-pensance de l'époque. La créature est différente, difforme, étrange ? Elle est donc mauvaise ! Ne cherchons pas à aller plus loin que ce lamentable postulat de départ !
Pourtant, la créature prouve qu'elle est capable d'apprendre vite et bien, qu'elle est animée de la même étendue de sentiments - bons ou mauvais - que ses parents humains et qu'elle est capable de réflexion, d'introspection, d'empathie. Mais Frankenstein se ferme à ses évidences et se ferme à sa création. Celle-ci n'a beau que réclamer un peu d'attention et d'amour, Frankenstein la repousse froidement, lui reprochant ensuite son comportement haineux et violent. Peut-être aurait-elle dû tendre l'autre joue ?! Non. Puisqu'on l'a repoussée, la créature choisit la vengeance. Et c'est sur cette note destructrice que se joue toute la deuxième moitié du livre : La créature cherche à se venger de son créateur et le créateur cherche à se venger de sa créature. Ce qui est étonnant, c'est qu'un seul des deux êtres à une raison de se venger - la créature - et c'est également la seule qui éprouvera finalement du remords et de la tristesse. Comme quoi, la créature a dépassé son créateur en "humanité".
J'ai été particulièrement choquée et blessée en lisant ce livre. Véritable plaidoyer pour la tolérance si l'on se place du côté de la créature, c'est aussi un tragique portrait de la nature humaine si on se place du côté de Frankenstein (et de Robert Walton aussi d'ailleurs). Tous les pires aspects de l'homme y sont brossés : l'orgueil, l'envie, l'incapacité à réfléchir, à assumer ses actes, à se remettre en question, l'intolérance, le refus de l'autre, de ce qui est différent, l'apitoyement sur soi, la victimisation. Frankenstein est la quintessence de tout ce que l'être humain a de détestable.
Je n'ai pas eu le plaisir de lire de commentaires universitaires sur cette oeuvre qui, je n'en doute pas, doit en regorger ; je ne sais donc pas si je suis à côté de la plaque. Mais je vous livre ce qui m'a vraiment saisie à cette lecture.
Bien sûr, je fais l'impasse sur de nombreux autres aspects passionnants et prégnants de l'oeuvre comme l'omniprésence toute romantique de la nature, reflet du moi intérieur (les descriptions des montagnes, du lac ou des forêts éclairent tantôt l'état d'esprit de Frankenstein ou de sa créature). Mais je retiendrai vraiment cette leçon d'humanité dans ce qu'elle peut avoir de pire pour me le rappeler dans les instants où l'hybris me saisira derrière les fagots.
Challenge "Les 100 livres à avoir lu" chez Bianca
5eme lecture
08:48 Publié dans Challenge, Classiques, Littérature anglophone, Réflexion | Lien permanent | Commentaires (10)
15/05/2013
Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald
Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald, ed. Le Livre de Poche, 1925, 203p.
Dans la banlieue New-Yorkaise des années folles, de modestes bicoques côtoient de fastueuses demeures. C'est ainsi qu'à West Egg, Nick Carraway habite en face de Jay Gatsby et le rencontre lors d'une soirée où tout est outrance. Le champagne, la musique, le monde - tout coule à flot. Nick Carraway est à la fois impressionné et incrédule face à son hôte qui n'a rien d'un vieil homme d'affaires grisonnant. Gatsby est un trentenaire au visage poupon dont le sourire rassure instantanément. Mais surtout, Gatsby est nimbé d'un mystère qui attire : a-t-il tué un homme ? A-t-il étudié à Oxford ? D'où vient-il et qui est-il ? Face à toute une floppée de fêtards et d'inconstants, Nick est le seul à s'intéresser vraiment à son hôte et voisin sans pour autant l'idéaliser.
Rapidement, Gatsby demande à Nick de l'aider à réaliser un rêve qu'il nourrit depuis cinq ans : reconquérir son véritable amour, Daisy, la cousine de notre narrateur. Ce dernier accepte de jouer l'entremetteur de leurs retrouvailles avant d'assister, impuissant, à la déliquescence de cette relation et de Gatsby lui-même. Car Gatsby se tenait en équilibre sur ce fantasme entretenu. C'est à ce seul but qu'il a voué sa vie d'opulence et de fastes. Tout s'arrête, dès lors, en même temps que l'espoir de son amour et la descente est aussi brusque et tragique que le présageait son désir fou.
J'ai lu ce livre il y a une dizaine d'années, après Tendre est la nuit que j'avais adoré. J'ai été un peu déçue par ce monument de la littérature américaine, en tout cas je l'ai trouvé moins bien que le précédent lu du même auteur. Mais lorsque Adalana a proposé de (re)lire cet opus en lecture commune à l'occasion de son adaptation ciné par Baz Luhrmann, j'ai tout de suite sauté sur l'occasion : je sentais bien, au fond, que j'étais un peu passée à côté la première fois.
Et je le confirme : cette relecture a été un vrai plaisir et une redécouverte totale ! Gatsby le Magnifique est définitivement un excellent roman !
Bien sûr, il est un instantané flamboyant de son époque. Le début du chapitre III décrit abondamment les fêtes du protagoniste comme un déploiement de tout ce qu'il peut y avoir de plus grandiloquent. Transparaissent à la fois l'atmosphère des soirées recherchées par la jeunesse qui aspire à s'oublier et, en filigrane, la situation économique d'où émergent nombre de "nouveaux riches" plus ou moins frauduleux. Gatsby n'échappe pas à cette condition. Il n'est pas présenté comme quelqu'un de spécialement raffiné ; il veut bien plutôt que se voit sa richesse car c'est ce qui séduira Daisy, parfaitement vénale. Gatsby le Magnifique, comme les autres romans de Fitzgerald (du moins, ceux que j'ai lus) offre un regard sans concession, désenchanté et finalement, plutôt sombre sur l'Amérique début de siècle.
Mais tandis que j'avais essentiellement retenu cet aspect du roman, j'en ai découvert d'autres. Tout d'abord, le profond romantisme de Gatsby. Dans le désenchantement général, Gatsby est un personnage qui aime secrètement la même femme depuis cinq ans et qui a oeuvré durant tout ce temps dans le seul et unique but de l'atteindre à nouveau. C'est tout de même faire preuve d'une constance étonnante en pleine période du mouvement perpétuel ! Ce qui aurait pu n'être qu'une gentille mièvrerie apparait au sein de Gatsby comme une dichotomie dangereuse : à la fois archétype de son siècle, il en est en même temps son opposé total, habité d'absolu. Cette dualité lui sera fatale.
Et puis, j'ai constaté cette fois l'intelligence d'écriture de Fitzgerald. Il vogue de rebondissements en rebondissements. S'enchaînent les épisodes qui font progresser la narration vers une noirceur de plus en plus grande et l'on sent rapidement que la fin de Gatsby est inéluctable. C'est un tissage tragique parfaitement mené.
J'avais déjà envie de voir l'adaptation de Lurhmann (parce que la bande-annonce m'inspirait et parce que j'ai un faible pour DiCaprio, j'avoue, j'avoue) mais alors là, c'est une évidence : s'il passe dans mon bled paumé, je ne le raterai pas ! Je suis persuadée, en plus, que les scènes de soirées se prêtent merveilleusement au style cinématographique du réalisateur. Reste à espérer qu'il n'aura pas retenu que ça et qu'il n'aura pas limiter l'histoire à une succession de jolies cartes postales.
Lu dans le cadre d'une lecture commune avec Adalana, Miss Léo, Shelbylee et pleins d'autres !
Et hop, par la même occasion, j'attaque le challenge de Bianca sur les 100 livres à avoir lu !
Challenge Fitzgerald et contemporains chez Asphodèle
2eme lecture
07:02 Publié dans Challenge, Classiques, Lecture commune, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (18)