03/10/2013
Au temps du roi Edouard de Vita Sackville West
Au temps du roi Édouard de Vita Sackville-West, ed. Le Livre de Poche, 1930, 253p.
Le règne d’Édouard VII du Royaume-Uni, né Albert-Édouard, s'écoule de 1901 à 1910. Après la fin de règne austère de sa mère, la reine Victoria, Édouard ouvre de nouvelles perspectives. A la fois très engagé dans la politique extérieure et connu pour son goût des plaisirs, il symbolise brillamment l'entrée de son pays dans le vingtième siècle avec tout ce cela implique de bouleversements militaires, technologiques et sociaux. L'Angleterre de ce siècle tout neuf est optimiste et hédoniste, riche de son histoire et tournée vers l'avenir.
C'est dans ce contexte foisonnant que Vita Sackville-West place son roman et découvre pour nous les méandres de la noblesse britannique. On y suit plusieurs personnages au gré des chapitres, eux-mêmes découpés en fragments d'épisodes et de pensées. Tous tournent autour de l'illustre famille ducale de Chevron composée de la duchesse Lucie, veuve parfaitement superficielle, et de ses deux enfants d'une vingtaine d'années, Sébastien et Viola. Ils symbolisent en somme la charnière entre l'Angleterre victorienne pleine des principes antiques que confèrent le haut lignage et entre un nouveau monde plus libre et moderne. Ils s'évertuent chacun à leur manière, et sous l'impulsion de l'aventurier Léonard Anquetil, à découvrir leur voie, leur vie dans toute cette tradition astreignante. Ce cheminement n'est pas chose facile lorsque l'apparence passe avant tout. Sous le vernis de la tradition, se cache bien des attitudes peu scrupuleuses, surtout lorsque l'on touche aux passions amoureuses. Rien ne semble problématique tant que rien n'est su car tel est le véritable maître : la réputation. Il s'agit en tout point d'être comme il sied dans le monde, qu'importe les secrets d'alcôve. Il importe également de suivre la voie tracée depuis des temps immémoriaux car la rançon de la noblesse, bien que riche, est de ne pas être libre. Une cage dorée, certes, mais une cage quand même.
Soyons francs : ce ne sont pas tant les commentaires abondants produits récemment sur les blogs qui m'ont décidé à lire ce roman mais mon coup de foudre aussi récent que fulgurant pour Downton Abbey. Devant maintenant attendre à chaque fois une semaine pour goûter un nouvel épisode, il me fallait un petit palliatif pour le manque (Non mais c'est dingue comme on peut devenir ridiculement accro à une série. Bref). Je l'ai tout trouvé dans ce roman qui est, évidemment, bien plus que cela.
Le premier chapitre m'a immédiatement transportée. L'auteure y décrit avec finesse et un ton élevé le quotidien de vie à Chevron : les soirées habillées, les discussions d'apparat et le fourmillement des domestiques. Tout est parfaitement imagée et limpide. Pour rester dans ce qui m'a motivée à entamer l'ouvrage, j'étais exactement à Downton Abbey : déjà conquise. J'attendais néanmoins de voir la suite des évènements.
A partir du second chapitre, nous rentrons plus avant dans le quotidien de Sébastien et dans ses tentatives pour concilier cet héritage auquel il tient, dans lequel il a été moulé qu'il le veuille ou non, et sa volonté d'émancipation. A cet égard, la psychologie dont use Vita Sackville-West (elle-même d'unefamille noble britannique) est extrêmement pertinent. Car loin de jouer la facilité de la dichotomie, elle met en place toute une gamme d'émotions et de contradictions qui rendent compte avec justesse de la complexité du dilemme. Viola s'en sort avec plus de facilité même si elle prend le temps de son envol mais Sébastien, porteur du titre et héritier de la demeure ancestrale, jongle avec des problématiques plus nombreuses et un tempérament plus mélancolique. Il égraine les maîtresses très différentes pour trouver une échappatoire. Ainsi, l'auteure offre une non seulement une satire des bonnes manières de façade de la société huppée mais en questionne aussi les perspectives d'évolution. Éduquée de tous temps dans l'idée que leur monde est immuable, les bouleversements du XXeme siècle vont mettre à mal cette certitude.
Virginia Woolf, ce génie de la littérature mais néanmoins vieille pie à ses heures, disait de l'écriture de Vita qu'elle ne vibrait pas, que quelque chose était réservé, étouffé. Elle n'a certes pas la poésie évocatoire de son illustre amie mais je trouve le jugement un peu dur. Vita Sackville-West parvient à retranscrire le début de siècle avec un savant mélange de permanence et de frivolité. Je ne suis pas sûre qu'un tel dessein appelait de toute façon le flux de conscience. Ici, on oscille, on surnage, on hésite, on est éblouit. On est parfaitement dans l'époque !
Voilà donc un premier voyage réussi au pays de Vita Sackville-West - que je renouvellerai prochainement avec le plus grand plaisir.
09:00 Publié dans Classiques, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (14)
30/09/2013
Bel Ami de Guy de Maupassant
Bel-Ami de Guy de Maupassant, ed. Folio, 415p., 1885
Au début du roman, Georges Duroy sort d'un restaurant et respire Paris. Ancien sous-officier, le voilà modeste employé avec une féroce envie de réussir - c'est-à-dire être riche et en mettre plein la vue. Il n'a aucun talent particulier si ce n'est celui de séduire. Mais dans une société en pleine mutation où les possibilités de réussite poussent comme des bolets en octobre, Georges Duroy n'a pas besoin de plus. Il possède même l'arme fatale.
Lorsqu'il rencontre au hasard des rues son ancien camarade d'armée, Charles Forestier, il saute sur l'occasion. Il découvre que le journalisme est un merveilleux ascenseur social et Forestier lui propose de l'y introduire. Qu'il ne sache pas écrire n'est pas un problème : depuis quand un journaliste a-t-il besoin d'écrire? Il se contente de faire écrire ses premières chroniques par Madame Forestier puis de voguer de femmes en femmes jusqu'au sommet qu'il s'est choisi, dans la plus totale décomplexion et une pointe de machiavélisme de comptoir.
Si Rastignac est l'arriviste dandy et élégant, Georges Duroy en est sa version premier prix. Malgré cette beauté que Maupassant ne cesse de nous vanter - des cheveux blonds cendrés, une moustache parfaite agitée au gré des coquineries, Duroy n'est rien d'autre qu'un jeune mufle peu intelligent avec les dents qui rayent le parquet. Et aucun scrupule ne l'encombre ! Ni celui de pénétrer dans un domaine professionnel pour lequel il n'a aucune aptitude, ni celui de manipuler les femmes de pour arriver à ses fins. Au début, son goût de réussir à quelque chose d'attachant. On sent une grossièreté de paysan rouennais qui attend ardemment de toucher du doigt la plus grosse pâtisserie de la vitrine. Mais progressivement, son envie devient dévorante, insatiable voire cruelle. Le livre se termine et pourtant, le lecteur ne peut s'empêcher de suspecter encore notre héros de quêter de nouvelles avancées. Lors de son mariage avec l'ex-madame Forestier, il offre d'ailleurs à son nom un avatar aristocratique : Du Roy de Cantel. Ce petit tour découvre à lui seul toute la modestie et le snobisme de mauvais-goût de notre héros.
Ces quelques considérations sur Duroy étant faites, il faut bien évidemment ajouter que Bel-Ami est un excellent tableau satirique de l'univers parisien fin de siècle. Tout le monde en prend pour son grade : tant la politique épinglée dans ses malversations et ses calculs mesquins que le journalisme dans son absence de professionnalisme, d'objectivité et de qualité. Maupassant a chroniqué pour des revues et publié nombres écrits (dont Bel-Ami) sous forme de feuilletons. Il est donc bien placé pour plomber son sujet. Ici, qu'il s'agisse des politiques ou des journalistes, c'est l'argent qui tire toutes les ficelles. A la tête de La Vie Française : un riche juif qui n'a cure de l'écriture. Aux affaires étrangères : un provincial également riche qui n'a cure des retombées d'une bataille. C'est donc la politique en Afrique du Nord qui fait les frais des ces considérations mercantiles sous le manteau et, tandis que les deux sus-cités s'enrichissent encore plus, une intervention militaire s'engage avec surprise.
Je ressors de cette lecture plutôt séduite. Pas complètement foudroyée comme j'ai pu l'être chez Zola, avouons-le, mais moi qui y allait à reculons, je n'ai pas vécu l'ennui que je redoutais. L'écriture de Maupassant est simple, claire, sans emphase. Il pique juste sans en faire trop. Le personnage de Bel-Ami est décidément savoureux de muflerie rustre et la satire de l'époque en général/du journalisme en particulier est sans objection.
Il fait bel et bien partie des classiques à avoir lus au moins une fois dans sa vie !
Challenge XIXème siècle chez Fanny et Kheira (Netherfield Park)
1ere lecture
09:00 Publié dans Challenge, Classiques, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (11)
26/09/2013
Un balcon en forêt de Julien Gracq
Un balcon en forêt de Julien Gracq, ed. José Corti, 1958, 253p.
Depuis le temps que j'entendais parler de Julien Gracq ! Mes professeurs de Lettres m'en ont toujours vanté le phrasé, la langue ciselée, poétique, impeccable. Peut-être trop d'ailleurs car, à force, je crois que j'en ai eu un peu peur. Un peu comme avec Proust, vous voyez ? On en vient à se demander si on pourra lire un tel auteur et l'apprécier à sa juste valeur. Si on peut prendre le risque de passer à côté. Bref, Julien Gracq me collait un peu les miquettes.
Finalement, il m'a fallu le trouver sur une plaquette de lectures imposées pour me motiver à tenter le voyage. Comme quoi, les lectures imposées ont parfois du bon.
Un balcon en forêt ne raconte rien - et donc il dit l'essentiel. L'aspirant Grange est envoyé en faction dans un petit fortin au bord de la Meuse, au tout début de la deuxième guerre mondiale. Il a sous ses ordres trois soldats mobilisés et ne fait quasiment rien de ses journées durant neuf mois, soit les 3/4 du livre. Nous sommes à cette période méconnue, cette drôle de guerre, où les français sont positionnés en nombre réduit autour de la ligne Maginot (où l'essentiel des moyens étaient déployés) et attendent les nazis. Seulement, ils attendront un bon moment avant d'en apercevoir les balles. Et durant ce temps, Grange s'inscrit dans cette vie retirée, pleine de la forêt vitale et d'une vie bucolique resserrée autour d'un petit village. Son quotidien semble être celui d'une ermite à la fois contemplatif et routinier. C'est la nature qui exprime toute la palette des sensations innombrables. En elle que s'imprime l'évolution des heures. Elle semble immobile tout d'abord puis devenir aigre à l'approche des troupes ennemies. La rencontre avec Mona est également de toute beauté tant elle apparaît comme une nymphe perlée de pluie, irréelle et pimpante.
Progressivement et avec une irréalité ironique, les nazis finiront pas atteindre le fortin de leur obus et par tuer deux soldats. Grange n'est que blessé mais préfère rester là, dans ce microcosme étrange. Tellement plein que la solitude n'est plus un problème.
Je ressors de cette lecture très étonnée. Julien Gracq distille une poésie déroutante, presque fantastique. S'il n'est pas question d'épisodes rebondissants, l'écriture et le paysage se meuvent perpétuellement. Dans cette immobilité, les secondes deviennent pénétrantes. En outre, le style de Gracq est à la fois d'une grande modernité dans cette déconstruction du récit et emprunte pourtant au plus grands auteurs du XIXeme dans le phrasé. Je n'ai pu m'empêcher de retrouver fréquemment des formulations typiques de Zola, par exemple.
La lecture de Gracq est indéniablement un voyage du style, en apesanteur.
08:40 Publié dans Classiques, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (8)