29/04/2013
Les Aventures d'Oliver Twist de Charles Dickens
Les Aventures d'Oliver Twist de Charles Dickens, 1837-39, Le livre de poche, 725p. dont 64 d'introduction
Oliver Twist voit le jour dans un sombre asile victorien en même temps que sa mère rend son dernier souffle. Aux origines inconnues, il devient un orphelin de plus à la merci d'une municipalité inique envers les nécessiteux. Tout d'abord élevé dans un orphelinat, il est ensuite renvoyé à l'asile où M. Bumble, l'appariteur municipal au cœur glacé, s'emploie à le maltraiter puis à s'en débarrasser aux mains du premier employeur venu. Cet employeur poursuit les mêmes traitements à l'égard du jeune garçon que la vie, décidément, n'épargne pas. Aussi, s'enfuit-il un beau jour vers la capitale anglaise dans l'espoir d'une vie meilleure. Il n'en sera rien, bien sûr, puisqu'il se retrouve embrigadé avec une troupe d'infâmes voleurs dans divers événements dont il se tire miraculeusement pour mieux être à nouveau ôté au peu de bonheur qu'il goûte enfin. Il semble que, malgré sa candeur et son honnêteté, les voleurs s'échinent à le retenir dans leurs filets. Pourquoi tant d'acharnement ? La réponse se trouve sans doute du côté des origines du jeune garçon.
Autant vous le dire, Oliver Twist est un roman d'une implacable noirceur, du moins dans les deux bons premiers tiers du bouquin, qui dépeint sans complaisance l'envers de l'époque victorienne (qui n'était décidément pas que tea time en compagnie de gracieuse jeunes personnes). La misère n'avait d'égal que la scélératesse et la cruauté de ceux même qui étaient censés aider les laisser pour compte. Ainsi les intendant(e)s empochent-ils les subventions destinées à nourrir les orphelins et les mauvais traitements sont la loi par laquelle on tient tout ce petit monde silencieux. Lorsque ceux-ci parviennent à s'extraire de cette indicible condition, ce n'est, bien souvent, que pour tomber dans le brigandage et reproduire une fois de plus, ces comportements malveillants à l'égard des plus faibles. Oliver Twist, en cela, est une peinture particulièrement éloquente et d'un souffle romanesque vibrant sur les bas-fonds victoriens. C'est en tout cas ce que je retiendrai et ce qui m'a vraiment plu dans ma lecture, d'autant que le roman se finit bien - et on ne rechigne pas à une happy end après autant de coups bas contre un pauvre garçon qui n'avait rien demandé.
Néanmoins, je note quelques petits bémols (que semble noter également le commentateur en préface de mon édition, je me sens donc moins honteuse d'y aller de ma petite critique à l'endroit d'un auteur comme Dickens) car il faut avouer que l'auteur ne fait pas toujours dans la dentelle. A sa décharge, notons qu'Oliver Twist est une oeuvre de jeunesse, sa deuxième pour être précise après Pickwick et que donc, bien que faisant montre d'un talent évident, il y a quelques petits loupés. Pour blâmer les comportements de la société que je viens d'évoquer, Dickens convoque par exemple une ironie à couper au couteau qu'on aura du mal à trouver subtile. Certes, elle atteint son but mais sans y aller avec le dos de la cueillère. Je ne me rappelais pas une telle grossièreté de procédé dans De grandes espérances que j'avais dévoré il y a quelques années et de fait, ce roman là est un roman de la maturité pour Dickens ; il avait donc déjà aiguisé sa plume à ce moment là.
Et puis, de même que l'on plonge souvent dans la plus profonde noirceur, l'auteur nous offre également des épisodes et des personnages tellement purs et bons qu'ils semblent avoir été lissés à la niaiserie. On pourrait faire la même réflexion d'Oliver lui-même qui fait parfois preuve d'une intelligence surprenante autant qu'il peut être d'une naïveté déconcertante aux moments même où un éclair de lucidité pourrait l'aider. Tout cela bien sûr sert l'intrigue mais je n'ai pu m'empêcher d'être déroutée parfois de tant de grossièreté chez un des plus grands auteurs du XIXe.
Je termine donc cette nouvelle exploration du maître anglais avec plaisir, certes, parce que le roman respire un romanesque de folie mais tout de même moins emballée que lors de ma première découverte. Je ne m'en formalise pas néanmoins : après tout, même les grands auteurs ont débuté et de savoir qu'ils n'ont pas tout de suite été des génies sans faille est plutôt réconfortant. Pour l'heure, David Copperfield m'attend sur mon Kindle. J'y plongerai dès lors qu'une nouvelle envie d'un pavé classique se fera sentir.
Un grand merci à Natiora qui m'a offert ce livre lors de notre swap de Noël !
Challenge Petit Bac 2013 organisé par Enna
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09:00 Publié dans Challenge, Classiques, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (12)
15/04/2013
Les New-Yorkaises d'Edith Wharton
Les New-Yorkaises d'Edith Wharton, ed. Le Livre de poche, 2012 (ed. originale, 1927), 319p.
Le roman s'ouvre sur la journée trépidante et diablement organisée de Pauline Manford, charmante quinquagénaire new-yorkaise. Et à l'instar de Mrs Dalloway, elle est toute à sa réception du soir en l'honneur d'une parente exotique. Mais tandis que Virginia Woolf, à travers la journée de son héroïne et le monologue intérieur de ses personnages, brossait la pétrification d'une Angleterre vieillissante, Edith Wharton peint l'Amérique en plein essor, le faste, les fêtes et la liberté qui, bizarrement, ne semblent pas plus à envier.
Car en marge de ce quotidien minuté, la famille de Pauline Manford semble doucement se déliter. Tout doucement bien sûr, de telle sorte que les débris ne jaillissent pas trop sous le fard mondain. Et, pour tout le monde, ce fameux ennui qui semble la maladie du siècle...
Je referme ce livre de Wharton avec l'impression d'avoir lu la chronique d'une époque. L'auteure, que je découvre ici, semble avoir le regard acéré du sociologue en même temps que la plume aisée de la romancière. Certes, l'Amérique et, qui plus est, le New-York des années 30 est le vivier d'un renouveau perpétuel, the place to be pour qui voulait être au coeur même du mouvement. Pourtant, Wharton n'en donne pas une image aussi lisse et idéalisée qu'ont pu en garder les générations futures. Car dans ce mouvement, on décelle l'angoisse du temps, le besoin d'une fureur et d'un étourdissement permanent sous peine de se sentir désoeuvré. Ainsi notre protagoniste et son agenda surbooké qui, loin de donner un sens à sa vie par toutes ses occupations, tente au contraire d'en masquer l'absence flagrante.
Dans ce mouvement, on décelle également le mépris de l'oisiveté et le culte d'un pouvoir qui passe exclusivement par l'argent. Les livres ne remplissent les bibliothèques que pour faire joli mais tout le monde est trop fatigué pour se cultiver. Ce que l'on révère déjà se sont les longues journées passées au bureau pour produire de l'argent. Le culte en toc du business est en marche sous les paillettes attrayantes.
Et puis au fond, la conséquence de toute cette agitation sans fin, c'est la lassitude qui de même ne connait plus de repos. Tout va vite, tout doit changer, tout doit perpétuellement émoustiller. A force de recevoir toujours des électrochocs de nouveauté et de fêtes, le corps et l'esprit en deviennent accro comme à une drogue. Le calme et le défilé des jours n'est plus synonyme de sérénité et de douceur mais simplement d'un ennui terrible qui s'ouvre comme une plaie.
Le tout forme le tragique engrenage d'une époque qui aurait pu être un souffle d'opportunités et a en fait construit le socle de notre société contemporaine basée sur l'argent, la futilité et l'exagération. Je n'avais jamais autant saisi que dans cet ouvrage de Wharton, qui développe cette satire sociétale avec beaucoup de subtilité, à quel point les années folles n'ont rien de si plaisant...
Une lecture, du coup, particulièrement instructive et passionnante. J'ai lu beaucoup de billets de blog déçus par une fin abrupte voire ridicule. Je n'y ai vu ni l'un ni l'autre. Il me semble qu'après 300 pages, Wharton avait fait le tour d'un sujet qu'il aurait été dommage de délayer inutilement. Et puis, ainsi, libre à chaque lecteur d'envisager les non-dits qui restent en suspens !
Je poursuivrai avec plaisir la découverte de l'auteur avec le deuxième livre que j'ai d'elle dans ma PAL, mais pas tout de suite. J'espère simplement que tous ses ouvrages ne sont pas dans l'exacte même veine ; j'aurais peur de m'en lasser à force.
Challenge Fitzgerald et contemporains chez Asphodèle
1ere lecture
08:48 Publié dans Classiques, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (11)
11/03/2013
Mrs Dalloway de Virginia Woolf
On le dit souvent durant les années universitaires : "Tu verras, les oeuvres sur lesquelles tu bosses pour ton mémoire, tu n'y retoucheras plus avant un moment, quel que soit l'amour et l'admiration que tu leur portes. Une sorte de deuxième effet kiss cool de les avoir trop lues et décortiquées pendant un ou deux ans." Et je dois dire, malgré la circonspection que cela m'inspirait à l'époque, que je n'ai pas échappé à la règle : je n'avais donc pas retouché depuis plusieurs années à Mrs Dalloway, un des trois romans sur lequel portait mon mémoire de littérature comparée. Dieu sait pourtant que je voue un culte sans borne à l'auteur et à ce livre en particulier mais il faut croire que l'effet mémoire n'épargne rien ni personne. Il finit heureusement par s'estomper avec le temps et c'est donc comme deux vieux amants se retrouvent après une longue absence que j'ai refait connaissance avec Mrs Dalloway.
Mrs Dalloway de Virginia Woolf, ed. Folio Classique, traduction de Marie-Claire Pasquier, 1925, 327p. (dont 58 d'introduction)
L'étape du résumé sera extrêmement courte pour la simple et bonne raison qu'il n'y a rien à résumer. Non pas qu'il ne se passe rien, bien au contraire - il se passe l'essence même de la vie - mais à l'image du refus de Woolf pour le roman réaliste empesé qui recréait une réalité purement factive, elle ne s'intéresse point tant aux actes et aux évènements qu'aux consciences. Ainsi donc, le roman retrace certes une fameuse journée de juin de Mrs Dalloway mais au fond, vous n'en apprendrez pas grand chose. Car ce n'est pas cette réception qu'elle organise qui est intéressante, pas plus que les petits faits qui auraient pu s'y greffer mais le personnage de cette femme mûre aux allures de geai, cette Mrs Dalloway entre deux âges et entre deux périodes de sa vie qui "se sentait très jeune ; et en même temps, incroyablement âgée. Elle tranchait dans le vif, avec une lame acérée ; en même temps elle restait à l'extérieur, en observatrice. Elle avait le sentiment, en regardant passer les taxis, le sentiment d'être loin, loin, quelque part en mer, toute seule ; elle avait perpétuellement le sentiment qu'il était très, très dangereux de vivre, ne fût-ce qu'un seul jour." Et autour de cette femme, de nombreux personnages au gré de son mouvement, que le lecteur suit en un flux ininterrompu de pensées, de réflexions tantôt purement anecdotiques tantôt d'une fulgurante poésie. Parmi eux, le jeune Septimus Warren Smith au nez en bec d'aigle (tous deux des oiseaux, voyez-vous) - héros de guerre aujourd'hui plongé dans une folie mystique. Pour lui aussi, vivre est devenu la plus difficile des épreuves, incompris même par sa propre femme qui aurait préféré qu'il soit mort au front plutôt que de devenir ça.
La première évidence qui me saute au yeux tandis que je relis Mrs Dalloway est qu'il fait partie de ces romans qu'il faut absolument lire dans un état d'esprit favorable, une disposition d'esprit particulière. Rien ne sert de se motiver à sa lecture en se disant qu'il s'agit d'un "classique qu'il faut avoir lu". Je crois vraiment qu'il vaut mieux ne jamais le lire du tout plutôt que de s'y forcer sous peine de s'y ennuyer encore plus que devant un Derrick (et c'est une amoureuse de Woolf qui vous le dit). De la même manière qu'il s'agit d'un roman de sensations, d'émotions, d'impressions fugaces, il faut soi-même être ouvert à tous ces petits éléments silencieux et d'une infime délicatesse et bien comprendre qu'on ne trouvera rien ici qui tient d'une histoire.(Et c'est encore pire si vous lisez Les vagues, d'ailleurs)
Au fond, le phrasé de Virginia Woolf se lit comme on lirait un recueil de poésie, avec cette même attention aux détails sensibles et cette même suprématie de l'intériorité.
Qui est cette Clarissa Dalloway ? Une femme aux mille facettes comme l'est chacun d'entre nous. Est-elle cette femme un peu précieuse, un peu snob, qui organise avec habileté une réception dans la plus pure tradition anglaise - corsetée de petits riens ? Après tout, Peter Walsh ne dit-il pas avec ironie qu'elle a toujours été "la parfaite hôtesse"? Est-elle cette jeune fille de Bourton, qui se protégeait d'un drap d'insensibilité malgré sa fraîcheur adolescente ? Est-elle cette mère incertaine, cette femme mariée à Richard Dalloway, cette amoureuse de Londres, cette femme sereine ou cette femme qui pourrait mourir d'un instant à l'autre ? Mrs Dalloway est tout cela à la fois car elle caractérise la fragilité émouvante du vivre de chaque être humain ; de la vie même de Virginia Woolf aussi, surtout.
Pourtant, au gré des heures frappées par Big Ben et de "ces cercles de plomb qui se dissolvent dans l'air", l'auteur appose en parallèle de cette balade à la fois "initiatique et nostalgique", l'empreinte de spectres plus noirs : ceux de la folie et de la mort. Ce n'est pas Mrs Dalloway qui plonge dans ce gouffre - elle reste toujours en équilibre sur le fil ténu de la vie. Ce qui la retient précisément sur ce fil est exploré douloureusement par son double cathartique, le vétéran Septimus Warren Smith. Et là où Virginia Woolf se révèle d'un génie fulgurant, c'est qu'elle ne se contente pas de creuser avec Septimus les affres de ces noirs continents qu'elle connaissait elle aussi par périodes. Elle en profite pour faire le procès d'une Angleterre pétrifiée par sa gloire et son Histoire qui ne sait pas évoluer au sortir de la première guerre mondiale. On sent bien présente à de nombreuses reprises cette grande guerre dont chacun porte encore le douloureux fardeau : "Entre le début et la fin de la phrase, il s'était passé quelque chose. Quelque chose de si ténu, dans certains cas, qu'aucun instrument de mesure, fût-il capable d'enregistrer un séisme en Chine, n'aurait pu en recueillir les vibrations ; d'une plénitude impressionnante, pourtant, et suscitant une émotion collective ; car chez tous les chapeliers et chez tous les tailleurs, de parfaits inconnus échangèrent un regard et se mirent à penser aux morts ; au drapeau ; à l'Empire. [...] Car, en disparaissant, l'agitation de surface déclenchée par le passage de l'automobile avait effleuré quelque chose de très profond." Malheureusement, loin d'en tirer des leçons d'évolution, l'Empire se drape dans son rôle de vainqueur, se solidifiant ainsi qu'une statue :"Des garçons en uniforme, armés, avançaient au pas en regardant droit devant eux, au pas, les bras raides, avec sur le visage une expression qui rappelait les légendes gravées sur le socle des statues, ces légendes qui vantent le devoir, la gratitude, la fidélité, l'amour de l'Angleterre". Et sous cet apparent hommage, on ne peut que constater que la jeunesse porte en elle les morts de la guerre et la mort même d'une certaine Angleterre au lieu de porter un avenir florissant.
Et puis, Woolf fustige aussi ce pays qui rend hommage à ses héros uniquement s'ils sont morts et qui oublie savamment les autres, allant jusqu'à traiter comme des parias ceux qui ont l'indécence de souffrir de shell shock. Elle en profite évidemment pour faire aussi le procès de la médecine psychiatrique de l'époque qui n'avait rien de salvateur. Ainsi le suicide de Septimus face à ses "médecins" qui n'écoutent pas, clament qu'il n'a rien, qu'il faut simplement "lui changer les idées" sonne comme une condamnation de l'auteur à leur égard.
"Il ne restait que la fenêtre, la fenêtre de la grande pension de Bloomsbury ; et la corvée assommante, pénible et plutôt mélodramatique d'ouvrir la fenêtre et de se jeter dehors. C'est l'idée qu'ils se faisaient de la tragédie, pas lui ou Rezia (car elle était de son côté). Holmes et Bradshaw aimaient ce genre de choses. (Il s'assit sur le rebord). Mais il attendrait jusqu'au dernier instant. Il ne voulait pas mourir. La vie était belle. Le soleil chaud. Mais les êtres humains... Descendant l'escalier d'en face, un vieil homme s'arrêta pour le regarder. Holmes était à la porte. "Vous l'aurez voulu!" s'écria Septimus, et il se jeta avec vigueur et violence, en bas sur les grilles de Mrs Filmer."
Je m'étais promis de ne pas écrire une chronique trop longue faite de réminiscences universitaires mais aussi concise que j'ai tentée d'être, ce roman fourmille de tellement de significations, tellement de mots sous les mots que je me suis laissée emporter. J'espère néanmoins que c'était plus intéressant qu'assommant et que ces quelques phrases vous donneront envie, un jour, de plonger dans un des livres les plus fascinants de la littérature anglaise du XXe siècle. Mais surtout, surtout, ne vous y forcez pas (j'ai lu trop de chroniques ahurissantes et blasphématoires - oui, oui - de lectrices qui ne savaient visiblement pas à quoi elles s'attaquaient et on fait un honteux amalgame entre leur ennui de lecture et l'absence d'intérêt du roman. Sans commentaire hein.)
Et si enfin, l'appel du livre vous prend, entre un rayon de soleil et la brise entre les feuilles d'un coquelicot, je vous souhaite de sentir comme j'ai senti l'éclatante permanence des êtres sous la mouvance des apparences.
2eme participation au Challenge Virginia Woolf chez Lou
3eme participation au Challenge "Lire avec Geneviève Brisac" chez Anis (Litterama)
Challenge "Les 100 livres à avoir lus" chez Bianca
Billet rétroactif 3
08:32 Publié dans Challenge, Classiques, Coups de coeur, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (8)