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17/08/2011

La piste mongole de Christian Garcin

Son dernier roman publié (et premier lu) m'avait déjà sacrément botté mais alors là, je suis carrément époustouflée ; ce livre est tout simplement hallucinant. Pour vous dire, je l'ai à peine fini et pas encore rendu à la bibliothèque que je l'ai déjà acheté sur le site de Gibert. Ce livre DOIT faire partie de ma bibliothèque. (Oui, ceci était une information capitale pour votre survie)

 



La piste mongole de Christian Garcin, Verdier, 2009

 

Hallucinant, décidément : je ne vois pas comment mieux vous le résumer. Sous prétexte d'une quête d'un ami disparu, nous voilà plongés dès la première page au coeur de mondes parallèles entre rêves et réalités, baignés de chamanisme mongole, de télépathie, de créatures mouvantes, facétieuses et puissantes, d'animaux qui parlent et de rêves prémonitoires. Le tout délivré par une polyphonie narrative labyrinthique qui m'a mis dans un état d'excitation littéraire de jeune pucelle !

Mais revenons-en à un semblant de résumé sérieux et contractuel. 

Rosario Traunberg part en quête d'Eugenio Tramonti, personnage récurrent chez Garcin. Dès lors, la Mongolie est un pays de limbes et de brumes, car Tramonti était lui-même sur la piste de Smolienko, dont la trace reste toujours ignorée. Rien ne se perd, rien ne se crée mais tout se transforme.

Et l'on débute du côté d'Oulan Bator, dans une yourte sale. Accompagné d'Amgalaan, dont le nom est un indice, on assiste à la transe chamanique d'une jeune fille obèse guidée de son aînée. Elle délivre un message énigmatique. Du moins, c'est ce que l'on apprendra bientôt car nous sommes d'abord perdu dans l'histoire de Pagmajav.

A partir de là, tout dérive. Le temps et les voix, ceux de la narration et ceux de la quête, se détendent, se mêlent, et surtout se mélangent. Ce que l'on tient pour acquis n'a plus rien à voir en ce lieu et en ces pages. Tout est différent, autre. Parfaitement fantasmatique et parfaitement exact. Où l'on raconte des histoires, s'amuse, baigne dans la solitude de l'éclairé, s'interroge, frissonne et parle à un renard. C'est même à se demander, dans les dernières pages de l'ouvrage, si l'on a pas été mené en bateau depuis le début. Car finalement, où est le vrai, la fiction et qui est l'auteur ?

Je ne nie pas qu'un certain attrait pour les récits alambiqués et les pipes hallucinogènes est conseillé pour apprécié cet ouvrage. Mais que vous dire d'autre si ce n'est qu'il est extraodinaire, magistral, fuselé, incandescent. Chers amis, la réponse est OUI : Au XXIe siècle, il y a encore de brillants écrivains ; ils ne sont pas tous morts avec Julien Gracq. (Levons nos bières à cette bonne nouvelle - enfin, je dis bière, mais ça pourrait bien être autre chose, allez savoir...)

 

 

 

 

*

 

Extrait

 

"J'étais assis sur ma couche et repensais comme souvent au loup Barük se jetant sur moi et me déchiquetant, puis à la petite cabane dont je disposais tout près de celle de Sürgündü, au fond du fossé où m'avaient conduit les quatre juments qui étaient les filles de Sürgündü, et je repensais aussi à l'autre cabane, celle qu'habitait Pagmajav à la lisière d'un bois sombre, où m'avaient conduit les trois autres filles-juments de Sürgündü qui avaient assisté à mon démembrement, je repensais à tous les savoirs que l'une et l'autre m'avaient dispensés, Pagmajav en grognant et sans sourire, sauf lorsqu'elle dormait, Sürgündü plus austère d'aspect avec ses bras d'os, ses jambes d'os et son visage d'os, mais plus amène aussi, et finalement plus douce, quoique plus effrayante dans sa cabane surmontée de crânes et d'os, sa cabane qui parfois se dressait sur des pattes de poules pour se déplacer au fond du ravin noir parmi les hautes herbes, je repensais à tout cela lorsque je m'avisai que la respiration de Bauaa avait changé et sentis son regard sur moi. Je tournai la tête et le vis qui me fixait, emmitouflé dans les couvertures, l'air grave."

 

*

 

 

 

 

15/08/2011

Entre ciel et terre de Jon Kalman Stefansson

 

littérature,critique,islande

 

 

Entre ciel et terre de Jon Kalman Stefansson, traduit (merveilleusement) de l'islandais par Eric Boury, Gallimard, 2010 ; Folio, 2011

 

On dit de l'existence qu'elle serait un chemin jalonné d'épreuves et de rites voué à une meilleure compréhension du monde et de nous-même.
C'est exactement ce que l'on vit ici, Entre ciel et terre, passionnant roman initiatique sur les pas du gamin qui, par la mort, apprend les mots de la vie.

Ce sont les vagues, immédiatement, qui emportent. Celles des pêcheurs d'Islande qui les parcourent à la rame pendant des heures pour ramener les morues à terre. A six dans une maigre barque, ils avancent face à la neige, au vent et s'en remettent à Dieu avec la pudeur de l'effort.

Celles des mots, de tous ces poètes ancestraux et ceux de Milton, qui hypnotisent Bardur. Il lit ces vers et se les répète comme une litanie jusqu'à les respirer. Nulle chose ne m'est plaisir en dehors de toi.  Tant est si bien qu'il en oublie sa vareuse et les mots seuls, c'est bien connu, ne protègent pas du froid. S'en vient le soir/ Qui pose sa capuche/ Emplie d'ombre/ Sur toute chose/ Tombe le silence. S'en est fini de Bardur, sous les yeux du gamin, noyé dans ce flot de parataxes virtuoses qui nous glace les os.

La vie pourtant continue. Du moins le deuil. Car c'est ce chemin là que prend le gamin avec Milton sous le bras. "Le gamin ne rentre pas chez lui, d'ailleurs comment est-il possible de se diriger vers un lieu qui n'existe pas, pas même dans notre tête?" Non, le deuil n'a pas de lieu. Il est dans chaque pas, dans les pensées les plus noires, les songes de mort et dans la mélancolie ; il est aussi dans ce petit village au bout de la vallée où L'Espoir est à quai. Il y a alors de ces rencontres qui, très simples et ancrées jusqu'au cou dans l'âprêté du quotidien, ravivent une lumière. La mystérieuse et indépendante Geirprudur, la franche Helga et le capitaine aveugle, féru de livres et de café noir. Une trinité profane porteuse de renouveau, un ailleurs sur la terre ferme. Peut-être alors est-il possible de continuer à vivre.  

Et l'écriture dans tout cela? S'en échappe un parfum à la fois tellurique et divin où tout est possible. L'écriture, dans son essence même, à l'image de l'homme : Entre ciel et terre
 

*

Extrait :

 

Bardur lui renvoie son regard, son visage est inexpressif car le froid paralyse ses muscles, pourtant, il le regarde. Quelqu'un saisit le gamin par le col. C'est Einar qui le tire d'un coup sec, les yeux du gamin balaient la barque, Pétur et Arni leur crient quelque chose, mais il n'entend rien, on n'entend rien d'autre que le hurlement du vent. Le gamin regarde Einar, puis le frappe avec une violence glaciale, droit sur la pommette. Einar recule face au coup et tout autour face à cette violence qui lui rend le gamin méconnaissable, il se remet à genoux, arrache sa vareuse, tente en vain d'en revêtir Bardur, lui frictionne le visage, lui frappe les épaules, réchauffe ses yeux de son haleine car c'est là que réside la vie, il appelle, il frappe encore, il frictionne plus fort, mais rien n'y fait, c'est inutile, Bardur a cessé de voir, ses yeux n'ont plus aucune expression. Le gamin a enlevé ses moufles, il frotte le visage glacé de son ami, le fixe dans les yeux, lui dit quelque chose, lui caresse les joues, les frappe, hurle et attend un instant, murmure, mais rien ne se produit, le lien qui les unissait s'est rompu, le froid a placé Bardur sous son emprise. Le gamin jette un oeil en arrière sur les quatre hommes qui luttent pour avoir la vie sauve, unis dans la bataille, il regarde à nouveau Bardur, tout seul, plus personne ne l'atteint, en dehors du froid. Nulle chose ne m'est plaisir, en dehors de toi.

 

[...]

 

Vie, qu'es-tu donc? Peut-être la réponse se love-t-elle au creux de la question, de l'étonnement qu'elle recèle. La clarté vitale s'affadit-elle pour se transformer en ténèbres dès lors que nous cessons de nous étonner, de nous interroger et que nous envisageons la vie comme une banalité?

 

 

14/08/2011

Les derniers jours de Stefan Zweig de Laurent Seksik

 

 

Les derniers jours de Stefan Zweig de Laurent Seksik, Flammarion, 2010, 187p.

 

C'est le roman de la fin d'un monde et du vent au-dessus de l'abime,
l'exil ontologique de celui qui, très tôt, a la prescience du danger hitlérien et s'engage dans une fuite perpétuelle. Il fuit l'Autriche en 1934 et ne cessera plus de le faire pendant huit ans.
D'abord en Angleterre, où il rencontre sa seconde femme Lotte. Puis à New York et finalement au Brésil. Et c'est avec la vision sereine et mélancolique d'une malle nouvellement arrivée à Pétropolis que s'ouvre le roman de Seksik.

Nous voilà chez le couple Zweig de septembre 1941 à février 1942, au coeur du Brésil et de leur quotidien. Nul travail de biographe pointilleux ni exegèse des derniers travaux de la part de l'auteur. Ils sont simplement nus avec leurs peu de livres et sans plus de patrie, tentant de survivre et d'écrire. On croise des paysages exotiques, le marché, le Joueur d'échec et ces intellectuels également exilés : Bernanos, Ernst Feder, Abroho Koogan. Tout appelle à l'espoir, à l'engagement - à la Vie. Pourtant, derrière cette façade toute pastel et surannée, Zweig est l'inconsolable et d'un humanisme si absolu qu'il ne peut concevoir d'avenir aux atrocités du présent. Si la plume écrit encore, l'homme est brisé. Quant à sa femme, asthmatique et d'une amoureuse abnégation, elle s'évertue à prier et à être celle dont son époux a besoin : l'oreille, l'amie, la distrayante, l'accompagnante au bord du gouffre.

C'est avec une respectueuse pudeur et la simplicité de l'hommage sincère que Laurent Seksik déroule pour nous le quotidien de ce lent suicide que scande les mois comme tourne l'aiguille.  Un roman délicat, fascinant et plein d'empathie qui se lit avec une pointe de recueillement.

Et l'on serait tenté d'attribuer à Zweig lui-même ce qu'il avait écrit de la mort de Kleist - "Ce coeur troublé a trouvé la paix, se sent en communion avec l'univers, il parvient à faire de sa souffrance un monument impérissable [...]. Il a su mieux mourir que vivre : sa mort est un chef-d'oeuvre"

 

*

 

Extrait :

 

"Pour moi, l'intérêt de tes livres réside dans le mystère de cette relation entre le narrateur et son interlocuteur. Plus encore que le héros, c'est le confesseur qui me fascine, cet être resté dans l'ombre et qui jamais ne juge. Contrairement à la plupart des écrivains, tu n'es pas le héros de tes romans, ton je se promène tout entier dans cet être qui reçoit, impassible, le récit des malheurs du monde... Ce qui demeurera de tes nouvelles, ce n'est pas tant le récit du monde ancien, ton cher monde disparu, mais la chronique d'une dévastation. 

Détrompe-toi si tu espères rester comme le plus grand conteur des temps flambants anciens, le chantre de la nostalgie. Les personnages de tes livres témoignent de la désintégration du monde... Et, pardonne ma franchise, tes héros ne font que raconter ta propre blessure, dresser l'inventaire de ta longue dérive. Tu refuses de militer, de signer nos pétitions, de te battre avec les mouvements des exilés, tu as même espéré un temps en Chamberlain, c'est dire! Mais ton militantisme est ailleurs, tu es engagé dans le processus de destruction du monde. "

 

 littérature,critique,zweigChallenge Zweig chez Métaphore

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