16/04/2016
Césarine de nuit d'Antoine Wauters
Césarine de nuit d'Antoine Wauters, Cheyne éditeur, 2013, 124p.
La nuit point. Césarine ouvre l’œil. Où elle dort à demi et touche quelques objets : chaque pierre petite, piétinée par oubli, un peu de sève, un minuscule chardon. Dans le cru, la crudité de l’aube, la lumière blanche qui la tient au plus près, sa voix lève laines, lins rêveurs, souvenirs muets. Césarine de nuit, sœur cœur du tendrement laissé, de l’assis rendant l’âme, de Fabien l’aigrelet.
Césarine et Fabien sont abandonnés, laissés à la nature, par des parents trop pingres. Alors, ils deviennent trop libres, sauvageons, les cheveux longs et sales au bord du fleuve. Ils puent, ramassent ce qu'ils trouvent ; Césarine se promène et Fabien lit les poètes. Cette existence en marge de tout finit par déranger. A quelques temps d'intervalle, Césarine est cueillie après une agression, emmenée dans un asile ; Fabien est cueilli par la police pour une raison qui reste obscure. Tous deux à nouveau réunis mais tous deux maltraités, toujours plus seuls et beaucoup moins libres ; car la société exècre les êtres libres.
Elle voit les arbres du parc fleurir, puis se charger de fruits et se défeuiller, elle voit la lumière crue d’hiver et celle braisée des fins d’automne, elle respire à pleine bouche les branches de lierre tombées sous le vent fort, selon les mois, le cours du sang, l’avancée de ses rêves et l’état de sa folie, elle entend le bruit de nos pas dans les couloirs ou de sa respiration parmi les bêtes, au bois de son enfance. Au bois chéri.
La lecture d'Antoine Wauters a toujours quelque chose de jouissif et de dérangeant ; son style se promène décidément dans cette ambivalence terriblement organique où il est question des chairs, des peaux, des plaies. De ses êtres martyrisés par la vie, par une autorité qui refuse les marges heureuses, il tire une langue brute, sans concession, sans trop de compassion non plus et pourtant d'une poésie lumineuse de toutes ses ombres. La distance qu'il instaure est la condition pour ne pas s'apitoyer, pour recevoir comme une gifle des instantanés comme autant de coups de foudre assénés à la bienséance, comme autant d'élans du désir, comme autant d'affirmations d'une nécessaire désobéissance. A l'image de Césarine et Fabien, capables d'inventer leur vie et d'en souffrir les conséquences, Antoine Wauters invente une langue du corps, une langue libre et percutante, où la crudité et la violence se font belle et grande poésie.
On brûlera la mauvaise graine et le mauvais génie, l'adolescent bredouille, le doux rêveur au fleuve, le pantois, les Fabien et les fils de Fabien, on brûlera les mains vides, les pierres n'amassant mousse, Césarine légère et les frères Charles chauves, on brûlera l'étrangère et la leveuse de laine. Et petite nuit n'est plus. Elle devient la lumière, le jour cru qui nous blesse, et elle devient la cendre.
Mon billet sur Sylvia, écrit en 2014, merveilleux également (si ce n'est plus).
Troisième participation au mois belge 2016 d'Anne et Mina
08:12 Publié dans Challenge, Lecture commune, Littérature française et francophone, Poésie | Lien permanent | Commentaires (10)
26/01/2016
Sur la plage de Chesil de Ian McEwan
Sur le plage de Chesil de Ian McEwan, Folio, 2010, 192p.
Tout comme Woolf faisait tenir une seule journée dans Mrs Dalloway, Ian McEwan projette son lecteur dans une seule soirée d'Edward et Florence - mais quelle soirée cruciale pour eux deux, déterminante pour leur avenir : celle de leur nuit de noces. En 1962, on est déjà loin de l'Angleterre victorienne corsetée mais pas encore exactement dans celle de la pop, du rock et de la liberté assumée. 1962, c'est l'année chafouine entre chien et loup où nos deux jeunes gens s'aiment, font des études d'Histoire et de musique, s'épanouissent dans de nombreuses amitiés mais se cherchent encore et ne savent pas parler. Les angoisses, les attirances et les dégoûts liés non seulement au mariage mais aussi à la sexualité et au corps sont tus savamment. Le silence pèse lourdement sur la table à laquelle dinent Edward et Florence tandis que la consommation du mariage les occupe pesamment et d'une manière toute opposée. Au fil du récit, se joue une partition inexorable qui semble les mener à un point de non-retour.
Point de twist, point de rebondissement, de cela on peut être sûr. Si j'ai ouvert cette chronique avec une référence à Woolf, c'est bel et bien à dessein : on retrouve dans ce roman de McEwan le même souci du détail, de l'intériorité des êtres et des consciences au détriment d'une trame narrative rythmée de pirouettes surprenantes. Il apparaît ici que les personnages recèlent suffisamment de relief, d'aspérités, de contradictions pour délivrer le récit d'une vie en l'espace de quelques heures. Ce qu'ils ne parviennent pas à se dire, à partager, Ian McEwan l'effeuille pour nous à travers le flux de ces consciences si riches et complexes. Que j'aime tout particulièrement cet exercice difficile de l'écrivain d'être le miroir des âmes !
Pourtant, Dieu sait que le sujet du couple est de ceux qui suscite un désintérêt immédiat chez la lectrice que je suis. J'avoue que la manière dont Simone gère son mariage avec Roger m'indiffère cordialement. Vous avez d'ailleurs dû remarquer que j'évite généralement soigneusement les lectures qui touchent de près ou de loin à cette question. Il y a fort à parier que, dans cette lignée, je n'aurais sans doute jamais lu Sur la plage de Chesil s'il ne m'avait été offert. J'ai ainsi pu constater, à ma grande joie, qu'il ne faut décidément jamais dire jamais et que l'on peut être ô combien surpris par un roman subtil et profondément intelligent quel qu'en soit le sujet de base. Ian McEwan livre un roman humain, d'une grande pudeur, où l'être et la nature s'avancent de commune mesure vers ces moments cruciaux qui nouent le fil de la vie. Un beau bout de chemin à parcourir, en somme, et qui prête à réflexion - car, que l'on s'identifie ou non aux personnages (et je vous souhaite franchement que ce ne soit pas le cas), il invite forcément à se poser la question de son rapport à soi et à l'autre.
Merci à ma Charline douce pour ce cadeau lors de notre swap traditionnel de Noël !
Lu en lecture commune avec Ellettres : allons voir son billet !
Et comme ça faisait longtemps (depuis septembre dernier tout de même !) voici une nouvelle lecture pour le Challenge A Year in England chez Titine
La 5ème pour être précise
15:46 Publié dans Challenge, Lecture commune, Littérature anglophone, Swap | Lien permanent | Commentaires (28)
15/10/2015
La vérité sur l'affaire Harry Québert de Joël Dicker
La vérité sur l'affaire Harry Québert de Joël Dicker, De Fallois Poche, 2014, 859p.
Marcus Goldman vient de publier un premier roman encensé, gros succès des librairies. Il en profite à fond, se paye des petits fours, un bureau avec secrétaire et, à l'occasion, une starlette de télévision. A force de ce climat sans littérature, Marcus Goldman s'aperçoit qu'il n'arrive plus à écrire. C'est d'abord la déconvenue puis l'angoisse la plus totale, en plein milieu éditorial américain où les Lettres se doivent d'être rentables. Marcus appelle alors à la rescousse son mentor et ami Harry Québert, célèbre auteur des Origines du mal, sans trop de succès immédiat. Pourtant, quelques semaines après leurs retrouvailles, une nouvelle totalement folle tombe du ciel : un cadavre est retrouvé dans le jardin d'Harry Québert ; celui de son seul amour vieux de trente ans, Nola Kellergan. Et paf ! Marcus Goldman retourne alors à Aurora, non plus pour tenter d'écrire mais pour tenter de faire toute la lumière sur cette affaire et disculper son ami. Cela dit, l'écriture d'un second livre pourrait bien se profiler entre ses découvertes...
Alors oui, éclaircissons immédiatement un point de mésentente entre lecteurs au sujet de ce roman : les académiciens ont très clairement fumé la moquette (et de la bonne) à la veille de décerner leur Grand Prix à ce titre. Avec toute l'objectivité dont on se doit de faire preuve à la lecture de n'importe quel bouquin, il faut s'accorder à dire que celui-ci est écrit avec les pieds. Je serais même tentée de dire avec le gauche seulement et les yeux bandés. Nous avons ainsi fait toute la lumière sur la qualité du style, la profondeur des dialogues et la subtilité de l'histoire d'amour entre Harry et Nola.
Cela dit, faisons aussi la part des choses : ce roman avançait-il une quelconque prétention à ces niveaux-là ? Honnêtement, je ne crois pas. On lui reproche ces lacunes au regard du prix qu'il a reçu par la suite - et tant mieux pour lui - mais lui n'avait rien demandé, que je sache. Il faut bien plutôt se concentrer sur ce qu'il propose effectivement : un roman policier. Et de ce point de vue là, bien hypocrite serait celui qui trouverait à redire sur l'excellente habileté de Joël Dicker à emballer le lecteur comme un pot de miel le fait avec les mouches, à nous enjoindre fermement de lire, lire et lire encore parce qu'on est tout simplement hypnotisé par l'histoire rocambolesque qui se déroule sous nos yeux. Tout commence, comme bien des polars, par une évidence tout à fait erronée, que le protagoniste, aidé du sergent Gahalowood (que j'ai personnellement adoré), va s'échiner à effeuiller. La vérité, comme chaque lecteur de polar sait, est toujours la microscopique petite aiguille cachée dans une meule de foin. Et bien, La vérité sur l'affaire Harry Québert est une fantastique meule de foin à tiroirs (comme j'vous l'dis - ça peut aussi servir de buffet) et toutes les pièces que l'on y découvre sont savoureuses. Je ne vous parle même pas de la fin, qui rebondit avec maestria.
Certes pas ce qu'on attend d'un Grand Prix de l'Académie française mais indéniablement ce que l'on attend d'un très bon roman policier. Je l'ai pris comme tel ; j'ai donc été servie ! Merci à Joël Dicker pour la bonne tranche de lecture addictive !
Lu en lecture commune avec ma copine Ellettres, avec qui j'ai adoré échanger sur le sujet. Allons voir son billet !
Challenge Un pavé par mois chez Bianca
Participation d'octobre !
11:44 Publié dans Challenge, Lecture commune, Littérature française et francophone, Polar | Lien permanent | Commentaires (18)