28/05/2019
Le printemps du commissaire Ricciardi de Maurizio de Giovanni
- Previously dans les enquêtes du commissaire Ricciardi -
L'hiver n'a que trop duré : voici enfin le printemps ! (D'ailleurs, s'il pouvait arriver chez nous aussi, je ne cracherais pas dessus). Luigi Ricciardi di Malomonte goûte enfin à ce petit vent de renaissance, empêtré dans la paperasse consécutive à l'affaire du ténor Vezzi, de même qu'une tripotée d'autres napolitains aussi divers que variés, lorsqu'un nouveau meurtre survient : celui d'une petite vieille du quartier de la Sanità qui pratiquait l'usure et la cartomancie. Ricciardi, fidèle à lui-même, se ménage un petit tête à tête, ou presque, avec la défunte qui lui livre un ancien proverbe napolitain. En parallèle, son fidèle adjoint Maione aide Filomena, une jeune veuve incroyablement belle à la suite d'une odieuse agression à son domicile. Les deux policiers vont se trouver fort tracassés par ces affaires qui, de façons différentes, vont les amener à réfléchir et éprouver leurs vies privées.
J'ai mis un certain temps à rentrer dans l'histoire car, comme dans bien des séries, plusieurs dizaines de pages sont consacrées au début à rappeler ce que l'on sait déjà si l'on a lu les tomes précédents. Il faut donc patienter durant ce passage obligé, qui permettra néanmoins aux néophytes de prendre le train en marche sans tout lire dans l'ordre, un bon point pour eux donc, avant de rentrer véritablement dans le vif de cette nouvelle affaire de meurtre.
Ceci étant fait, j'ai particulièrement aimé ce tome pour deux raisons principales. Tout d'abord, Naples y tient une place beaucoup plus importante. L'énergie vivifiante du printemps renaissant se prête particulièrement bien à explorer le dynamisme napolitain, les vies de quartiers ou de couples, et à suivre les personnages dans leurs déplacements divers. Ainsi, de jolis morceaux de descriptions jalonnent le récit, comme des bulles agréables, avant de relancer le lecteur dans la course au coupable. Par ailleurs, la construction narrative est aussi beaucoup plus complexe et intéressante que dans l'enquête hivernale. Dès le début, le lecteur se trouve aux prises avec une myriade de personnages éclatés auxquels le narrateur consacre aléatoirement un, deux ou trois paragraphes avant de passer à un autre - les protagonistes mis à part, évidemment, sinon on y serait encore pour résoudre l'énigme. Cela nous pousse à nous interroger sur le rôle véritable de chacune de ses personnalités dans l'une ou l'autre affaire menée par Ricciardi ou Maione ; on se sent ainsi un peu dans la peau des enquêteurs.
Evidemment, ce récit reste avant tout un divertissement et n'a pas, à ma connaissance, la prétention de quoique ce soit. Néanmoins, je la trouve de qualité dans son genre et j'ai été fort séduite par cette balade dans le Naples de 1931 au côté d'un commissaire toujours aussi ambivalent et de plus en plus attachant - je ne vous parle même pas de Maione que j'adore, décidément. J'ai comme qui dirait une furieuse envie de découvrir l'enquête estivale à présent mais je vais patienter encore quelques semaines pour la déguster à la bonne saison.
Le destin. Encore lui, le maudit, l'impénétrable destin. Le rempart derrière lequel se cachent les peurs, les responsabilités : "c'est le destin", "laisse faire le destin", "ça se passera comme le veut le destin". Dans les chansons, dans les contes. Dans la tête des gens.
Comme si tout était ordonné ou écrit et que rien n'était laissé au libre arbitre des hommes. Mais non, il n'y a pas de destin, pensait Ricciardi en arrivant, flanqué de Maione, devant la porte du divisionnaire. Il n'y a que le mal et la douleur.
Participation pour le mois italien chez Martine
08:00 Publié dans Challenge, Littérature italienne, Polar | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : le printemps du commissaire ricciardi, luigi ricciardi, maurizio de giovanni, polar, enquête, meurtre, naples, 1931, italie, fascisme, cartomancie, usure
20/03/2019
L'hiver du commissaire Ricciardi de Maurizio de Giovanni
Rien de tel qu’un bon polar en vacances : ça détend, ça passionne, ça tient en haleine – et ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Sur une inspiration de Marilyne, j’ai récemment eu l’heur de découvrir le charmant commissaire Ricciardi pour sa première enquête littéraire, par un mois de mars particulièrement frileux (Et il était temps que je solde mes lectures d'hiver à l'arrivée de ce printemps !).
En ce début d’année 1931, tandis que le fascisme italien est à son apogée et le Duce auréolé de pouvoir, Naples s’apprête à recevoir l’un des plus grands ténors en son sein : Arnaldo Vezzi. Comme bien des artistes conscients de leur génie, Vezzi est, par ailleurs, un être parfaitement détestable et fort peu apprécié. Le soir de sa première à l’opéra, alors que Ricciardi s’apprête à rentrer chez lui, le ténor est assassiné dans sa loge. Le commissaire se rend sur les lieux et, fidèle à lui-même, se ménage un tête à tête avec le mort : notre protagoniste à la particularité déconcertante de voir les quelques secondes qui séparent une victime de son trépas. Ces ultimes instants orientent alors son enquête et lui permettent de remonter jusqu’au meurtrier, avec l’aide de son acolyte le brigadier Raffaele Maione.
Les yeux verts du commissaire, ces merveilleux yeux verts : une fenêtre ouverte sur une tempête.
Luigi Ricciardi di Malomonte est un personnage austère et énigmatique. Cette fréquentation permanente de la mort, bien malgré lui, en fait un être torturé qui peine à se lier avec ses semblables. Le seul véritable sentiment qu’on lui verra ressentir dans ce premier tome, outre un attachement pour sa vieille nourrice ou du respect pour son subalterne, sera pour sa voisine uniquement observée par la fenêtre et à qui il n’a même jamais parlé – soit dit en passant, ça pourrait sembler extrêmement glauque mais l’auteur le relate comme une histoire d’amour platonique charmante, tout à l’honneur de Ricciardi. Et de l’honneur, il n’en manque tellement pas qu'il est vain d’user sur lui de la flatterie. Il n’y a pas être plus droit que lui. Finalement, Ricciardi n’est pas un personnage auquel on s’attache véritablement mais pour qui on ressent beaucoup d’empathie, de respect voire une forme d’admiration. Il est à la fois le héros ET le anti-héros parfaits du roman policier : Ricciardi, ce 2 en 1 du polar napolitain.
L’enquête, quant à elle, est relativement classique et vaut surtout par le détour qu’elle occasionne dans le Naples de l’entre-deux guerres et dans l’univers de l’opéra. A cet égard, le personnage du prête passionné, patient comme tout et clairvoyant avec notre commissaire à l’âme sombre est éminemment sympathique. J’espère le retrouver dans l’enquête printanière, deuxième volume des aventures de Ricciardi, déjà dans les starting blocks de ma PAL pour les prochaines vacances. Evidemment, je vous en dirai des nouvelles !
08:56 Publié dans Littérature italienne, Polar | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : polar, roman policier, luigi ricciardi, l'hiver du commissaire ricciardi, naples, italie, facisme, mussolini, meurtre, opéra, musique, ténor, enquête
19/01/2019
Les Brumes du passé de Leonardo Padura
Grâce à ce roman, je découvre enfin Mario Conde, ancien flic cubain reconverti dans la vente de livres d'occasion. A l'époque des faits, il a quitté la police depuis une dizaine d'années - nous sommes en 2003. Cuba souffre de plus en plus du rationnement et Mario galère de plus en plus à trouver quelques livres à revendre pour subsister. Un beau jour, il tombe par hasard sur une bâtisse magnifique un poil décrépite qui renferme une somptueuse bibliothèque, restée intacte selon les dernières volontés d'Alcides Montes de Oca. Conde a un pressentiment violent. Il le pense lié à la rareté de certains ouvrages inestimables ; il s'aperçoit rapidement qu'il a plutôt à voir avec une chanteuse dont il découvre la photo entre les pages : Violeta del Rio, femme fatale tombée dans l'oubli depuis son retrait de la scène, un demi-siècle plus tôt. Pour mener à bien son enquête, Mario Conde erre dans tous les quartiers de la Havane - et certains ne sont pas exactement sortis d'un catalogue touristique - lorsqu'il ne refait pas le monde avec sa bande d'amis indécrottables.
Les Brumes du passé est un roman d'ambiance assez extraordinaire, c'est-à-dire qu'il transpose exactement les codes de roman noir américain, dans l'art duquel Raymond Chandler ou Dashiell Hammett sont passés maîtres en leur temps, en plein Cuba contemporain. L'incertitude, la mélancolie et le mystère sont les mêmes, sans l'once d'une caricature - la tarte à la crème principale du roman noir ; la déliquescence du temps et le désespoir de la faim provoquent toujours les plus sombres crimes. C'est franchement subtil et d'une rare intelligence. L'enquête est au service d'une réflexion sur les dommages collatéraux d'une dictature qui n'a déjà que trop duré et interroge la portée des éthiques lorsque les besoins primaires sont sapés. Elle est aussi l'occasion d'une balade au pays réjouissant de l'amitié et de l'art littéraire, ces nourritures spirituelles capables de tout rendre supportable - du moins, la plupart du temps. Certaines pages consacrées à l'amitié me restent en mémoire comme parmi les plus beaux éloges que j'ai pu lire de ce sentiment, sans emphase ni grandiloquence, en dévoilant la simplicité et la profondeur d'une relation durable et franche.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas, à ce point, eu un coup de foudre à la fois pour un auteur, une ambiance et un personnage. Je ne suis pas prête d'oublier Mario Conde, cet imparfait magnifique, ni de lâcher la grappe à Leonardo Padura, c'est moi qui vous le dit.
Histoire de ne rien dévoiler de l'intrigue par quelques citations, je vous laisse sur l'incipit. Le voyage est déjà amorcé.
Les symptômes arrivèrent soudain comme la vague vorace qui happe un enfant sur une plage paisible et l'entraîne vers les profondeurs de la mer : le double saut périlleux au creux de l'estomac, l'engourdissement capable de lui couper les jambes, la moiteur froide sur la paume de ses mains et surtout la douleur chaude, sous le sein gauche, qui accompagnait l'arrivée de chacune des ses prémonitions.
Les portes de la bibliothèque à peine ouverte, il avait été frappé par l'odeur de vieux papier et de lieu sacré qui flottait dans cette pièce hallucinante, et Mario Conde, qui au long de ses lointaines années d'inspecteur de police avait appris à reconnaître les effets physiques de ses prémonitions salvatrices, dut se demande si, par le passé, il avait déjà été envahi par une foule de sensations aussi foudroyantes.
Première participation cubaine pour le Challenge Latino d'Ellettres !
14:19 Publié dans Challenge, Coups de coeur, Littérature hispanique, Polar | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : polar, roman noir, policier, enquête, meurtre, mystère, chanson, boléro, femme fatale, violetta del rio, mario conde, cuba, la havane, dictature, livre, livre ancien, pénurie, amitié, intuition, coup de coeur, métailié, les brumes du passé, leonardo padura