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26/05/2017

Le livre de Perle de Timothée de Fombelle

Le livre de perle.jpgPlus de trois mois que nulle chronique de littérature jeunesse n'est apparue sur le blog et pourtant plus de trois mois que j'ai lu ce merveilleux roman : que le temps passe vite ! Il est grand temps de combler cette lacune avant que mes souvenirs petit à petit ne s'amenuisent, comme ceux de Perle, afin de rendre un hommage mérité à ce qui est sans doute une des plus belles fictions jeunesse qu'il m'ait été donné de découvrir jusqu'ici. 

Les histoires naissent ainsi, quand de petits mystères rencontrent des heures sombres.

Perle est le patronyme d'un étrange vieux bonhomme qui vit seul avec ses chiens au milieu des bois. Notre narrateur, un jeune garçon de quatorze ans, tombe sur lui par hasard alors qu'il fugue. Joshua Perle a l'air sympathique mais étrange : il entasse de nombreuses valises au contenu énigmatique qu'il répertorie dans un cahier. Evidemment, il va interdire au narrateur d'y jeter un coup d’œil ; évidemment, ce dernier ne va pas y résister lorsque le vieil homme partira quelques jours en voyage. Finalement, il ne s'agit que d'un bric à brac sans importance. A priori... Mais qui est vraiment ce monsieur Perle ? Progressivement, nous en apprenons un peu plus sur lui, en remontant le temps jusqu'en 1936, date à laquelle il arrive dans la boutique de guimauves du couple Perle. En parallèle de ce flashback et de façon elliptique, nous sommes invités également à plonger dans un autre récit où tout évoque le monde merveilleux, parfois violent, des contes de fées. Rien ne manque à l'appel : roi, reine, princes et princesses ; créatures maléfiques et magiques ; et l'amour à foison, évidemment impossible mais plus fort que tout. 

Les guimauves n’étaient ni juives, ni collaboratrices, ni communistes. Elles étaient du parti du sucre.

Le lecteur, au début, est déboussolé de tant d'histoires parallèles, de tant d'informations, semble-t-il, en désordre. Sur le site de l'éditeur, l'ouvrage est conseillé aux plus de 13 ans du fait de cette construction particulière qui peut désarçonner un œil jeune peu aguerri. Pour vous donner une idée, je l'ai conseillé exclusivement à mes très bons lecteurs de 6e cette année et sur les trois à avoir tenté l'aventure, seuls deux sont arrivés au bout. (Pourtant, celui qui a décroché n'avait eu aucun mal à dévorer tous les tomes d'Harry Potter l'année d'avant...) 
Mais cette exigence d'attention ne limite en rien le pouvoir profond du récit à susciter l'émerveillement, le rêve et la douceur. Toute adulte que je suis, je me suis fondue dans ce récit passionnant et délicieux le temps d'une après-midi, ne perdant que quelques secondes pour me resservir un thé brûlant. A mesure que les pages défilent, les pièces du puzzle se mettent en place et l'on découvre que cet univers des contes, cet univers si loin du nôtre est en fait le nôtre exactement et que notre pouvoir, le plus puissant de tous sans doute, est celui de l'imagination - en d'autres termes, celui de la littérature. Timothée de Fombelle dévoile à travers Perle que les livres sont ce qui relient les êtres entre eux et les êtres à leur passé. C'est le fil rouge entre les âmes et le cœur. De quoi faire aimer encore plus la littérature !

Merci, Timothée de Fombelle, pour ce roman magique, attachant et d'une incroyable sensibilité. Il sera longtemps en haut de la liste des romans que je conseillerai sans mesure à tous mes élèves de collège. 

Nous nous sommes regardés par petites gorgées de temps, baissant parfois les yeux pour respirer.

coup de coeur.jpgLe livre de Perle de Timothée de Fombelle, Gallimard, Pôle Fiction, 2017, 325p. 

18/02/2017

Les rendez-vous manqués de l'hiver

Je dois bien avouer que je n'ai pas à me plaindre de mes lectures ces derniers temps. L'hiver est plutôt florissant en riches découvertes et j'ai rarement eu autant de coups de cœur en si peu de temps (certains billets sont encore à venir). 
Pourtant, toute période de chance à ses limites et entre mes lectures fabuleuses se sont glissés à l'occasion quelques ouvrages moins palpitants. J'avais projeté initialement de les passer à la trappe du blog mais le partage de mes plantades estivales avait été l'occasion d'échanges plutôt chouettes en août dernier. Je réitère donc l'expérience ! 

 

corps désirable.pngCorps désirable de Hubert Haddad, Zulma, 2015, 176p. 

Après le très beau Peintre d'éventail puis le coup de cœur total de , j'étais partie pour dévorer l'oeuvre de Hubert Haddad dont j'avais adoré la grande poésie, précieuse, fine et subtile. Je me suis donc lancée avec ce Corps désirable paru en même temps que

Dans ce court roman, Cédric Allyn-Weberson, un journaliste engagé en rupture totale avec son père, magna de l'industrie pharmaceutique, se retrouve entre la vie et la mort après un accident. Sa compagne fait appel au richissime paternel pour permettre à Cédric de bénéficier d'une greffe audacieuse dont il sera le cobaye : greffer sa tête sur un nouveau corps. C'est, d'après le scénario, sa seule chance de survie. Le roman déroule alors cette opération et la lente rémission de Cédric, sa tentative pour apprivoiser son nouveau corps et sa quête pour découvrir l'identité du donneur. 

Avec ce roman, c'était pour moi l'occasion de découvrir Haddad dans un univers totalement différent du Japon. Voir comment son style tant apprécié allait se dépatouiller d'un propos flirtant avec la science-fiction. Disons le très clairement : c'est un échec cuisant. Cette pseudo-idée de greffe sensationnelle n'avait déjà pas grand chose de vraisemblable scientifiquement mais le peu de crédibilité que la littérature aurait pu y apporter vole littéralement en éclat sous la plume d'un Haddad poussif et prétentieux qui rend le tout d'un ridicule sans commune mesure. c'est too much du début à la fin. Les éléments de réflexion sont certes d'une évidemment nécessité et ne manquent pas d'intérêt mais ils sont noyés dans un flot d'onanisme littéraire dommageablement ampoulé. Comme quoi, on a beau être talentueux, se regarder écrire est une erreur à la portée de tous. 

 

*

 

Dans une toute autre rubrique, comme les élèves, j'ai mes passages obligés : Ces classiques que je croise souvent mais que je n'ai jamais lus. Cet hiver, j'ai eu l'occasion de me frotter à plusieurs d'entre eux, tous assez courts. Deux me sont apparus plutôt décevants.  

 

le livre de poche.jpegPremier amour d'Ivan Tourgueniev, Le livre de poche, 1976[1860], moins de cent pages au sein du recueil (disponible en livre audio gratuit sur internet)


A la fin d'une soirée, quelques amis sont mis au défit de raconter leur premier amour. Vladimir Petrovitch, le seul à avoir visiblement une expérience intéressante à partager, décide de la coucher par écrit. Il avait alors seize ans à l'été 1833. Dans une villa louée par ses parents, où il procrastine joyeusement avant d'entrée à l'université, il croise un beau soir Zinaïda et en tombe follement amoureux. La jeune fille est d'une grande beauté mais se plait à jouer de son attrait auprès des hommes et se montre volontiers glaçante et manipulatrice malgré les rires et les amusements. Zinaïda est la séductrice parfaite, entre le chaud et le froid, la complicité et l'indifférence. Jeune lapin de six semaines, notre narrateur se laisse prendre à ce jeu dangereux. Il se perd dans sa passion et s'inquiète sans cesse de celui qui aura la préférence de Zinaïda parmi tous ses prétendants. Car elle semble bel et bien glisser doucement vers l'amour... mais pour qui ? 

 

la vénus d'ille.jpgLa Vénus d'Ille de Prosper Mérimée,  GF Flammarion, 2007[1837], moins de 100 pages dans le recueil (disponible en livre audio gratuit sur internet)

Un antiquaire, qui sera notre narrateur, vient passer quelques jours chez M. de Peyrehorade afin que celui-ci lui fasse visiter les ruines antiques de la région. Il apprend fortuitement que son hôte a découvert récemment une statue de Vénus d'une éblouissante beauté qu'il a installée dans son jardin. M. de Peyrehorade étonne par sa personnalité truculente et par sa fascination pour la statue, au point qu'il décide de marier son fils un vendredi afin que Vénus guide le mariage. C'est pourtant un mauvais présage selon la sagesse populaire. Et en effet, le narrateur constate quelques phénomènes étranges liés à cette magnifique Vénus, qu'il explique finalement de façon parfaitement rationnelle. Jusqu'au jour du mariage où un anneau oublié au doigt de la déesse scelle le destin de quelques personnages... 

 

Je n'aurais pas la prétention d'avoir à redire sur le style d'écrivains aussi reconnus que Tourgueniev ou Mérimée. Je dois pourtant bien avouer que ces deux lectures ont été des rendez-vous manqués. L'une comme l'autre m'ont laissée ennuyée et/ou dubitative.
La nouvelle de Tourgueniev est éminemment romantique : le narrateur, adolescent, nourrit un amour démesuré, passionné pour une jeune fille qui a tous les atours de la pimbêche prétentieuse. Les personnalités de l'un et de l'autre m'ont fortement agacée et je n'ai que peu goûté aux élans disproportionnés de chacun des personnages qui fleuraient bon ce qui est aujourd'hui un cliché. Il faut avouer aussi à ce stade de mon avis parfaitement partial que je suis peu cliente des œuvres romantiques de cet acabit, préférant de loin que la dynamique hyperbolique de ce courant s'illustre dans d'autres registres que l'expression du sentiment amoureux. 

Quant à La Vénus d'Ille que j'étais ravie de découvrir, grande friande de littérature fantastique que je suis, je me suis ennuyée quasiment de bout en bout. Le surgissement du surnaturel m'a semblé trop ténu pour créer véritablement une atmosphère angoissante ou un doute quelconque tandis que la fin de la nouvelle me semble trop flagrante en comparaison. Il semble que l'on passe de presque rien à tout en un claquement de pages. Sans compter de très longs passages sur des questions de traduction latine passablement indigestes qui auraient pu être raccourcis pour obtenir le même effet de questionnement. Bref, une fois n'est pas coutume, j'ai raté ma rencontre avec un grand titre fantastique. 

 

Finalement, si d'aucuns parmi vous ont lu et apprécié l'un ou quelques-uns de ces trois titres, je serais ravie d'en apprendre plus sur ce qui m'aurait échappé. Puisque chacun des auteurs ici présents est connu pour son grand talent, j'ai forcément dû manquer quelque chose ! Bon samedi à tous ! (PS : puisqu'il s'agit du seul week-end où toutes les zones scolaires sont en vacances, je souhaite, pour l'occasion, d'excellentes vacances à tous mes amis profs !)

 

07/01/2017

Juste Ciel d'Eric Chevillard

 Juste ciel d'Eric Chevillard, Les éditions de Minuit, 2015, 142p. 

Juste Ciel.JPGAlbert Moindre n'est plus. Il faut dire qu'avec un nom pareil, ç'aurait été compliqué de durer bien longtemps. A présent que tout est fini, LA question existentielle par excellence va enfin trouver une réponse : what's next ?! La vérité, c'est qu'on hésite à considérer qu'il y a quelque chose tant le lieu se trouve plus proche d'un hall de gare creusois à moitié vide que du Paradis prévu. 

Dans cet espace insipide et banal, Albert Moindre - tout aussi insipide et banal - n'est plus et pourtant, il pense encore ; il entend d'autres consciences qui résonnent (on ne sait où ni comment, d'ailleurs, puisqu'Albert Moindre n'a plus d'oreilles) ; il attend principalement, il s'interroge puis suit le chemin d'un dédale bureaucratique dépouillé à la suite d'un ange étrange. Nous y voilà : l'au-delà ressemble à s'y méprendre aux bureaux de la Sécu. 
Vous vouliez du rêve clinquant, vous êtes servis ! Dès lors qu'on lève le voile, c'est une machinerie comme tant d'autres qu'on découvre et, étonnamment, le choc est plutôt drôle. Eric Chevillard, pince sans rire, s'amuse de nos clichés de vie et déroule sous les yeux médusés d'Albert Moindre la mécanique implacables des vies humaines. 

Jamais un ragot, tout est vérifié. Tu t'es promené toute la matinée du 2 avril 2007 avec une miette de croissant collée à ton pantalon. Neuf personnes l'ont remarquée. Elle est tombée comme tu traversais la place Wilson. Deux pigeons se la sont disputée. Une fourmi a emporté le dernier morceau. Ton ami Franck Surger, en diverses occasions, a affirmé dans ton dos que tu étais 1) un pleutre, 2) un faux frère, 3) un naze, 4) un prétentieux, 5) un vrai connard, 6) un frustré. Mais il éprouvait vraiment de la sympathie pour toi. Il a dit aussi un jour que tu étais 7) un brave type dans le fond. Repoussant, mal habillé, érotico-angoissant, ce sont là les mots de Juliette Escolier. p. 45

Evidemment, l'auteur nous donne une bonne leçon de vie et la question de la liberté ne manquera pas de nous tarauder, simples mortels que nous sommes. C'est bien joli de rire aux côtés d'Albert Moindre mais c'est tout de même déroutant d'être restreint à un pion sur l'échiquier de la vie. 
Mais sans partir trop loin dans la métaphysique de comptoir, ne perdons pas de vue qu'Albert est avant tout un personnage. Le créateur de toute chose, dans toute cette fable, c'est Chevillard. Avant de dépouiller le Paradis de ses oripeaux fantasmés, c'est le roman qu'il déshabille - et forcément, à force de tout enlever et de dépasser les bornes, on se retrouve dans l'au-delà. Chevillard donc, nous donne l'envers du décor littéraire où l'écrivain tient plus du bureaucrate organisé et consciencieux que du Dieu flamboyant et inspiré et où les personnages apparaissent tels qu'en eux-mêmes : silhouettes éthérées à la merci d'une création en mousse en papier. 
Disant cela, on n'a encore rien dit puisque, histoire d'aller jusqu'au bout du mouvement, celui-ci se nourrit de lui-même. Vous pensiez avoir tout compris de la métaphore amusante comme réflexion méta-textuelle ? Et ben tiens, nous dit Chevillard, je te sers à la fin de quoi retourner une ultime fois - parce que la créateur est peut-être organisé et consciencieux mais il est surtout facétieux - tes certitudes. Tu sais que tu ne sais rien, lecteur. Et hop, le roman déshabillé renaît de ses cendres et c'est reparti pour un tour !