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10/09/2019

Nos étoiles contraires de John Green

nos étoiles contraires,john green,amour,cancer,roman,littérature,une impériale affliction,voyage,amsterdam,mortHazel Grace Lancaster a dix-sept ans et souffre depuis plusieurs années d’un cancer qui lui paralyse complètement les poumons. Son quotidien se résume à rester sur son lit et relire inlassablement le même livre, branchée à son respirateur : pas exactement la fête du slip pour une ado de son âge... Sa mère, inquiète qu’elle ne fasse une dépression (sans blague ?) l’accompagne à un groupe de soutien auquel Hazel se rend en traînant les pieds (toujours pas la fête du slip). Elle y croise pourtant le regard d’Augustus Waters, un presque rescapé du cancer, quoique ça lui a quand même coûté une jambe au passage, venu soutenir son ami Isaac, borgne et bientôt aveugle (OK, tous les slips du monde peuvent aller se jeter par la fenêtre). Malgré un départ aussi fragile et de façon improbable, légère et grave à la fois, Hazel et Augustus vont tomber amoureux – et je vous laisserai découvrir la suite par vous-même si l’envie vous en dit (et si vous ne la connaissez pas déjà).

Nos étoiles contraires ou LE succès incontestable de la littérature young adult actuelle. Honnêtement, c’est précisément pour cette raison et parce que j’en connaissais déjà les moindres détails avant de l’avoir lu, que ce roman ne m’attirait que peu. Le succès fou a toujours quelque chose de suspect, n’est-ce pas ? C’était sans compter l’enthousiasme débordant de mes élèves pour ce livre ; il me fallait donc le connaître sur le bout des doigts pour creuser la question avec eux. Ce qui s’annonçait potentiellement fastidieux parce qu’obligatoire et sans surprise s’est finalement révélé délicieux et addictif.

Ce fameux succès de Nos étoiles contraires n’a finalement rien de suspect : il est un mélange savoureusement dosé de tendresse et de lucidité décapante sur les questions de l’amour et de la mort (spéciale dédicace, Eros et Thanatos). On pleure autant qu’on rit, on réfléchit et on gagne en profondeur. Il y a de quoi cogiter et s'émouvoir dans une lecture aussi subtile et drôle, qui parvient à saisir les poncifs de la romance ado de façon fréquemment originale (même si les pétales au vent d’Amsterdam font forcément sourire). Finalement, ce roman est un peu le symbole de ce que j’aime dans mon métier : l’échange, avant tout - parce que c'est tout de même grâce à mes ados au taquet que j'ai dévoré ce bouquin ! 

 

nos étoiles contraires,john green,amour,cancer,roman,littérature,une impériale affliction,voyage,amsterdam,mortPremière lecture pour le mois américain chez Titine

Journée consacrée à l'adolescence

08/12/2018

Avec vue sur l'Arno de E. M. Forster

avec vue sur l'arno,a room with a vue,e.m.forster,forster,woolf,angleterre,conventions,amour,voyage,italie,florence,mariage,société,émancipation,baiser,ironie,poésieBonheur : s'éveiller à Florence, ouvrir les yeux sur une pièce éclatante et nue, sur le carrelage rouge, si propre d'aspect bien que les carreaux  ne le soient pas, sur le plafond peint où des griffons roses et de bleus amours jouent dans une forêt de violons et de bassons jaunes. Plus grand bonheur encore : ouvrir longuement ses fenêtres, se pincer les doigts dans des trucs inaccoutumés, s'accouder enfin au soleil, face à la beauté des collines, des jardins, des églises de marbre, avec, juste au-dessous, l'Arno gargouillant contre le quai qui borde la route. 

Oui mais voilà : au départ, Lucy Honeychurch et Miss Bartlett n'ont pas les chambres avec vue promises par la Signora Bertolini. Dans cette pension-là, on se croirait à Londres. Tout le monde est anglais, les souverains sont accrochés au mur et l'étiquette habituelle est de rigueur. Autant dire que lorsque Mr Emerson et son fils proposent d'échanger leurs chambres avec celles des deux jeunes femmes pour les arranger, c'est l'indignation générale ! Quel culot ! - mais l'idée est trop tentante et elles finissent par accepter après moult tractations. Elles tâchent tout de même par la suite de se tenir aussi éloignées que possible de ces deux originaux, avec plus ou moins de succès, et frayent à l'occasion avec d'autres personnages hauts en couleurs. Un événement, pourtant, les amènera à un départ précipité pour Rome où elles terminent assez rapidement leur tour d'Italie. De retour en Angleterre, tout ce petit microcosme se retrouve pour boire le thé et préparer le mariage de Lucy avec Cecil Vyse, rencontré à Rome - jusqu'à ce que George Emerson repointe le bout de son museau. 

J'ai lu des avis assez tranchés sur ce classique anglais - soit ça passe, soit ça casse - et franchement, il s'en est fallu de peu que je rentre dans la seconde catégorie. Les premiers chapitres ont été excessivement laborieux : j'ai trouvé les situations décrites d'un inintérêt déconcertant, les réflexions anecdotiques et la syntaxe parfois franchement aléatoire (d'aucuns diront que c'est carrément mal écrit - ou mal traduit). J'ai traîné ce pénible sentiment de lecture suffisamment longtemps pour envisager d'arrêter les frais. Un dernier chapitre et je m'arrêterai là, me suis-je dit, si ça ne prend pas meilleure tournure, et c'est à ce moment que la lumière m'est apparue - ou devrais-je dire l'ironie mordante et la modernité stylistique impressionnante d'E.M.Forster. Entendons-nous bien : je me suis tout de même ennuyée par moment, mais comme il m'arrive honnêtement de m'ennuyer avec Austen. J'aurais toujours, je crois, cette pointe d'ennui latent à la lecture des romans anglais qui décortiquent le petit monde bien comme il faut d'une certaine société policée, quel que soit le talent à l'exercice pour cela. Mais cet ennui tout personnel mis à part, E.M.Forster est objectivement un génie. 

Ce soir-là, et toute la nuit, les eaux s'écoulèrent. Au matin, l'étang avait repris ses dimensions et perdu sa splendeur. Mais il avait été l'appel lancé au libre abandon corporel - passagère bénédiction, dont l'influence pourtant ne passe pas, envoûtement, sainteté, calice, un instant, de jeunesse. 

Ce que j'avais interprété à tort comme une syntaxe aléatoire est en fait un exercice de style poétique - une déconstruction savante et expérimentale, parfois bancale du coup, j'en conviens, mais tout de même extrêmement stimulante et fascinante, de la langue vers une recréation des images et des formes. Cela donne lieu à des fulgurances poétiques pour peindre tel ou tel paysage. Et que dire des sentiments, et que dire des discours qui évoluent en liberté comme des bulles de champagne ? Forster, ne se prive pas, à l'occasion, d'interpeller son lecteur ou de le perdre. 

Ce que j'avais interprété à tort comme des situations inintéressantes et des réflexions anecdotiques sont en fait des boîtes à double fond. Il y a la surface et il y a les coulisses de l'ironie et elles-mêmes sont à plusieurs niveaux. Comme Austen, Forster fait tantôt preuve d'une ironie discrète, fine, qui vibre doucement comme une petite musique et tantôt, il se permet du cinglant sans concession. Pourquoi faire dans la dentelle quand on peut décaper tout le monde ? Certains passages, franchement, sont à mourir de rire - les titres de chapitres rentrent également dans cette catégorie. Dans ces moments-là, l'enfantin prend le dessus. A bas les filtres ! Soyons désinvoltes ! 

Dans cette lignée de toutes les libertés, Forster fait preuve d'une modernité d'idées en plus de sa modernité de ton et de style - notamment à l'égard du rôle de la femme, de l'amour et du mariage. Un vent de fraîcheur et d'émancipation gagne les espaces jusqu'ici corsetés par le long règne de Victoria. Edward est à présent sur le trône ; il est temps de profiter de la vie. Le chemin est long pour que Lucy se permette tout à fait de s'ouvrir à ces enchantements et à cet enthousiasme. Avec vue sur l'Arno est son cheminement - et en cela, publié en 1908, il est le parfait roman d'apprentissage de la femme moderne, en plus d'être un manifeste d'écriture nouvelle qui brise les codes également corsetés du roman traditionnel (je vous ai dit que Forster était un grand ami de Woolf ?). Alors, ok, parfois c'est un peu ennuyeux, mais c'est aussi décoiffant de génie et ça rachète tout ! 

La vie se raconte aisément - vivre déconcerte davantage. 

Merci Delphine ! Sans toi, il aurait traîné encore longtemps dans mes envies de lecture et ç'aurait été dommage ! 

20/10/2018

Au loin d'Hernan Diaz

au loin,hernan diaz,delcourt,rentrée littéraire,218,mrl2018,rakuten,etats-unis,usa,émigration,suède,hakan,odyssée,voyage,quête,solitude,nature,nature writing,mrl18L'horizon était la corde qui les pendrait tôt ou tard. 

Pour Hakan et Linus, comme pour pas mal d'émigrés des quatre coins du globe, Les Etats-Unis devaient être l'Eldorado. Mais les deux frères se perdent de vue à Portsmouth et Hakan, qui ne parle pas un mot d'anglais, se retrouve sur un bateau à destination de San Francisco au lieu de New York. A partir de là, le livre entier est son odyssée pour regagner l'est du pays et son frère aîné. Tout comme Ulysse, mais en moins heureux (du Bellay riprizent), Hakan croise tout ce que les grands espaces font de plus terrible, de plus déjanté ou de plus ambitieux : cette famille irlandaise habitée par la soif de l'or ; une maquerelle aux dents pourries et aux us étranges ; Lorimer, le naturaliste passionné qui cherche l'origine de la vie comme d'autres le bon filon ; une rangée de colons qui n'en finit pas de se laisser escroquer, la redoutable armée des Frères et, évidemment, en sus de toutes ces rencontres, qui ne sont finalement pas grand chose au regard de l'immensité que parcourt Hakan durant des dizaines d'années, la Nature impitoyable. Les hivers et les déserts ne pardonnent pas. Hakan a beau gagner en compétences - il sait bientôt coudre d'épais manteaux, creuser des tranchées ou soigner efficacement les blessures, il se dépouille aussi, irrémédiablement, de sa naïveté, de ses espoirs et de ses certitudes. Plus il avance, et plus il est nu. 

Connaître la nature, disait souvent Lorimer, cela signifie apprendre à être. Et pour cela, il nous faut écouter le perpétuel sermon des choses. Notre plus haute mission consiste à forger les mots qui nous permettront de mieux participer à l'extase de l'existence. 

Voilà typiquement de ces livres de la rentrée littéraire fort peu médiatisés - à tort*. Heureusement que Sylire l'a proposé aux matchs de la rentrée littéraire (merci à toi !), sans quoi, comme pas mal de monde, je serais totalement passée à côté. Pourtant, le propos vend du rêve et offre un roman d'apprentissage à la dure (de chez dure), les deux pieds dans les affres profonds de l'isolement et du danger comme seul le wild sait en procurer.  Il y a de quoi, je vous le dis, se délecter d'espace, de personnalités originales et d'une certaine forme d'aventure - souvent intérieure. Il faut être clair, malgré les rencontres qui égrènent le périple d'Hakan, le rythme du récit pourra parfois sembler lent à certains lecteurs. Amateurs de page-turner, mieux vaut passer votre chemin. Pour ma part, j'ai trouvé que ces oscillations de l'autre à soi, ponctuées de paysages en prose et de scènes quotidiennes étaient exactement choisies. Faire plus ou moins aurait écroulé l'équilibre du récit qui apparaît, ici, parfait dans sa fragilité. 

Se mouvoir à travers le désert palpitant de chaleur, c'était comme sombrer dans la transe qui précède immédiatement le sommeil, quand la conscience mobilise ses ultimes forces pour tendre vers sa propre dissolution. Le seul son perceptible alentour - le piétinement des sabots sur la mince pellicule de roches pulvérisées par le cycle des saisons, d'os broyés par la brutalité des éléments, de cendres éparpillées comme un murmure sur les plaines - ne tarda pas à faire partie intégrante du silence. Souvent, Hakan se raclait la gorge pour vérifier qu'il n'était pas devenu sourd. Au-dessus de l'écorce grêle du désert, les cieux malveillants et le soleil, minuscule, à peine un point, dense et aveuglant. 

Hernan Diaz annonce la couleur dès la première ligne où tout n'est que blancheur. Ici, les protagonistes qui taquinent le devant de la scène sont le silence et l'immensité. Quelle que soit la direction qu'indique la boussole de notre héros solitaire, c'est l'infini qui le submerge. Autant dire que pour soutenir un tel projet, il fallait habilement conjuguer les talents du conteur et du poète. Le premier pour donner son souffle et son ampleur au texte, cette force de conduire sur plus de trois cents pages un voyage qui n'en finit pas ; le second pour semer entre les phrases des perles de feuilles, de pluie et de soleil qui ne seraient ni ennui ni échos de pages mille fois lues. Hernan Diaz n'a décidément pas choisi la facilité pour un premier roman. Nous voilà donc embarqués le plus loin possible, c'est-à-dire en nous-mêmes (tu le sens, le gouffre intérieur ?) pour soulever la question de l'identité. Sommes-nous le pays d'où le vient, le pays où l'on va, celui que l'on sillonne, dans lequel on s'enfonce ; sommes-nous la somme de nos rencontres, de nos errances solitaires,  de nos joies imparfaites ou le projet vers lequel on tend et que l'on atteint jamais vraiment ? Sommes-nous tout cela ou un mystère perpétuellement renouvelé ? Tout comme Hernan Diaz, je n'y répondrai pas - le peut-on seulement ? A vous de lire ce roman pour engager votre propre odyssée. 

Le trou, une étoile brisée sur la glace, était la seule interruption sur la plaine blanche qui se fondait dans le ciel blanc. Il n'y avait pas un souffle de vent, pas un souffle de vie, pas le moindre son. 

 

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* On me glisse dans l'oreillette qu'en fait si, ce bouquin est assez médiatisé, notamment sur les blogs. Mea culpa ! On a maintenant la preuve que je ne suis décidément pas à la pointe de l'actualité...