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04/02/2015

L'arabe du futur de Riad Sattouf

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L'arabe du futur de Riad Sattouf, Allary Editions, 2014, 158p.

 

L'arabe du futur planche 1.jpgIl convient parfois de ne pas trop se fouler le poignet, surtout quand on peut éviter de le faire. En l'occurrence, la quatrième de couverture de cette autobio graphique dit à peu près l'essentiel du propos : "Ce livre raconte l'histoire vraie d'un enfant blond et de sa famille dans la Libye de Kadhafi et la Syrie d'Hafez Al-Assad." J'ajouterais à cela une petite précision concernant l'auteur et presque protagoniste du récit : Riad Sattouf est né en 1978 et c'est en 1980 qu'il embarque avec ses parents pour la Libye. Ils y vivront deux ans pour le travail de son père, puis ce sera la Syrie, son pays d'origine. Riad est issu d'un couple mixte : Sa mère est bretonne ; d'elle, il a la blondeur angélique qui subjugue pas mal de monde au Moyen-Orient ; et son père est syrien. Tous deux se sont connus lors de leurs études à la Sorbonne. Le père est docteur en histoire contemporaine - et sera, étonnamment, le seul à travailler. Nous ne connaîtrons jamais les études ou diplômes de la mère qui sera cantonner tout le long de ce tome à garder les enfants à la maison. Ça commence bien.

L'arabe du futur s'inscrit de prime abord dans la même veine que Persepolis de Marjane Satrapi. Comme elle, Riad Sattouf enclenche la marche arrière et revient sur son enfance un brin spéciale dans deux pays en pleine dictature. Néanmoins, deux différences d'importance sont à noter, l'une découlant de l'autre. Il n'y a pas ici de processus de distanciation. Dans Persepolis, le regard de Marji enfant est confronté au regard de Marjane adulte. Ce va-et-vient entre le je narrant et le je narré diraient les littéraires de haute volée crée, de fait, à la fois humour et ironie et, surtout, une position tout à fait claire de l'auteur sur son propos. La prise de partie dans Persepolis ne me semble pas prêter à discussion. Or, dans L'arable du futur, point d'intervention véritable du Riad Sattouf adulte. Sa voix est là, évidemment, mais au titre de voix off. A aucun moment il ne livre son ressenti a posteriori, son interprétation des faits à présent qu'il a les clés pour les décrypter. Il est là pour nous donner un contexte histoire, politique ou familial. Il explique à quel moment untel est arrivé au pouvoir, pourquoi ou comment. Il explique pourquoi ils arrivent en Libye ou en Syrie. Mais il ne s'implique pas émotionnellement ou intellectuellement. Le regard porté sur les évènements, et particulièrement sur le père, est délégué au Riad enfant. Ainsi, beaucoup moins de parti pris dans cette autobio là et beaucoup plus de travail de recul, de compréhension, d'appréhension et de mise en perspective est demandé au lecteur. 

En ce sens, l'arabe du futur met tout particulièrement en lumière toute la complexité d'une culture qui réside dans l'ambigüité du père : extrêmement cultivé, non pratiquant et prônant l'importance de l'éducation pour évoluer vers une société plus juste et plus éclairée, il se révèle par ailleurs engoncé dans une série d'atavismes culturels qui ne manqueront pas de faire hérisser le poil de pas mal de gens. En outre, sous prétexte d'avancement social et culturel, le voilà qui félicite Kadhafi et Al-Assad : d'après lui, la dictature est nécessaire. Grosso modo, la fin justifie les moyens. On ne sait jamais trop sur quel pied danser avec le père. Il n'est pas détestable et pourtant, on grince fréquemment des dents. Il a un pied en Europe et un pied au Moyen-Orient et les deux sont parfois en contradiction ; l'oscillation crée un mélange sous forme de gros point d'interrogation pour le lecteur. Et c'est précisément ce point d'interrogation nécessaire que Riad Sattouf dessine dans cette autobiographie. A quoi bon nous livrer un point de vue pré-cuit ? Ici, tout est à faire, à comprendre, à questionner. Cette posture réflexive à laquelle il nous invite n'a jamais autant nécessaire qu'en ce moment. J'ai hâte de lire le tome 2 pour voir comment tout cela évolue !

 

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28/01/2015

Les envoûtés de Witold Gombrowicz

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Les envoûtés de Witold Gombrowicz, Folio, 2011 [1996], 469p.

 

Un de mes petits péchés littéraires coupables est d'aimer frissonner façon vieille école. Autant les thrillers contemporains m'indiffèrent totalement, autant les ambiances old school à base de château sombre, poussiéreux et, si possible, hanté, ont toute mon attention spontanée. Lorsqu'en plus, le dit-château niche dans une forêt touffue et franchement reculée et qu'un noble défraîchi et à moitié fou l'habite, je frétille comme une jeune adolescente qui découvre Dracula pour la première fois. Ça tombe bien : ce sont tous les ingrédients de base du présent roman de Witold Gombrovicz. Et de fait, comment pourrait-il en être autrement ? La volonté même de l'écrivain étant de proposer une vision résolument ironique des romans fantastiques grand public, il ne pouvait que saupoudrer lui-même les topoï du genre pour mieux s'en amuser.

C'est dans la campagne polonaise que tout commence. Ou plutôt dans un train. Prenez un bellâtre désargenté engagé comme entraîneur de tennis pour une jeune fille riche et insupportable, un fonctionnaire coincé du postérieur et un historien d'art ; envoyez les tous trois dans la même pension du fin fond de la Pologne à l'aube des années 40 ; imaginez en outre que la jeune fille riche et insupportable est fiancée au machiavélique secrétaire du noble défraîchi et à moitié fou sus-cité et vous obtenez tous les ingrédients pour un voyage des plus clichés au pays du fantastique qui aurait mangé Hercule Poirot (oui, parce que je dois avouer que, dans cette ambiance, Hercule Poirot m'a VRAIMENT manqué). Tout cela est bien sûr à dessein et c'est ce qu'il y a de délicieux dans les romans ironiques : la double lecture. Si vous êtes d'humeur ramollie, vous pouvez vous délecter sans honte du premier degré de l'affaire. Si vous êtes d'humeur plus chafouine, vous allez rire sous cape du second degré de chaque phrase. C'est déjà plaisant d'avoir en main un bon roman mais quand, en plus, on a un deux en un, il faut saluer bien bas et profiter comme il se doit ! 

Et c'est ce que j'ai fait : j'ai savouré toute ma lecture ! Et très franchement, ça faisait longtemps que je n'avais pas lu un tel volume de pages en si peu de temps. Je ne dis pas que j'ai tout dévoré avec la même avidité, bien sûr. Les passages d'envoûtement amoureux m'ont clairement beaucoup moins séduite que ceux plus mystérieux et diaboliques. On ne se refait pas : je ne suis définitivement pas fleur bleue, encore moins amatrice de passion destructrice aussi incompréhensible que ridiculement grotesque. Pour le coup, ça ne m'amuse pas ni ne me fait frissonner - même si, en l'occurrence, le second degré fait accepter beaucoup de choses. Mais globalement et tout bien considéré, j'ai dévoré ce roman avec un sourire aux lèvres presque constant. Et si j'ai lu certains blogueurs exprimer une déception quant à l'issue de l'intrigue - soulignons que la fin n'a été retrouvée que très tardivement après la première parution du roman - je l'ai, pour ma part, trouvée en parfaite cohérence avec le projet ironique de l'auteur.

Résumons donc : une très bonne découverte et une très bonne surprise ! Il fallait bien un swap avec Charline pour me le mettre entre les mains. Merci ma super doucette, pour la régalade !

23/01/2015

Le peintre d'éventail de Hubert Haddad

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Le peintre d'éventail de Hubert Haddad, Folio, 2014, 180p.

 

Matabei fuit la ville, son quotidien de peintre brillant et un accident terrible dans la contrée reculée d'Atôra. Il vient se lover dans dans l'écrin d'un jardin fascinant et retrouve peu à peu la quiétude des jours oubliés. Il déambule et ne pense à rien. La nature a elle seule est pleine des émerveillements et des douceurs qui poussent à la vie. A travers ces fleurs, Matabei devine peu à peu un être presque transparent : Osaki, le jardinier, et peintre d'éventail secret en sa modeste demeure naturelle. A ses côtés, Matabei apprend l'art fugitif des impressions à peine saisies, ainsi qu'il l'apprendra plus tard à Hi-Han.

"Peindre un éventail, n'est-ce pas ramener sagement l'art à du vent ?" (p.45)

Que tout serait parfait dans la permanence de ces jours simples, entre la terre et le pinceau... Si seulement les jardins ainsi suspendus échappaient aux catastrophes de l'ère des hommes et n'avaient pas à souffrir, encore ; à être noyés impitoyablement sous la boue explosives et les tremblements... 

"Trempée de rosée
dans les parfums de cent fleurs -
tu t'éveilleras"
(p.167)

 

En lisant ce roman, nous acceptons d'être Matabei. Ainsi, les jours se suivent et nous contemplons le jardin. Les évocations jamais ne se ressemblent. Nous emplissons nos poumons de l'air frais d'Atôra, des parfums de Dame Hison et de l'art délicat d'Osaki. Chaque chapitre, très court, est une promenade dans ce labyrinthe inatteignable, siège de l'émotion, des impressions et des passions harassantes.

A cet esprit contemplatif, tout à fait japonais et plein de haïkus délicieux, Hubert Haddad mêle les chatoiements exigeants et étoffés de la poésie occidentale. Le peintre d'éventail est, à mon sens, le mariage subtil et réussi de l'impermanence aérienne de l'art oriental et du velours occidental. Peindre le presque rien, l'éclat d'un morceau de soleil sur un pétale de rose ou l'horreur indicible de la perte absolue en un déferlement de participes ou dans les plaisirs des exclamations, des adjectifs accumulés à loisir : voilà un défi d'importance que l'auteur relève et surpasse avec le talent d'un peintre d'éventail. Et comme toute œuvre de talent, le cœur du lecteur se soulève en même temps que la terre au fil du récit, car ce ne sont pas seulement les yeux qui se régalent des mots sur le papier ; c'est l'être tout entier qui vit au contact du texte.

Un texte plein de "maîtrise et de grâce" comme le dit joliment - et justement - la quatrième de couverture qu'il convient de savourer pour mieux se laisser emporter.

 

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Tawaraya Sotatsu (1600-1643)

 

L'art dans tous ses états.jpgChallenge L'art dans tous ses états chez Shelbylee

6eme lecture