24/03/2014
Ce que savait le chat de Martha Grimes
Ce que savait le chat de Martha Grimes, Pocket, 2012, 477p.
Le meurtre d'une mystérieuse jeune femme ouvre le bal, habillée comme une star de cinéma, chaussée comme une Cendrillon de luxe. Le genre à se balader dans les quartiers huppés de la capitale et pas du tout derrière le rustique Black Cat. Pour couronner le tout, l'identification jette un mystère supplémentaire : la victime était une jeune bibliothécaire quelconque, fiancée à un fleuriste quelconque. Bref : WTF ? Et puis le masque tombe : Mariah Cox était escort girl le week-end. A partir de là, elle n'est que la première d'une série de jeunes demoiselles de la même "profession" à se faire trouer la peau - mais néanmoins toujours chaussées de grandes marques. Le commissaire Richard Jury est dubitatif : et si le chat du Black Cat avait quelque chose à voir là-dedans ?
Je ne vais pas vous faire des tonnes de commentaires inutiles : Le livre que voilà est un bon petit policier divertissant, tout ce qu'il a de plus classique et dans la pure tradition British (bien que Martha Grimes soit américaine). N'y cherchez pas une quelconque saveur particulière tant du point de vue de la forme que du fond. Nous ne sommes pas dans de la grande littérature, pas même policière. Non, nous sommes dans du divertissement à l'état brut qui a le mérite de faire passer le temps et de détendre, ni plus ni moins (disons que c'est à la littérature ce que le téléfilm d'après-midi de M6 est au cinéma, m'voyez ?). Perso, j'en lisais deux ou trois chapitres toutes les heures entre mes sessions de boulot et je dois dire que sa vertu de détente neuronale à fonctionner à merveille (on sous-estime trop souvent les vertus de la littérature gentillette anti-claquage de neurones, c'est pourtant salvateur en certaines occasions) (bon, en certaines occasions seulement par contre hein, il ne faut pas en abuser au risque de trop s'amollir le cerveau)
Je vous le conseille donc :
- Pour un long trajet en train
- Dans les transports en commun pour aller au boulot, si vous avez les yeux et les neurones qui piquent
- Après une journée (ou une semaine) harassante (dans ces cas là, l'accompagner d'une tasse de thé et d'une tablette de chocolat pour achever la détente du corps comme de l'esprit)
- Si vous avez prévu des vacances à larver sur la plage (dans ces cas là, l'accompagner d'un bon cocktail sucré et alcoolisé afin d'atteindre le même but que la proposition précédente)
Challenge Mélange des genres chez Miss Léo
1ere participation dans la catégorie Polar/Thriller
Challenge USA chez Noctenbule
12eme lecture
08:00 Publié dans Challenge, Littérature anglophone, Polar | Lien permanent | Commentaires (8)
20/03/2014
La poésie du jeudi avec William Butler Yeats
A l'occasion de ce nouveau jeudi, j'ai ressorti un recueil de Yeats que je n'avais pas ouvert depuis quelques années, joliment intitulé La Rose et autres poèmes. Après un effeuillage contemplatif, j'ai opté pour un poème d'inspiration antique mais ancré dans la certitude de Yeats qu'une inspiration d'En-Haut serait nécessaire pour revitaliser violemment l'existence. Je vous souhaite une douce journée poétique.
Adrian Wong Shue
Leda and the Swan
A sudden blow: the great wings beating still
Above the staggering girl, her thighs caressed
By the dark webs, her nape caught in his bill,
He holds her helpless breast upon his breast.How can those terrified vague fingers push
The feathered glory from her loosening thighs?
And how can body, laid in that white rush,
But feel the strange heart beating where it lies?A shudder in the loins engenders there
The broken wall, the burning roof and tower
And Agamemnon dead.Being so caught up,
So mastered by the brute blood of the air,
Did she put on his knowledge with his power
Before the indifferent beak could let her drop?
*
Léda et le Cygne
Brutal assaut : les grandes ailes encore frémissantes
Sur la vierge qui chancelle, les cuisses caressées
Par les sombres palmes, le cou saisi par son bec,
Il tient sur sa poitrine sa poitrine sans défense.
Comment ces doigts terrifiés et perdus pourraient-ils
Repousser de ses cuisses qui s'écartent cette gloire emplumée ?
Et comment pourrait le corps, couché dans ce flot de blancheur,
Ne pas sentir battre, sur sa couche, ce cœur étranger ?
Un frisson au creux des reins y dépose en germe
La chute des murailles, les flammes de la tour
Et la mort d'Agamemnon.Ainsi prisonnière,
Ainsi maîtrise par ce sang brutal venu des airs,
A-t-elle reçu de lui avec sa puissance son savoir
Avant d'être lâchée par le bec indifférent ?
(Traduction de Jean Briat)
Lord Frederick Leighton
07:18 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (26)
17/03/2014
Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos
Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, Folio Classique, 2006 [1782], 512p.
Les Liaisons dangereuses tient une place particulière dans mon cœur car il m'a suivi pendant mes années d'éducation littéraire. Je l'ai lu pour la première fois à 16 ans puis l'ai relu tous les ans pendant 8 ans. Du lycée à l'université, mon regard à son endroit a évolué, toujours de plus en plus éclairé grâce à quelques chers professeurs.
Tout le monde en connaît l'histoire, je ne vais donc pas la rabâcher inutilement. Pour résumer très grossièrement, ce roman épistolaire relate les circonvolutions machiavéliques et libertines du Vicomte de Valmont et de la Marquise de Merteuil dont pâtissent un certain nombre de personnages.
Libertines, justement. C'est peut-être au cœur du libertinage et de sa compréhension que subsistent quelques mésententes. Lorsque je l'ai lu pour la première fois, je cherchais le libertinage tel qu'on a tendance à le réduire aujourd'hui c'est-à-dire à une série de coucheries diverses et variées dénuées de tout sentiment (du moins, de tout sentiment pour un autre que soi - car le libertin a un égo surdimensionné, c'est bien connu). Cette idée réductrice, Les Liaisons dangereuses a participé à la construire car, avouons-le, les deux personnages principaux sont effectivement des séducteurs invétérés particulièrement manipulateurs et qui n'en ont pas grand chose à carrer de détruire l'avenir de tel ou tel. Mais s'arrêter là dans la compréhension du roman comme dans celle du libertinage, c'est comme dire qu'on connaît l’œuvre de Depeche Mode parce qu'on a écouté Enjoy the silence deux ou trois à la radio.
Revenons-en donc à la pensée libertine. Développée largement au XVIIeme (on pense au Dom Juan de Molière), le libertinage est avant tout un mouvement intellectuel qui concerne celui qui choisit de penser librement, de s'affranchir des dogmes, des conventions de la société dans laquelle il vit pour choisir sa propre voie. Son domaine critique de prédilection est bien sûr la religion ; le libertin est donc matérialiste et choisit d'être guidé non par un dogme érigé par les hommes pour en asservir d'autres (il faut distinguer refuser les dogmes de la religion et être athée) mais par sa raison. C'est sans doute cette suprématie de la raison, de la réflexion, de l'esprit critique qui conduit le libertin a apparaître à l'extrême comme un manipulateur calculateur et froid. Ce comportement est sans doute aussi à remettre dans le contexte historique car la liberté de penser n'allait pas exactement de pair avec la liberté d'expression ; il fallait donc user de stratagèmes pour vivre "en toute liberté". De ce libertinage intellectuel découle le libertinage de mœurs - celui que le XXeme siècle retient. Selon cet éclairage, Valmont et la Marquise sont bel et bien des libertins : les mœurs discutables ne sont qu'un des aspects de deux esprits qui choisissent de défier les conventions d'une société pétrie d'apparences hypocrites et engoncée dans une série de règles que l'on suit sans réfléchir. A cet égard, la longue lettre où la Marquise de Merteuil relate son éducation libertine lors de son entrée dans le monde est édifiante.
Pourtant, il n'apparaît pas évident de comprendre d'emblée quelle position prend Choderlos de Laclos à l'égard de ces libertins. S'ils sont bien les protagonistes et mènent la barque du déroulement narratif, leurs chutes respectives sont cruelles : Chacun trahit l'autre. Valmont, à trop vouloir jouer avec le feu, s'y fait prendre. Il tombe amoureux, provoque sa propre souffrance et se fait tuer par le souvent ridicule (mais pas tant que ça) chevalier Danceny lors d'un duel initié par la perfidie de la Marquise. Quant à elle, elle est bannie de la société et choppe la honteuse petite vérole - et peine non moins douloureuse est celle d'avoir perdu Valmont. Bref, Laclos défend-t-il ou fustige-t-il le libertinage ? Finalement, un peu des deux. Laclos ne fustige pas le libertinage en soi mais il en fustige les excès. Il fustige d'ailleurs les excès de manière générale, ce fameux húbris de l'homme qui le conduit à chuter par orgueil. De fait, si Valmont et Merteuil connaissent des fins pitoyables, ce n'est pas à cause de leur libertinage de mœurs et encore moins de pensée mais parce qu'à trop louer la suprématie de la raison en toute chose, ils en ont oublié que l'homme par essence n'est pas fait que de raison. La nature humaine est bien plus complexe et faire fi de tout ce qu'on peut ressentir, c'est à coup sûr se précipiter vers sa chute. Où l'on comprend bien que Laclos ne mélange pas húbris et libertinage, c'est à regarder de plus près le personnage de Madame de Tourvel. A priori exempt de tout soupçon, femme vertueuse, sage et délicate, Madame de Tourvel connaît pourtant également une chute cruelle. Elle est également une personne trop entière, trop peu mesurée : tout d'abord à l'égard de la foi puis à l'égard de Valmont, elle s'en remet systématiquement à un tiers pour conduire sa vie et elle le payera bien cher.
Dans ce roman, Laclos nous invite à la mesure en toute chose et en toute circonstance. Point trop ne faut de raison, point trop ne faut de sensibilité. Il faut toujours garder un équilibre entre l'exercice d'un esprit libre, réflexif et ambitieux et un cœur épanoui. Refouler l'un ou l'autre conduit inexorablement à sa propre perte. Je me suis longtemps demandé en quoi résidait le génie des Liaisons dangereuses de paraître si intemporel alors même qu'il a été écrit à la fin du XVIIIe et est, à tout point de vue, particulièrement ancré dans ce siècle. Il me semble avoir trouvé enfin la réponse en comprenant enfin le roman sous cet angle du juste équilibre. Les problématiques liées à l'húbris de l'homme ne cesseront sans doute jamais d'être d'actualité - qu'elles soient ou non déguisées sous le manteau du libertinage.
Je remercie Mina d'avoir initié ce mois-ci un rendez-vous libertin autour de ce merveilleux roman ; j'ai ainsi pu m'y replonger avec délectation.
PS : Puisqu'il est également permis de présenter les adaptations diverses et variées du roman, j'en profite pour vous signaler (oui, juste en passant parce que je suis nulle en critique ciné) l'excellentissime version de Stephen Frears avec John Malkovitch (Valmont ♥), Glenn Close (Merteuil ♥), Uma Thurman (Cécile de Volanges) et Michelle Pfeiffer (Madame de Tourvel). C'était pas gagné de transposer au cinéma un roman épistolaire. Ce n'était pas gagné non plus d'interpréter des personnages comme les deux protagonistes de ce roman-là, d'une infinie complexité qui aurait pu rapidement virer en caricature lamentable (exemple : la version "contemporaine" des Liaisons dangereuses intitulée Sexe Intentions avec Ryan Philippe en Valmont vous donnera une idée de ce que j'entends par caricature lamentable). Et bien ici, ce n'est pas le cas. Le film est fabuleux, extraordinaire, jouissif, piquant, plein d'ironie, de piment et de violence. Le must de l'adaptation cinématographique en somme, rien que ça ! Et puis hein, rien que pour la scène d'écriture entre Valmont et sa courtisane préférée... :D
PS bis : Et rien à voir, mais un peu quand même : Le musée Jacquemart-André organise une exposition autour des Fêtes Galantes de Watteau à Fragonard ce printemps. Qui qui c'est qui bavouille ?! ^^ (Et le musée d'Orsay organise une expo autour d'Artaud et Van Gogh, là pour le coup, ça n'a rien à voir mais je bavouille quand même !)
[Illustration : La Lettre d'amour de Fragonard, 1771]
Challenge Le mélange des genres chez Miss Léo
2eme participation pour le XVIIIeme siècle dans la catégorie "classique français"
Challenge des 100 livres à avoir lus chez Bianca
12eme participation
08:28 Publié dans Challenge, Classiques, Coups de coeur, Lecture commune, Littérature française et francophone, Réflexion | Lien permanent | Commentaires (26)