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12/09/2020

Little women & Good wives de Louisa May Alcott

little women,good wives,les quatre filles du docteur march,le docteur march marie ses filles,louisa may alcott,classique,xixème siècle,cinéma,greta gerwig,morale, le mois américainCertains le savent, je me suis lancée cette année avec Fanny le défi de me remettre à la lecture en anglais, pratique que que j'avais complètement jetée aux oubliettes depuis plus de quinze ans. Little women a été le premier roman à essuyer les plâtres de ce projet en janvier et j'ai goûté avec plaisir ce retour à une de mes madeleines de Proust littéraires.

Mon véritable objectif, à dire vrai, en relisant ce roman en début d'année était d'en arriver à Good Wives, le deuxième volume de la saga des soeurs March (j'ai découvert pour l'occasion qu'elle en compte 4 ; Little men et Jo's boys se déroulent quelques années plus tard). Je n'avais jamais eu le plaisir de lire la suite de Little Women puisque je ne l'avais jamais trouvée traduite en français (elle l'est à présent). Et quelle meilleure occasion pour me livrer à cette découverte très enthousiaste que le mois américain de Titine ?

Pour ce qui est du résumé de Little Women et Good Wives, je vous la joue courtissime, puisque ces deux titres ont été abondamment portés à l'écran - spéciale dédicace aux versions cinématographiques de 1994 et de 2019, excellentes toutes deux. Little women, donc, raconte le quotidien de quatre soeurs : Meg, Jo, Beth et Amy, et de leur mère durant la guerre de Sécession, tandis que le père - qui n'est absolument pas docteur mais homme de foi, je ne sais quelle moquette ont fumé les traducteurs sur ce coup-là - est parti prêcher la bonne parole aux soldats. Dans Good wives, nous retrouvons les mêmes personnages trois/quatre ans plus tard grosso modo dans leurs vies de jeunes femmes et nous suivons leurs aspirations et leurs évolutions diverses : l'écriture pour Jo, l'art pour Amy, le mariage et la maternité pour Meg et les questionnements amoureux pour toutes.

Première remarque avant tout, qui m'a marquée lors de ma lecture de Little Women : comme beaucoup de classiques étrangers (une pensée particulière pour Jane Austen), ce roman-là souffre indéniablement de nombreuses sapes dans ses traductions françaises pourtant considérées comme intégrales. Il n'y a qu'à voir la taille des ouvrages : 250 pages pour la VF / 400 pages pour la VO et je juge bien évidemment à l'aune d'éditions de formats similaires, de même pour la taille de police et l'interligne.

Alors, qu'est-ce qui est passé à la trappe, exactement ? Et bien clairement, en priorité, la portée morale de l'ensemble, extrêmement présente dans le texte original, et pas des plus subtile. Il y est bien fait mention dans les éditions soit-disant intégrales des Quatre filles du docteur March mais c'est tellement édulcoré que ça passe crème sans qu'on s'en aperçoive vraiment, or, c'est tout de même un bon morceau du récit. Honnêtement, malgré tout, dans Little women, je l'ai plutôt bien vécu et l'ai intégré au fil des pages comme un élément historique. Aussi indépendante que fût Louisa May Alcott, elle était indéniablement une femme de son temps et de sa culture. Par contre, certains passages de Good wives m'ont complètement atterrée, malgré une remise dans le contexte. On est à des kilomètres de ce qu'on pourrait imaginer d'une auteure qui s'est  battue pour l'émancipation des femmes, entre autres. Tout au contraire, dans ce roman, les chapitres consacrés à Meg sont effroyablement conformistes, même pour l'époque, et écrits sans l'once d'un second degré - c'est bien là tout le problème et ce qui fait que ces passages périmés ne passent pas du tout aux yeux du lecteur contemporain. Qu'on soit clairs : Louisa May Alcott ne dénonce rien quand elle explique le rôle de l'épouse et mère à travers le personnage de Meg et franchement, j'ai rarement lu quelque chose d'aussi indigeste. Notez que cela dit, cela constitue un très bon exemple littéraire pour illustrer la société conservatrice et puritaine américaine du milieu du XIXème siècle...

Cela mis à part, j'ai beaucoup aimé découvrir les quatre soeurs plus amplement, et notamment Amy qui tient une place presqu'aussi importante que celle de Jo sous la plume de Louisa May Alcott - autre élément qui a joliment été sapé dans les versions françaises. Merci, au passage, à Greta Gerwig de lui avoir redonné sa vraie place dans son film. Jo et Amy, bien que très différentes du point de vue du caractère, sont également passionnantes par leurs envies d'amour, d'art et d'indépendance à la fois. Ce n'est pas pour rien, d'ailleurs, que le coeur de Laurie balancera de l'une à l'autre au fil des deux romans. Ce triangle amicalo-amoureux, de même que les relations sororales sont crédibles et extrêmement touchantes. Dans Good wives, la problématique de la création littéraire sera particulièrement développée et l'on voit Jo évoluer dans sa pratique, dans ses relations aux éditeurs - autre détail mis en exergue par Greta Gerwig qui, décidément, je le découvre en refermant Good wives, a sans doute réalisé la version la plus fidèle des deux premiers tomes de la saga - et dans le choix de ses sujets d'écriture. Au cours de ce roman-là, elle commence d'ailleurs à écrire Little women, peu de temps après le décès de Beth. La mise en abyme est charmante et il semble au lecteur qu'entre le premier et le deuxième titre, la boucle est bouclée.

Pour cette raison et pour le bémol évoqué plus haut, je ne suis plus si sûre de lire les titres suivants, contrairement à mes envies initiales de janvier... Nous verrons. En attendant, je ne regrette par ce voyage en VO qui m'aura permis de prendre conscience de bien des éléments que la version française ne laissent pas entrevoir. Pour cela, c'est donc nécessairement une belle aventure - mais quelle aventure littéraire ne l'est pas, de toutes façons ?

 

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Journée consacrée à la littérature du XIXème siècle

27/03/2020

Emma de Jane Austen

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Emma Woodhouse est une jeune fille impeccable de la gentry de Highbury, petite bourgade du Surrey à quelques miles de Londres. Elle a vingt et un ans, est belle, pétillante, généreuse, tout à fait raffinée et pleine d'attentions délicates pour son père veuf hypocondriaque. Puisqu'elle doit héritée de celui-ci et qu'elle jouit d'une indépendance telle qu'aucun mariage ne le lui permettrait, elle fait vœu de rester fille. Néanmoins, le mariage de sa gouvernante, dont elle s'estime à l'heureuse origine, lui met en tête de jouer les entremetteuses. Et c'est sur la jeune Harriet Smith, nouvelle pensionnaire de l'école de Mrs Goddard, qu'elle jette son dévolu pour exercer ses talents...

 

Pour tout dire, Emma se trouvait sur un fort beau chemin, mais il était scabreux.

Malgré toutes ses bonnes et indéfectibles qualités, Emma est pourtant un personnage sur lequel il m'est souvent arrivé de lire des avis très mitigés. Tout d'abord, c'est un personnage très snob, ce qui lui est souvent reproché. Pourtant, à travers cet orgueil qui tient bien plus de sa condition sociale que de son caractère - orgueil que l'on pourrait rapprocher de celui de Darcy dans P&P * par exemple - Jane Austen met en lumière, comme à son habitude, les rouages des petites sociétés bourgeoises de son temps, qu'elle décortique avec verve et sagacité et, présentement, une précision particulièrement soignée.
Ensuite, Emma manque de recul sur elle-même - mais comment le lui reprocher dans un premier temps au vu de son éducation choyée ? De paire avec son orgueil qui lui fait tenir énormément aux convenances et au rang social de chacun, elle a une assez bonne idée d'elle-même. Cependant et sans lui en vouloir, force est de constater que cette confiance par trop aveugle va la conduire en de bien nombreuses occasions à des décisions fort malavisées pour son entourage. Rien n'est mal intentionné chez Emma mais il est vrai qu'elle va devoir apprendre, et c'est bien tout l'enjeu du roman d'ailleurs, à réévaluer un certains nombres de valeurs, gagner en humilité, en pondération et en perspicacité - exactement comme Darcy va devoir apprendre à ravaler son orgueil parfois mal placé pour apprécier, sans déroger à la bienséance de sa classe bien entendu, les véritables qualités humaines de ceux qui l'entourent.

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Histoire de poursuivre la comparaison inversée avec P&P jusqu'au bout, tout comme Darcy évolue ainsi grâce à Elizabeth Bennet, Emma évolue grâce à Mr Knightley, un gentleman de ses voisins qui fréquente beaucoup Hartfield, la demeure des Woodhouse. Knightley est le frère du mari de la soeur d'Emma (vous suivez ?). Ce dernier ne mâche pas ses mots et n'hésite pas à dire très clairement à Emma où sont ses fautes pour l'inviter à se corriger. Pendant un certain temps, ça ne marche pas vraiment. La jeune fille est persuadée d'être irréprochable. Et puis progressivement, les preuves de la perception ô combien plus avisée de Knightley vont faire leur chemin et conduire Emma à évoluer de façon constructive jusqu'à, vous vous en doutez parce qu'on est quand même chez Jane Austen hein, un mariage *happy end de conte de fées*

Alors pourtant, et bien que cette lecture fut globalement agréable, je dois reconnaître que je l'ai pas autant goûtée que P&P. A cela plusieurs raisons :
Tout d'abord, dans P&P, il me semble que l'évolution concerne les deux protagonistes : Lizzie et Darcy ont à apprendre de façon équitable l'un de l'autre et cette évolution est amenée d'une façon plus progressive et plus équilibrée. Dans Emma, l'évolution est principalement du côté de l'héroïne (on est vraiment très proche du roman d'apprentissage), de même que l'ironie d'Austen. Knightey évolue aussi, certes, principalement en tombant amoureux de notre héroïne d'ailleurs, mais c'est sans commune comparaison avec Emma. Le caractère du gentleman - du chevalier ? (lalalaaaa) - est beaucoup plus installé et affirmé et Jane Austen exerce beaucoup moins sur lui son ironie que sur Emma. Au contraire, même. C'est bien souvent lui qui est ironique et cinglant à l'endroit de la jeune fille. Que l'auteure lui délègue la clairvoyance et donc l'ironie est assez révélateur. Aussi, bien que Knightley soit évidemment un personnage délicieux, cela crée un fort déséquilibre entre Knigtley et Emma qui, entre autres choses, délivre une vision me semble-t-il beaucoup plus conformiste et beaucoup moins avant-gardiste du couple - alors même que la position indépendante d'Emma vis-à-vis du mariage, à la fois socialement et sentimentalement, à la base, était merveilleusement atypique.

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En outre, cette évolution déséquilibrée impacte assez fortement le rythme du récit. L'évolution d'Emma est très lente pendant une bonne partie du récit. Elle peine très clairement à se remettre véritablement en question et cela crée une série de situations qui, si elles sont indéniablement drôles et piquantes au début, me sont apparues au fur et à mesure de ma lecture, très répétitives et donc relativement ennuyeuses. Finalement, la lumière arrive au cerveau d'Emma à la toute fin comme un éclair fulgurant lorsque, ô surprise, Knightley se déclare. Et on en revient à une vision extrêmement conformiste du couple qui a tendance à me faire lever les yeux au plafond. Rythme déséquilibré et conformisme fonctionnent vraiment de concert dans Emma. Je ne vais pas rallonger encore plus mon billet en exposant de façon détaillée la manière dont se déroule, d'une façon complètement différente au niveau du rythme du récit, l'évolution entre Darcy et Lizzie dans P&P mais franchement, il me semble que le message est alors beaucoup plus novateur et avant-gardiste - dans les limites permises par l'époque évidemment.

Enfin, et c'est peut-être là où le bât blesse le plus pour moi, il m'a semblé que c'était le roman le plus accessible de Jane Austen, le plus lisible, le plus drôle, le plus limpide et donc, conséquemment, le moins fin1 . Les situations censées permettre l'évolution d'Emma et le décorticage de la micro-société de Highbury sont tellement évidents que je m'en suis lassée à la longue : que ce soit le trio Emma/Harriet/Mr Elton, ou alors le trio Emma/Franck Churchill/Jane Fairfax, tout ça m'a semblé tellement cousu de fil blanc que ça rehaussait d'une façon trop manichéenne l'absence de clairvoyance d'Emma. Un peu plus de subtilité là-dessus n'aurait pas été de refus. Ça peut être amusant de comprendre les choses avant le ou la protagoniste, surtout quand le but du récit est précisément d'apprécier son évolution, mais comprendre avant lui ou elle pendant cinq cents pages, honnêtement... C'est un peu long...

Johnny Flynn, Callum Turner, and Anya Taylor-Joy in Emma. (2020)

 

Dans la foulée, j'ai visionné l'adaptation 2020 d'Autumn de Wilde et, étonnamment, ou peut-être logiquement au contraire, j'ai adoré ! Je l'ai trouvé piquant à souhait, plein d'un humour très moderne et très maîtrisé, tout en respectant exactement l'enchaînement des situations et les caractères des personnages. On n'est pas très loin du cinéma d'un Wes Anderson qui dépoussière l'histoire, saupoudre d'absurde et de sucre acidulé et crée une ambiance mordante et pétillante. J'ai beaucoup ri, et fort apprécié la plupart des personnages qui m'ont semblé plus étoffés et complexes, à commencer par celui d'Emma, dont l'évolution débute plus tôt que dans le roman et apparaît donc de façon plus subtile alors même que l'humour est encore plus burlesque - paradoxe intéressant ! Bill Nighy en Mr Woodhouse et Miranda Hart en Miss Bates sont absolument impeccables. Il ne pouvait y avoir d'autres acteurs pour jouer ces deux rôles truculents et affectueux d'une façon si sensible et décalée. Voilà de la dérision qui fait du bien et qui réjouit en période de confinement !

 

1Je précise quand même ici que, tout comme il m'est arrivé de dire à propos de Nuit et Jour de Virginia Woolf que ce n'était pas son meilleur livre mais que son "moins bon" restait toujours des kilomètres au dessus de la plupart des auteurs, cette règle-là s'applique aussi à Jane Austen hein. Qu'on soit clairs, j'émets des réserves sur ce titre-là parce que nul n'est infaillible mais Jane Austen reste un génie sans l'ombre d'un doute. Le premier qui dit le contraire est un crétin. 

*Romans précédemment chroniqués de Jane Austen :

Orgueil et préjugés, Northanger Abbey, Raison et sentiments et Mansfield Park.