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24/03/2018

Taqawan d'Eric Plamondon

taqawan,éric plamondon,pêche,saumon,littérature québécoise,québec littérature amérindienne,mig'maq,micmac,réserve,viol,enquête,rentrée littéraire 2018,rentrée hiver 2018Il faut se méfier des mots. Ils commencent parfois par désigner et finissent par définir. Celui qu'on traite de bâtard toute sa vie pour lui signifier sa différence ne voit pas le monde du même œil que celui qui a connu son père. Quel monde pour un peuple qu'on traite de sauvages durant quatre siècles ? 

Cette rentrée d'hiver, Eric Plamondon nous propose de remonter le temps jusqu'au 11 juin 1981. A cette date, les policiers québécois investissent la réserve mig'maq de Restigouche afin de confisquer les filets de pêches des autochtones. Raison officielle : les permis et les quotas pour éviter la surpêche des taqawan, ces saumons qui reviennent pour la première fois chez eux - motif métaphorique qui jalonne par ailleurs tout le récit. Raison officieuse : une obscure guerre politique entre le Québec qui a autorité sur ses territoires de pêche et le gouvernement fédéral qui a autorité sur les réserves indiennes. Pour faire simple, faire ch*** les Mig'maqs sur la question de la pêche au saumon, c'est une manière subtilement détournée pour Québec de faire ch*** Ottawa. Qu'il y ait dans l'histoire des hommes, femmes et enfants qui se démènent pour survivre et exister, préserver leur culture et surtout leur territoire, spoilé depuis plusieurs centaines d'années par les colons, est évidemment un dommage collatéral plus ou moins fortuit (suivez mon regard). 

Au cœur de cette pagaille, un garde-chasse outré du traitement réservé aux Mig'maqs par Québec et sa police démissionne, une jeune adolescente autochtone est violée dans les bois et un ancien professeur d'université reconverti dans la défense des droits de l'Homme, spécialiste de la question autochtone, se débat avec une paperasse monstre après la descente du 11. Ses trois personnages vont se croiser dans le chaos de juin 1981, non sans faire appel à quelques sparring partners - un ermite Mig'maq, une enseignante française et une journaliste stagiaire fort attirante - pour se sortir la tête de l'eau (ou pas). 

Comme si cela ne suffisait pas, Eric Plamondon émaille ce récit politique et humain de quelques considérations historiques et sportives sur la colonisation ou la pêche au saumon (il réussit même à caser Céline Dion). Ça peut sembler fouillis, de prime abord, mais ce processus par flashs permet au contraire de dégager d'un événement particulier - la confiscation des filets de pêche le 11 juin 1981 - un questionnement plus large, crucial et surtout nécessaire des sociétés canadiennes et américaines aujourd'hui - Quid de ce qui n'est ni plus ni moins que la seule colonisation toujours d'actualité au XXIème siècle ?

Bref, Taqawan propose un angle d'attaque vraiment attrayant et original. Il fait d'ailleurs l'unanimité chez la plupart des lecteurs, blogueurs, critiques professionnels ou libraires.
Pourtant, je suis beaucoup moins enthousiaste, il faut bien le dire. Malgré son originalité et son intérêt, ce récit me semble souffrir de nombreuses facilités qui conduisent le fil narratif à friser à plusieurs moments la superficialité, le manichéisme ou l'invraisemblance - je viens d'écrire puis d'effacer successivement deux exemples, considérant qu'ils spoilent furieusement certains passages clés du roman mais je suis tout à fait disposée à les donner à ceux qui veulent pour étayer le débat. Pour résumer, on est souvent pas loin de la caricature.
En outre, d'un point de vue stylistique, il y a évidemment quelques trouvailles très très savoureuses, quelques tournures de phrases excellentes, mais finalement assez peu au regard de l'ensemble du texte. D'ailleurs, il suffit de parcourir les blogs qui ont déjà chroniqué jusqu'ici le roman pour se rendre compte que la plupart d'entre eux mettent systématiquement en avant la même citation :

- Au Québec, on a tous du sang indien. Si c'est pas dans les veines, c'est sur les mains. 

Formule joliment trouvée, c'est absolument évident, tout comme celle que j'ai cité en ouverture de ma chronique. Le lecteur pense immédiatement, moi y compris, que ça fait mouche.
Mais voilà, tout au long de ma lecture, j'ai regretté de ne pas croiser plus de ces petites pépites et suis restée la plupart du temps très extérieure à ma lecture. Elle m'a parfois distraite, souvent ennuyée de ses faiblesses, et ne m'a surtout jamais remué ni les neurones ni l'estomac. Bref, ce n'est vraiment pas ma lecture du siècle de l'année de la saison du mois. Dommage. 

taqawan,éric plamondon,pêche,saumon,littérature québécoise,québec littérature amérindienne,mig'maq,micmac,réserve,viol,enquête,rentrée littéraire 2018,rentrée hiver 2018Challenge Nation Indienne chez Electra

 

25/11/2017

Les héritiers de la mine de Jocelyne Saucier

littérature québécoise,québec en novembren famille,mine,fratrie,décès,mystère,roman choralOn connaît bien Jocelyne Saucier en France depuis Il pleuvait des oiseaux qui a reçu un franc succès sur les blogs. J'avoue l'avoir moyennement apprécié il y a deux ans, le trouvant un peu trop mignonnet à mon goût. Je ne m'en suis pas formalisée pour autant : Topinambulle m'avait offert un autre titre de l'auteure en même temps que le roman sus-mentionné et j'avais bien l'intention de m'y refrotter lors d'une prochaine édition de Québec en Novembre. C'est maintenant chose faite, et avec grand plaisir cette fois ! 

Les héritiers de la mine plonge le lecteur dans une famille totalement déjantée dont la première originalité est le nombre d'enfants qui la constitue : vingt et un ! C'est le plus jeune, surnommé affectueusement (ou pas) LeFion (voilà voilà...), qui prend la parole en premier pour nous faire découvrir à travers ses yeux et son savoir fort lacunaire les épisodes marquants de cette famille hors du commun. 

La famille, c'est un rendez-vous avec ce qu'il y a de plus profondément enfoui en soi. 

Tout commence par LePère, prospecteur minier, lorsqu'il déniche un filon de zinc juteux. Autour de la mine et des tonnes d'emplois que cela génère se crée de toute pièce une ville, Norco, sur laquelle règne désormais en maître la fratrie Cardinal. Et quand je dis en maître, je devrais plutôt dire en pirates. Les Cardinal n'ont rien de ces richissimes familles lisses et bien éduquées. Ils vivent dans quatre bicoques réunies cahin-caha en une ; chacun dort où il peut ; le linge s'amoncelle n'importe comment dans la laverie ; les parents ne gèrent pas grand chose - le père occupé dans son atelier et la mère aux fourneaux - et les enfants s'amusent à mener des expéditions punitives dans la ville. A vrai dire, LePère, s'il a été bon prospecteur, n'a pas été bon financier et s'est copieusement fait arnaquer par une multinationale pour l'exploitation du filon. Par conséquent, les enfants Cardinal en ont après la terre entière : l'entreprise qui s'en met plein les fouilles et les employés - joliment désignés par le sobriquet de culs-terreux - qui vivent de ce qui aurait dû leur revenir, pensent-ils. Lorsque la mine ferme, on est alors dans les années 60, et c'est la débandade. Norco se vide peu à peu et les Cardinal se déchaînent de plus belle sur ceux qui restent. C'est l'âge d'or de cette fratrie débridée, menée par Geronimo, lui-même secondé par Tintin ou le GrandJaune. 

Nous sommes de la race des vainqueurs. De ceux qui ne fléchissent ni ne rompent, de ceux qui ne se laissent pas rogner l'instinct, qui ouvrent grand leurs ailes et courent devant l'épouvante. Nous étions les King à Norco. 

Si LeFion s'échine à faire perdurer cette incroyable mythologie familiale, on comprend rapidement que ces histoires truculentes gravitent autour d'un trou noir qu'on lui tait savamment, et que l'on tait surtout à LaMère : la mort de l'un d'entre eux. Des deux jumelles, Carmelle surnommée LaTommy et Angèle, il ne reste plus que la première. Peu savent ce qui est véritablement arrivé à Angèle et la plupart de ceux-là ne le savent que par bribes. La déflagration a cependant été telle qu'elle a provoqué l'éclatement total de la famille aux quatre coins du globe. Il a fallu attendre l'instant T du récit, la remise d'un prix honorifique au Père, pour que tout le monde se réunisse à nouveau bien des années plus tard. Alors, au détour d'un regard ou d'un geste, la parole se met à circuler de l'un à l'autre pour tenter de comprendre, d'enfin élucider ce mystère insoutenable dont chacun porte la croix. 

J'ai l'impression de courir derrière des ombres fuyantes. Je vais de l'un à l'autre, je cours, je cherche mais les ombres se faufilent, les groupes se disloquent, et je me retrouve seul avec une conversation en suspens, mon âme entre les mains. 

Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette fois-ci, Jocelyne Saucier ne donne pas dans le mignonnet. Les faits sont terribles - la mort de la sœur, certes, mais plus largement les relations complexes voire venimeuses qui peuvent exister entre frères et sœurs - et s'ancre dans une réalité - le destin des mineurs abandonnés comme des vieilles chaussettes par les grandes entreprises lorsque le filon exploité s'épuise - qui ne l'est pas moins. De là à dire que le roman est plombant, ce serait se méprendre totalement. Le récit est cinglant et haut en couleurs ; c'est, somme toute, le roman picaresque d'une fratrie entière. L'entreprise formulée comme telle peut sembler d'une ambition démesurée mais Jocelyne Saucier s'en fort très habilement en collant au plus près de ses personnages : C'est la rencontre croisée de chaque narrateur en qui se mêlent l'adulte qu'il est et l'enfant qu'il a été qui crée cette profusion d'énergie, de sentiments et de souvenirs décapants. 

C'est une brillante réussite, pleine de verve et de profondeur - exactement ce que j'avais reproché à Il pleuvait des oiseaux de ne pas avoir. Ça fait du bien de se rappeler à l'occasion, comme ce fut le cas ici pour moi, que ce sont rarement les plus gros succès commerciaux d'un auteur qui sont ses plus vives réussites littéraires (oui parce qu'à l'occasion, j'aime bien enfoncer des portes ouvertes. C'est cadeau pour le week-end). Merci, ma chère Topi, de m'avoir offert cette belle découverte québécoise ! 

 

littérature québécoise,québec en novembren famille,mine,fratrie,décès,mystère,roman choralHop, deuxième participation pour Québec en novembre chez Karine et Yueyin