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13/06/2018

Le complexe d'Eden Bellwether de Benjamin Wood

le complexe d'eden bellwether,benjamin wood,zulma,campus novel,cambridge,thriller psychologique,complexe narcissique,classe sociale,université,musique,orgue,lecture commune,mois anglaisOscar Lowe est un jeune aide-soignant issu de milieu modeste. Un soir, tandis qu'il rentre de la maison de retraite où il travaille, il pénètre par hasard, pense-t-il, dans la chapelle du King's College de Cambridge. A la vérité, il est surtout attiré par la musique d'un organiste prodigieux, Eden Bellwether, et la jeune sœur de celui-ci, Iris. Une fois n'est pas coutume, Eden et Iris l'intègrent à leur groupe d'amis, tous étudiants de la prestigieuse université et tous très aisés, et Eden l'initie aux arcanes de son obsession : les pouvoirs presque illimités de la musique. Eden soutient que la musique permet d'influencer profondément les sens et les émotions. Ainsi en fait-il la démonstration un soir en hypnotisant Oscar. Notre musicien est une personnalité complexe et dominatrice. Son incroyable intelligence n'a d'égale que son narcissisme et son manque d'empathie. Autant vous dire qu'Iris et Oscar comprennent rapidement qu'il ne tourne pas très rond et vont tenter de le prouver. 

... Parce que la musique n'a besoin d'aucune règle pour elle-même, en vient-il à déclarer. Les règles, nous seuls en avons besoin. Ce soir, j'ai tenté d'outrepasser ces règles. J'ai tenté d'écrire sans restrictions. Une composition capable d'élever les esprits, exactement comme à l'époque baroque. Mattheson disait que nous imposons à la musique nos propres faiblesses et limitations. Parce que sinon, nous serions absolument incapables de comprendre, nous ne pourrions même pas distinguer une chanson d'amour de... du son du glas. La musique est un art céleste, nous devons trouver le moyen de la dompter, d'en faire quelque chose de concret. Vous comprenez ce que je dis ? Nous ne pouvons l'appréhender qu'à travers nos sens. Nihil est in intellectu quod non fuit in sensu. 


Et là c'est le moment où cette chronique devient un brin schizophrénique.

Objectivement, ce premier roman est plutôt bien troussé. La progression narrative est menée sans temps morts et sans faux-pas pénibles avec un soupçon de fantastique pas désagréable ; le propos théorique autour de la musique est original ; le décor évidemment splendide. Bref, les ingrédients sont là et Benjamin Wood ne s'est pas trop loupé dans le dosage. Ça donne un ensemble globalement rythmé qui se dévore. J'ai particulièrement pensé à La vérité sur l'affaire Harry Québert en le lisant, à ceci près qu'il est mieux écrit (vous me direz, ça ne représentait pas un défi insurmontable vu le degré zéro du style de Joël Dicker). 

Et puis, subjectivement, je me suis totalement et très rapidement désintéressée de ce roman. Vous vous rappelez ce que je disais dernièrement à propos de mon élève à qui j'avais proposé la réécriture d'Arthur Ténor sur Cyrano ? Et bien, je me suis retrouvée dans la même inconfortable position. Ok, le livre n'est pas mauvais mais il m'a aussi et surtout semblé totalement dispensable et vain. J'ai pu, pendant de longs jours, le laisser de côté sans l'ouvrir et sans y penser - ce qui est tout de même très embêtant pour un thriller psychologique censé être un page-turner. Je lui accorde malgré tout de l'avoir rapidement descendu les fois où je m'y remettais (lecture commune et date fixe de publication du billet obligent ; merci la lecture en diagonale, au passage) mais sans être franchement rassasiée pour autant. Inutile de vous dire que j'ai aussi procrastiné pour l'écriture de ce billet, du coup, et me voilà à rédiger le billet le jour de la dite-date de parution (ce qui ne m'arrive jamais d'habitude). 

Alors que vous dire, franchement ? Ce n'était visiblement pas le moment pour moi d'une telle lecture. J'aurais pu l'apprécier en un autre temps et un autre lieu, comme ç'avait été le cas avec Joël Dicker, mais Benjamin Wood est présentement mal tombé avec moi. Je ne retire rien de son Complexe d'Eden Bellwether. Pas même l'ombre d'un intérêt pour cette lutte des classes dessinée entre les Cambridgiens fortunés et un Oscar modeste, complexé aussi à sa façon, par son héritage et son existence médiocres. Les théories de Mattheson et le complexe psychiatrique narcissique pourraient à la limite m'interpeller et, qui sait, un jour peut-être irais-je creuser la question. En attendant, tout cela était survolé, superficiel, pas toujours bien incarné et m'a surtout donné envie de replonger dans un roman un peu plus costaud. Pour résumer, ce texte est à la littérature ce que Christian de Neuvillette est à la poésie amoureuse. C'est dommage, en ce moment, telle Roxane, j'étais d'humeur à être éblouie. Je passe donc à autre chose. 

le complexe d'eden bellwether,benjamin wood,zulma,campus novel,cambridge,thriller psychologique,complexe narcissique,classe sociale,université,musique,orgue,lecture commune,mois anglaisLecture commune avec Ellettres à l'occasion du mois anglais chez Lou et Cryssilda

13/12/2017

Le Maître du Jugement dernier de Leo Perutz

fantastique,vienne,autriche,huis clos,meurtre,suicide,tableau,art,doute,hallucination,mystère,journal,aventure,leo perutz,zulmaJ'avais tellement apprécié voyager en littérature lors de mon printemps amstellodamois que j'ai décidé de renouveler l'expérience cet automne à Vienne grâce à ma librairie lyonnaise préférée. Sur le conseil de l'un des libraires qui m'a promis une aventure bien mystérieuse, j'ai craqué la veille du départ pour le roman que voilà, totalement inconnu au bataillon mais dont les arguments ne manquaient pas pour me séduire. 

C'est Gottfried von Yosch qui raconte l'histoire ou, plus justement, sa version d'une histoire fantastique survenue au début de l'automne 1909 durant cinq petits jours qui parurent à tous des semaines interminables. Tout avait pourtant commencé de façon fort banale : un temps charmant, une matinée au club d'escrime, un déjeuner entre amis et une après-midi à lire les journaux et découvrir qu'un banquier a fait faillite. En fin de journée, notre baron est invité par le docteur Gorski chez Eugen Bischoff, un comédien de leurs amis, d'humeur inquiète depuis plusieurs mois à cause d'une baisse de popularité (proportionnelle à l'augmentation de son âge) et à la préparation d'une pièce de Shakespeare. Gorski propose d'aller le divertir en donnant un récital improvisé, en trio avec la femme de Bischoff, une ancienne maîtresse de notre narrateur. Cette précision et la promesse de jouer un trio passionné de Brahms sont amplement suffisants pour convaincre von Yosch d'embarquer prestement son violon. 

La soirée tourne au vinaigre lorsque, dans une atmosphère déjà pesante et mélancolique, Bischoff trouve la mort dans son pavillon solitaire. Bien des éléments feraient penser à un suicide si l'assassiné n'avait pas raconté peu de temps auparavant une anecdote macabre qui résonne douloureusement avec son nouveau trépas. Dans une confusion totale, notre narrateur est accusé du meurtre ; lui-même n'est plus sûr de rien. Tout s'enroule autour d'une spirale de doutes qui ne se démentira pas de tout le récit, malgré la tentative des trois protagonistes, von Yosch, Gorski et Solgrub, pour démêler le vrai du faux.

Tout d'un coup, elle était là. L'épouvante faisait trembler tout mon corps, et j'avais des sueurs froides dans le dos. 
Non ! je ne l'ai pas appelé ! Je le vois là, devant moi, qui me regarde fixement et brandit la faucille avec laquelle il coupe l'herbe. C'est le vieux jardinier sourd, oui, mais pendant un instant, il a ressemblé à l'image de la mort dans les vieux livres.

Qui dit début du vingtième siècle (Perutz est un contemporain de Kafka), dit récit fantastique mitonné aux petits oignons. Le doute immédiat, dès cette préface en guise de postface qui en dit suffisamment long pour titiller sans rien affirmer précisément, est mené d'une main de maître. Je crois qu'il ne m'était jamais arrivée jusque-là de lire un roman fantastique qui parvienne à ménager le doute jusqu'au bout (la plupart versent souvent rapidement dans la monstration) et c'est particulièrement savoureux - la difficulté de l'entreprise ajoutant sans doute un brin de piment. 

Derrière la quête du "coupable", si tant est qu'il y en ait un (puisque tout est là, justement !), Leo Perutz nous glisse quelques interrogations sur le fabuleux pouvoir de l'art, tel qu'ont pu le faire auparavant, à leur manière, Balzac ou Wilde. L'art est décidément une riche source d'inspiration fantastique pour les écrivains - à croire qu'il y a effectivement quelque chose de mystérieux, de magique, voire de diabolique dans le génie créatif (lalalaaaaa). 

Vienne, dans cette histoire, n'apparaît que lointainement au gré de quelques noms de rues : nos personnages sont trop obnubilés par le brouillard énigmatique qui les entoure. Si l'on n'est pas dans un huis clos, l'atmosphère confinée des esprits monomaniaques n'en est pas loin. C'était, pour le moins, une manière originale de revoir Vienne (puisqu'à la vérité, je n'ai pas lu ce roman durant mon voyage mais dans l'avion du retour et les deux jours qui ont suivi). Sous les atours impeccables, immaculés et prestigieux de cette ville impériale, j'ai découvert ici une brume plus angoissante et ce fut terriblement agréable de frissonner en me remémorant quelques images de mon périple - et en écoutant, évidemment, le merveilleux trio pour piano de Brahms chéri par nos personnages.