30/10/2011
La mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé
La Mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé, Actes Sud, 2002 ; Babel, 2004 ; Le Livre de Poche, 2006
Le puissant roi Tsongor, conquérant invaincu, prépare les noces de son unique fille Samilia avec le prince des Terres du Sel. Tandis que s'annonce le jour des cadeaux, un ami d'enfance reapparait après de longues années d'errance pour réclamer également sa main, arguant un serment d'enfance.
C'est la mort du roi, c'est la guerre fratricide et la destruction de la ville. Pendant ce temps là, le plus jeune fils de Tsongor, Souba, part honorer une promesse faite à son père afin de lui apporter le repos de l'âme.
Deuxième lecture d'un Gaudé et décidément, on ne peut pas passer à côté de l'empreinte puissante des tragédies mythiques et de l'épopée. Ici bien plus que dans La porte des Enfers, même. Les décors et les personnages sont des figures archétypales des mythes : La ville éclatante puis assiégée, le palais ; le roi puissant, le serviteur dévoué bien qu'ambigu, l'affrontement des jumeaux pour le pouvoir, le combat pour la femme aimée, la fatalité... Toutes les balises sont plantées, de même que l'écriture se revêt de cette forte inspiration théâtrale - les dialogues sont des déclamations tragiques - pour réécrire avec brio ces récits ancestraux où l'Homme fait son apprentissage.
Merci à ma petite tarte aux fraises pour ce conseil de lecture!
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Extrait :
"Rassamilagh regarda longuement Danga. Sans haine. Mais avec distance.
- Je ne te connais pas, Danga, dit-il finalement. Nous sommes alliés par l'amitié que nous portons tous deux à Sango Kerim, mais ce n'est pas pour toi que je me bats. Que me fait à moi que ce soit toi ou ton frère qui règne sur Massaba? Ne l'oublie pas, Danga. Je ne fais rien pour toi.
C'est alors que Sango Kerim pris la parole.
- De quoi aurais-je l'air, Rassamilagh, si je partais cette nuit, emportant comme un voleur la femme que je suis venu chercher? Elle est la fille du roi Tsongor. Ce ne sont pas les sentiers nimades du désert que je veux lui offrir pour dot, mais sa ville reconquise. Elle ne saurait vivre ailleurs. Son père me maudirait entre ses dents de mort s'il apprenait que j'ai fait de son héritière une errante. Cette ville est à nous. Il n'y a pas de victoire si nous ne parvenons pas à la prendre.
- J'ai dit ce que j'avais à dire et je ne regrette pas d'avoir parlé, répondit Rassamilagh. Aucun de vos arguments ne me convainc. C'est le goût de la victoire que j'entends dans vos bouches. Je le reconnais. Mais je vois que je suis le seul à penser au départ. N'ayez crainte. Je resterai avec vous. Rassamilagh n'est pas un lache. Mais souvenez-vous de cette nuit où tout aurait pu s'arrêtez et priez pour que nous n'ayons jamais à regretter sa douceur de myrte."
08:41 Publié dans Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : afrique, mort, épopée, tragédie, théâtre, tsongor, fatalité, mythe
27/10/2011
Les vaches de Staline de Sofi Oksanen
[Ante-Scriptum : Encore une semaine pour les inscriptions au swap de l'hiver ! Venez compléter notre impairitude ! Les renseignements ici et les inscriptions ici]
Les vaches de Staline de Sofi Oksanen, traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, Stock, coll. La Cosmopolite, sept. 2011
Je n'ai pas cédé l'an dernier à la vague de Purge. Pas envie, pas le moment.
Aussi, c'est avec le regard vierge que j'ai abordé cette lecture du premier roman de Sofi Oksanen - parce qu'au moment de choisir parmi tous les livres proposés par PriceMinister, c'est celui qui m'a sauté aux yeux.
Et de fait, ce roman saisit le lecteur par la peau du cou, lui met la tête dans l'écriture et ne le ménage pas.
"Ca l'a fait rire comme si j'avais dit quelque chose de très très très amusant. Mais ce n'était pas amusant du tout, c'étaient des os froids et de la peau qui brûle, des coeurs noircis et des membres qui grattent. A chaque pas qui le rapprochait de moi, je reculais d'un kilo, tout en restant tellement figée sur place que je ne pouvais pas mettre un pied devant l'autre. Ce n'est qu'en maigrissant que je pouvais m'éloigner, m'enfuir, m'en aller, non, tu ne pourras jamais m'attraper, ni toi ni personne, je ne laisserai personne m'attraper, même si le fait que je reste pétrifiée sur place pouvait signifier en réalité que je voulais rester là pour une fois, devant toi, devant toi qui t'approches, être ici... non ! Si le corps refuse d'obéir autrement, il ne reste qu'une façon de se déplacer : en rapetissant et en rétrécissant. Mon évasion par kilos est la seule échappatoire, puisque mes jambes refusent de coopérer."
09:00 Publié dans Challenge, Littérature scandinave | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : les vaches de staline, oksanen, rentrée littéraire, priceminister, communisme, boulimie
24/10/2011
Comment rêvent les morts de Lydia Millet
[Ante-Scriptum : Encore une dizaine de jours pour les inscriptions au swap de l'hiver ! Venez compléter notre impairitude ! Les renseignements ici et les inscriptions ici]
C'est l'histoire d'une inscription à un partenariat faite en 3sec chez Hérisson : "Ah tiens, il reste des bouquins?" "Ah tiens, le résumé lu en diagonal a l'air sympa". Et puis, hop, quelques jours plus tard, c'était dans ma boîte aux lettres.
Note pour moi-même : renouveler ce genre d'impro de temps en temps, ça a du bon.
Comment rêvent les morts de Lydia Millet, Le Cherche-Midi, coll. Lot 49, sept. 2011
T. est un capitaliste né. Depuis son plus jeune âge, il nourrit une passion pour l'argent ; sa matérialité, son économie et plus tard son abstraction grisante. D'une apparence un peu austère pour ses collègues de fac qui ne jurent que par les fêtes orgiaques, T. calcule tout et construit patiemment son petit empire immobilier qui n'a que faire de la molle bien-pensance. Il est un pur archétype de notre société indivualiste. Self made man, certes. Condescendant et au détriment des autres, et alors?
"La stricte discipline de discrétion faisait partie de sa formation. Il était crucial, estimait-il, d'apprendre quels aspects de sa personne afficher à la vue de tous, et quels aspects garder cachés. L'honnêteté était rarement la meilleure stratégie dans les rapports sociaux, et la prôner comme un idéal, pensait-il, ne reflétait qu'un désir infantile de pure simplicité dans le domaine des échanges personnels. Ceux qui clamaient avec véhémence que l'honnêteté était une vertu souveraine avaient en fait simplement peur de tout ce qui est complexe."
En pleine ascension, des éléments commencent pourtant à grignoter l'édifice. La mort d'un coyote en pleine face puis son père qui déserte, laissant sa mère désorientée. Tout cela ébranle T. mais n'entâche pas la poursuite de sa routine pour autant. Mais lorsque Beth, cette femme aimée -et la seule jusqu'ici, meurt brutalement, l'existence de T. sombre dans une complète déréliction, révélant le vide ontologique de cette société du toujours plus.
"Des villes se construisaient, s'érigeaient vers le ciel, remparts de confort et utopies de consommation - l'essor de l'empire qu'il avait toujours chéri. Mais sous les fondations la croûte terrestre semblait bouger et s'ameublir, s'écroulant et s'incurvant sous elle-même."
Son quotidien n'est alors plus qu'apparence. Il se questionne sur la place de l'être, revoit ses relations anciennes et en développe de nouvelles - avec Casey par exemple. En secret, il nourrit un grand intérêt pour les espèces animales en voie de disparition qui va peu à peu friser l'obsession. Comme si, après s'être fondu dans les lumières du capitalisme, il cherchait à nouveau à se fondre totalement ; comme s'il cherchait une nouvelle dissolution.
"Un empire n'avait d'allure que lorsqu'il était construit sur un fond d'océans et de forêts. C'était une nécessité. Si les océans se mouraient et que les forêts étaient remplacées par des chaussées, même un empire serait dépouillé de son importance. Seul, pensa-t-il - c'est un mot qui lui venait de plus en plus souvent à l'esprit, dans un rythme monotone, comme moqueur. Dans le zoo, les animaux rares auraient pu être orphelins, capturés ou même nés en captivité. Il ne savait absolument pas d'où ils venaient, ne pouvait pas être au courant de leurs histoires individuelles. Mais il connaissait leur position, tout comme il connaissait la sienne : tels des pionnies, ils étaient aux avant-postes de la solitude. Ils étaient les messagers envoyés en éclaireurs voir à quoi ressemblait le nouveau monde."
Ce livre là, au fond, n'est pas tant le plaidoyer d'une certaine écologie moralisatrice que l'exposé de l'absurdité de notre époque : à avoir travaillé durant des siècles à se couper de nos racines matérielles, sociales et spirituelles dans l'espoir orgueilleux de devenir des êtres libres - oubliant alors que sans balises, point de liberté -, les hommes ne sont parvenus qu'à créer un chaos existentiel dépouillé de toute profondeur. L'homme ne sait plus vivre que selon le modèle qui lui est présenté, il est un perpétuel enfant. Et même lorsqu'il cherche à s'en détacher, à l'image de T., il ne fait que plonger dans un autre modèle, tout aussi extrême.
La réponse n'est pas dans la recherche de nouveaux modèles. C'est seule la profondeur des racines - c'est s'en rappeler - qui garantit une certaine mesure et du sens au quotidien.
C'est là, me semble-t-il, l'enjeu majeur de cet excellent roman que je vous conseille chaleureusement!
Un grand merci à Hérisson et à Solène P. des éditions du Cherche Midi pour l'opportunité de ce partenariat.
Challenge 1% de la rentrée littéraire 2011
8/7
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09:00 Publié dans Challenge, Coups de coeur, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : rentrée littéraire, animaux, enjeu contemporain, racines, sens