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24/01/2017

Le passage du diable d'Anne Fine

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Le passage du diable d'Anne Fine, L'école des loisirs, Médium poche, 2016, 366p. 

 

J'ai toujours eu une drôle de vie. Depuis le tout début. Moi, je ne la trouvais pas bizarre, bien sûr. Je suis convaincu que chaque individu, sur cette terre, est persuadé de mener une vie normale et croit que c'est celle des autres qui ne l'est pas. Quoi qu'il en soit, ma vie à moi avait débuté fort singulièrement, par la façon dont on m'avait élevé. 

Ah oui, c'est le moins que l'on puisse dire ! Daniel Cunningham, qui doit avoir une bonne dizaine d'années (je ne me rappelle plus exactement, honte à moi) a toujours vécu cloîtré, se pensant gravement malade. En tête à tête avec sa mère, celle-ci ne l'autorisait qu'à peine à sortir au jardin, assis sur un fauteuil et un plaid sur les genoux, à la belle saison. Le reste du temps, Daniel passait son temps au lit, entouré de rares jouets devenus pour lui le monde, dont une vieille maison de poupées représentant la maison d'enfance de sa mère. Et voilà qu'un beau jour, un médecin, aidé par une mise en scène rocambolesque, délivre Daniel de cette réclusion forcée et injustifiée : Le jeune garçon n'est pas du tout malade ! Dès lors, il est retiré à sa mère et ne cesse de se demander si celle-ci était consciente ou non de son véritable état. Que devient-elle, d'ailleurs ? Le quotidien dans la famille qui l'accueille a beau être agréable, Daniel ne cesse de revenir régulièrement à ces questions cruciales, d'autant que pendant ce temps-là, la maison de poupées semble développer un étrange pouvoir d'envoûtement sur ceux qui s'y amusent. 

Les passages du diable sont les chemins les plus ordinaires. Croyez-moi. Et le mal n'a pas toujours les traits de la laideur. On ne saurait lire, sur le visage d'un homme, la couleur de son âme. Mais rassurez-vous, poursuivit-il en levant les bras, il existe un moyen de s'en défendre, un seul. Car le diable ne peut arriver a ses fins sans votre aide. Il ne triomphe que si vous lui ouvrez la porte.

Comme dans bien des récits fantastiques, on plonge dans celui-là sans pouvoir le lâcher avant la fin. C'est quand même une sacrée trouvaille, cette narration interne à la première personne : le lecteur, avide d'être embarqué loin de chez lui, s'y engouffre joyeusement. L'identification est parfaite : on ne discute rien, on s'amuse de tout.
Dans ce roman, Daniel se pose mille questions, et pour cause : il prend conscience en fort peu de temps que son enfance lui a été peu ou prou volée, que sa mère n'est probablement pas très stable psychologiquement (sans savoir exactement à quel point) et qu'il ne lui reste rien de plus qu'une maison de poupées. Si l'on considère tous ces paramètres, je trouve le personnage de Daniel finalement assez résilient au cours du récit ! Il n'empêche que dans cet univers qui n'a rien à voir (je l'espère) avec celui du lecteur lambda, on déambule tout à fait proche de notre narrateur personnage, se disant au départ qu'après tout, les faits ne sont pas si incongrus. Mais à force et à bien y réfléchir, les dits-faits deviennent de plus en plus étranges et fréquents. Ils semblent monter en puissance. L'apparence de réalité se fait grignoter. Le cœur de l'énigme réside, on le comprend vite, dans la maison de poupées et même, dans une poupée en particulier, dont on ignore pour l'instant le rôle et l'identité. 

J'ai plongé avec grand plaisir dans ce bon roman ado qui illustre parfaitement, de façon contemporaine et très accessible, tous les ressorts de la littérature fantastique. Je dois toutefois reconnaître qu'il est assez attendu à bien des moments. Le lecteur un peu adulte saisira assez rapidement où le récit nous mène, ce qui limite le fameux doute fantastique. Ce micro bémol ne doit pourtant pas vous induire en erreur : Le passage du diable est un chouette récit, mené sans temps morts ni ennui et nous balade dans des contrées au climat et aux personnages de plus en plus étranges. De quoi nous divertir quelques centaines de pages. 

Ah! Les livres! Sans eux, je serais devenu fou.
Je ne pouvais ni nager, ni marcher, alors d'autres remontaient à ma place des rivières infestées de crocodiles et escaladaient des sommets enneigés.

Encore une belle découverte ado, que je dois à Moka ! Merci ! 

 

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14ème participation

 

 

31/10/2016

Le fantôme de Canterville d'Oscar Wilde

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Le fantôme de Canterville d'Oscar Wilde, 1887

Livre audio gratuit en ligne

 

M. Otis, un ministre américain, achète l'antique manoir des Canterville où il emménage avec toute sa famille. On comprend rapidement que le dernier Lord Canterville cède cette demeure ancestrale à cause du fantôme de Sir Simon qui rôde dans les couloirs et se plaît à terroriser tout le monde. Qu'à cela ne tienne : il en faut plus pour faire fuir la famille Otis ! Une tâche de sang ose persister sur le sol ? Le fils aîné, Washington, y va de son détergent Pinkerton surpuissant et n'hésite pas à frotter tous les jours pour affirmer qui est le maître sur cette ennuyeuse tâche ! Le fantôme fait grincer ses chaînes dans les couloirs ? M. Otis lui envoie gentiment au visage une fiole de lubrifiant pour cesser de réveiller tout le monde avec ce bruit de vieille ferraille ! Et il en va ainsi sur les 2/3 tiers de la nouvelle, le fantôme rivalisant d'ingéniosité pour pétrifier de peur les nouveaux propriétaires, et ces derniers poursuivant tranquillement le cours de leur vie, non sans s'amuser à terrifier le fantôme à leur tour. A ce petit jeu, c'est le fantôme qui finit par se lasser, à bout d'idées pour hanter les lieux. Il commence à se dire que le repos serait doux, si seulement il pouvait cesser d'être une âme en peine...

Que cette nouvelle démarre bien et de manière délicieusement audacieuse ! Oscar Wilde nous ravit d'une ironie caustique qui subvertit les codes du récit gothique de fantôme, cher au XIXème siècle anglais, et égratigne les liens et différences entre américains et britanniques. La famille Otis incarne ces américains progressistes, qui n'ont que faire d'obscures croyances ridicules ; Sir Simon, Lord Canterville et les domestiques de la maisonnée sont, quant à eux, les parangons des vieilles valeurs et des vieilles coutumes. Le combat est évidemment inégal : il est difficile d'effrayer celui qui se moque des fantômes. Tout n'est pas clivé, cependant, et la famille Otis apparaît aussi, sous certains aspects, comme une famille bourgeoise de l'époque : certes riche, et bien en vue dans le monde, mais sans la classe aristocratique des Canterville. 

Malheureusement, cette verve originale et impertinente décline à mon sens dans le dernier tiers du texte, au profit d'un retour à cette morale que j'avais déjà sentie sourdre dans Le portrait de Dorian Gray. Cette amitié délicate qui se noue entre le fantôme et la jeune fille de la famille, Virginia, et le rachat des péchés pour acquérir la paix de l'âme fait basculer la nouvelle dans un premier degré beaucoup moins savoureux et l'enthousiasme retombe progressivement jusqu'à une fin (heureusement courte) presque ennuyeuse et banale. Il faut croire que l'audace du dandy vaut pour un certain temps ; celui de secouer un peu le cocotier des conventions sociales sous couvert d'atours amusants et piquants ; mais ne saurait, pour autant, prétendre à déraciner totalement l'arbre séculaire. Après avoir bien secoué, on finit tout de même par remettre le cocotier en place et par balayer les feuilles. Oscar Wilde laisse ainsi la place nette, aussi belle et conventionnelle, qu'il l'avait trouvée en arrivant. 

 

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Challenge Halloween 2016 chez Lou et Hilde

3ème lecture

17/10/2016

La femme vampire de E.T.A. Hoffmann

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La femme vampire de E.T.A. Hoffmann, 1821

Livre audio en ligne (ou ici en lecture numérique)

 


A l'époque où Hoffmann écrit cette nouvelle, les vampires n'ont pas encore la renommée que l'on sait aujourd'hui. Les grands noms de Dracula ou de Carmilla ne sont pas encore nés - ne sont pas même encore pensés dans l'esprit de leurs auteurs. Les vampires n'évoluent que depuis le milieu du siècle précédent dans les contrées allemandes et viennent tout juste de s'expatrier, depuis à peine dix ans, sur les côtes anglaises grâce à John Stagg. Bref, le vampire, cet être antédiluvien, qui a vécu mille vies en une et dont il nous semble tout connaître, n'est alors qu'un jeune vermisseau frétillant, attendant la maturité. 

Tout commence ici par un jeune homme sémillant, esthète et voyageur, qui, par chance, hérite de son père. Il y gagne alors un titre de comte et une propriété cossue qu'il s'emploie à redécorer à grands frais. La noblesse, lorsqu'elle est heureusement associée ainsi à la jeunesse, à la beauté et à la richesse, ne manque pas d'attirer de nombreux visiteurs, dont une vieille tante, qu'Hypolite reçoit malgré les recommandations de feu son père. Cette femme, dit-on, s'est trouvée mêlée jadis à un scandale dont on ne sait, au fond, rien du tout. La répugnance qu'elle inspire semble surtout liée à sa figure pâle, cadavérique et sèche. La baronne est de celle dont on ne peut souffrir le regard sans faillir. Nul doute pour le lecteur qu'elle est le vampire, cette créature au bord de la tombe, terrifiant à souhait. 

Pourtant, à mesure que le court texte défile, on hésite. La baronne souffre d'accès de paralysie et finit par mourir. N'était-elle donc qu'une vieille femme, après tout ? Cette mort subite n'empêche pas Hypolite et Aurélia, la fille de la baronne, de prévoir leur mariage. Aurélia apparaît comme l'exacte contraire de la baronne : à la beauté douce et naturelle, elle a le pouvoir de subjuguer Hypolite malgré ses sauts d'humeur impromptus. La mort de sa mère est l'occasion de confier toute la haine et le dégoût qu'elle nourrissait pour elle. A dire vrai, on ne sait plus qui est qui : la mère était-elle ignoble ou tentait-elle de survivre ? Aurélia était-elle maltraitée ou manipule-t-elle son entourage grâce à ses beaux yeux clairs ?

Dans ce texte des premiers temps du vampirisme, tout est terriblement flou et pourtant terriblement là : la femme vampire se révèle tantôt sous les atours de l'ignominie la plus totale, du cadavre terrifiant, tantôt sous la beauté diabolique d'une jeune fille innocente, fragile, que l'on brûle d'aimer. La mère et la fille sont les deux facettes du même être, la représentation bicéphale de la dualité vampirique : instrument de terreur et de fascination ; la mort et la passion à la fois, qui nous repousse et nous attire. 

En outre, texte parfaitement fantastique, il ne saurait être question de trancher tout à fait comme le fera Bram Stoker presque quatre-vingts ans plus tard, chez qui l'hésitation ne dure qu'un temps : ici, jusqu'au bout, le lecteur se demandera s'il était vraiment question d'une femme vampire. Si, vraiment, ce groupe de femmes improbables se réunissait à la faveur de la nuit sous la lune du cimetière pour se repaître de chair humaine et de sang ou si le comte Hypolite était déjà fou...

 

Challenge Halloween 2016.jpgChallenge Halloween 2016 chez Lou et Hilde

Promenade au cimetière