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03/11/2017

Un automne à Vienne, part I. : Invitation au voyage

Est-il besoin que je formule mon envie de Vienne ? Je ne suis, après tout, qu'une parmi tant d'autres à avoir été nourrie dès l'enfance des films de princesse qu'on connaît puis de la découverte plus tardive de la véritable impératrice ; de même que je ne suis qu'une parmi tant d'autres à avoir développé au fil du temps une admiration non moins prégnante pour les artistes de la Sécession viennoise. Au vu du nombre de français présents dans la capitale autrichienne, proprement ahurissant, mon attrait et les raisons de cet attrait paraissent inutiles tant ils semblent partagés ! Très clairement, à l'endroit de Vienne, je ne suis qu'un mouton heureux qui danse avec son troupeau. 

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La place Marie-Thérèse et le musée des Beaux-Arts (Maria-Theresien Platz & Kunsthistorisches Museum ou KHM en VO - Oui, je vais tout traduire pour les non-germanistes tels que moi qui ne pinent rien à l'allemand) entre la Bibliothèque nationale et le MuseumsQuartier

Foulant d'abord la ville de nuit, j'ai cru avancer en terrain connu : Vienne a tout de la capitale européenne aux bâtiments XIXème telle qu'on peut également schématiser Paris. Le dépaysement immédiat que j'ai senti à la rencontre d'Amsterdam ne m'a point saisie ici et j'en ai presque été un brin déçue : le frisson de l'absolue nouveauté n'était pas au rendez-vous. C'était évidemment une erreur.

A s'habituer à Vienne, à l'arpenter des heures pour s'y perdre (et il faut noter la petitesse du centre historique où tout est faisable à pied) de même qu'à la visiter en ses lieux les plus connus, on s'aperçoit  rapidement qu'elle n'a pas grand chose à voir avec Paris. Les bâtiments et les avenues, certes de dimensions comparables, sont beaucoup plus clairs et épurés et la ville dans son ensemble est bien moins grouillante de monde. La propreté impeccable et la blancheur de la plupart des immeubles et monuments (jusqu'au métro, qui ne sent rien et dans lequel les gens sont calmes et courtois) frappent les sens français habitués à la saleté et l'impolitesse par trop fréquentes de nos pénates urbaines. Comme dirait le poète, Là, tout n'est qu'ordre et beauté... 

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Quelque part entre le Palais Hofburg et l'Hôtel de ville (Rathaus)

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L'église St Michel (Michaelerkirche) en face du palais Hofburg

Mais ce serait mentir que s'arrêter à ce premier constat puisque Vienne est également la capitale des bâtisses baroques ciselées d'or et de détails précieux. Nous avons visité plusieurs églises, notamment la magnifique St Pierre où l'orgue résonne si bien, qui réveillent l’œil de leurs nombreux détails. Rien n'est laissé au hasard ni à la nudité. Encore une fois, pourtant, même dans la fioriture gourmande, la mesure est juste et le dosage certain... Décidément, l'esprit germanique...
Et le poète d'ajouter, Luxe, calme et volupté...   

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La cathédrale St Etienne (Stefansdom)

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L'intérieur de St Pierre (Peterskirche)

Mais le petit rat de bibliothèque que je suis ne pouvait se satisfaire seulement de tout cela. Il a bien fallu que j'aille fureter du côté de quelques étagères pleines de livres pour être tout à fait rassasiée de mes découvertes architecturales. Direction la Bibliothèque Nationale pour cela (Österreichische Nationalbibliothek - sans déconner, ils sont fous ces germanistes...). On serait tenté de penser que la somme de 7€ est un poil onéreuse pour visiter une bibliothèque, ce qui n'est sans doute pas faux (c'est fou ce qu'on accepte de faire lorsqu'on est touriste, n'est-ce pas ?) mais comment passer à côté d'un intérieur aussi magique ? Vous voyez la grande bibliothèque de la Bête dans le dessin animé de Disney ? Celle dans laquelle la Belle pénètre avec la bouille de celle qui rentre au Paradis ? Et bien voilà, vous y êtes. 

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To be continued

22/10/2017

Lettre à un otage d'Antoine de Saint Exupéry

lettre,lettre ouverte,autobiographie,histoire,guerre,seconde guerre mondiale,saint exupéry,emigration,exil,isolement,solitude,amitié,humanité,espoir,joie,partageQui dit texte autobiographique avec la Seconde Guerre Mondiale en toile de fond, dit souvent fête à mémé, tristesse et désespoir. Vu l'ampleur du saccage, comment pourrait-il en être autrement ? Saint-Exupéry ne déroge pas complètement à cette règle dans sa lettre ouverte, initialement prévue comme la préface de 33 jours de Léon Werth, l'otage du titre, avant d'être remaniée et envisagée comme autonome.

Le texte s'ouvre sur une première partie d'une mélancolie lancinante où le narrateur apparaît d'autant plus perdu, dans le Lisbonne de 1940, qu'il ne se reconnaît pas en la tripotée de joyeux riches expatriés qu'il rencontre. L'ombre de la guerre, c'est évidemment la peur et la mort, mais aussi le déracinement et le remords de la fuite. Contrairement à ces autres émigrants, Saint Exupéry ne poursuit pas un but pécuniaire - mettre son argent à l'abri - mais politique - convaincre les Etats-Unis d'entrer en guerre. Il n'empêche qu'il porte douloureusement le poids de son départ comme un manquement à ceux qui restent. 

Alors commence le vrai voyage, qui est hors de soi-même. 

 

La véritable interrogation de ce récit se dessine alors ici : comment continuer à être soi, comment rebondir, se reconstruire et espérer lorsqu'on est amputé de ses racines, et que la guerre invite à la haine de l'autre et à la suspicion perpétuelle ? Loin de la solitude subie que provoque une foule sans visages, c'est dans une solitude paisible et consentie que l'être se rassérène. Le désert le rappelle au point cardinal de sa géographie intérieure : l'amitié. 

Et comme le désert n'offre aucune richesse tangible, comme il n'est rien à voir ni à entendre dans le désert, on est bien contraint de reconnaître, puisque la vie intérieure loin de s'y endormir s'y fortifie, que l'homme est animé d'abord par des sollicitations invisibles. L'homme est gouverné par l'Esprit. Je vaux, dans le désert, ce que valent mes divinités. 

 

La simplicité et la tendresse des relations humaines, développées à travers autant d'anecdotes mettant en scène Léon Werth ou des soldats ennemis, brodent l'espoir profond et ravivé d'une humanité riche de toute sa diversité capable de projeter l'avenir d'une entente universelle.

Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente. 

Auprès de toi, je n'ai pas à me disculper, je n'ai pas à plaider, je n'ai pas à prouver ; je trouve la paix. 

Certains le liront comme un vœu pieu tant l'Histoire se charge régulièrement de nous décourager ; d'autres comme le souffle vivifiant qui redonne la foi. Une chose est sûre : à lire ce court et beau texte de Saint-Exupéry, ne pas perdre espoir, en certaines périodes particulièrement sombres et troublées, apparaît clairement comme une sacrée preuve de courage. 

Cette qualité de la joie n'est-elle pas le fruit le plus précieux de la civilisation qui est la nôtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matériels. Mais nous ne sommes pas un bétail à l'engrais. La prospérité et le confort ne sauraient suffire à nous combler. Pour nous qui fûmes élevés dans le culte du respect de l'homme, pèsent lourd les simples rencontres qui se changent en fêtes merveilleuses. 

07/10/2017

Le héron de Guernica d'Antoine Choplin

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Il y a deux ans, je découvrais enfin Antoine Choplin et ce n'était pas exactement le coup de foudre... Autant dire que je n'étais pas partie, a priori, pour me tourner à nouveau vers cet auteur de si tôt. 

Et puis, dans mon projet de constituer une bibliographie de textes littéraires en tout genre traitant de l'art pictural pour mes mouflets de 4e,  Le héron de Guernica est revenu fréquemment sur le tapis dans les conseils glanés ici ou là. Les avis étaient terriblement élogieux, comme souvent avec Antoine Choplin... Aussi ai-je décidé de ne pas rester sur une première impression mitigée... 

Il lève le front au ciel et cherche les étoiles dans les trouées claires. 

Sans trop de surprise au vu du titre, l'action se situe sur une courte période de temps dans le fameux village espagnol. Basilio, jeune homme plutôt rêveur, introverti, aime en secret Celestina, parle peu et se passionne pour les hérons qu'il dessine et peint sans relâche. Son but ? Insuffler au tracé immobile le souffle mystérieux de la vie et cette dignité sublime de l'oiseau.  Une vaste entreprise à laquelle il s'adonne dès qu'un petit instant de libre et de quiétude lui est offert. C'est ce qu'il faisait ce fameux 26 avril 1937 lorsque les avions allemands ravagèrent le village. Basilio fonce bille en tête et découvre la poussière, les flammes et la peur là où, quelques instants plus tôt, seul importait le saisissement infime de la lumière sur le papier. Tandis que Basilio furète d'un endroit à un autre, cherche, se réfugie et capture l'horreur pour en porter le témoignage, le souvenir de l'envol du héron est pourtant vivace et revient de loin en loin comme l'étrange symbole de l'après : cette capacité de l'homme, et de la vie en général, à poursuivre sa course folle quoiqu'il arrive. 

C'est d'abord ça qu'il voudrait rendre par la peinture. Cette sorte de dignité, qui tient aussi du vulnérable, du frêle, de la possibilité du chancelant. 

Evidemment, il est presque impossible de lire Guernica sans penser immédiatement à Picasso. Et en effet, il n'est pas absent du tableau. Son exposition à Paris est l'événement qui encadre le récit de la quête artistique de Basilio et du bombardement. Notre protagoniste s'y rend pour admirer l'oeuvre du maître, qu'il ne connaît pas vraiment, et ambitionne de lui montrer peut-être ses travaux. Au lieu de cela, c'est le silence qui prévaut finalement sur toute chose. Car puisque l'art a ce don merveilleux de tout transcender, il n'appelle parfois, à l'image du divin, qu'un fascinant recueillement. 

Il a franchi le seuil de la toile, Basilio. Le voilà dans le tableau à son tour. Dans ces conditions, bien sûr, le héron a cessé de se donner en spectacle; sa facture de chair épaisse et palpitante, soudain évidente aux sens de Basilio, lui a fait quitter le monde des images. Il se tient là, presque à portée de bras tendu ; lui et Basilio partagent ce même endroit du monde. 

Indéniablement, j'ai été plus touchée que par Une forêt d'arbres creux. L'écriture m'a semblé plus largement poétique au fil du récit, ce dernier progresse d'ailleurs avec moins d'ennui et les passages où Basilio se confronte à la difficulté d'exprimer le vivant à travers un art par essence figé sont particulièrement pertinents et lumineux. J'ai marqué bien des citations dans ces quelques pages d'une grande justesse.
Pourtant, je persiste et signe dans mon appréciation toujours mitigée de l'ensemble... Je suis restée extrêmement dubitative face au premier chapitre, par exemple, qui contient tout ce qui me fait tiquer chez Choplin : une simplicité de style qui en frise l'absence totale et une simplicité de faits qui flirte dangereusement avec l'anecdotique. Tout cela est évidemment contrebalancé par les très belles pages susmentionnées ; n'empêche que, ces faiblesses font de  ma lecture un ensemble en demi-teinte. Si tout Choplin est comme ça, je devrai me faire une raison : je ne risque pas de connaître le coup de cœur avec lui.
Malgré tout, je retiens une jolie réflexion sur le pendant et la finalité de l'acte créateur qui donne quelques perspectives intéressantes au lecteur !

C'est drôle quand même. Moi je parle de gars qui se font tuer pendant que toi, tu t'emmerdes à peindre le plumage d'un héron.

Je m'emmerde pas. 

Un temps. 

Quand même, il doit falloir une sacrée patience, dit le soldat. 

Faut surtout avoir très envie de regarder, dit Basilio. De bien regarder les choses. Le héron, ce qu'on peut en voir, et ce qu'on ne peut pas. Aussi, tout ce qui l'entoure. Tout ce qu'il y a dans l'air qu'on respire, le héron, toi et moi. C'est surtout cette envie-là qu'il faut.