17/01/2015
L'étranger d'Albert Camus
L’étranger d'Albert Camus, Folio, 1972 [1942], 186p.
L'histoire est connue de tous, aussi je serai brève. Je dois faire partie des rares littéraires à avoir louvoyé pendant toute sa scolarité pour passer entre les mailles du filet de ce roman... Il était pourtant temps de s'y frotter ! L'étranger est, après tout, un classique incontournable.
Et l'étranger en question est Meursault. Non pas en son pays mais en sa vie même. Meursault traverse les jours avec une indifférence désarmante. On trouverait plus de vagues sur la Méditerranée un jour sans vent ! Sa mère meurt, tel est le point de départ du roman. Le jour importe peu, c'est surtout du dérangement. Meursault ne sait pas quoi dire ni comment agir. Il semble que la société obéisse à des règles tacites dont il est exclu. Amour, haine, tristesse : tout cela lui est inconnu. Il n'a pas non plus de système de valeurs. Aussi, aider un voisin passablement pourri, violent et misogyne à battre une jeune femme qui l'a quitté ne lui pose aucun problème moral. Sa maîtresse Marie lui demande s'il l'aime et veut l'épouser ? Meursault répond qu'il ne croit pas l'aimer mais il veut bien l'épouser si cela lui fait plaisir. Indifférence, indifférence... La seule chose qui semble pénétrer un peu cet étrange protagoniste, c'est le soleil. Ce dernier va finir par lui jouer un sale tour. A force de traverser sa vie en spectateur, Meursault sera poussé au meurtre. La passivité et le soleil de plomb comme déclencheurs du meurtre : situation absurde par excellence. Et tandis que Meursault ne comprend toujours pas et n'est touché par rien, ceux qui s'occupent de le juger pour ce crime ne le comprennent pas non plus. Et le procès de dériver en une spirale infernale où l'on ne juge plus un meurtre mais une vie toute entière.
On ne va pas se mentir : je me suis terriblement ennuyée. En tout cas, la première partie du roman où il est question de dérouler la vie de Meursault et d'exprimer de manière criante son indifférence à vivre - seul, en société, dans son rapport au temps. L'avantage d'avoir lu tardivement ce roman, c'est que j'en connaissais la trame, de même que la philosophie qui la sous-tend. Ça ne m'a pourtant pas aidée à prendre plaisir à ma lecture. J'ai expérimenté à cet endroit, comme cela m'est arrivé à d'autres, cette dichotomie entre le cerveau de lettreuse qui voit les qualités et mes tripes de lectrice qui végètent à s'en pendre avec une corde à linge.
La deuxième partie est néanmoins mieux passée. Dans celle-ci, il ne s'agit plus seulement de montrer l'absurdité de la vie mais d'agir en toute conscience. Meursault ne cherche pas vraiment à se battre : on ne se bat pas face à l'absurde. C'est simplement un fait, une évidence. Par contre, on peut vivre malgré tout en le sachant. On peut relever le défi d'être heureux dans une existence qui n'a pas vraiment de sens. Ce meurtre, c'est la vie. Et Meursault se découvre une soif de recommencer au contact de son exécution imminente. Lui qui était indifférent à la mort de sa mère comprend celle-ci dans ces derniers instants.
En outre, le procès de la société est éloquent. Meursault n'est pas jugé pour son crime mais pour ce qu'il est, pour ne pas réagir comme tout le monde, pour avoir une conscience aiguë de l'absurdité de la vie. Il est jugé pour ne pas chercher, comme la plupart des gens, à s'oublier dans une cause, dans une croyance ou dans un groupe.
S'il fallait synthétiser L'étranger, je dirais qu'il offre une vision romanesque de la philosophie camusienne exprimée dans Le mythe de Sisyphe. De ce point de vue théorique et réflexif, il est effectivement un classique à avoir lu. A cet égard, je vous renvoie à une excellente étude du roman en ce sens ici. Mais puisque je ne suis pas ici pour faire une dissertation en trois parties, bien plutôt pour laisser s'épancher ma subjectivité de lectrice, je ne m'étendrai pas là-dessus. J'ai lu le roman, je ne mourrai donc pas stupide. Mais franchement, si je n'en avais pas eu la quasi obligation professionnelle, je n'aurais pas dépasser la cinquième page comme cela avait déjà été le cas lors de mes deux précédentes tentatives. Ce style dépouillé, d'une blancheur extrême... L'impossibilité radicale de saisir quoi que ce soit, d'accrocher quoi ce soit... Tout cela est évidemment à dessein, j'entends bien. Mais cela a aussi pour conséquence d'avoir été, pour moi, d'un ennui absolument décapant. Les seuls romans à m'avoir autant ennuyée doivent être L'éducation sentimentale et Le lys dans la vallée, c'est pour dire. Heureusement pour moi, Camus a joué la brièveté, j'ai donc pu sortir de ce traquenard avant la Saint Glinglin.
Bon ben, une expérience plutôt ratée pour moi, donc, même si j'ai plus apprécié la seconde partie. Comme on dit, on ne peut pas tout aimer !
PS : Au début de la chronique, je mentionnai que j'allais être brève. Bon ben, c'est raté hein. Désolée, l'ami.
Challenge les 100 livres à avoir lus chez Bianca
19eme lecture
Challenge Mélange des genres chez Miss Léo
Et hop un classique français du XXeme siècle !
19:44 Publié dans Challenge, Classiques, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (12)
07/01/2015
Le Roman de la momie de Théophile Gautier
Le Roman de la momie de Théophile Gautier, Le livre de poche, 2001 [1858], 285p.
Les escapades orientales étaient jadis une mode aristocratique. C'est ainsi que Lord Evandale, flanqué d'un docteur en égyptologie un poil rustaud mais très passionné, sillonne la vallée de Biban-El-Molouk à la recherche de quelque trésor antique encore inviolé. Grâce à un grec à l'affût des touristes, les voilà qui creusent et creusent encore jusqu'à la tombe somptueuse de Tahoser, celle qui subjugua les hommes et régna sur l’Égypte. Telle est histoire, mystérieusement glissée sous ses membres entourés de bandes, que nous raconte ce roman. Celui d'une jeune fille riche, noble et délicate, dont s'éprit le grand Pharaon et qui, pourtant, aima un ouvrier hébreu.
Le Roman de la momie démarre lentement, comme savent si bien le faire bien des romans du XIXe siècle : une longue mise en contexte pour mieux retarder le vif du sujet - mais quel est-il, ce vif du sujet, au fond ? N'est-il pas précisément ce dont il est question en introduction ? - Le tout, assortit de descriptions esthétisantes à n'en plus finir - il semble que, pour les écrivains partisans de l'art pour l'art, tout nécessite d'être souligné et poétisé. La poésie et les délices de la langue m'enchantent, nul besoin de le re-préciser. Pourtant, sur la première centaine de pages, l'indigestion m'a parfois frôlée. Les bonnes choses se savourent avec parcimonie - ce qui n'était pas exactement le maître mot des romantiques. J'avoue donc, pour des questions de santé intestinalo-intellectuelle, avoir lu quelques lignes en diagonale.
Et puis le vif du sujet est là - nous ne reviendrons pas sur cette question du vif du sujet car je sais bien, maintenant, que j'ai perdu quelques saveurs en lisant en diagonale jusqu'ici - et c'est l'enchantement absolu. S'il ne faisait certes pas dans la simplicité et la concision, Gautier ne faisait pas non plus dans la médiocrité. L'écriture est d'une beauté totale et sert le récit jusqu'à faire se pâmer la plus réfractaire aux histoires d'amour niaises que je suis. L'aventure, ici, n'est pas affaire de pirates ou de Grand Nord mais de mots comme autant de doux mets. Rien que d'y penser, j'en frissonne encore. Mais lisez vous-même l'amour éclatant sous la plume de Gautier :
"Si, au lieu d'avoir remporté dix victoires, tué vingt mille ennemis, ramené deux mille vierges choisies parmi les plus belles, rapporté cent charges de poudre d'or, mille charges de bois d'ébène et de dents d'éléphants, sans compter les productions rares et les animaux inconnus, Pharaon eût vu son armée taillée en pièces, ses chars de guerre renversés et brisés, et se fût sauvé seul de la déroute sous une nuée de flèches, poudreux, sanglant, prenant les rênes des mains de son cocher mort à côté de lui, il n'eût pas eu, certes, un visage plus morne et plus désespéré. Après tout, la terre d’Égypte est fertile en soldats ; d'innombrables chevaux hennissent et fouillent le sol du pied dans les écuries du palais, et les ouvriers ont bientôt courbé le bois, fondu le cuivre, aiguisé l'airain ! La fortune des combats est changeante ; un désastre se répare ! mais avoir souhaité une chose qui ne s'était pas accomplie sur-le-champ, rencontré un obstacle entre sa volonté et la réalisation de cette volonté, lancé comme une javeline un désir qui n'avait pas atteint le but : voilà ce qui étonnait ce Pharaon dans les zones supérieures de toute-puissance ! Un instant, il eut l'idée qu'il n'était qu'un homme !"
Le Roman de la momie est un tout ce qu'il y a de plus romantique. Il ne fait pas partie de ces romans sur lesquels une polémique est envisageable. De la fascination mélancolique pour les civilisations oubliées, Gautier brode un mystère où se mêlent amour et mort, passion et transgression, non sans saupoudrer le tout de rêve et de religion devenue, sous sa plume, fantastique. Le lecteur est définitivement transporté malgré lui en ce pays et en ce temps qui, évidemment, n'ont jamais existé. Ce pays et ce temps très particulier qu'ont su créer les romantiques pour revoir le passé et l'amour sous un jour nouveau. A n'en pas douter, un délicieux voyage pour commencer 2015 en beauté, très exactement.
"Peut-être, répondit Lord Evandale, tout pensif, notre civilisation, que nous croyons culminante, n'est-elle qu'une décadence profonde, n'ayant plus même le souvenir historique des gigantesques sociétés disparues. Nous sommes stupidement fiers de quelques ingénieux mécanismes récemment inventés, et nous ne pensons pas aux colossales splendeurs, aux énormités irréalisables pour tout autre peuple de l'antique terre des Pharaons."
Challenge Mélange des genres chez Miss Léo
Catégorie Roman historique
12eme lecture
19:13 Publié dans Challenge, Classiques, Coups de coeur, Histoire, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (12)
20/12/2014
Une seconde avant Noël de Romain Sardou
Une seconde avant Noël de Romain Sardou, Pocket, 2006, 281p.
Tandis que je découvrais avec une joie enfantine non dissimulée Sauver Noël de Romain Sardou il y a deux ans, je me promettais de lire ses autres contes de Noël les années suivantes. J'ai attendu deux ans pour dénicher et ouvrir la première aventure de Harold Gui et non des moindres : celle qui lui vaut de créer Noël !
En l'an de grâce 1851, Harold est un jeune orphelin de neuf ans, laissé aux aléas de l'assistance publique et de la rue. Il subsiste avec un peu de pain sec et grâce à l'affection du Falou qui lui conte régulièrement les aventures d'êtres légendaires et magiques. Le Falou, un peu magique lui aussi, annonce à Harold que, bientôt, tout va s’accélérer pour lui, et que sa vie prendra une tournure extraordinaire. En effet, pour le pauvre Harold, Le Falou est assassiné puis le garçonnet se retrouve pris par la justice qui le pense voleur et meurtrier. Il échappe de peu à la mort ou à l'exil et est envoyé dans une ferme écossaise pour se tuer à la tâche. Si jusqu'ici tout semble terriblement sombre, c'est sans compter le fait que le génie Balbek veille sur Harold et qu'il va bientôt rencontrer une tripotée de lutins pleins d'énergie et d'affection. L'aventure de Noël peut commencer !
Décidément, les contes de Romain Sardou sont une délicieuse manière d'entrer avec douceur dans la magie de Noël. Si j'ai eu un peu de mal à rentrer dans ce titre-là de prime abord, je me suis délectée par la suite de toute cette imagination féérique autour de Noël. Nous sommes en tout point dans du très attendu et du très canonique : une ambiance victorienne qui rappelle à grands traits ce cher Dickens ; un jeune héros aussi lumineux, innocent et délicat que son quotidien est dur, injuste et harassant ; une flopée de personnages alentours mal intentionnés que le héros doit esquiver contre vents et marées ; des êtres magiques ; et une mystérieuse prophétie. Bien que je ne sois pas friande, habituellement, de cette littérature qui joue de clichés et d'un manichéisme trop appuyé, j'avoue l'accepter sans trop de difficultés lorsqu'il s'agit de Noël tant cette fête, à mon sens, appelle précisément la quiétude et la chaleur d'un cocon établi. D'autant qu'à partir de ces ingrédients, Romain Sardou brode avec une certaine finesse amusée une explication à tous ces petits détails qui font la magie de Noël. Ainsi, les cloches qui annoncent le traîneau du Père-Noël, la bûche, le papier cadeau, le sapin décoré et illuminé, jusqu'à l'apparence et au costume du Père-Noël, rien n'est laissé au hasard !
En refermant ce joli conte, vous ne verrez plus Noël comme avant, pour le plaisir des petits comme des grands, et vous aurez surtout une furieuse envie de lever les yeux au ciel pour croiser les lumières du traîneau magique !
NB : Sophie nous propose de fêter Noël sur les blogs aujourd'hui, de quelque manière que ce soit. N'hésitez pas à participer !
08:00 Publié dans Contes, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (6)