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21/11/2014

Le Mystère Sherlock de J.M. Erre

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Le Mystère Sherlock de J.M. Erre, Pocket, 2013, 261p.

 

Jeremy Reichenbach holmes040.jpgJe commentais dernièrement chez Shelbylee que je souhaitais moi aussi découvrir J.M. Erre un de ces quatre. A force de lire à droite et à gauche des billets drôlement élogieux, j'ai fini par avoir l'eau à la bouche. Du coup, chose promise, chose due. J'ai investi dans Le mystère Sherlock et je rejoins ce qu'en disait ma consœur blogueuse : ce bouquin devrait être remboursé par la sécu !

Plantons le décor : Meirigen, au printemps. Ou, comme le dit joliment l'incipit : "En ce joli mois de mai, la neige était tombée dru, juste pour énerver le réchauffement climatique." Un groupe d'universitaires holmésiens, tous plus caricaturaux et savoureux les uns que les autres, se retrouvent près des chutes de Reichenbah pour un colloque consacré au maître. Le but est de convaincre l’indéboulonnable Bobo et de gagner la première chaire d'holmésologie. Tout le monde y va de ses politesses toutes relatives et de ses effets d'annonce. Bref, le colloque promet d'être de toute beauté. C'est évidemment sans compter une tempête de neige fulgurante qui coupe chauffage et électricité à tout le monde - et coupe en fait tout bonnement l'hôtel du reste du monde. C'est également sans compter une série de morts de plus en plus flippantes. Visiblement, il ne fait pas bon être holmésien ce week-end là à Meirigen. Ça commence sacrément à être synonyme de mort imminente... 
Mais un bon roman policier n'est rien sans le fin limier qui résout le mystère. C'est au commissaire Lestrade que revient ce rôle, affublé de quelques pompiers finis à la bière. Et c'est aussi à nous, lecteurs. Car, au côté de Lestrade, nous découvrons les différents écrits de nos universitaires pour comprendre qui est le coupable et quel est le mobile. Saurons-nous démêler le vrai du faux ?

Cela a déjà été dit un nombre incalculable de fois, mais je vais le souligner à nouveau : ce roman est une tranche de poilade de bout en bout. Si vous avez envie de lire sans savoir quoi - parce que "tu comprends, en ce moment avec le boulot, j'ai une tête comme ça" - prenez celui-ci. Il est forcément la lecture parfaite. Chaque page m'a fait pouffer de rire comme une gaminette. Même si ce n'est pas toujours la finesse incarnée, c'est toujours dans le mille. Cela dit, j'avoue que ce genre de comique de langage et de situation, à mi-chemin entre le trait d'esprit et la lourdeur intersidérale, est tout à fait celui qui m'amuse. J'imagine sans peine qu'il en laissera peut-être d'autres de marbre.

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En outre, sous la couche supérieure de l'humour se tricote une belle petite réflexion sur les enjeux de la fiction policière, le travail de l'écrivain et le rôle du lecteur. J.M. Erre le souligne au fil de la narration : l'auteur de roman policier est bien plus du côté de l'assassin que du côté du lecteur. Plutôt que de nous aider à comprendre, il nous balade allègrement. Il faut donc garder les yeux ouverts et convoquer toute la sagacité de Sherlock Holmes pour parvenir à éclaircir un mystère plus chafouin qu'on ne le pense. On referme le livre en se disant qu'il ne faut indéniablement pas s'arrêter à l'humour du roman, même si celui-ci le rend particulièrement savoureux. Le mystère Sherlock est un vrai policier qui met à l'épreuve nos compétences de lecteurs aguerris.

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PS : Je profite de cette chronique pour vous engluer de quelques photos du plus extraordinaire Sherlock Holmes devant l'éternel selon moi : l'incomparable, le merveilleux, le génialissime Jeremy Brett. Comment ? Tu ne connais pas le Sherlock Holmes interprété par Jeremy Brett ?! Répare ça tout de suite, vile impie ! Raaaah la culture, ma bonne dame ! Tout se perd !

PS² : Oui, ok, il y a aussi Benedict Cumberbatch. Mais ça n'a rien à voir. L'un ne saurait éclipser l'autre, ils se complètent. Le premier qui me parle de Robert Downey Junior par contre hein... 

 

 

 

 

challenge melangedesgenres1.jpgChallenge Mélange des genres chez Miss Léo

Catégorie roman policier (rigolo)

 

08/11/2014

Madame Bovary de Gustave Flaubert

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Madame Bovary de Gustave Flaubert, Le livre de poche, 1972 [1857], 564p.

 

Madame Bovary noir et blanc.jpgMadame Bovary : personnage extatique, pénétrant, ambivalent qui jamais ne laisse indifférent et que, bien souvent, nous avons détesté dans nos jeunes années. J'ai le souvenir d'une première lecture de Madame Bovary à l'âge de 16 ans. Il s'agissait là de mes premières plongées dans la "vraie" littérature, l'époque où je tâchais de me frotter à la plume des grands maîtres. Évidemment, ça n'a pas loupé : j'ai cru mourir d'ennui. Le roman a trainé près de trois longs mois sur ma table de chevet, avancé de quelques pages à peine tous les mille ans. Ce fut laborieux. J'ai bien retenté Flaubert en première année de Lettres ensuite avec L'éducation sentimentale mais encore une fois, ce fut un échec cuisant (tellement d'ailleurs, que ce coup-ci, je n'ai pas terminé le roman). Bref, comme avec Balzac il y a encore peu, il ne fallait pas s'attendre à ce que je parle de Flaubert en termes amoureux... Et puis, toujours dans cette optique qu'il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis (après tout, j'en viens à être au taquet avec Balzac, alors, qui sait ?!), et parce qu'un excellent collègue qui enseigne en terminale a su m'en donner envie, j'ai rouvert Madame Bovary.

Et là, c'est le choc : Flaubert n'est ni difficile ni ennuyeux à lire ! Point du tout ! Je ne me lasserai décidément jamais de faire l'apologie de la relecture tant les difficultés et les appréciations d'un temps ne sont pas celles d'un autre. Flaubert est incisif, concis, précisément ironique et d'une grande limpidité. Sa plume fait mouche. Fort d'une volonté de déjouer les envolées lyriques et l'inspiration frelatée des romantiques, son écriture ne s'emberlificote nulle part et je me suis demandée où j'avais pu voir quelques douloureuses longueurs là où j'ai redécouvert un style qui va droit au but et qui fait fi des éléments superflus. En comparaison, Zola digresse et s'exalte beaucoup plus (ce que, par ailleurs, j'apprécie énormément aussi). Alors bien sûr, cette impression peut venir du sujet : de fait, raconter les désillusions et l'ennui mortel d'une jeune bourgeoise de province ne saurait s'exprimer par la successions de rebondissements majeurs. Mais il n'en faut point tenir rigueur à l'écriture qui se lit comme un délice.

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Revenons donc au dit-sujet. Je me rappelle avoir trouvé Emma Bovary ridicule et niaise à l'époque. Cette protagoniste n'est pas tellement de celles à qui l'on peut s'attacher. De même que tous les autres personnages, elle se laisse observer mais jamais vraiment saisir. Le roman de Flaubert est le miroir cinglant de ce que l'on ne veut pas être, voire de ce que l'on abhorre particulièrement. Madame rêve, certes, et cet acharnement progressif à se fourvoyer dans les méandres de ses fantasmes apparaissent agaçants et pitoyables. Mais dire cela n'est pas tout dire. Madame Bovary est aussi le reflet de la condition féminine de l'époque. Quelle femme peut dire qu'elle n'aurait pas été une parfaite Emma Bovary a une époque où il fallait subir un mariage jusqu'à la mort et se contenter d'un pis-aller de vie en guise de quotidien ? Après mûre réflexion et un peu plus d'années au compteur, j'ai éprouvé une certaine empathie pour cette femme qui, au XXIème siècle, se serait peut-être contentée de divorcer.

Il me semble que, plus que ridicule et niaise, Emma Bovary est surtout la version bourgeoise des héroïnes tragiques. Cette fameuse fatalité dont Flaubert s'amuse tout au long du roman, que Rodolphe invoque avec ironie pour rompre avec cette maîtresse devenue encombrante, c'est la médiocrité de sa classe sociale. Qu'elle le veuille ou non, Emma Bovary est elle-même médiocre. A vouloir se départir de la bassesse que lui renvoie Charles, elle y plonge tout à fait. Ses aspirations sont médiocres, ses amants le sont aussi et sa manière d'être avec eux, encore plus. C'est ce qui rend Emma irritante au lecteur (et à la lectrice encore plus ?) : elle nous gifle une médiocrité que peut-être nous ne voulons pas accepter. Elle nous oblige à en prendre conscience.
De ce fait, Emma Bovary m'est apparue ambivalente et complexe. Elle se bat contre une médiocrité qui l'habite elle-même - elle me semble être une sorte de Don Quichotte de la médiocrité ; elle se bat contre une condition - à la fois féminine et bourgeoise - dont elle ne peut se départir ; enfin, elle tente de transformer en réalité un romantisme écorné qui ne peut l'être - est-ce en ce sens que Flaubert a avoué qu'il était Madame Bovary ? La question reste ouverte puisque je rédige ce billet uniquement armée de ma petite lecture et n'ayant rien lu de critique sur le sujet (lorsque ce sera le cas, il y a fort à parier que je me repentirai de la médiocrité de mon analyse critique)

Madama-Bovary.jpgEnfin, il y aurait encore beaucoup à dire sur ce roman d'une richesse sans fin, notamment concernant les autres personnages : Charles Bovary, l'anti-héros parfait - ah, que j'aime l'incipit et l'excipit, tout deux sans aucune pitié pour ce petit médecin de campagne. Dire qu'on l'ouvrit et qu'on ne trouva rien n'est-ce pas le parfait exemple du style qui tue ? M. Homais aussi, M. Lheureux, Rodolphe... Que de personnages typiques, aussi acides que bien croqués. 

Mais il faut bien savoir arrêter une chronique avant que celle-ci ne devienne la veine tentative d'un roman fleuve. Vous savez où trouver Madame Bovary (une librairie qui n'a pas Madame Bovary dans ses rayons ne saurait être une librairie digne de ce nom). Vous savez, donc, ce qu'il vous reste à faire ;)

 

 

 

challenge-des-100-livres-chez-bianca.jpgchallenge-un-pave-par-mois.jpgEncore un doublé chez Bianca avec une 17eme participation au Challenge des 100 livres à avoir lus et ma participation de novembre au Challenge un pavé par mois.

 

 

 

Challenge XIX.jpgEt une 9eme participation au Challenge XIXeme siècle chez Fanny

27/09/2014

Oscar et la dame rose d'Eric-Emmanuel Schmitt

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Oscar et la dame rose d'Eric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel, 2002, 100p.

 

coup de coeur.jpgOscar a dix ans et il va mourir : Son cancer, qui lui vaut d'être surnommé Crâne d’œuf a l'hôpital des enfants, ne semble pas vouloir s'en aller malgré les opérations. Oscar sait qu'il va mourir et il déteste qu'on le lui cache ou comme s'il était quelqu'un d'autre. Il ne comprend pas que ses parents ou les médecins marchent sur des œufs avec lui. La seule personne a qui il peut s'ouvrir sans entrave et qui lui répond avec une décapante sincérité, c'est Mamie-Rose. Elle est une des dames roses de l'hôpital, chargée d'apporter un peu de gaité aux enfants. Elle fait mieux que ça avec Oscar : elle lui apporte de la compréhension, de la franchise, beaucoup d'humour (après tout, Mamie-Rose est une ancienne catcheuse qui n'a pas la langue dans sa poche) et surtout, de bonnes leçons de vie. Mamie-Rose, c'est tout simplement Socrate ou Sénèque entre le ring de catch et la quiétude d'une église. Car il importe deux choses à Oscar : comprendre que vie et mort ne font qu'un ; tout est renouveau, et que la peur s'envole avec la confiance et la joie ; tant que le présent est vécu intensément. C'est cela qu'il va comprendre grâce à Mamie-Rose et ce subterfuge qu'elle lui suggère d'écrire à Dieu et de vivre dix années en un jour. Au fil des lettres, Oscar s'ouvre et finalement, la mort ressemble à un commencement.

Je ne vais y aller par quatre chemins : mea culpa. Pendant pas mal d'années, E.E.Schmitt était, dans mon esprit, un écrivain dont on faisait beaucoup de foin pour pas grand chose - comprendre par là : je m'amusais à le mépriser cordialement sans en avoir jamais lu une ligne. Et ben voilà, j'ouvre un livre de lui et c'est le coup de cœur. Ça m'apprendra à péter plus haut que ma paire de miches. Pour la peine, je me fouetterai pendant dix jours avec des feuilles de blettes.

Oscar et la dame rose est un magnifique petit traité philosophique et métaphysique à l'usage des jeunes ados. Sous forme d'un dialogue imaginaire par lettres interposées, il s'agit de cheminer vers l'acceptation de la mort et vers une nouvelle vision de celle-ci. S'inspirant de ce que les philosophies antiques (et moins antiques) et les spiritualités de tous horizons ont conceptualisé et véhiculé à travers les âges, l'auteur nous invite à réfléchir sur la noirceur dont nous drapons un phénomène non seulement naturel mais qui donne tout son sens à notre existence. Et si nous envisagions la mort, non plus sous le masque d'un inconnu terrifiant mais sous le jour d'une nouvelle étape ? Ainsi, Oscar se sent-il plus en paix et souffre moins. Il profite de chaque instant qu'il lui reste et chaque jour devient une vie entière, pleine des rebondissements d'une aventure initiatique.
Il nous invite également à réfléchir sur le sens profond et, étymologique en quelque sorte, de la foi. Au fond, ce Dieu auquel écrit Oscar est avant tout l'incarnation presque métaphorique de la confiance et de la force qui doit nous habiter à chaque instant. Vivre sans confiance, est-ce vraiment vivre ?

Bien sûr, le lecteur adulte pourrait préférer se pencher directement sur la philosophie ou les écrits spirituels pour réfléchir sur ces questions (Tout est dans le questionnement sans fin, c'est Mamie-Rose qui le dit) mais franchement, il faut reconnaître le tour de force d'E.E.Schmitt de livrer sur un plateau aussi drôle, enlevé et brillamment mené des sujets aussi épineux et complexes pour de jeunes lecteurs.