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26/10/2015

La boîte en os d'Antoinette Peské

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La boîte en os d'Antoinette Peské, Phébus, Libretto, 2001[1984], 204p.

 

C'est une histoire d'amour et de folie, de songes, de mort, d'aspirations et d'absolu qui se balade de narrateur en narrateur au gré des époques, s'effeuille et se caresse - et si vous avez un feu de cheminée et quelques bougies, c'est encore mieux. Le premier narrateur est un jeune enseignant français de passage à Londres en 1893. Une paire de chaussures excentriques lui rappellent un ami ; et soudain, cet ami apparaît ; jadis étrange, puis fou, puis à nouveau sain d'esprit, l'ami s'emploie alors à narrer sa lente descente dans les abîmes de la passion démente. Au moment où se clôt la boucle de ce triste récit embrassé avec les ombres vacillantes du fantastique, nous ne sommes qu'à la moitié du livre. C'est que l'amour et la folie, les songes, la mort et l'absolu ne connaissent pas les bornes du temps et des boucles ; et lorsqu'on croît que point la fin, c'est en fait l'éternel recommencement qui s'amorce.

La boîte en os est indéniablement de ces récits dans lesquels on chemine sans trop savoir où l'on va et dont on se demande s'ils ont une fin ou non. Il est aussi de ces récits qui se frottent au fantastique sans jamais être aussi complètement dedans qu'on pourrait s'y attendre. Tout est fait de mystères et d'étrangeté irrésolue, et l'on ne sait pas, au fond, quoi en penser. Ce n'est pas un mal ; je crois même que c'est fait exprès. C'est ce qui a fasciné Cocteau qui eut l'heur de redécouvrir La Boîte en os en 1941 après une première parution passée inaperçue en 1931 : ce livre "ne ressemble à aucun autre" et il semble ne tenir qu'au souffle vertigineux d'une plume intranquille et pleine d'inspiration alambiquée. Le fait est, mine de rien, qu'il habite son lecteur un bon moment, par bribes et effluves subtiles. On y repense au détour d'une journée - particulièrement lorsque la nuit tombe. On brûle d'en discuter avec d'autres lecteurs pour connaître telle ou telle impression. 

Si je doute que l'on puisse avoir un coup de cœur pour un livre aussi étrange - parce que rien n’agrippe suffisamment pour agripper comme sait le faire un coup de cœur -, c'est surtout un livre rare, au pouvoir de fascination certain. Et je me demande si ce n'est pas encore mieux, finalement.

 

Ces monts, dont les sommets presque toujours perdus dans la brume font croire qu'ils touchent le ciel, ces lacs de plomb fondu dont les eaux sont si profondes qu'elles semblent être les ouvertures de l'enfer, font subir tour à tour aux passions humaines des envolées et des descentes incroyables. L'Écosse du Nord est je crois, par excellence, le lieu de rêve, de la contemplation intérieure et de l'amour. Est-ce pour cette raison qu'elle est aussi le lieu du diable ? P. 21

 

15/10/2015

La vérité sur l'affaire Harry Québert de Joël Dicker

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La vérité sur l'affaire Harry Québert de Joël Dicker, De Fallois Poche, 2014, 859p.

 

Marcus Goldman vient de publier un premier roman encensé, gros succès des librairies. Il en profite à fond, se paye des petits fours, un bureau avec secrétaire et, à l'occasion, une starlette de télévision. A force de ce climat sans littérature, Marcus Goldman s'aperçoit qu'il n'arrive plus à écrire. C'est d'abord la déconvenue puis l'angoisse la plus totale, en plein milieu éditorial américain où les Lettres se doivent d'être rentables. Marcus appelle alors à la rescousse son mentor et ami Harry Québert, célèbre auteur des Origines du mal, sans trop de succès immédiat. Pourtant, quelques semaines après leurs retrouvailles, une nouvelle totalement folle tombe du ciel : un cadavre est retrouvé dans le jardin d'Harry Québert ; celui de son seul amour vieux de trente ans, Nola Kellergan. Et paf ! Marcus Goldman retourne alors à Aurora, non plus pour tenter d'écrire mais pour tenter de faire toute la lumière sur cette affaire et disculper son ami. Cela dit, l'écriture d'un second livre pourrait bien se profiler entre ses découvertes...

Alors oui, éclaircissons immédiatement un point de mésentente entre lecteurs au sujet de ce roman : les académiciens ont très clairement fumé la moquette (et de la bonne) à la veille de décerner leur Grand Prix à ce titre. Avec toute l'objectivité dont on se doit de faire preuve à la lecture de n'importe quel bouquin, il faut s'accorder à dire que celui-ci est écrit avec les pieds. Je serais même tentée de dire avec le gauche seulement et les yeux bandés. Nous avons ainsi fait toute la lumière sur la qualité du style, la profondeur des dialogues et la subtilité de l'histoire d'amour entre Harry et Nola.

Cela dit, faisons aussi la part des choses : ce roman avançait-il une quelconque prétention à ces niveaux-là ? Honnêtement, je ne crois pas. On lui reproche ces lacunes au regard du prix qu'il a reçu par la suite - et tant mieux pour lui - mais lui n'avait rien demandé, que je sache. Il faut bien plutôt se concentrer sur ce qu'il propose effectivement : un roman policier. Et de ce point de vue là, bien hypocrite serait celui qui trouverait à redire sur l'excellente habileté de Joël Dicker à emballer le lecteur comme un pot de miel le fait avec les mouches, à nous enjoindre fermement de lire, lire et lire encore parce qu'on est tout simplement hypnotisé par l'histoire rocambolesque qui se déroule sous nos yeux. Tout commence, comme bien des polars, par une évidence tout à fait erronée, que le protagoniste, aidé du sergent Gahalowood (que j'ai personnellement adoré), va s'échiner à effeuiller. La vérité, comme chaque lecteur de polar sait, est toujours la microscopique petite aiguille cachée dans une meule de foin. Et bien, La vérité sur l'affaire Harry Québert est une fantastique meule de foin à tiroirs (comme j'vous l'dis - ça peut aussi servir de buffet) et toutes les pièces que l'on y découvre sont savoureuses. Je ne vous parle même pas de la fin, qui rebondit avec maestria.

Certes pas ce qu'on attend d'un Grand Prix de l'Académie française mais indéniablement ce que l'on attend d'un très bon roman policier. Je l'ai pris comme tel ; j'ai donc été servie ! Merci à Joël Dicker pour la bonne tranche de lecture addictive !

Lu en lecture commune avec ma copine Ellettres, avec qui j'ai adoré échanger sur le sujet. Allons voir son billet !

 

challenge-un-pave-par-mois.jpgChallenge Un pavé par mois chez Bianca

Participation d'octobre !

09/10/2015

L'Oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar

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L'Oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar, Folio, 1988 [1968], 469p.

 

Tout est une question d'alchimie. Les transformations profondes progressent toujours lentement et dans le secret de quelques chambrettes sombres, pour apparaître un beau jour à la face du monde, aussi claires et sonores que l'or après le plomb. C'est un cheminement, le processus d'une vie, d'une œuvre, d'un siècle.  C'est précisément ce processus-là qui a pris place durant la Renaissance et que Marguerite (parce que j'ai décidé de la tutoyer) nous découvre passionnant dans L'Oeuvre au noir. Par convenance et praticité, un personnage tient lieu de héros : Zénon, un brin rebelle pour son temps et surtout très en avance dans ses ambitions et ses libertés. Il faut dire que Zénon est un bâtard ; sans doute cette condition bancale pour l'époque appelle-t-elle l'errance joyeuse, sans l'attache d'un nom ou d'une profession familiale. Malgré l'ambition des ordres nourrie par ceux qui l'ont élevé, Zénon s'enfuit jeune sur les routes du monde et se pique de médecine et d'alchimie. Zénon est de ses esprits curieux qui dérangent parce qu'ils cherchent et chatouillent là où ça fait mal. Ainsi, il vaque longtemps, se pose peu. Mais à force de pamphlets divers et variés qui lui mettent quelques mandats aux trousses, il revient dans sa ville belge natale et observe le temps filer comme le vent sous l'auguste pseudonyme de Sébastien Théus.

"Naguère encore, en retrouvant son chemin dans le lacis des venelles de Bruges, il avait cru que cette halte à l'écart des grandes routes de l'ambition et du savoir lui procurerait quelque repos après les agitations de trente-cinq ans. Il comptait éprouver l'inquiète sécurité d'un animal rassuré par l'étroitesse et l'obscurité du gîte où il a choisi de vivre.
Il s'était trompé.
Cette existence immobile bouillonnait sur place ; le sentiment d'une activité presque terrible grondait comme une rivière souterraine...
Le temps qu'il avait imaginé devoir peser entre ses mains comme un lingot de plomb, fuyait et se subdivisait comme les grains du mercure. Les heures, les jours et les mois, avaient cessé de s'accorder aux signes des horloges, et même au mouvement des astres...
Les lieux aussi bougeaient : les distances s'abolissaient comme les jours. "

Mais en marge de Zénon, ne vous y trompez pas : c'est tout le siècle qui mute, toute l'ère moderne qui s'enclenche malgré quelques protestations (parce que, de tous temps, ça a toujours été mieux avant), et tout le talent de Marguerite Yourcenar qui se crée.

Je ne saurais trop vous conseiller de ne pas lire cette auteure à n'importe quel moment. Tout comme Woolf - dont elle a traduit Les vagues, il doit donc y avoir quelque chose entre ces deux auteures - Yourcenar est aussi fascinante et éblouissante que délicate et complexe. L'Oeuvre au noir ne vend certainement pas au lecteur une aventure sensationnelle. Il ne se range aucunement dans la rubrique des romans historiques, même d'excellente facture. Un peu comme dans Les mémoires d'Hadrien, il est question d'Histoire, certes, mais sous son jour le plus philosophique et réflexif. A tel point, très honnêtement, que la deuxième partie peut être parfois pénible à suivre. Autant la première intitulée La vie errante se lit avec un plaisir non dissimulé tant l'érudition s'allie pleine de saveur aux péripéties familiales et voyageuses de différents personnages autour de Zénon. Autant, la suivante, La vie immobile, donne lieu à de nombreuses discussions et considérations intérieures de Zénon dont le lecteur saisit bien toute la portée passionnante mais qui peuvent paraître interminables - et franchement, elles m'ont parfois paru interminables. Je crois que c'est dans ces instants-là que je me rappelle que la philosophie, en tant que matière universitaire où il convient de se gratter la barbichette pendant des heures, ne m'intéresse que peu. La philosophie souffre de trop peu de concision à mon goût et Zénon, par moments, en souffre aussi. Cela dit, et ceci n'engageant que mon absence de passion pour la branlette neuronale trop poussée, il est impossible de ne pas être transporté par le talent extraordinaire de Yourcenar d'allier avec une telle maestria un style fascinant et un fond aussi complexe et érudit.

Chapeau bas, madame Yourcenar ! Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle fait partie de ces grandes dames de lettres dont on peut abondamment, et sans jamais en faire trop, saluer le talent.