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18/08/2017

Le dieu des petits riens d'Arundhati Roy

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Je ne suis pas une grande lectrice de littérature indienne. D'ailleurs, constatant que la catégorie existait déjà sur le blog au moment d'entamer cette chronique, je suis allée vérifier ce que j'avais bien pu déjà lire et chroniquer ici. Verdict : rien. Je n'ai créé cette catégorie que le jour où j'ai reçu le swap d'Ellettres puisque le roman que voilà s'y trouvait ! Ça veut tout dire. Tiens toi le pour dit donc, cher lecteur : eu égard à la littérature indienne, je sais que je ne sais rien.

Et le plus dur, très franchement, ça va être de commencer à parler de ce livre. Une fois que je serai lancée, ça va le faire. Mais il faut que je prenne le départ. Qu'émerge le commencement de tout. 

Est-ce si simple ?

C'est une chose d'envoyer le truisme il y a un début à tout, un autre de débusquer le dit-début, timide et furtif tel qu'il est parfois. C'est là toute la problématique de ce livre : remonter les méandres du temps et des origines d'êtres tortueux et torturés pour déterrer la fêlure ontologique qui les lie tous dans la douleur. Le décor de cette quête impossible, par essence non linéaire, éclatée, fascinante à bien des égards est la ville d'Ayemenem dont la moiteur n'a d'égale que l'exotisme à mes yeux d'européenne. Tout se joue du côté des sens : vue, odorat, goût, toucher, ouïe se pénètrent tour à tour et font pénétrer le lecteur dans un univers terriblement étrange et étranger. 

Ayemenem en mai est chaud et maussade. Les journées y sont longues et humides. Le fleuve s'étrécit, les corneilles se gorgent de mangues lustrées dans l'immobilité des arbres vert olive. Les bananes rouges mûrissent. Les laques éclatent. Les grosses mouches bleues sont ivres et bourdonnent sans but dans l'air lourd et fruité. Pour finir par aller s'assommer contre les vitres transparentes et mourir, pansues et effacées, dans le soleil. 

Les nuits sont claires mais baignées de paresse et d'attente chagrine. (incipit)

A l'âge adulte, Rahel, émigrée depuis longtemps, rentre au pays retrouver son jumeau Estha qu'elle n'a plus vu depuis ses huit ans. Jadis inséparables, avec un langage bien à eux comme symbole de leur bulle gémellaire, ils ont été séparés subitement après un drame terrible. Tous deux en portent aujourd'hui les séquelles : Rahel mène une vie maritale chaotique ; Estha ne parle plus. Tout s'est joué des années auparavant et les retrouvailles sont l'occasion pour Rahel de déterrer ce lourd fardeau - peut-être dans l'espoir de s'en délester ? En tous cas, de s'en ressaisir, de reprendre possession d'elle-même et de sa relation avec Estha en reprenant possession de leur histoire. La clé de l'avenir en somme, se dénichera dans le gouffre du passé. 

A mesure que l'on avance sur ce chemin qui n'a donc rien de linéaire - et il faut parfois s'accrocher pour ne pas perdre le fil ou, au contraire, arrêter quelques temps la lecture pour ne pas s'essouffler comme ce fut mon cas -, on tombe sur des perles d'une noirceur assez décapante. D'autant plus d'ailleurs qu'Arundhati Roy ne joue pas la carte du mélodrame familial convenu qui pince la corde sensible sans autre forme de procès. Tout le poids de cette histoire tragique - puisqu'on voit se dérouler sous nos yeux impuissants une histoire dont on connait dès le départ l'issue fatale - se situe dans le contrepoint loufoque du style et des images : si Estha se vit quelques secondes en sorcière de MacBeth, c'est coiffé d'une banane à la Elvis ! Et ce seul exemple illustre exactement l'essence burlesque de ce roman qui fait sourire et pleurer à la fois. 

Tandis que tournait la confiture chaude d'un rouge magenta, Estha se transforma d'abord en Derviche Tourneur à la banane écrasée et aux dents irrégulières, puis en sorcière de MacBeth. 
Feu, brûle ; banane, fais des bulles. p. 263

Le dieu des petits riens, pour une de mes premières rencontres indiennes (je n'ose pas dire la toute première : j'ai forcément dû lire un autre roman indien un jour quand même.... non ?), est extrêmement foisonnant, tourbillonnant même, et a fortement suscité ma curiosité. Il n'est pas parvenu à m'hypnotiser totalement mais il m'a indéniablement intriguée. J'ai voyagé en Inde grâce à lui, et dans la profondeur des êtres ; en cela, ce fut sacrément riche. 

Merci, Ellettres, pour ce très beau voyage ! 

L'espace d'un éclair, Velutha vit des choses qu'il n'avait jamais soupçonnées. Des choses jusqu'ici hors de portée, que les œillères de l'histoire avaient laissées dans l'ombre. 
Des choses d'une simplicité extrême. p. 239

 

09/06/2017

Velvet de Mary Hooper

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Velvet de Mary Hooper, Les Grandes Personnes, 2012, 325p. 

 

En l'espace de deux lectures il y a trois ans, La messagère de l'au-delà puis Waterloo Necropolis pour ne pas les citer, je suis devenue une aficionada de Mary Hooper. Elle a le chic pour plonger les jeunes lecteurs dans des univers historiques passionnants et d'en proposer une vision sans idéal, sans le fard du fantasme. Car l'auteure ne ménage pas ses personnages, en effet ! Dans La messagère de l'au-delà, il était question d'infanticide et de peine de mort dans l'Angleterre de Cromwell ; dans Waterloo Necropolis, de la misère et de l'exploitation des enfants dans l'Angleterre victorienne. Bref, on a connu plus amusant. Pourtant, elle parvient toujours avec brio à contourner toutes les réticences que de tels sujets pourraient susciter pour livrer un roman aussi attachant qu'intéressant. 

C'est donc sans la moindre hésitation que j'ai entamé l'un des deux romans de cette auteure nouvellement arrivés dans ma PAL. Et avant même d'en dévoiler le contenu, il me faut souligner le travail toujours subtil et évocateur de Pierre Mornet qui semble être l'illustrateur attitré des couvertures de Mary Hooper aux éditions Les Grandes Personnes. Ce dessin-là ne prête-t-il pas au rêve, au mystère, à mille interrogations ? On se prend à frissonner, mais d'un frisson très doux, qu'on aimerait faire durer longtemps... 

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Mais il est temps de commencer notre livre ! Velvet, dont on découvrira progressivement une autre identité, est notre personnage principal. L'adolescente vit seule dans le Londres pauvre de 1900 et se débat dans l'atmosphère humide et étouffante d'une blanchisserie. Toutes ces vapeurs brûlantes lui provoquent de nombreux évanouissements et son emploi s'en trouve menacé : nombreuses sont les jeunes fille qui font la queue devant la boutique pour travailler un peu et gagner de quoi manger. Une employée qui ne suivrait pas le rythme effréné imposé par la direction se verrait donc renvoyer sans autre forme de procès et remplacée aussitôt. Velvet veut absolument éviter une telle situation. Elle tient plus que tout à ce travail, bien que difficile. Le perdre signifierait la misère, la rue et... vous connaissez le peu d'opportunités qui restent ensuite... Heureusement, Mrs Sloane, la responsable, nourrit une certaine affection pour Velvet. Elle lui trouve alors une place dans l'unité d'élite de la blanchisserie : celle où l'on s'occupe exclusivement des clients les plus fortunés. Il n'est plus question de laver les draps des hôpitaux mais les robes coûteuses des dames du monde. Velvet ne pouvait rêver mieux !

En apprenant les ficelles de ce nouveau poste, elle pioche la boîte à linge d'une certaine Madame Savoya. Ses vêtements chatoyants et originaux la séduisent, même s'ils sont difficiles à entretenir ! Lors d'une invitation que celle-ci lui fait pour fêter la nouvelle année, elle découvre que Madame Savoya est une célèbre médium ! Ce tout début du vingtième siècle voyait en effet fleurir nombre de médiums ; le commerce avec les âmes des défunts passionnait particulièrement la société de l'époque. On croise ainsi Arthur Conan Doyle dans ces réunions ! Velvet est évidemment fascinée, à la fois par Madame Savoya elle-même, pleine de prestance et de générosité, et par son travail ou, plus précisément, son don. C'est encore à la suite d'un événement qui aurait dû coûter sa place à Velvet que celle-ci gagne à nouveau la chance de sa vie : Madame Savoya lui propose de travailler pour elle et de devenir sa dame de compagnie/femme de chambre. Pour Velvet, c'est enfin l'aube d'une nouvelle ère, ainsi qu'il en va pour l'Angleterre qui, après le décès de la Reine Victoria, voit arriver une période plus fringante et réjouie sous la bannière d'Edouard VII. 

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Et hop, une séance de spiritisme à l'ancienne !

Je dois vous avouer tout de go que je suis beaucoup moins enthousiaste avec cet opus que je l'ai été avec les deux précédents. Le début attaquait pourtant très bien, plongeant le lecteur dans une réalité à nouveau très crue et très dure du Londres pauvre de Victoria (puisqu'elle est alors encore de ce monde). La solitude extrême, la nécessité d'accepter n'importe quel travail assommant et délétère pour manger un quignon de pain, et, bien sûr, la pureté et la force d'âme d'une héroïne jeune et livrée à elle-même. Tous les ingrédients sont au rendez-vous. Malheureusement, cela m'a semblé tourner un peu au vinaigre dès lors que Velvet atterrit chez Madame Savoya. Est-ce le changement d'atmosphère et/ou le fait que la crédulité à l'égard des médiums était grande à cette époque ? Toujours est-il que Velvet se montre incroyablement naïve - honnêtement, ça frise la stupidité à ce stade-là - uniquement occupée à s'émerveiller de son changement de condition et de la générosité sans faille de Madame Savoya. Même en m'efforçant de me départir de mes exigeances d'adulte, il me semble que l'intrigue de ce roman est beaucoup plus faible et cousue de fil blanc que les précédentes. On comprend immédiatement où veut en venir l'auteure ; et dès lors les nombreuses pages traînent en longueur. Le projet d'exposer les trucs et astuces des charlatans pour faire croire à un contact ou une apparition d'un défunt était évidemment passionnant mais je ne suis pas conquise par l'option choisie par Mary Hooper pour le faire. Il faudra donc aller bien loin à notre héroïne, prétexte du coup à découvrir une autre sordide réalité de la société de l'époque, ô combien glaçante, pour prendre enfin conscience du mensonge de sa maîtresse et tenter de rétablir la vérité. 

J'ai lu cependant plusieurs chroniques moins déçues que la mienne. Peut-être qu'à force de lire Mary Hooper, je deviens aussi plus exigeante et que mon regard, habituée à ses qualités, se tournent plus vers ses faiblesses ? Je saurais dire jusqu'où va ma subjectivité dans le présent avis mais, ce qui est sûr, c'est que Velvet n'est pas le meilleure que j'ai lu d'elle à ce jour ! 

 

velvet,mary hooper,xixème siècle,spiritisme,fantôme,travail des femmes,histoire,angleterre,reine victoria,roi edouard viii,blanchisserie,amitié,amour,arnaque,escroquerieLe mois anglais chez Lou et Cryssilda

2ème lecture

LC consacrée à la littérature jeunesse

26/05/2017

Le livre de Perle de Timothée de Fombelle

Le livre de perle.jpgPlus de trois mois que nulle chronique de littérature jeunesse n'est apparue sur le blog et pourtant plus de trois mois que j'ai lu ce merveilleux roman : que le temps passe vite ! Il est grand temps de combler cette lacune avant que mes souvenirs petit à petit ne s'amenuisent, comme ceux de Perle, afin de rendre un hommage mérité à ce qui est sans doute une des plus belles fictions jeunesse qu'il m'ait été donné de découvrir jusqu'ici. 

Les histoires naissent ainsi, quand de petits mystères rencontrent des heures sombres.

Perle est le patronyme d'un étrange vieux bonhomme qui vit seul avec ses chiens au milieu des bois. Notre narrateur, un jeune garçon de quatorze ans, tombe sur lui par hasard alors qu'il fugue. Joshua Perle a l'air sympathique mais étrange : il entasse de nombreuses valises au contenu énigmatique qu'il répertorie dans un cahier. Evidemment, il va interdire au narrateur d'y jeter un coup d’œil ; évidemment, ce dernier ne va pas y résister lorsque le vieil homme partira quelques jours en voyage. Finalement, il ne s'agit que d'un bric à brac sans importance. A priori... Mais qui est vraiment ce monsieur Perle ? Progressivement, nous en apprenons un peu plus sur lui, en remontant le temps jusqu'en 1936, date à laquelle il arrive dans la boutique de guimauves du couple Perle. En parallèle de ce flashback et de façon elliptique, nous sommes invités également à plonger dans un autre récit où tout évoque le monde merveilleux, parfois violent, des contes de fées. Rien ne manque à l'appel : roi, reine, princes et princesses ; créatures maléfiques et magiques ; et l'amour à foison, évidemment impossible mais plus fort que tout. 

Les guimauves n’étaient ni juives, ni collaboratrices, ni communistes. Elles étaient du parti du sucre.

Le lecteur, au début, est déboussolé de tant d'histoires parallèles, de tant d'informations, semble-t-il, en désordre. Sur le site de l'éditeur, l'ouvrage est conseillé aux plus de 13 ans du fait de cette construction particulière qui peut désarçonner un œil jeune peu aguerri. Pour vous donner une idée, je l'ai conseillé exclusivement à mes très bons lecteurs de 6e cette année et sur les trois à avoir tenté l'aventure, seuls deux sont arrivés au bout. (Pourtant, celui qui a décroché n'avait eu aucun mal à dévorer tous les tomes d'Harry Potter l'année d'avant...) 
Mais cette exigence d'attention ne limite en rien le pouvoir profond du récit à susciter l'émerveillement, le rêve et la douceur. Toute adulte que je suis, je me suis fondue dans ce récit passionnant et délicieux le temps d'une après-midi, ne perdant que quelques secondes pour me resservir un thé brûlant. A mesure que les pages défilent, les pièces du puzzle se mettent en place et l'on découvre que cet univers des contes, cet univers si loin du nôtre est en fait le nôtre exactement et que notre pouvoir, le plus puissant de tous sans doute, est celui de l'imagination - en d'autres termes, celui de la littérature. Timothée de Fombelle dévoile à travers Perle que les livres sont ce qui relient les êtres entre eux et les êtres à leur passé. C'est le fil rouge entre les âmes et le cœur. De quoi faire aimer encore plus la littérature !

Merci, Timothée de Fombelle, pour ce roman magique, attachant et d'une incroyable sensibilité. Il sera longtemps en haut de la liste des romans que je conseillerai sans mesure à tous mes élèves de collège. 

Nous nous sommes regardés par petites gorgées de temps, baissant parfois les yeux pour respirer.

coup de coeur.jpgLe livre de Perle de Timothée de Fombelle, Gallimard, Pôle Fiction, 2017, 325p.