Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/12/2017

Le Maître du Jugement dernier de Leo Perutz

fantastique,vienne,autriche,huis clos,meurtre,suicide,tableau,art,doute,hallucination,mystère,journal,aventure,leo perutz,zulmaJ'avais tellement apprécié voyager en littérature lors de mon printemps amstellodamois que j'ai décidé de renouveler l'expérience cet automne à Vienne grâce à ma librairie lyonnaise préférée. Sur le conseil de l'un des libraires qui m'a promis une aventure bien mystérieuse, j'ai craqué la veille du départ pour le roman que voilà, totalement inconnu au bataillon mais dont les arguments ne manquaient pas pour me séduire. 

C'est Gottfried von Yosch qui raconte l'histoire ou, plus justement, sa version d'une histoire fantastique survenue au début de l'automne 1909 durant cinq petits jours qui parurent à tous des semaines interminables. Tout avait pourtant commencé de façon fort banale : un temps charmant, une matinée au club d'escrime, un déjeuner entre amis et une après-midi à lire les journaux et découvrir qu'un banquier a fait faillite. En fin de journée, notre baron est invité par le docteur Gorski chez Eugen Bischoff, un comédien de leurs amis, d'humeur inquiète depuis plusieurs mois à cause d'une baisse de popularité (proportionnelle à l'augmentation de son âge) et à la préparation d'une pièce de Shakespeare. Gorski propose d'aller le divertir en donnant un récital improvisé, en trio avec la femme de Bischoff, une ancienne maîtresse de notre narrateur. Cette précision et la promesse de jouer un trio passionné de Brahms sont amplement suffisants pour convaincre von Yosch d'embarquer prestement son violon. 

La soirée tourne au vinaigre lorsque, dans une atmosphère déjà pesante et mélancolique, Bischoff trouve la mort dans son pavillon solitaire. Bien des éléments feraient penser à un suicide si l'assassiné n'avait pas raconté peu de temps auparavant une anecdote macabre qui résonne douloureusement avec son nouveau trépas. Dans une confusion totale, notre narrateur est accusé du meurtre ; lui-même n'est plus sûr de rien. Tout s'enroule autour d'une spirale de doutes qui ne se démentira pas de tout le récit, malgré la tentative des trois protagonistes, von Yosch, Gorski et Solgrub, pour démêler le vrai du faux.

Tout d'un coup, elle était là. L'épouvante faisait trembler tout mon corps, et j'avais des sueurs froides dans le dos. 
Non ! je ne l'ai pas appelé ! Je le vois là, devant moi, qui me regarde fixement et brandit la faucille avec laquelle il coupe l'herbe. C'est le vieux jardinier sourd, oui, mais pendant un instant, il a ressemblé à l'image de la mort dans les vieux livres.

Qui dit début du vingtième siècle (Perutz est un contemporain de Kafka), dit récit fantastique mitonné aux petits oignons. Le doute immédiat, dès cette préface en guise de postface qui en dit suffisamment long pour titiller sans rien affirmer précisément, est mené d'une main de maître. Je crois qu'il ne m'était jamais arrivée jusque-là de lire un roman fantastique qui parvienne à ménager le doute jusqu'au bout (la plupart versent souvent rapidement dans la monstration) et c'est particulièrement savoureux - la difficulté de l'entreprise ajoutant sans doute un brin de piment. 

Derrière la quête du "coupable", si tant est qu'il y en ait un (puisque tout est là, justement !), Leo Perutz nous glisse quelques interrogations sur le fabuleux pouvoir de l'art, tel qu'ont pu le faire auparavant, à leur manière, Balzac ou Wilde. L'art est décidément une riche source d'inspiration fantastique pour les écrivains - à croire qu'il y a effectivement quelque chose de mystérieux, de magique, voire de diabolique dans le génie créatif (lalalaaaaa). 

Vienne, dans cette histoire, n'apparaît que lointainement au gré de quelques noms de rues : nos personnages sont trop obnubilés par le brouillard énigmatique qui les entoure. Si l'on n'est pas dans un huis clos, l'atmosphère confinée des esprits monomaniaques n'en est pas loin. C'était, pour le moins, une manière originale de revoir Vienne (puisqu'à la vérité, je n'ai pas lu ce roman durant mon voyage mais dans l'avion du retour et les deux jours qui ont suivi). Sous les atours impeccables, immaculés et prestigieux de cette ville impériale, j'ai découvert ici une brume plus angoissante et ce fut terriblement agréable de frissonner en me remémorant quelques images de mon périple - et en écoutant, évidemment, le merveilleux trio pour piano de Brahms chéri par nos personnages. 

29/11/2017

Le mystère des pavots blancs de Nancy Springer

enola holmes,nancy springer,enquête,polar,londres,langage,fleurs,disparition,seule,sherlock holmes,frère,intelligence,mystèreDisons-le franchement : j'ai lu ce roman au début de l'été. Ça va donc faire six mois qu'il vivote dans ma pile de livres à chroniquer, attendant gentiment son tour, se faisant voler la vedette par le dernier lu en date et souffrant ni plus ni moins de mon intense procrastination. Il faut dire que c'est compliqué de parler d'une série sans spoiler la moitié des enjeux à ceux qui attendent encore de lire le tome en question ; quant aux autres, ils se beurrent gentiment le nombril avec de l'huile d'olive de l'énième aventure d'une obscure série qui ne les intéresse pas. Du coup, bon... Ce n'était pas la motivation qui m'étouffait. Finalement, c'est ma mémoire défaillante qui a fini par me pousser à en dire quelques mots ici : je m'aperçois que les détails s'effacent doucement mais sûrement, ce qui m’horripile au plus au point. Il est donc temps qu'un billet vienne raviver tout ça en attendant la quatrième aventure de notre héroïne. 

Au début de ce 3eme tome, Enola Holmes se retourne la cervelle pour trouver une nouvelle identité. Son chemin a trop fréquemment croisé celui de son frère et du Dr Watson dans le tome précédent et son avatar d'alors est sans nul doute démasqué depuis belle lurette. Il lui faut dénicher autre chose pour passer incognito, sauf que rien de très probant ne lui vient à l'esprit. Au détour d'une boutique de maquillage et colifichets divers - haut lieu de perdition pour une femme à l'époque -, elle finit par avoir une idée lumineuse : devenir une femme superbe. Pour elle qui ne brille pas par sa beauté naturelle, ce sera le déguisement parfait.

Voilà donc notre Enola Holmes travestie en Violet Everseau. La première mission clandestine de cette femme superbe - comme quoi, rien ne résiste à un peu de fond de teint et de la poudre aux yeux ! - sera de retrouver le Dr Watson, dont elle apprend la mystérieuse disparition dans les journaux. Enola est d'autant plus titillée qu'en creusant un peu - comprendre par là, en pénétrant dans la demeure du Docteur, sous prétexte de consoler sa femme -, elle découvre des bouquets bien étranges... Des bouquets dont la signification lui saute au cerveau et lui fait craindre quelque épineuse affaire... 

Afin de ne pas répéter trop longuement ce que j'ai déjà mentionné lors des chroniques de La double disparition et L'affaire Lady Alistair, je me bornerai à dire que les ingrédients que j'aime dans cette série - la légèreté, le vent frais de la liberté, un brin de désinvolture et d'invraisemblance et, surtout, une réflexion pertinente sur le siècle victorien et la condition des femmes d'alors - sont toujours au rendez-vous. J'ai pris plus de plaisir, en outre, au déroulement de l'enquête d'Enola, que j'ai trouvée plus complexe, plus aboutie - en un mot : plus consistante.  Le langage des fleurs occupe une place prépondérante dans ce mystère et rend l'ensemble délicieusement original. J'ai découvert à  l'occasion bien des subtilités sur le langage de certaines plantes - qui aurait cru, par exemple, que l'asperge signifiait tant de choses et pouvait s'offrir en bouquets ? Fascinant ! Un très bon tome, donc, qui m'a fait placer le quatrième en bonne place dans ma wishlist.

A bientôt pour de nouvelles aventures holmésiennes ! 

25/11/2017

Les héritiers de la mine de Jocelyne Saucier

littérature québécoise,québec en novembren famille,mine,fratrie,décès,mystère,roman choralOn connaît bien Jocelyne Saucier en France depuis Il pleuvait des oiseaux qui a reçu un franc succès sur les blogs. J'avoue l'avoir moyennement apprécié il y a deux ans, le trouvant un peu trop mignonnet à mon goût. Je ne m'en suis pas formalisée pour autant : Topinambulle m'avait offert un autre titre de l'auteure en même temps que le roman sus-mentionné et j'avais bien l'intention de m'y refrotter lors d'une prochaine édition de Québec en Novembre. C'est maintenant chose faite, et avec grand plaisir cette fois ! 

Les héritiers de la mine plonge le lecteur dans une famille totalement déjantée dont la première originalité est le nombre d'enfants qui la constitue : vingt et un ! C'est le plus jeune, surnommé affectueusement (ou pas) LeFion (voilà voilà...), qui prend la parole en premier pour nous faire découvrir à travers ses yeux et son savoir fort lacunaire les épisodes marquants de cette famille hors du commun. 

La famille, c'est un rendez-vous avec ce qu'il y a de plus profondément enfoui en soi. 

Tout commence par LePère, prospecteur minier, lorsqu'il déniche un filon de zinc juteux. Autour de la mine et des tonnes d'emplois que cela génère se crée de toute pièce une ville, Norco, sur laquelle règne désormais en maître la fratrie Cardinal. Et quand je dis en maître, je devrais plutôt dire en pirates. Les Cardinal n'ont rien de ces richissimes familles lisses et bien éduquées. Ils vivent dans quatre bicoques réunies cahin-caha en une ; chacun dort où il peut ; le linge s'amoncelle n'importe comment dans la laverie ; les parents ne gèrent pas grand chose - le père occupé dans son atelier et la mère aux fourneaux - et les enfants s'amusent à mener des expéditions punitives dans la ville. A vrai dire, LePère, s'il a été bon prospecteur, n'a pas été bon financier et s'est copieusement fait arnaquer par une multinationale pour l'exploitation du filon. Par conséquent, les enfants Cardinal en ont après la terre entière : l'entreprise qui s'en met plein les fouilles et les employés - joliment désignés par le sobriquet de culs-terreux - qui vivent de ce qui aurait dû leur revenir, pensent-ils. Lorsque la mine ferme, on est alors dans les années 60, et c'est la débandade. Norco se vide peu à peu et les Cardinal se déchaînent de plus belle sur ceux qui restent. C'est l'âge d'or de cette fratrie débridée, menée par Geronimo, lui-même secondé par Tintin ou le GrandJaune. 

Nous sommes de la race des vainqueurs. De ceux qui ne fléchissent ni ne rompent, de ceux qui ne se laissent pas rogner l'instinct, qui ouvrent grand leurs ailes et courent devant l'épouvante. Nous étions les King à Norco. 

Si LeFion s'échine à faire perdurer cette incroyable mythologie familiale, on comprend rapidement que ces histoires truculentes gravitent autour d'un trou noir qu'on lui tait savamment, et que l'on tait surtout à LaMère : la mort de l'un d'entre eux. Des deux jumelles, Carmelle surnommée LaTommy et Angèle, il ne reste plus que la première. Peu savent ce qui est véritablement arrivé à Angèle et la plupart de ceux-là ne le savent que par bribes. La déflagration a cependant été telle qu'elle a provoqué l'éclatement total de la famille aux quatre coins du globe. Il a fallu attendre l'instant T du récit, la remise d'un prix honorifique au Père, pour que tout le monde se réunisse à nouveau bien des années plus tard. Alors, au détour d'un regard ou d'un geste, la parole se met à circuler de l'un à l'autre pour tenter de comprendre, d'enfin élucider ce mystère insoutenable dont chacun porte la croix. 

J'ai l'impression de courir derrière des ombres fuyantes. Je vais de l'un à l'autre, je cours, je cherche mais les ombres se faufilent, les groupes se disloquent, et je me retrouve seul avec une conversation en suspens, mon âme entre les mains. 

Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette fois-ci, Jocelyne Saucier ne donne pas dans le mignonnet. Les faits sont terribles - la mort de la sœur, certes, mais plus largement les relations complexes voire venimeuses qui peuvent exister entre frères et sœurs - et s'ancre dans une réalité - le destin des mineurs abandonnés comme des vieilles chaussettes par les grandes entreprises lorsque le filon exploité s'épuise - qui ne l'est pas moins. De là à dire que le roman est plombant, ce serait se méprendre totalement. Le récit est cinglant et haut en couleurs ; c'est, somme toute, le roman picaresque d'une fratrie entière. L'entreprise formulée comme telle peut sembler d'une ambition démesurée mais Jocelyne Saucier s'en fort très habilement en collant au plus près de ses personnages : C'est la rencontre croisée de chaque narrateur en qui se mêlent l'adulte qu'il est et l'enfant qu'il a été qui crée cette profusion d'énergie, de sentiments et de souvenirs décapants. 

C'est une brillante réussite, pleine de verve et de profondeur - exactement ce que j'avais reproché à Il pleuvait des oiseaux de ne pas avoir. Ça fait du bien de se rappeler à l'occasion, comme ce fut le cas ici pour moi, que ce sont rarement les plus gros succès commerciaux d'un auteur qui sont ses plus vives réussites littéraires (oui parce qu'à l'occasion, j'aime bien enfoncer des portes ouvertes. C'est cadeau pour le week-end). Merci, ma chère Topi, de m'avoir offert cette belle découverte québécoise ! 

 

littérature québécoise,québec en novembren famille,mine,fratrie,décès,mystère,roman choralHop, deuxième participation pour Québec en novembre chez Karine et Yueyin