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10/06/2019

Le Serpent de l'Essex de Sarah Perry

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Janvier : Cora Seaborne vient tout juste de perdre son mari - et puisque le récit prend place dans l'Angleterre victorienne de la fin du XIXème siècle, un tel événement équivaut autant à un cataclysme qu'à une liberté retrouvée pour la jeune veuve. Mariée tôt, comme toutes les femmes ou presque à cette époque, elle n'a connu rien d'autre que la domination masculine, passant du père au mari comme il seyait alors. Michael Seaborne est l'homme qui [l']a faite, lui offrant l'éducation et la culture, entre autres cette passion pour la paléontologie. En contrepartie, Michael était un homme froid, cinglant et violent : son corps s'en souvient. Autant dire qu'elle ne saurait souffrir de la mort d'un tel mari. Aussitôt enterré, ou presque, Cora part avec Martha, son amie socialiste convaincue et son fils Francis, très clairement Asperger même si un tel terme n'est évidemment jamais mentionné au vu de son anachronisme à l'époque des faits, dans l'Essex rural. Les deux femmes y font de longues marches vivifiantes et Francis amasse toutes sortes d'objets insolites qui créent un monde cohérent dans son esprit atypique jusqu'au jour où Cora entend parler du serpent. Ce monstre marin légendaire reprend du service après plusieurs siècles de silence sur les lèvres de tous les habitants des environs d'Aldwinter. Cora est piquée de curiosité. Elle se demande si elle ne pourrait pas être la nouvelle Mary Anning car elle est persuadée que le serpent est de ces animaux préhistoriques encore inconnus. Elle embarque sa troupe au village d'Aldwinter où elle fait la connaissance de la famille Ransome et se lie particulièrement avec le pasteur, William.

La question, ce n'est pas ce que je vois, mais ce que je sens : je ne vois pas l'éther ; pourtant, je le sens qui entre et qui part, et je dépends de lui. Je sens que quelque chose arrive : tôt ou tard, souvenez-vous-en. Ce quelque chose s'est déjà vu, comme vous le savez, et il reviendra, sinon de mon vivant, du vôtre ou de celui de vos enfants, donc je me prépare, mon révérend, et si je pouvais me permettre un instant cette audace, je vous recommanderais d'en faire autant. 

Autour de ce noyau dur de personnages dont les relations se développent dès la fin de février grâce à l'entremise des Ambrose se tissent mille et un autres personnages et mille et une autres relations, plus ou moins discrètes, plus ou moins furtives qui composent toute une variation délicieuse sur le thème de l'amitié.
L'amitié, n'est-ce pas, est un sentiment finalement peu exploité en littérature, tout du moins en temps que thème principal - car il y a bien toujours des amis dans la plupart des romans, d'amour par exemple, mais ils ne sont alors qu'un contrepoint. Dans ce roman de Sarah Perry, l'amitié s'affirme, à juste titre me semble-t-il, comme le pilier fondamental des relations humaines et à l'occasion elle flirte avec bien d'autres sentiments - l'amour, la passion, le désir, l'égoïsme, l'idéalisme, l'ambition, la possession, la filiation, la folie - se colore, se mélange, devient mystère, angoisse ou épanouissement mais toujours finit par être la véritable boussole des existences. Ce parti pris, auquel je souscris complètement, et l'incroyable subtilité des variations harmoniques amicales de l'auteure font de ce roman un texte passionnant, fin et juste. Malgré l'empreinte puissante de l'époque victorienne dont elle est aussi, évidemment, une excellente cartographie politique et sociale, et c'en est un plaisir, ce texte résonne de façon puissamment intemporelle. 

J'ai toujours dit qu'il n'y a pas de mystères, rien que des choses que nous ne connaissons pas encore, mais récemment, j'ai pensé que même la connaissance ne pouvait pas retirer toute son étrangeté au monde.

Puisque les êtres, bien plus que les faits, sont au cœur du roman, mieux vaut apprécier une certaine lenteur narrative pour être tout à fait plongé dans les mois qui défilent et ne pas s'attendre à des rebondissements saisissants. La mécanique des cœurs se met en branle doucement, parfois fortuitement, et de façon plausible - comprendre par là qu'il n'y a pas de surenchère illusoire pour faire rêver dans les chaumières. C'est doux et pertinent à défaut d'être fou et fantasmé. Le Serpent de l'Essex est de ces romans que l'on apprécie lorsqu'on on a fait le deuil d'une quelconque attente en tournant les pages : on est dans la vraie vie dès le départ, qui n'attend pas d'événements particuliers pour débuter, qui ne connaît pas cette perpétuelle répétition du même qu'on voit venir à des kilomètres joliment appelé cliché (c'était ma crainte concernant la relation de Cora et Will et, merveille, l'auteure a brillamment tout évité) et qui, conséquemment, n'est pas suspendu à une hypothétique closure finale non plus. Décidément, il faut se détacher de la linéarité en lisant ce roman. Ni début, ni rebondissements, ni fantasmes, ni fin ; seulement la vie et donc l'amitié. Très simplement. 

En plus, j'ai eu la chance de lire ce roman en lecture commune avec une de mes plus chères amies : je ne pouvais pas rêver meilleure cerise sur ce délicieux gâteau. Merci pour nos échanges, ma petite Mélie d'amour ♥

 

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Participation au mois anglais chez Lou et Titine 

02/04/2018

Robinson de Laurent Demoulin

autisme,père,fils,fragments,robinson,gallimard,littérature,langage,relation,amourGallimard voulait estampiller ce texte récit ; Laurent Demoulin le considérait comme un roman ; finalement aucune barrière de genre ne le limite. Dans plusieurs dizaines de fragments dont le rythme est savamment dosé, l'auteur raconte et brode son quotidien avec Robinson, son fils oui-autiste. Tel est le pitch et on pourrait, en vérité, s'arrêter là. Il n'y a pas de fil narratif, dans la mesure où le concept de progression linéaire est inopérant au contact de Robinson. Tout se situe exactement dans les moments présents qui résonnent les uns avec les autres. Ainsi, à défaut d'histoire ordonnée vers une acmé artificielle y a-t-il des échos, souvent scatologiques, et des éclats de tendresse silencieuse. 

Indéniablement, Laurent Demoulin n'a pas pour ambition de donner dans la neutralité et la bien-pensance concernant l'autisme. Aussi n'hésite-t-il pas à qualifier ce syndrome de maladie, ce qui pourra faire tiquer certains lecteurs un peu sensibilisés à la question - comme ça a été mon cas, je dois bien le reconnaître. Ce texte est le regard très personnel qu'il porte sur sa relation avec son fils, d'une façon subjective pleinement assumée. Il n'est pas du côté des concepts et du choix des mots dans l'absolu mais de celui qui tâche de construire une relation avec un jeune garçon de dix ans, privé de langage - le comble pour un professeur d'université spécialiste de Ponge et Barthes-, prenant en compte avec empathie, patience et souvent difficulté, toutes les particularités que cela occasionne. Même s'il y a parfois beaucoup de maladresse, de l'épuisement voire de la colère chez ce père désemparé, le texte respire la tendresse et l'humilité. A défaut de dialoguer avec Robinson, Laurent Demoulin a trouvé le moyen de discuter à travers lui et interroge la force de la relation filiale sans les repères habituels du langage. C'est une manière, plus largement, de nous interroger sur ce qu'est l'humanité, sans trop y toucher et lorsque les mots manquent. Il ressort de ce texte une lumière délicate. Fragile, certes, mais d'une intensité qui donne le sourire. 

Si la modernité s'écrit dans le refus de la tradition, alors l'autisme est moderne. Si l'artiste moderne ne craint aucun interdit, alors le oui-autiste vit sa vie comme une oeuvre moderne. 

Robinson est un enfant anarcho-oui-austistique qui ne respecte aucun "Non!". Malgré mes sermons et mes reproches, il vient de déchirer son dernier livre d'images, page après page. 

Dépité, j'ai jeté les déchets de L'Imagerie des animaux sauvages dans la corbeille à papier de ma chambre - chambre qui jouxte la sienne. 

Si le classicisme est désir d'ordre, d'harmonie et de permanence, les oui-autistes sont des artistes classiques : Robinson est allé rechercher dans ma poubelle chacun des petits morceaux de papiers glacés colorés et, patiemment, les a rangés sur son étagère - là où, il y a peu, s'alignait une jolie collection de livres pour enfants. 

 

autisme,père,fils,fragments,robinson,gallimard,littérature,langage,relation,amour2eme lecture du mois belge à l'occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme

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