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06/05/2019

Les femmes de Heart Spring Mountain de Robin MacArthur

les femmes de heart spring mountain,robin macarthur,albin michel,roman américain,usa,états-unis,voix,destins,passé,famille,racines,amour,filiation,réconciliation,vermont,ouragan,mère,fille,premier roman"Combien d'années on peut tenir sans joie, avant que tout ce bordel se casse la figure ?" demandait Bonnie des années plus tôt [...]. 

Lorsqu'Irene s'abat sur le Vermont le 28 août 2011, Bonnie se fait un shoot d'héroïne et part déambuler dans les rues de sa ville ravagée par l'ouragan. Elle est en plein trip, s'avance vers les eaux en crue de la Silver Creek et disparaît. Sa fille Vale, à plusieurs kilomètres de là depuis huit ans pour mettre à distance cette relation douloureuse à la mère, prend immédiatement le chemin de Heart Spring Mountain, le fief familial, cette montagne où naît la Silver Creek et où ses ancêtres se sont installés depuis des générations. S'y retrouvent à présent trois existences de femmes pleines de failles et d'étincelles : Hazel, la grande tante antédiluvienne qui commence doucement à perdre la tête et à mélanger les époques ; Deb, la tante par alliance qui a autant aimé ce coin de montagne que Stephen, le fils d'Hazel ; et Vale, en plein tourment. A travers elles, et à travers chaque parcelle de cette nature puissante, résonne aussi la voix de Lena, la grand-mère de Vale, la tante de Stephen et la sœur d'Hazel, morte en couches peu après la naissance de Bonnie. En recherchant sa mère, Vale part en même temps à la recherche d'elle-même, de ses racines longtemps mises à l'écart et qui sont pourtant, souvent, le remède pour aller de l'avant. 

C'est le leitmotiv de la souffrance qui les réunit. Et pourtant, Vale : Deb voit des lueurs d'espoir dans sa présence. Vale qui éclaircit les mystères du passé, qui détricote une histoire révisionniste où l'amour existait là aussi. 

Franchement, je n'avais formulé aucune attente à propos de ce roman malgré -ou peut-être à cause - de son matraquage sur les réseaux sociaux. C'aurait même eu tendance à me refroidir - mais voilà qu'il m'a appelée un beau jour tandis que je passais dans une librairie et je n'ai pas tergiversé. Ça m'arrive extrêmement rarement de céder ainsi à l'appel d'un grand format et encore plus rarement de l'entamer immédiatement dans la foulée, ça méritait donc d'être souligné. Et j'ai furieusement bien fait. 

Objectivement, ces existences de femmes n'ont rien de follement extraordinaires : elles se débattent, chacune, avec un passé tortueux, des doutes présents et un avenir incertain, des sentiments souvent mêlés et ce feu intérieur qui réchauffe autant qu'il brûle. Autour d'elles gravitent nombres d'hommes aux mêmes mille facettes compliquées mais toujours bienveillants. Robin MacArthur crée ici des personnages banals c'est-à-dire vibrants, des monsieur-et madame-tout-le-monde qui ont cette force et cette épaisseur furieuse de vivre quoiqu'il en coûte. Et c'est là que le pari de ce premier roman réussit : on est complètement embarqué dans ces voix et ces époques qui se croisent pour remettre en ordre le puzzle familial parce qu'elles sonnent vraies et sont très attachantes - à défaut d'être extrêmement fouillées ou étonnamment originales. 

Il y a d'autres empreintes, qu'elle n'identifie pas. De martre ? De renard ? Celles d'animaux qui s'éveillent avec le jour et viennent s'abreuver. Dans ce proche avenir apocalyptique, se dit-elle, je serai comme eux : regard aux aguets, oreilles dressées, tournant la tête en tous sens. Réfugiée près de ces marécages fertiles ; réapprenant toutes ces choses oubliées. 

Le récit se lit d'un souffle, aimantés que nous sommes à ces personnages amis et ce n'est pas sans regret que je les ai quittés, un peu plus apaisés sans doute ou du moins sur le chemin de l'être. C'est ce qui me console d'avoir tourné la dernière page, sans vraiment leur avoir dit au revoir car ils m'accompagnent encore un peu en rédigeant cette chronique. Je pourrais aussi souligner, pour être tout à fait franche, qu'il m'a semblé sentir dans le style de Robin MacArthur la jeunesse de son entreprise romanesque. Certains tics d'écriture sont presque palpables tant ils se retrouvent souvent (les phrases nominales, les subordonnées relatives, l'usage des deux points...). Mais enfin, il faut que jeunesse se fasse et je crois que, de plus en plus, j'apprécie lire que la verve romanesque, cette capacité à donner vie à des êtres et des existences de mots et de papier, est décidément aussi vivace. Tant qu'il y aura de la fiction, il y aura de l'espoir. 

"Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir", récite la jeune femme, les larmes aux yeux. Puis elle s'adresse à eux : "Et vous, mes salauds, quelle sera votre mission ?"

Par ici, les billets de Marie-Claude et d'Electra que j'ai découverts après avoir commencé la lecture du roman et qui sont en parfaite résonance avec mon sentiment.  

23/09/2017

Landfall d'Ellen Urbani

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La mort déguisait en intimité nombre d'interactions banales. 

Passer après Alexandre Dumas est forcément périlleux ; aussi ai-je entamé Landfall, premier roman de l'américaine Ellen Urbani un brin dubitative, encore pleine des tournures brillamment maîtrisées, bien qu'un peu empesées, du XIXème siècle.
il n'a fallu que quelques pages, pourtant, pour que l'auteure m'embarque auprès de ses deux jeunes héroïnes cabossées, presque homonymes.

Elles symbolisent le changement. La transformation. La conviction que ce qui vient sera mieux que ce qui a été. 

On entre dans le vif du sujet avec Rose Aikens, dix-neuf ans. Son univers qui, quelques jours auparavant, se résumait à sa mère Gertrude puisqu'elle n'a jamais connu son père ni cessé de déménager au sein de Tuscaloosa, vole en éclats après un accident de voiture qui la laisse orpheline. Voilà Rose livrée à elle-même, incapable de quitter une paire de baskets épuisées qui appartenait à la jeune fille morte également dans l'accident. 
Rosie Howard, puisqu'elle se nommait ainsi, venait de la Nouvelle-Orléans et vivait seule, elle aussi, avec sa mère Cilla. Au moment dès faits, l'ouragan Katrina venait de dévaster la ville et d'anéantir une bonne partie de la population. Bien avant cela, la vie de Rosie était déjà semée d'embûches qu'elle tentait de surmonter, non sans mal. 

Toutes deux vont se croiser. L'une part vers la Nouvelle-Orléans, l'autre la quitte. L'une et l'autre cherchent du sens aux grandes épreuves de la vie et le lien qui leur manque : tisser la toile d'une humanité et ne pas se sentir dériver comme des îlots perdus. 

D'une manière ou d'une autre, ce réseau de femmes était devenu un havre dans la tempête, une famille de fortune et si une partie pouvait en être sauvée, elle devait s'en charger seule. 

Rose et Rosie : deux esprits que la vie a décidé de créer dans la solitude, pour le pire et le meilleur. Fortes, certes, déterminées à se construire, se cultiver, grappiller quelques lambeaux de bonheur mais d'une force contrainte, souvent douloureuse, et d'une lucidité qui ne laisse que peu de place aux idéaux de l'adolescence. Jeunes encore pourtant, méjugeant parfois ces mères faillibles comme tous les moins de vingt ans méjugent ce qu'ils ne peuvent pas connaître et tombant dans les écueils de la séduction ou de la volonté farouche d'indépendance. 
Deux élans surtout, deux personnalités complexes, tout comme leurs mères, qu'Ellen Urbani peint avec tendresse telles qu'en elles-mêmes, sans user de fioritures romanesques qui sonneraient faux par goût du trop ou du pas assez. On pourrait presque les entendre, les toucher, les croiser un matin, ces héroïnes pleines de qualités et de défauts, mûres pour leur âge et totalement adolescentes à la fois ; tout aussi vraies ces mères au double visage : intransigeantes et écorchées et, sous la carapace du parent, la chair tendre de la femme jadis abandonnée. 

Mèche à mèche, elle avait transformé l'utile en art, faisant du récit d'une tragédie un moment d'une beauté inattendue. 

En toile de fond, vient la catastrophe de l'ouragan Katrina. Tout comme pour les vies de ses personnages, Ellen Urbani a le souci de la pondération, du recul et de la pudeur. Lecteur, si tu aimes le sensationnel, passe ton chemin. Étonnamment - ou, devrais-je dire, évidemment-, c'est en éloignant le grandiloquent et le pathétique que l'auteur sait toucher si vivement, tant ce dégradé de gris, au sein d'événements si tragiques qu'on serait tenté de tout voir en blanc ou noir, est riche de pertinence, de cette acuité qui est le signe des écrivains au devenir talentueux. 

Si le propos semble dur - et il l'est, soyons francs -, il n'est pas déprimant. A l'image de la libellule dont la symbolique jalonne le récit, Ellen Urbani révèle surtout à quel point les hasards de la vie, aussi violents soient-ils, sont avant tout des étapes vers une aube nouvelle.
L'être ne cesse de devenir, telle est son essence, son mouvement fondamental. Ainsi de ses héroïnes, ainsi de nous. 

Vers la lumière, vers un bonheur inattendu.  


Landfall
d'Ellen Urbani, Gallmeister, 2016, 292p. 

katrina,rose,rosie,famille,filiation,ouragan,mort,libellule,nouvelle orléans,mère,fille,père,soeur,origine,accident,rechercheLe mois américain 2017 chez Titine