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09/04/2020

Oreiller d'herbe ou Le Voyage poétique de Natsume Sôseki

oreiller d'herbe,le voyage poétique,natsume sôseki,philippe picquier,roman,haiku,peinture,poésie,méditation,impassibilité,ironie,marche,printemps,un mois au japonAvant toute chose, je vous invite quelques secondes dans les coulisses de ce blog pour vous avouer ceci : je ne parviens pas à débuter mon billet à propos de ce livre magnifique (et donc, conséquemment, je le débute. Merci). Il faut dire qu'il ne raconte pas grand chose à proprement parler. Il y a bien un point de départ, assez éculé par la littérature depuis, d'ailleurs :
Un jeune trentenaire, qui partage pas mal de points communs avec l'auteur notamment sa grande connaissance de la culture anglaise, décide de se retirer de Tōkyō vers les montagnes. Il entame une marche, seul, jusqu'à une auberge vide - la guerre sino-japonaise débutée en 1904 apparaît à demi-mots pour expliquer cette désertion - non sans dénicher tout de même quelques personnages fantomatiques, improbables, drôles ou mystérieux que ce conflit n'a pas (encore) délogés. Il ambitionne de peindre surtout - ce qu'il ne parvient jamais à faire - et d'écrire des haïkus - et de ce point de vue, nous sommes servis. Voilà, rien de plus. Il observe, rêve, pense : Il y a là l'essentiel de son quotidien en quête d'impassibilité et de création.

On estompe la couleur de la nature jusqu'au seuil du rêve et on avance d'un cran l'univers tel qu'il existe vers le pays des brumes. A la force magique du démon du sommeil, on arrondit les angles du réel et sur la surface ainsi ramollie on imprime une pulsation légère et lente.

Alors, cela ne raconte pas grand chose, certes, mais cela dit beaucoup - et c'est ce qui fait de ce texte un manifeste esthétique qui aura créé une cohorte d'autres voyages méditatifs (beaucoup moins bons) après lui. Sôseki ampute la fiction romanesque de ces scories artificielles autrement appelées péripéties. Laissons-là ces actions infinies qui n'en finissent pas, alimentées par une tentative de saisir le monde de façon superficielle, semble-t-il nous dire. Il en revient à l'essence du haïku : l'observation aiguisée, la sensibilité, la concision du saisissement, la légèreté, la beauté du geste réfléchit dans celle de l’œuvre - et l'adapte au format aéré, beaucoup plus opulent, du roman1 . L'entreprise est ambitieuse et donne de petites perles suspendues telles celle du chapitre du bain. L'obscurité y suggère une sensualité d'autant plus puissante que rien ne se découvre jamais vraiment. Pour mieux saisir, il faut éviter, contourner, ébaucher, être furtif et précis à la fois. C'est tout l'art du peintre qui, d'un seul trait, peut dessiner un oiseau à l'instant de l'envol.

Le vent agita les cerisiers sauvages dont les feuilles touffues laissèrent s’écouler toute l’eau tombée du ciel qu’elles avaient provisoirement retenue en leur demeure.

L'entreprise est ambitieuse et serait probablement ratée sans un ingrédient essentiel - celui qu'ont oublié bon nombre de successeurs de cette littérature : l'ironie - et ici encore, c'est une question de légèreté essentielle. Personne, nul paysage même, n'est saisi sans un recul salvateur. Les artistes européens trop infatués de leur égo, si l'on en croit le narrateur, tombent facilement dans l'écueil de la lourdeur. Or, une œuvre à la fois charmante et audacieuse, et tel est ce roman de Sôseki, est celle capable de défier la pesanteur.

Au cours d'un banquet, le peintre Turner s'exclama devant son assiette de salade : "C'est une couleur rafraîchissante, je l'utiliserai ! ".

Finalement, tout cela nous mène au fameux tableau que le narrateur ne peint à aucun moment du récit. Ce roman est son cheminement, ces interrogations vers la légèreté et, pour l'atteindre vraiment, il est temps de se taire. A la toute fin du roman, il a enfin l'inspiration d'un portrait et, par la même occasion, l'ingrédient nécessaire à la vie dans l'art. Jusque là, il n'avait fait qu'y penser. A présent que l’œuvre est là, il cesse d'écrire.

Avant d'en terminer tout à fait avec ce billet, je voudrais souligner la beauté de cette édition Picquier poche. Le texte est jalonné de très nombreuses reproductions de qualité d’œuvres picturales japonaises qui font de la lecture de ce roman un plaisir des sens. Le coût du livre est un poil plus onéreux que les autres éditions poche (10€) mais honnêtement, je ne saurais trop vous conseiller de préférer cette édition à toute autre tant elle permet de découvrir une esthétique qui nous est bien souvent étrangère.

Ainsi, puisque le monde dans lequel nous vivons est difficile à vivre et que nous ne pouvons pas pour autant le quitter, la question est de savoir dans quelle mesure nous pouvons le rendre habitable, ne fût-ce que la brève durée de notre vie éphémère. C'est alors que naît la vocation du poète, la mission du peintre.

1 D'ailleurs, sans du tout pousser plus avant une comparaison qui finirait par être tirée par les cheveux, vous aussi vous voyez un écho woolfien dans cette déconstruction du romanesque vers un saisissement poétique de la vie elle-même ?

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Un mois au Japon chez Lou et Hilde.

16/04/2012

Haïkus des quatre saisons

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Haïkus des quatre saisons illustrés d'estampes d'Hokusaï, ed. Seuil, 2006

La branche en fleur du prunier
accorde son parfum
à qui l'a brisé

Chiyo-Ni 

 

 

Ce livre est un voyage méditatif en terre évanescente. Les haïkus s'ouvrent et battent de l'aile au gré du souffle ; nous sommes tous poètes de la vie à lire ces lignes qui, malgré leur grand âge, n'ont rien perdues de leur clarté poétique, de cette légèreté cristalline si mystérieuse. Le haïku a, me semble-t-il, quelque chose de magique. Nulle autre forme poétique n'a mieux saisi l'instant fugace ou comment parvenir à dire ce qui ne peut se dire.

Au fil des mots, s'ouvrent également les magnifiques estampes d'Hokusaï, peintre majeur de l'ère Edo et appartenant au courant de l'Ukiyo-e (que l'on pourrait traduire par "image du monde flottant", n'est-ce-pas merveilleux?!) qui célèbre des scènes du quotidien.

Tout dans cet ouvrage nous invite au plaisir, à savourer l'instant les yeux fermés, à seulement écouter siffler les mots à travers quelques branches en fleurs.

 

Merci à ma douce Aurore* pour ce délicieux cadeau d'anniversaire¨¨**

 

 

Rien d'autre aujourd'hui
que d'aller dans le printemps
rien de plus


Buson

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poésie,japon,haïku,saisons,printemps,fleurs,nature,zen,hokusaï,estampes,peinturesChallenge Dragon 2012

3/5 pour les livres

 

 

 

 

 

 

 

 

02/01/2012

Neige de Maxence Fermine

 

 

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Neige de Maxence Fermine, Arléa, 1999 / Points 2001, 80 et quelques pages

 

Tandis que Yuko doit choisir sa voie entre la prêtrise et la guerre, il découvre la neige. Cette rencontre sera révélation et inspiration ; Yuko sera poète et, grâce à l'art du Haïku, ne cessera de dire la neige, son éclatante simplicité et la quintessence de sa paix. Sur le chemin de cette entreprise, il fera deux rencontres déterminantes : celle d'une femme mystérieuse en son cercueil de glace, et celle de Sôseki, maître incontesté du haïku dont il magnifiait la poésie, la peinture, la musique, la calligraphie et la danse.

A l'image du haïku, voici un petit livre très court, très simple et dansant. Il croque la destinée de ce jeune japonais du XIXe siècle, hâppé par la beauté d'un élément qui semble renfermer tous les autres et les sublime - puis par la beauté d'une femme funambule, elle-même Neige. Au fond, ce petit livre est une sorte de boucle, de condensé, de miroir occidental du haïku : Funambule est le poète qui écrit la neige qui est la vie. 

Une délicieuse parenthèse zen à la lumière d'une petite lampe. J'aimerais avec joie m'y reporter de temps à autre pour puiser un peu d'essentiel lorsque trop d'éléments du quotidien nous parasitent.

 

Merci au passage à Audrey, qui a eu l'excellente idée d'offrir cet ouvrage à Clara pour le swap de l'hiver et merci à Clara de me l'avoir prêté pendant mon séjour chez elle : Vive le fil rouge des bouquins !

 

Douces fêtes de fins d'année à vous tous !

 

*

Extrait : 

 

"C'était cela, un haïku.
Quelque chose de limpide. De spontané. De familier. Et d'une subtile ou prosaïque beauté.
Cela n'évoquait pas grand chose pour le commun des mortels. Mais pour une âme poétique, c'était comme une passerelle vers la lumière divine. Une passerelle vers la lumière blanche des anges."