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30/06/2020

Persuasion de Jane Austen

jane austen,persuasion,anne elliot,capitaine wentworth,amour,famille,gentry,mariage,séduction,société,hypocrisie,orgueil,préjugés,sincérité,fidélitéDernier jour du mois anglais 2020 : dernier roman de Jane Austen.

Anne Elliot a 27 ans et est la cadette d'un baronnet de campagne extrêmement infatué et dépensier. Contrairement à sa sœur aînée Elizabeth, elle n'est pas d'une beauté éclatante et contrairement à la plus jeune Mary, elle n'est pas mariée. Autant vous dire que, pour l'époque, c'est un peu  l'archétype du boulet familial. A sa décharge, huit ans auparavant soit une éternité, alors qu'elle était encore jeune et fraîche (et je ne suis pas trop dure en l'occurrence : sa "décrépitude" de vieille fille est très accentuée au début du récit, ce qui n'est pas sans crisper un brin le lecteur - ou plus exactement la lectrice - d'aujourd'hui, surtout quand elle est plus âgée elle-même qu'Anne Elliot gmrbl), elle a trouvé l'amour et eu l'opportunité de se marier. Malheureusement pour elle, le capitaine Wentworth n'a pas semblé convenir aux prétentions de Sir Elliot et de Lady Russell, sa marraine. Elle s'est laissée persuader par leurs arguments, en jeune fille raisonnable, pondérée et bien élevée, a renoncé à cette union et la voilà huit ans plus tard, toujours célibataire et sans l'ombre d'un amour à l'horizon. Pourtant, par les hasards de la vie - ou plus exactement, consécutivement à la gestion désastreuse du domaine familial par son père - Anne va être amenée à recroiser le chemin de son cher capitaine, toujours aussi beau, et beaucoup plus riche qu'avant grâce à de brillants exploits militaires. Les retrouvailles sont d'abord extrêmement glaciales. Petit à petit, elles ne sont plus que tendues et les deux protagonistes parviennent à donner quelque illusion en société. Et puis évidemment, je vous laisse lire le roman pour découvrir la suite.

Ah, j'en avais entendu parler de ce roman ! Et systématiquement de façon dithyrambique, sinon ce n'est pas drôle. Il n'y a jamais eu l'ombre d'un commentaire négatif sur ce titre à l'horizon. Un type de commentaire surtout m'avait marquée : j'avais tellement de chance d'avoir encore ce merveilleux roman à découvrir ! Autant vous dire que j'étais un poil fébrile à l'idée de l'attaquer : vous savez ce que c'est quand on nourrit des attentes de fou à l'égard d'un texte. Derrière, ça ne souffre pas l'entre-deux ; soit ça passe, soit ça casse. Ma fébrilité n'a pourtant duré que le premier chapitre - ensuite, j'étais tout simplement ferrée comme il ne m'est jamais arrivé de l'être avec un roman de Jane Austen. Pour les cinq autres, il m'a toujours fallu un petit temps d'adaptation au style, à l'ambiance de l'époque, au fait qu'il ne se passe strictement rien - on peut bien l'avouer entre nous, la frontière entre l'intérêt et l'ennui dans un roman d'Austen est quand même très très mince. Mais là, rien de tout ça ! Du point de vue de la forme, la construction narrative est d'une fluidité absolue. Il n'y a rien à enlever et il n'y aurait rien à rajouter. Exit les longueurs d'Emma ou de Mansfield Park. L'équilibre est impeccable. Je me suis surprise à dévorer ce roman sans voir les pages défiler et, quand on sait le parfait mélange de délicatesse et d'ironie dont est capable Jane Austen, autant vous dire que ce fut un régal intersidéral pour mon cœur et mes neurones simultanément.

Du point de vue du fond, aussi, tout est harmonieux, à l'image d'Anne Elliot et de Frederick Wentworth qui synthétisent toutes les préoccupations et, conséquemment, tous les personnages austeniens. Parce que finalement, la persuasion n'est pas l'apanage de ce roman, de même que ça n'en est pas la seule préoccupation. Elle en est un des ressorts évidemment, mais ce n'est pas la première fois que l'auteure traite cette question (on se rappelle Emma avec Harriet Smith ou Darcy avec Bingley). De même, cela n'apparaît pas dans le titre mais on entrevoit clairement aussi dans ce roman les problématiques liées à l'orgueil (Wentworth, les Elliot) ou aux préjugés (Lady Russell) et celles liées à l'éternelle combat, toujours très tortueux entre la raison et les sentiments (ainsi que l'incarne Anne Elliot). Dans ce roman-là, Jane Austen semble avoir remis sur la table tous ces caractères humains, qui permettent autant de questionner la morale que la société, avec ironie toujours, pour les réactualiser.

Ainsi, il me semble que dans Persuasion, c'est la recherche fondamentale d'un équilibre qui guide l'évolution des personnages. Anne Elliot et le capitaine Wentworth cheminent mutuellement pour se rejoindre progressivement. Il est à prendre en compte aussi que, pour la première fois, on a ici à faire à des protagonistes proches de la trentaine et non plus de la vingtaine. Ils sont beaucoup plus mûres et réfléchis que la plupart des protagonistes des romans précédents. Cela tempère à la fois d'éventuelles réactions passionnées - ils n'en sont pas à leur première rencontre ni à leurs premières amours - mais aussi leur timidité ou leur égo. Ils parviennent ainsi à se mettre à la place l'un de l'autre, à envisager la situation avec recul afin d'en affiner leur compréhension. Anne et Wentworth ne sont pas des jeunes gens qui vivent leur première passion mais des adultes qui redécouvrent l'amour après un début de vie très solitaire (sans parler du fait que Wentworth est capitaine d'un navire de guerre hein. Le type ne passe pas l'essentiel de ses journées à cueillir des champignons ou à tresser des couronnes de fleurs, si vous voyez ce que je veux dire) (d'ailleurs à ce propos, c'est presque un peu dommage que Jane Austen ne présente les marins que comme des façades idéalisées de la guerre qu'elle n'aborde finalement jamais. Mais allez, on peut bien lui passer ce microscopique bémol.)

Bref, pour toutes ces raisons, ce roman est à mon sens l'exemple parfait de l'aboutissement d'un travail d'écrivain : lorsque toutes les préoccupations majeures d'une œuvre et la recherche d'un style sont arrivées à juste maturation et parviennent, entre elles-mêmes, à s'équilibrer à la perfection, cela donne Persuasion où l'épiphanie austenienne. A présent, moi aussi et à mon tour, je pourrai dire à qui n'a pas lu ce roman : mais quelle chance tu as d'avoir encore à le découvrir ! En ce qui me concerne, tant pis, je vais tricher : je le relirai ! Mais d'abord, ma nouvelle possession des œuvres complètes de l'auteure en Pléiade (oui, je crâne) me donne furieusement envie de relire les autres romans dans une traduction enfin potable... Et je sens que je vais commencer par Orgueil et préjugés, tiens !

Précédemment lus et chroniqués : Orgueil et préjugés, Northanger abbey, Raison et sentiment, Mansfield Park et Emma.

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Le mois anglais chez Lou et Titine

Merci pour ce mois de juin toujours aussi merveilleux en votre compagnie. A l'année prochaine !

06/09/2017

le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas

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Quand on vit avec les fous, il faut faire aussi son apprentissage d'insensé.

Au commencement, pourtant, Edmond Dantès est un jeune homme tout ce qu'il y a de plus normal, à ceci près qu'il incarne la plus totale intégrité. Second sur un navire marchand, il prend la place du capitaine au décès soudain de celui-ci. Afin de respecter ses dernières volontés, il récupère un pli sur l'île d'Elbe, qu'il devra ensuite porter sur Paris, puis rentre à Marseille. Jusque là, pas de quoi fouetter un chat, sauf qu'on est en 1815 et que le pli émane de Napoléon Bonaparte : celui-ci fomente son retour au pouvoir et, en effet, il débarquera en France un mois plus tard. En attendant, en ce mois de février, il ne fait pas bon être considéré comme bonapartiste. Danglars, l'intendant du navire, passablement jaloux qu'un blanc-bec de dix ans son cadet dirige à sa place le bateau, aussi compétent et légitime soit-il, profite donc de ce concours de circonstances pour devenir calife à la place du calife. Avec le concours de Fernand, l'amoureux éconduit de Mercédès, la fiancée de Dantès, et grâce à l'ambition démesurée du procureur du roi, M. de Villefort, il parvient à éloigner durablement l'inopportun. Et pour cause : le voilà enfermé quatorze ans au château d'If, une prison en pleine mer. Entre des périodes d'abattement, de délire, de résignation, il fait la connaissance d'un co-détenu considéré comme dément car il clame une immense fortune qu'il veut bien amputer pour retrouver la liberté. En réalité, l'abbé Faria est loin d'être fou et, se sachant près de mourir, il confie à Dantès le secret de son trésor pour en faire son héritier. En plus de lui donner une fortune, la mort de l'abbé Faria donne également à notre héros une occasion en or, bien que surprenante et périlleuse, de s'échapper enfin de sa geôle. 

Les blessures morales ont cela de particulier qu'elles se cachent, mais ne se referment pas ; toujours douloureuses, toujours prêtes à saigner quand on les touche, elles restent vives et béantes dans le cœur.

A partir de là, Edmond Dantès qui n'était que droiture et franchise devient l'incarnation suprême de l'orgueil vengeur. Après avoir retrouvé figure humaine et quelques deniers, sa première démarche est d'aller récupérer le trésor de l'abbé Faria puis de se rendre à Marseille pour éclaircir les raisons et les auteurs de son injuste incarcération. Ceci fait (c'est fou comme l'argent délie les langues), il se retire une dizaine d'années, parcourt le monde, pour ne réapparaître qu'un beau jour à Rome sous le pseudonyme de Comte de Monte-Cristo et faire la connaissance de deux jeunes hommes : Albert de Morcerf et Franz d'Epinay. A partir de là, la vengeance est en marche. Je vous en passe les détails, d'une part parce que ce serait trop long à résumer, d'autre part parce que c'est sacrément tordu et tortueux. L'essentiel, c'est qu'on découvre à cette occasion un nouveau visage de Dantès. Il a pris du plomb dans l'aile et dans le crâne depuis 1815. Aussi semble-t-il méconnaissable à tous ceux qui l'ont connu jadis, et le plus magique est qu'une simple perruque, un simple déguisement suffisent à lui permettre de prendre mille et une identités différentes. Autant dire que Clark Kent avait bien tort de se faire chier avec des lunettes ! En outre, cette vengeance qui semble être son seul moteur, et sans doute aussi l'opulence financière qui est passée par là, l'ont rendu d'une mégalomanie assez formidable. En peu de mots, il se voit tout simplement comme l'instrument de la providence divine. S'il se montre plutôt dispendieux envers ceux qui l'ont toujours soutenu (et il en a peu, il faut bien le dire), il se révèle machiavélique et implacable avec les autres. Il aurait pu se contenter d'un duel avec chacun de ceux qui furent la cause de son malheur mais il préfère une machination longue, perverse et qui, dès le départ, laisse présager de nombreux dommages collatéraux. De plus, pour arriver à monter cette machination, il s'achète les services ou les renseignements (ou les deux) d'un sacré paquet de personnes qu'il paye, certes, grassement, mais dont il se moque éperdument et qu'il traite le plus souvent avec un mépris assez éhonté. Il avoue à la toute fin avoir été pareil à Satan pour arriver à ses fins... A défaut de modestie et d'empathie pour la plupart des personnages qu'il croise et côtoie, il fait au moins preuve de lucidité, c'est déjà ça !

Avant d’avoir peur, on voit juste ; pendant qu’on a peur, on voit double, et après qu’on a eu peur, on voit trouble.

En somme, Dantès n'est pas un ange mais il est l'essence même du héros romanesque : animé de passions, de valeurs et de sentiments exaltés, il subit un malheur tout aussi violent et dont on aurait peine à concevoir l'injustice. Une telle épreuve ne pouvait que marquer au fer rouge un personnage de sa trempe. Ce qu'il y avait de bon se met au service de la vengeance. Devenu Comte, il semble encore plus magnétique, charismatique, dégager encore plus de puissance qu'avant. Tous et toutes le respectent instinctivement. Il est fort, évidemment, talentueux dans à peu près tous les domaines, fait preuve d'une totale maîtrise de lui-même, séduit ou inquiète tour à tour selon son désir, manipule à loisir et se sort de toutes (absolument toutes) les situations. On peut difficilement faire mieux que lui sur tous les plans. A peu près tout ce qui le touche (et tout ce qu'il touche) de près ou de loin est donc totalement dépourvu de la quelconque vraisemblance. Ça fait partie du charme de ce genre de roman : on est dans le domaine des grandes aventures, des complots fumeux, de l'imagination débridée et des grandes entreprises. 

... apprendre n'est pas savoir; il y a les sachants et les savants : c'est la mémoire qui fait les uns, c'est la philosophie qui fait les autres.

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un fond de réalité dans ce roman fleuve, bien au contraire ! L'arrestation de Dantès donne un aperçu assez probant du contexte politique et social tendu avant le retour de Napoléon tandis que les longs mois de vengeance brossent avec une ironie savoureuse la société parisienne de 1840. On y découvre sans trop de surprise l'hypocrisie et l'arrivisme sous couvert de bonnes manières et de réceptions somptueuses. La noblesse n'y a, décidément, de noble que le nom ! Le véritable maître de toute cette fosse nauséabonde est, comme cela a toujours été et comme c'est toujours le cas, l'argent qui régit absolument toutes les ambitions - à l'exception d'un tout petit groupe de personnages encore animé par l'amour ou l'honneur. 

Maintenant que l'aventure est pour moi terminée (vais-je me lancer dans quelques lectures pour le boulot ? Vais-je me laisser tenter par la rentrée littéraire ou par le mois américain ?), je retiendrai tout particulièrement l'ambivalence, la complexité et surtout l'orgueil aussi fabuleux que détestable de Dantès qui font de lui la quintessence du héros ; le portrait acidulé plein d'ironie de la bonne société parisienne ; et, évidemment aussi puisqu'on parle de Dumas, certains passages stylistiquement plus faibles que d'autres (qui sont sans doute d'une autre main ?). Mais surtout, je retiens un mélange de tout cela qui fait de ce roman une aventure assez dingue, souvent passionnante, qui suscite aussi bien le rêve que le frisson !

Merci, Monsieur Dumas, je suis remontée à bloc pour la rentrée !