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09/01/2019

Le manuscrit du Docteur Apelle de David Treuer

le manuscrit du docteur apelle,david treuer,albin michel,michel lederer,traduction,amour,quête de soi,identité,histoire,passé,passion,littérature,mort,naissance,livreÇa commence de façon apparemment banale avec deux histoires fort opposées.

D'un côté, nous avons celle d'Apelle, docteur en philologie et traducteur de langues autochtones, franchement insipide. Célibataire endurci d'une quarantaine d'années, son quotidien est une routine perpétuelle : les mêmes habits, les mêmes rues, les mêmes prostituées, les mêmes tâches à la RECAP, un cimetière de livres où personne ne va jamais et où tous les ouvrages du monde sont oubliés et, tous les quinze jours, la même activité de traduction dans la même bibliothèque.
Le premier chapitre qui lui est consacré rend à merveille cette existence transparente par une blancheur de style qui énumère sans aucune émotion. Lecteur, si tu t'y ennuies, c'est normal et c'est volontaire. Attends un peu. 

Il nous suffira de dire que le roman de la vie du Dr Apelle est moitié anglais avec ses presbytères, ses châteaux, ses thés de cinq heures, ses abstinence et ses abnégations, et moitié français avec ses bordels, ses trahisons et le parfum séducteur des cattleyas. 

D'un autre côté, celle de Bimaadiz et d'Eta, deux enfants trouvés dans les mêmes circonstances désastreuses : après un hiver rigoureux, ils sont les seuls survivants de leurs villages respectifs grâce au secours d'une orignale et d'une louve. De tels auspices font progressivement d'eux des êtres à part, beaux et doués, et la fierté de leurs  parents adoptifs modestes. Evidemment, ce n'est qu'une question de temps avant que de tendres sentiments ne les lient et qu'ils n'excitent les jalousies...
Autant dire que de ce côté-là du récit, David Treuer nous relate un conte épique et doux, qui n'est pas sans cliché - loin de là même - mais qui nous fait intensément voyager et se lit avidement. C'est presque à regret qu'on quitte nos deux héros magnifiques pris dans moult péripéties (si vous êtes clients de ce genre d'histoires d'indiens) pour retrouver le docteur Apelle, antihéros par excellence. 

Il ne pouvait oublier ce qu'il avait vu. Son souffle s'accélérait et son cœur battait plus vite quand il pensait au corps d'Eta. il avait failli être l'esclave de l'ennemi, mais seulement pour devenir l'esclave du désir. 

Sauf que. Je te le disais, ce serait mal connaître l'auteur, tout de même sacrément talentueux, d'imaginer cinq minutes que son roman puisse se résumer à ce va-et-vient stérile entre deux récits à couper au couteau. L'un, progressivement, résonne en l'autre.
Cette histoire d'Eta et de Bimaadiz, c'est Apelle qui l'a trouvée au détour d'une étagère de bibliothèque, manuscrit obscur et oublié, et qui la traduit pour nous. C'est donc lui qui nous la raconte et, à mesure qu'il compose les mots, ceux-ci infusent et circulent en lui. Il s'interroge à leur contact, se cherche en les révélant pour nous. Le traducteur, petit à petit, dialogue avec son texte et par son entremise, réfléchit sur lui-même et dialogue avec nous.

En lisant ce roman, de plus en plus riche, profond et labyrinthique à mesure qu'il avance, m'est revenu en mémoire le titre d'un ouvrage de Jacques Poulin, La traduction est une histoire d'amour (pour le coup, très dispensable) qui m'a semblé être fait pour lui. Les mots enchantent celui qui les écrit, puis celui qui les découvre dans leur langue originale pour les transmettre, et  les faire siens entre temps, dans une autre langue à destination des lecteurs du monde. C'est à la fois une relation intellectuelle et charnelle - une relation totale, en somme. A force, on se demande s'il s'agit d'une traduction, d'ailleurs. Les styles se mêlent, les phrases se font plus souples et circulent d'une page à l'autre. Les barrières tombent. Où s'arrête le traducteur, où commence le récit ? Telle est la question qui nous perd et brouille toutes les pistes. On ne sait plus quelle histoire on lit. Il se pourrait d'ailleurs qu'au fond, on ne lise qu'une seule et même histoire et tu imagines bien qu'avec autant d'interrogations et de porosité entre les textes, c'est de plus en plus délicieux à mesure que les pages se tournent. 

et, comme avec un battement d'ailes, les manuscrits et les pages se referment, pareils à des oiseaux qui se perchent, avant d'être emportés, endormis, vers le comptoir et le chariot qui les attend. 

Pour te dire vrai, grâce à ce livre, je découvre David Treuer romancier et je ne suis pas mécontente du voyage. Je ne l'avais lu, jusqu'ici que comme essayiste, avec pas mal de textes critiques et théoriques sur les littératures autochtones et avec l'excellent Indian Roads, à l'époque de mon mémoire et, conséquemment, de mon challenge amérindien. Franchement, je suis ravie et, quelques semaines après avoir refermé le bouquin, j'ai encore les neurones qui pétillent à son souvenir. Le propos est si lumineux et les mots si subtils - tout autant les siens que ceux de Michel Lederer, son traducteur chez Albin Michel (bravo monsieur) - que ça donne envie de continuer un bout de chemin avec lui. To be continued, donc !

 

 

21/11/2016

La traduction est une histoire d'amour de Jacques Poulin

La traduction est une histoire d'amour.jpg
La traduction est une histoire d'amour de Jacques Poulin, Actes Sud/Léméac, 2006, 132p.

 

Par le hasard de la vie, Marine, la traductrice globe-trotteuse indépendante, décide de traduire l'oeuvre de monsieur Waterman. Par un nouvel hasard, elle le croise dans la dernière demeure de sa mère, un livre à la main. De fil en aiguille, il en vient même à lui proposer d'habiter un chalet sur l'île d'Orléans ; puis de week-end en week-end, ils deviennent amis, malgré leurs différences. Entre eux, il y a la littérature, la joie de jouer avec les mots, et d'écouter chanter le son juste - en somme, tel est leur apprivoisement.

"Je pris le livre qu'il me tendait. [...] Éblouie, je fermai les yeux, tête inclinée en arrière. D'un seul coup, j'étais transportée dans la vieille maison du langage, à mi-chemin entre la terre et le ciel. J'ai l'air de divaguer, mais il n'en est rien : je venais d'entrer dans un lieu, un domaine, un univers où j'étais à l'abri des malheurs de ce monde et où, monsieur Waterman et moi, malgré la différence d'âge, nous avions la possibilité de nous rejoindre." p. 77

Là dessus, survient un maigre chat noir (ainsi qu'un renard, un héron et quelques autres bestioles qui s'apprivoisent, elles aussi). Ce filou tient dans son collier un message lancé au vent, une bouteille à la mer, par une jeune fille seule et un peu paumée. Marine et monsieur Waterman entreprennent de la dénicher puis de lui tendre la main.

On en a jamais fini de tisser des liens entre les égarés du monde dans ce roman de Jacques Poulin, par lequel je découvre l'auteur. Je vous avoue pourtant que je ne vois pas grand chose à vous en dire. J'en attendais beaucoup, peut-être trop, de cette simplicité poétique dont j'avais beaucoup entendu parler et de ces subtilités entre les êtres. Malheureusement, ce court récit n'a pas su me toucher ni interpeller l'amoureuse des textes vigoureux que je suis. Pour vous dire vrai, je me suis même ennuyée assez sec. La relation entre Marine et monsieur Waterman m'a semblé une succession de scénettes alternant entre l'anecdotique et le mièvre ; leur "aventure" avec la jeune fille à sauver couronnant le tout d'une gentillette invraisemblance qui ne sert à rien. Une parabole sur ces liens doux qui se créent petit à petit entre les hommes, à l'image du petit prince et du renard, sans doute mais qui pêche par trop de lisse et de fade à mon goût.

Merci à ma chère Topi pour cette découverte de Jacques Poulin 

 

 Challenge Québec.pngQuébec en novembre 2016 chez Karine et Yueyin