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27/09/2020

Little de David Treuer

Little.jpgCe roman choral, premier roman de David Treuer, développe la vie de plusieurs personnages entre le début du XXème siècle et 1980 dans une réserve indienne du Minnesota et plus précisément dans le lotissement bien nommé de Pauvreté. Le point de départ du récit est l'enterrement de Little dont on n'a pas retrouvé le corps, un garçon de huit ans qui ne parlait pas ou à peine - ce Toi jeté de façon brutale était son seul mot. Cette tombe vide résonne comme une absurdité douloureuse à l'esprit de tous. Chaque personnage tour à tour, en découvrant son passé et son présent, va tenter de redonner sens et corps à Little - non pas vie, car ce qui est mort ne peut être ressuscité mais ce sens et ce corps nécessaires pour que le deuil se fasse et pour que la vie de ceux qui restent continue. Ainsi, le roman se termine sur une éclosion - comme la métaphore d'un cycle éternel jusqu'ici enrayé de souffrances et que le pouvoir créatif de la langue, entre autres, permet de relancer parce qu'il aide à se rappeler, à comprendre, à transmettre, à aimer, à pardonner, à construire et à inventer aussi.

Dans les années qui ont suivi, nous avons tous, à Pauvreté, embelli nos histoires sur Little, nous leur avons donné des ailes et nous les avons laissées s'envoler. Et comme il y avait si peu à raconter, elles ont pris le départ, elles sont parties tout là-haut, en décrivant des cercles et, comme les pissenlits, elles n'ont jamais plus jamais touché terre.

Non seulement l'histoire mais plus largement le propos soutenu par une construction métaphorique intelligente et subtile sont très intéressants. Néanmoins, je me dois de reconnaître que je m'y suis fréquemment ennuyée. La langue en tant que telle ne m'a pas follement emballée et je pense malheureusement que ma lecture de ce texte, pourtant clairement précurseur dans son genre puisqu'il est paru en 1995 aux États-Unis intervient dans ma vie de lectrice après de nombreux autres textes construits peu ou prou de la même façon et sur le même sujet. Du coup, je n'ai pas eu le saisissement des découvertes et tout m'a semblé au contraire très transparent. Il n'en reste pas moins que c'est vraiment un très bon premier roman et que je continuerai évidemment à lire David Treuer. A ce sujet, si vous n'avez jamais lu Le manuscrit du docteur Apelle, je vous encourage à vous pencher dessus : il avait été, pour le coup, un vrai coup de cœur !

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Le mois américain chez Titine

 

09/01/2019

Le manuscrit du Docteur Apelle de David Treuer

le manuscrit du docteur apelle,david treuer,albin michel,michel lederer,traduction,amour,quête de soi,identité,histoire,passé,passion,littérature,mort,naissance,livreÇa commence de façon apparemment banale avec deux histoires fort opposées.

D'un côté, nous avons celle d'Apelle, docteur en philologie et traducteur de langues autochtones, franchement insipide. Célibataire endurci d'une quarantaine d'années, son quotidien est une routine perpétuelle : les mêmes habits, les mêmes rues, les mêmes prostituées, les mêmes tâches à la RECAP, un cimetière de livres où personne ne va jamais et où tous les ouvrages du monde sont oubliés et, tous les quinze jours, la même activité de traduction dans la même bibliothèque.
Le premier chapitre qui lui est consacré rend à merveille cette existence transparente par une blancheur de style qui énumère sans aucune émotion. Lecteur, si tu t'y ennuies, c'est normal et c'est volontaire. Attends un peu. 

Il nous suffira de dire que le roman de la vie du Dr Apelle est moitié anglais avec ses presbytères, ses châteaux, ses thés de cinq heures, ses abstinence et ses abnégations, et moitié français avec ses bordels, ses trahisons et le parfum séducteur des cattleyas. 

D'un autre côté, celle de Bimaadiz et d'Eta, deux enfants trouvés dans les mêmes circonstances désastreuses : après un hiver rigoureux, ils sont les seuls survivants de leurs villages respectifs grâce au secours d'une orignale et d'une louve. De tels auspices font progressivement d'eux des êtres à part, beaux et doués, et la fierté de leurs  parents adoptifs modestes. Evidemment, ce n'est qu'une question de temps avant que de tendres sentiments ne les lient et qu'ils n'excitent les jalousies...
Autant dire que de ce côté-là du récit, David Treuer nous relate un conte épique et doux, qui n'est pas sans cliché - loin de là même - mais qui nous fait intensément voyager et se lit avidement. C'est presque à regret qu'on quitte nos deux héros magnifiques pris dans moult péripéties (si vous êtes clients de ce genre d'histoires d'indiens) pour retrouver le docteur Apelle, antihéros par excellence. 

Il ne pouvait oublier ce qu'il avait vu. Son souffle s'accélérait et son cœur battait plus vite quand il pensait au corps d'Eta. il avait failli être l'esclave de l'ennemi, mais seulement pour devenir l'esclave du désir. 

Sauf que. Je te le disais, ce serait mal connaître l'auteur, tout de même sacrément talentueux, d'imaginer cinq minutes que son roman puisse se résumer à ce va-et-vient stérile entre deux récits à couper au couteau. L'un, progressivement, résonne en l'autre.
Cette histoire d'Eta et de Bimaadiz, c'est Apelle qui l'a trouvée au détour d'une étagère de bibliothèque, manuscrit obscur et oublié, et qui la traduit pour nous. C'est donc lui qui nous la raconte et, à mesure qu'il compose les mots, ceux-ci infusent et circulent en lui. Il s'interroge à leur contact, se cherche en les révélant pour nous. Le traducteur, petit à petit, dialogue avec son texte et par son entremise, réfléchit sur lui-même et dialogue avec nous.

En lisant ce roman, de plus en plus riche, profond et labyrinthique à mesure qu'il avance, m'est revenu en mémoire le titre d'un ouvrage de Jacques Poulin, La traduction est une histoire d'amour (pour le coup, très dispensable) qui m'a semblé être fait pour lui. Les mots enchantent celui qui les écrit, puis celui qui les découvre dans leur langue originale pour les transmettre, et  les faire siens entre temps, dans une autre langue à destination des lecteurs du monde. C'est à la fois une relation intellectuelle et charnelle - une relation totale, en somme. A force, on se demande s'il s'agit d'une traduction, d'ailleurs. Les styles se mêlent, les phrases se font plus souples et circulent d'une page à l'autre. Les barrières tombent. Où s'arrête le traducteur, où commence le récit ? Telle est la question qui nous perd et brouille toutes les pistes. On ne sait plus quelle histoire on lit. Il se pourrait d'ailleurs qu'au fond, on ne lise qu'une seule et même histoire et tu imagines bien qu'avec autant d'interrogations et de porosité entre les textes, c'est de plus en plus délicieux à mesure que les pages se tournent. 

et, comme avec un battement d'ailes, les manuscrits et les pages se referment, pareils à des oiseaux qui se perchent, avant d'être emportés, endormis, vers le comptoir et le chariot qui les attend. 

Pour te dire vrai, grâce à ce livre, je découvre David Treuer romancier et je ne suis pas mécontente du voyage. Je ne l'avais lu, jusqu'ici que comme essayiste, avec pas mal de textes critiques et théoriques sur les littératures autochtones et avec l'excellent Indian Roads, à l'époque de mon mémoire et, conséquemment, de mon challenge amérindien. Franchement, je suis ravie et, quelques semaines après avoir refermé le bouquin, j'ai encore les neurones qui pétillent à son souvenir. Le propos est si lumineux et les mots si subtils - tout autant les siens que ceux de Michel Lederer, son traducteur chez Albin Michel (bravo monsieur) - que ça donne envie de continuer un bout de chemin avec lui. To be continued, donc !