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25/10/2013

Love Medicine de Louise Erdrich

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Love Medicine de Louise Erdrich, ed. Albin Michel, 2008/Le livre de poche, 2011 [1984], 509p.

 

Traduit en 2008, Love Medicine est en fait le premier roman de Louise Erdrich. Souvent moins apprécié que les suivants par les lectrices dont j'ai pu lire les chroniques, il pose néanmoins l'univers de l'auteur avec une grande virtuosité.
Ceux qui la connaissent savent que l'existence contemporaine des amérindiens, et plus précisément des Chippewas Ojibwés du Dakota du Nord, jalonne toute son œuvre. C'est ici que ce propos prend racine, à travers l'existence de plusieurs familles que l'on retrouvera par la suite : Les Nanapush, les Kashpaw ou les Lamartine. Le roman brosse cette saga décadente de manière originale puisqu'il ne propose pas une fresque linéaire à rebondissements. Au contraire, il se découpe en courts récits (qui pourraient presque constituer des nouvelles) qui remontent dans le temps pour mieux le redescendre ensuite. Dans chacun, un personnage central et une tranche de vie - qui peut sembler anecdotique mais qui tisse en fait la toile complexe de l'évolution familiale.
La vie n'est pas rose dans la réserve et il faut savoir jouer avec la violence, l'alcool, la solitude, un désespoir sourd et le sentiment lancinant de la dépossession. Pourtant, Louise Erdrich parvient à éclairer ce quotidien de pointes d'humour et à élever le prosaïque avec une poésie presque mystique.

Puisque je connais l'univers d'Erdrich, j'ai éprouvé un grand plaisir à cueillir ces personnages récurrents au seuil de leur création et à repérer ces petits cailloux blancs qui seront ensuite développés dans les romans suivants. Est-ce à dire qu'il faut connaître l'auteur et ses œuvres plus récentes pour apprécier la première ? Je crois au contraire que tout le monde pourra s'y retrouver. Car si Love Medicine est un plaisir de retrouvailles pour les aficionados, il peut aussi être une très belle introduction pour les néophytes.  On pourra peut-être lui reprocher un trop grand nombres de pages (un peu plus de 500) pour un ouvrage qui ne se lit pas comme un page turner mais la construction est si savamment maîtrisée et l'écriture si douce et incisive qu'on l'oublie bien aisément.

J'aime particulièrement ce qu'en dit Toni Morrison et c'est donc en la citant que je clorai cette chronique : "Un livre d'une telle beauté qu'on en oublierait presque qu'il nous brise le cœur".

 

Challenge améridiens.jpgChallenge Amérindiens

10eme Lecture

 

 

 

 

moisamericain.jpgEt lu en lecture commune pour le challenge américain chez Noctembule

5eme Lecture

 

 

21/10/2013

Comme des ombres sur la terre de James Welch

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Comme des ombres sur la terre de James Welch, ed. Albin Michel, 1994 [1986], 395p.

 

En 1870, les Pikunis (de la nation des Blackfeet en anglais ; Pieds-Noirs dans la traduction) vivent et chassent entre la rivière des Deux-Médecines et l'Epine Dorsale du Monde, un territoire peuplé de paix et de cornes-noires. Les Pikunis sont répartis en plusieurs tribus nomades qui se réunissent chaque été pour honorer le soleil lors d'une cérémonie rituelle de quatre jours et quatre nuits.
Mais 1870 est aussi la période charnière où l'invasion blanche dans les territoires de l'ouest se fait plus pressante. Peu à peu des forts-comptoirs émergent pour commercer avec les autochtones, des ranchs se construisent et grignotent la terre ancestrale des Pikunis. Des traités se signent - qui n'ont de sens que pour les nations indiennes.

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Les grands espaces du Montana (ancien territoire Pikuni)


C'est dans cette époque incertaine, où les blancs jettent "comme des ombres sur la terre", que grandit Chien de l'Homme Blanc dans la tribu Pikuni des Mangeurs Solitaires. Comme une triste prémonition, le livre s'ouvre sur un changement de saison appuyé par le constraste du blanchiment des feuilles sous le ciel noir et l'inquiétude du jeune homme. Chien de l'Homme Blanc ne possède encore rien de ce qui caractérise la richesse chez les Pikunis : ni chevaux ni femmes. Il gagnera cependant le respect de son peuple en s'illustrant avec courage lors de deux raids contre les Crows et sera baptisé Trompe-le-Corbeau pour avoir vaincu le redouté chef Bouclier Taureau.
Mais tandis que le destin de Trompe-le-Corbeau s'épanouit au sein de son peuple et que de nombreuses visions lui offrent d'envisager, non sans tristesse, un avenir difficile, son ancien ami Cheval Rapide s'éloigne quant à lui d'une position qu'il juge trop faible à l'égard des envahisseurs. En effet, les chefsPikunis n'ont pas d'autres choix que de signer les traités et tenter de vivre en paix avec les blancs. Même si le grignotage de leurs terres les révulse, ils savent qu'ils ne sont pas de taille à lutter et ne peuvent qu'espérer éviter un massacre. Cheval Rapide et le groupe d'Enfant Hibou auquel il se rallie n'accepte pas cette défaite par avance et mène des expéditions punitives envers les blancs, quels qu'ils soient et où qu'ils soient. Ils sont violents et sans pitié. Ils ne respectent plus aucune valeur, pas même celles de leur peuple. Finalement, l'avancée des blancs ne morcelle pas que la terre : elle morcelle aussi le peuple.

 

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Guerriers Pikunis

 

Comme des ombres sur la terre s'offre comme un double chemin à contre-temps : celui, initiatique, de Trompe-le-Corbeau selon les coutumes, les valeurs et la spiritualité des Pikunis et celui, déclinant de ce peuple tout entier qui avance inexorablement vers sa presque fin. James Welch nous immerge complètement dans le mode de vie de ses ancêtres et forme un brillant roman historique fondateur. Ainsi, le lecteur participe à la vie tribale, qu'il s'agisse de la vie quotidienne, de la médecine ou du déroulement d'expéditions guerrières. La vie amérindienne n'a rien d'idéalisée. Il n'est pas question de bons sauvages qui cueillent des baies avec un sourire béat. Les Pikunis sont belliqueux et n'hésitent pas à mener des raids contre leurs voisins pour leur dérober des chevaux. Telle était une des pratiques répandues et l'on considérait que le butin de ces raids et le nombre d'ennemis tués étaient source de gloire. La vie maritale également est très codifiée et pas toujours agréable - étonnamment pour la femme. Par exemple, la jeune troisième épouse du père de Trompe-le-Corbeau est considérée comme une esclave au sein du foyer. Je vous passe une scène de viol répugnante qui n'a semblé choquer personne lors de son récit au conseil des anciens.
On apprend également beaucoup sur la spiritualité des Pikunis qui prend racine dans les cycles de vie. Les esprits supérieurs vénérés sont les éléments premiers : le soleil, la lune, les étoiles, le froid et les totems animaux. Ces croyances guident tout geste quotidien. Il ne s'agit pas de rituels de façade mais bien d'une ligne directrice. James Welch appuie leur puissance en inscrivant de nombreux rêves et visions au fil des évènements comme éléments déterminants.

Tandis que les deux premières parties du roman sont essentiellement consacrées à la vie Pikuni et à la relation avec les Crows, les Napikwans (blancs) prennent de plus en plus d'importance. Ils apparaissent toujours, si ce n'est en chair et en os, du moins en pensées chez les personnages. Ils sont exigeants et hautains. Malgré toutes les preuves de paix des Pikunis, les blancs persistent à vouloir anéantir ce qu'ils ne considèrent que comme un obstacle à leur croissance sans fin. On sait, et Trompe-le-Corbeau sait, que son peuple sera vaincu. Vingt ans plus tard, la sanglante bataille de Wounded Knee sonnera le glas des guerres indiennes et la victoire définitive des envahisseurs.

Mais une lueur d'espoir subsiste, qui permettra aux Pikunis de vivre éternellement : la transmission de la mémoire de génération en génération. La survivance à travers les mots et le souvenir de ceux qui viennent. James Welch livre donc, dans ce roman, ce qu'il faut de vie pour que la nation des Pikunis perdure à travers les âges. Le lire, c'est, en quelque sorte, participer à cette vie.
 

 

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Trois chefs Pikunis : Wolf Plume, Curly Bear et Bird Rattler en 1916

 

 

Challenge améridiens.jpgChallenge amérindien

9eme Lecture

 

 

 

 

moisamericain.jpgLe challenge américain chez Noctenbule

4eme Lecture

23/09/2013

La saga des Béothuks de Bernard Assiniwi

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La saga des Béothuks de Bernard Assiniwi, ed. Actes Sud/Léméac, coll. Babel, 1999, 498p.

 

Qui sont les Béothuks ? C'est à cette question que Bernard Assiniwi répond dans ce foisonnant roman aux allures d'épopée.
Les Béothuks formaient la nation autochtone de l'île de Terre-Neuve, au nord du Canada. Je mentionne ce fait à l'imparfait car ils ont bel et bien été exterminés jusqu'au dernier par les colons anglais. Contrairement à d'autres nations premières aux abords de ce territoire, ils n'ont pas créé de liens d'échanges avec l'occupant. Dès le début, ils ont refusé l'invasion, répondant par la force à la force qu'on leur opposait et ce prime engrenage a créé une spirale dont la nation Béothuk n'est jamais sortie ; et ainsi jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucun représentant - car ils n'étaient pas de taille face à des anglais plus nombreux et plus lourdement armés.

Pour raconter cette tragique histoire, Bernard Assiniwi découpe son roman - où devrais-je dire sa saga ainsi qu'il l'a lui même intitulée et effectivement, il respecte la forme des sagas nordiques - en trois parties qui correspondent aux trois périodes marquantes dans l'évolution de la nation Béothuk.

Tout d'abord, il fait remonter le temps jusqu'à l'an 1000 de notre ère (et à ma maigre connaissance, c'est l'oeuvre qui remonte le plus loin dans l'histoire amérindienne) et expose la vie mythique d'Anin, le fondateur de la nation. Anin quitte un jour son clan de la loutre (car la nation était alors divisée en clans indépendamment dirigés) pour tenter de faire le tour de l'île, que l'on considérait comme le monde. Tel était un rite initiatique. Durant ce long périple de plusieurs années, il découvre de nombreux territoires, rencontre sa première épouse qu'il sauve de la mort et affronte les vikings, premiers marins à avoir découvert l'Amérique. Parmi eux, il trouve ses deux autres femmes puis la quatrième sera une esclave irlandaise. Il rentre au clan glorieux et grâce à la protection de son animal totem : l'ours. Pour l'honorer, il fonde le clan de l'ours et devient le premier unique chef de la nation Béothuk. Ainsi, elle s'est fondée sur plusieurs valeurs fondamentales : l'authenticité, le courage, le respect de son environnement et le métissage. Les Béothuks, comme beaucoup d'autres nations amérindiennes, étaient très ouverts aux étrangers dès lors qu'ils acceptaient et respectaient leurs coutumes.

Après avoir laissé les Béothuks en plein essor, le lecteur est ensuite plongé au XVe siècle à l'époque des premiers envahisseurs français et anglais. Les échanges avec les Béothuks sont bien souvent violents et mensongers. Au gré des chefs qui se succèdent, la nation oscille entre des périodes où la défense est le souci majeure et où une paix relative est donc maintenue et des périodes d'assouplissement où ils se font systématiquement avoir. Ces évènements n'incitent pas à la souplesse et à considérer que les étrangers puissent être animés de justes intentions. De nombreux Béothuks ont été tués ou enlevés sous de faux prétextes pour être montrés comme bêtes de foire en Angleterre. Les entrepôts de stockage de nourriture et de fourrure ont été pillés. Malgré tout, la vie est encore agréable et les Béothuks occupent à présent toute l'île de Terre-Neuve. Ils ont accueilli en leur sein un marin français devenu l'époux de la chef et plusieurs chapitres sont consacrés à son apprentissage des us et coutumes autochtones ; bien souvent ces chapitres se terminent sur la conclusion que ceux que les européens jugent sauvages sont en fait érudits et bons (on pense au mythe du bon sauvage, n'est-ce-pas?)

Et puis, ce premier déclin mène à la véritable invasion anglaise au XVIIIe et XIXe. Les Béothuks ne sont plus maîtres de leur territoire ancestral dont les anglais ont pris possession en faisant fi de leur existence. Toute tentative de pacification se solde par une tuerie infâme. De 2000, les Béothuks ne sont progressivement plus que 500 puis une centaine et ainsi de suite. Malgré des édits royaux, les autochtones continuent d'être massacrés et molestés. Une prime est également remise à qui en capture un. Pour couronner le tout, un autre tueur européen sévit : le virus de la tuberculose. Les Béothuks qui ne meurent pas d'une balle de mousquet succombent à cette maladie contre laquelle ils sont impuissants. Dans la dernière centaine de pages, on suit tristement la dernière mémoire de la nation qui sera aussi la dernière survivante. Elle verra tous les membres de son clan et de sa famille quitter ce monde en sachant qu'après elle, les Béothuks cesseront d'exister. Cette partie est le récit d'un génocide en toute impunité.

J'en conviens tout à fait : cette lecture pourrait paraitre un peu austère et trop sérieuse de prime abord. Une sorte de précis historique romancé. Pourtant, la plume de Bernard Assiniwi embarque avec un grand plaisir au gré de ce peuple oublié. Le ton épique de la première partie, où Anin rivalise avec nos grands héros médiévaux en bravoure et esprit chevaleresque, fait progresser la lecture sans mal et même avec entrain. J'ai découvert avec étonnement les premières moeurs des Béothuks. Et puis, le caractère testimonial de l'oeuvre lui donne évidemment une saveur particulière. Savoir que tout cela a existé et a été détruit intégralement ne peut laisser indifférent. On oscille entre intérêt historique, interrogation, admiration, dépit et émotion au fil des pages et des époques. Il ne faut pas oublier, cependant, que cette saga ne saurait être comparé à un essai historique. Bernard Assiniwi affirme clairement le caractère mythique de son écriture dans le titre et on retrouve sous sa plume ce côté manichéen que l'on retrouve chez beaucoup de romanciers à propos de l'histoire amérindienne : l'autochtone est en quelque sorte l'image même du bon sauvage - à tort ou à raison ?

Bref, voilà un livre qui n'intéressera peut-être qu'une poignée de lecteurs mais qui les passionnera à n'en pas douter !

 

Challenge améridiens.jpgChallenge Amérindiens

8eme lecture





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Le Mois Québecois chez Karine :)

3eme lecture