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21/01/2014

Frenchman de Patrick Prugne

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Frenchman de Patrick Prugne, ed. Daniel Maghen, 2011, 76p. (+ une quinzaine de pages de croquis préparatoires)

 

coup de coeur.jpgEn 1803, Bonaparte cède la Louisiane aux jeunes États-Unis. A cette occasion, des régiments français sont envoyés à La Nouvelle Orléans parmi lesquels le jeune paysan Alban Labiche, enrôlé de force après une magouille du comte local. Au débarquement, il s'insurge contre un homme prêt à battre injustement son esclave noir et le tue. Le soir même, tandis qu'il est prisonnier, un frenchman - c'est ainsi qu'on désignait les acadiens (canadiens français) réfugiés aux États-Unis après la cession des territoires canadiens du nord et de l'est aux britanniques - le sauve. La tête d'Alban est alors mise à prix. Les deux hommes entament un périple pour remonter à l'embouchure du Mississippi et du Missouri en vue de s'embarquer pour la célèbre expédition de Lewis et Clark dans le grand ouest. Ils sont suivis de près par trois chasseurs de prime. L'un deux n'est autre qu'un de ses amis, le fils du fameux comte local, qui souhaite racheter la magouille du père en ramenant Alban. C'est sans compter les Pawnees qui peuplent ses territoires sauvages et qui vont compliquer la tâche.

J'ai mis pas mal de temps à lire cette BD louée à la médiathèque (je ne suis pas trop d'humeur BD en ce moment, je crois) mais je ne regrette pas une seconde de finalement m'y être collée : j'ai eu un gros coup de cœur !! Non seulement pour la trame narrative très intéressante et l'arrière plan historique extrêmement juste et bien rendu, mais surtout pour le graphisme d'une grande beauté. Patrick Prugne travaille à l'aquarelle et livre des illustrations dignes d’œuvres d'art. Les nuances sont profondes et douces, les paysages grandioses. J'ai appris, en surfant sur le net pour en savoir plus sur l'auteur, qu'ils vendaient certaines de ses planches originales et je comprends complètement cette démarche quand on voit la qualité de son travail. J'ai également constaté qu'une suite de Frenchman intitulée Pawnee était sortie fin août 2013 et en commande à ma bibliothèque. En attendant de pouvoir la louer, je vais aller dévaliser les autres BD de l'auteur - pour lesquelles il a collaboré avec Tiburce Oger au scénario : Canoé Bay et la trilogie de L'auberge du bout du monde.

J'ai également beaucoup apprécié qu'une quinzaine de page en fin de volume soit consacrée au travail préparatoire : croquis, études de personnages, de couleurs, notes diverses. Le lecteur est ainsi plongé dans les coulisses de l'illustrateur, qui révèlent l'ampleur de la tâche et apportent encore plus de relief (s'il était besoin) au produit fini.

Pour résumer : A lire et surtout à admirer sans hésitation !
Je joins quelques extraits photos du volume pour vous donner l'eau à la bouche, même si je trouve, très franchement, qu'elles ne rendent pas totalement justice à la beauté du travail de Patrick Prugne. Allez plutôt le feuilleter en librairie ou biblio, si vous en avez l'occasion, pour achever de vous convaincre !

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Challenge améridiens.jpgJ'inclus du coup ma première BD dans Le challenge amérindien !
12eme lecture

29/11/2013

La Cérémonie de Leslie Marmon Silko

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La Cérémonie de Leslie Marmon Silko, ed. 10/18, 1995 [1977], 280p.

 

Je poursuis mon exploration de la littérature amérindienne contemporaine avec l'excellente Cérémonie de Leslie Marmon Silko, roman âpre et tortueux qui mérite vraiment le détour tant il file une bonne claque littéraire. Je déplore qu'il ne soit pas réédité depuis une petite vingtaine d'années d'ailleurs, il faut donc le pêcher d'occasion sur divers sites internet. J'espère que ce que vous en lirez ci-après vous donnera envie d'aller voir dans ces pages si vous y êtes, ça vaut vraiment le détour.

Le roman prend place dans le territoire aride du Nouveau-Mexique, plus précisément dans la réserve des Pueblos Laguna et ses environs. L'écriture de Leslie Marmon Silko imprime cette chaleur étouffante avec une puissance étonnante. A perte de vue, une étendue tragiquement désertique, que la pluie n'honore plus. La seule humidité est celle de la sueur qui perle au front et le lecteur est d'emblée haletant dans ce décor hostile. Les éleveurs de bétails souffrent de cette pénurie car les animaux meurent et rien ne poussent plus.
C'est ici que nous faisons la connaissance de Tayo, un métis Laguna. Ancien combattant dans l'armée américaine pendant la seconde guerre mondiale, il a connu l'enfer des jungles asiatiques. Il y a perdu son cousin Rocky, qui était la fierté et l'espoir de sa famille et c'est seul et désorienté qu'il rentre après ce conflit. L'attitude de sa tante à son égard est ambivalente : elle semble s'occuper de lui mais ne parvient pas à dépasser la honte familiale qu'il cristallise : le métissage. Quant à Tayo, il souffre d'un grand choc post-traumatique. Le souvenir des combats, de sa vie auparavant et son présent oppressant se mêle en une danse douloureuse. L'auteur alterne les épisodes avec un apparent désordre qui exprime la perte de réalité de Tayo et sa grande difficulté à s'inscrire à présent dans le monde, à reconnaître son identité. Cette reconnaissance est d'autant plus compliquée que les anciens combattants amérindiens sont laissés dans une errance insoutenable. Lorsqu'ils portaient l'uniforme, ils étaient reconnus comme pleinement américains. Et puis, dès lors qu'ils ne le portent plus, ils redeviennent des parias, des "sales indiens" qui n'ont plus que l'alcool pour noyer la vacuité de l'existence.
L'oncle de Tayo, Josiah, jalonne également le récit. Décédé à la réserve pendant le conflit, Tayo ne l'a donc jamais revu. Pourtant, il reste très présent dans sa mémoire. Avant la guerre, Josiah avait fait l'acquisition auprès d'un mexicain d'un nouveau bétail métissé réputé plus résistant au climat des terres Lagunas. Malheureusement, ce bétail est aussi fugueur et disparait rapidement. Tante est persuadé que Josiah s'est fait avoir par sa maîtresse mexicaine qui l'a utilisé pour faire une juteuse transaction. Il cherchera les bêtes sans succès et ce dernière coup du sort le tuera, d'une certaine manière.

 

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Village Pueblo Laguna


Le récit avançant, l'état de Tayo ne s'améliore pas. Sa grand-mère invite un homme-médecine à le visiter et le guider sur la voie de la guérison. Tayo est sceptique et réticent. L'homme-médecine est un être extravagant, que l'on pourrait penser fou. son rire est presque effrayant. Pourtant, certaines paroles font écho en Tayo qui lui rend plus tard visite pour initier une cérémonie. Il s'agit ici d'un cheminement jalonné de rituels. Il n'y a rien de magique si ce n'est, peut-être, la nécessité de croire encore en soi, en l'autre et en la vie malgré la dureté des évènements passés. Tayo doit se retrouver lui-même. Faire la part des choses entre les épisodes terrifiants de la guerre, son passé douloureux et l'avenir qui s'offre encore à lui. Entre ses racines Laguna et ses racines blanches.
Le maître mot de cette quête, de cette cérémonie de l'être, est l'évolution. De même que l'homme-médecine affirme qu'il est stérile de reproduire les cérémonies ancestrales parfaitement à l'identique - ce qui ne conduit qu'au folklore dépourvu de sens et à figer ce qui ne l'est pas -, l'être doit lui aussi s'adapter et se mouvoir au gré des années.

Leslie Marmon Silko développe cette métaphore de la quête du passé pour trouver son présent et croire en l'avenir à travers la recherche du bétail jadis perdu de Josiah. Suite à une vision de l'homme-médecine, Tayo part au nord, où personne n'a eu l'idée de les chercher. Il découvrira que les bêtes ne s'étaient pas enfuies mais ont été enlevées par les Blancs.

Jusqu'à la fin, le roman reste aride, à l'image du climat de ces terres lointaines. Malgré la beauté de l'évolution de Tayo, malgré une philosophie lumineuse et juste sur le potentiel renouveau de toute élément vital, l'auteur ne tombe pas dans une caricature spirituelle de bas-étage ni ne sort d'un contexte social pour formuler une utopie. La cérémonie n'a rien de miraculeux. Elle imprime un souffle de vie nécessaire mais n'apporte pas de lumière divine sur le monde et les êtres. Aussi, les anciens compagnons de Tayo s'enfoncent toujours autant dans l'alcool et la misère et notre personnage principal connaît des instants de doutes, vacille. On reste donc ancré dans une humanité à la fois bouleversante et terrifiante.
La position tenue à l'égard des Blancs me semble également pertinente. Leslie Marmon Silko aborde la tentation d'un métissage inspiré par des promesses factices. Ce n'est pas le métissage qu'elle remet en question - au contraire, le personnage de la Tante est plutôt antipathique à ressasser "les fautes" de sa fratrie - mais la volonté de s'oublier, de s'annihiler en une autre culture. La civilisation blanche a un pouvoir hypnotique implacable. Pourtant, derrière celui-ci, c'est la destruction qui est omniprésente : Les terres, les cultures, les liens humains et les hommes eux-mêmes. Les amérindiens n'aspirent qu'à s'éloigner de la réserve car l'herbe est plus verte chez les Blancs. On peut y réussir, on peut être quelqu'un même si cela signifie taire ou amoindrir son identité amérindienne. L'auteur offre bien souvent à ces "aspirants blancs" un triste destin : la mort et la déchéance pour les hommes, la prostitution pour les femmes.

Le propos fondamental du roman est d'inviter à construire sa propre identité. Il n'y a plus de sens à vivre en tous points comme les nations amérindiennes du XIXeme siècle car les évènements ont fait évoluer les êtres et les amérindiens d'aujourd'hui ne sont plus ceux d'alors. Mais il n'y a pas de sens non plus à vouloir être "comme les Blans", à nier les racines profondes d'une culture millénaire pour s'assimiler à une autre. A l'image de Tayo, les nations autochtones contemporaines sont métisses à tous points de vue : elles sont le fruit d'un mélange des sangs, des langues, des spiritualités, des philosophies... Il s'agit pour elles de se redéfinir, de renouveler, de reconquérir leur identité unique et puissance à partir de ces éléments multiples.

Bien que le sujet de ce livre soit difficile et son structure dense et assez complexe, je l'ai lu avec un intérêt qui ne cesse de croître depuis que je l'ai terminé. Je savais l'avoir apprécié mais depuis qu'il se décante dans mon esprit, je constate que j'y repense fréquemment et que je ne cesse d'y trouver de nouvelles lumières. Que la question amérindienne interpelle ou pas, je suis particulièrement frappée par le talent de l'auteur qui est parvenue à tresser savamment au gré de mots et d'épisodes apparemment anodins toutes une cohorte de riches réflexions. Plutôt que de faire des grands discours théoriques, c'est bien son écriture qui parle pour elle. Il est indéniable que son propos m'interpelle en prime, donc je suis totalement conquise par cette découverte ! C'est tellement rare de trouver un roman qui continue à nous occuper l'esprit après sa lecture ! Quelque chose me dit que ce n'est pas ma seule et dernière lecture de ce roman... 

 

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Challenge améridiens.jpgChallenge amérindiens
11eme lecture





moisamericain.jpgLe challenge US chez Noctembule

8eme lecture

30/10/2013

Challenge Amérindiens : 2eme bilan !

Trois mois se sont écoulés depuis le premier bilan de lectures que vous retrouverez ici et six depuis le début du challenge. Il est temps de refaire un point sur ce qui a été lu depuis  !

 

Ce qui a dévoré nos coeurs.jpgAnne attaque le challenge avec la lecture enthousiaste de Ce qui a dévoré nos coeurs de Louise Erdrich, une plongée au son du tambour dans les racines Ojibwés et la difficulté à recomposer une identité contemporaine.

De même que Miss Léo avec Mille femmes blanches de Jim Fergus où l'improbable échange post-guerre de sécession entre 1000 chevaux et 1000 femmes. Il donne très envie !

De même enfin que Pasdel avec les mémoires d'un homme médecine sacré : Elan noir parle, propos recueillis par John Neihardt

 

Sharon et Lucie ont complété toutes deux le challenge de deux lectures supplémentaires.

Sharon a lu La morsure du lézard de Kirk Mitchell, un polar sombre dans une réserve indienne de l'Arizona et Le premier qui pleure a perdu de Sherman Alexis qui relate les "péripéties poignantes et drôles de Junior, un jeune Indien Spokane, né dans une Réserve".

Quant à Lucie, elle nous propose L'amant du lac de Virginia Pésémapéo Bordeleau, premier roman amérindien québécois érotique et Sedna, la déesse de la mer, un pièce de théâtre d'après une légende inuit.

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Pour ma part, j'ai rajouté six titres au challenge (il faut dire que j'ai massivement profité des mois québécois puis du challenge américain) que voici : Deux nouveaux de Louise Erdrich que j'aime décidément beaucoup. Son  tout premier roman, Love Medicine,  et son tout dernier (véritable coup de coeur), Dans le silence du vent. Puis Comme des ombres sur la terre de James Welch qui nous invite à la fin du XIXeme en territoire Pikuni.
Et trois autres titres de littérature amérindienne québécoise : Littérature amérindienne du Québec sous la direction de Maurizio Gatti, Ourse bleue de Virginia Pésémapéo Bordeleau et La Saga des Béothuks de Bernard Assiniwi

 

Pour finir, Choco part à la Découverte du photographe Aaron Huey et de son travail sur les amérindiens de la réserve de Pine Ridge : Tout simplement MAGNIFIQUE !

 

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©Aaron Huey

 

J'espère que ces chroniques vous donneront de belles idées ! Je vous donne rendez-vous d'ici trois mois pour le 3eme bilan et d'ici là, je vous souhaite d'excellentes lectures amérindiennes !