24/07/2013
Challenge Amérindiens : Bilan du 1er trimestre !
Comme il est de coutume sur la blogo, je vous propose un premier bilan du challenge amérindien lancé fin avril.
Depuis lors, nous sommes 15 lectrices inscrites et je vous remercie de votre participation à cette thématique qui me tient particulièrement à coeur et que la littérature explore avec une grande richesse.
Mais sans plus de blah blah, voici les lectures proposées ces trois derniers mois :
Coccinelle nous parle d'Une moitié de Wasicun de Jean-François Chabas, un roman jeunesse paru tout récemment (en mai 2013) écrit par un français. Il raconte l'histoire d'un jeune sang-mêlé élevé chez les Blancs qui, à travers une énigme policière, découvrira la culture Sioux dont il est aussi issu.
Choco nous propose le tome 1 d'une série BD intitulé Carlisle de Seigneuret et Chevret Deighton qui emmène en Pennyslavie au tout début du XXeme et traite de cette épineuse question de l'éducation des indiens dont le credo était "tuer le sauvage pour sauver l'homme"... Une BD qui permet de découvrir une réalité historique dérangeante et trop méconnue.
Sharon nous fait découvrir deux polars teintés de culture amérindienne : Seuls les morts ne rêvent pas de Vidar Sundstol et La danse des chiens tonnerre de Kirk Mitchell et j'avoue que le mélange des genres a l'air très alléchant !
Canel nous propose trois découverte très différentes : Du sang dans les plumes de Joel Williams est le témoignage écrit en prison de sa jeunesse douloureuse de métis amérindien battu par son père. Cochon rouge d'Erik L'homme et Laurent Corvaisier développe les témoignages fictifs de colons et amérindiens au XIXe pour faire comprendre la colonisation aux plus jeunes. Enfin, le classique La perle de Steinbeck tire son récit d'un conte traditionnel mexicain et questionne la cupidité et la corruption.
Lucie, notre représentante de l'autre côté de l'Atlantique (héhé) chronique L'écorce de nos silences sur 3 courtes pièces autochtones et le roman contemporain de la jeune auteur innue Naomi Fontaine intitulé Kuessipan.
Enfin, nous sommes deux à vous avoir chroniqué l'excellent Chemin des âmes de Joseph Boyden
qui tresse habilement récit de combats de la 1ere guerre mondiale du côté canadien et histoire des indiens Crees. Par ici l'article de Lilly et par ici, le mien.
Je vous ai également parlé de l'avènement progressif du fusil dans la vie des Lakotas à la fin du XVIIIe à travers L'hiver du fer sacré de Joseph Marshal III.
J'espère que ces quelques liens vous inspireront et, en attendant le prochain bilan dans 3 mois, je vous souhaite d'excellentes lectures amérindiennes !
J'en profite pour vous faire passer le lien d'une série documentaire sur l'histoire de la colonisation américaine et le génocide américain. On va pas se le cacher : ça n'est pas ce qu'il y a de plus réjouissant mais c'est extrêment bien fait et surtout nécessaire. Voici la première vidéo ; toutes les autres sont également disponibles sur youtube.
01/07/2013
Le chemin des âmes de Joseph Boyden
Le chemin des âmes de Joseph Boyden, ed. Le livre de poche, 2012 [Albin Michel, 2006], 471p.
Ce premier roman cousu d'une main d'orfèvre nous offre un morceau d'histoire bouleversant. Au canada, au début du XXe siècle, les tribus amérindiennes sont de plus en plus assimilées par la force des choses. Le gibier vient à manquer et les autochtones se réfugient dans ces réserves que le peuple dit "fondateur" leur octroie ; ils sont éduqués dans des pensionnats religieux où il s'agit de leur faire perdre leur "sauvagerie". Elijah et son ami Xavier sont parmi les derniers à vivre dans les bois, selon le mode de vie ancestral cree, avec Niska, la tante de ce dernier. Devenus fringuants et aventureux, ils décident de s'engager dans l'armée canadienne lors de la première guerre mondiale. Cette guerre, comme chacun sait, sera d'une violence inouïe - non seulement physiquement mais moralement. Les deux jeunes cree sont rapidement repérés comme d'excellents chasseurs et sont donc employés au tir d'élite ou à la traque silencieuse. Traités avec irrespect et condescendance dans leur pays, ils ont soudain nombre de qualités lorsqu'il s'agit d'en user au combat. Elijah s'illustre brillamment et prend plaisir à tuer. Il communique aussi beaucoup mieux avec ses frères d'arme que Xavier qui ne maîtrise pas assez bien l'anglais. Progressivement, leur duo est soumis à la houle des évènements tragiques, d'un quotidien martelé par les obus et les morts, et à l'empoisonnement progressif de cette médecine blanche si puissante : la morphine. Progressivement, Elijah devient un windigo. Rien ne résiste à la guerre des tranchées, pas même l'amitié la plus pure.
Parallèlement à ce récit, s'écrit la voix de Niska, la tante. En 1919, elle vient recueillir à la gare son neveu Xavier au sortir de la guerre. Il est abattu, incomplet et mutique. Il s'agit de le ramener chez lui, chez eux, dans leur terre. Niska engage alors trois jours de canoë pendant lesquels elle va raconter à Xavier son histoire et l'histoire de son peuple finissant. Elle ne sait pas si Xavier écoute, elle ne sait pas s'il va vivre. Mais tandis que tous deux revivent leurs histoires, ils cheminent sur le chemin des âmes - celui là même qu'empruntent les esprits pour rejoindre la lumière.
Parler de ce roman est extrêmement délicat car il me semble être un concerto tellement virtuose. D'une part nous avons le récit crépusculaire de Niska qui livre une culture qui finira avec elle. Seule, elle subsiste dans la forêt, loin de ces réserves blanches où l'alcool ravage toute la fierté d'un peuple jadis libre. Elle a hérité des pouvoirs chamaniques de son père et puise ainsi sa force dans ses racines puissantes. Mais elle n'a pas eu d'enfant et qui sait si Xavier survivra ? Peu à peu, la flamme cree s'éteint.
En dialogue avec ce chant du cygne lumineux, nous écoutons avec effroi les souvenirs de Xavier. De chapitre en chapitre, l'horreur des tranchées grandit et les soldats sont de plus en plus abîmés. Seule le morphine aide à tenir mais c'est aussi elle qui détruit de l'intérieur. Ainsi se répondent la folie des hommes avides de pouvoir au détriment des êtres et le lointain écho des cree.
Jim Harrison dit de ce roman qu'il est à la fois lumineux et sombre ; c'est on ne peut plus juste. Jamais l'auteur ne tombe dans la pathos ou la violence gratuite. Jamais il n'affirme ni ne défend une thèse particulière. Il use de ce merveilleux instrument qu'est la langue poétique pour témoigner et livrer la beauté, la complexité et les fantômes des âmes blessées. Au-delà d'un hommage aux cree et aux soldats de la grande guerre, c'est un très bel hommage à l'humanité.
Un premier roman d'un incroyable talent qui laisse présager une oeuvre d'une grande qualité. Pour la peine, suivra bientôt Les saisons de la solitude !
Challenge amérindiens
4eme lecture
08:44 Publié dans Coups de coeur, Littérature amérindienne, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (16)
09/05/2013
L'hiver du fer sacré de Joseph Marshall III
L'hiver du fer sacré de Joseph Marshall III, ed. Folio, 1994, 477p.
Dans les grandes plaines américaines du XVIIIe, les tribus autochtones jouissent encore d'une liberté sans hommes blancs et méconnaissent l'usage de l'arme à feu. C'est ainsi qu'il la nomme "fer sacré" qui exprime tant sa matérialité que son caractère mystérieux, rappelant le bruit puissant du tonnerre. Aussi, lorsque Whirlwind, chef de guerre des Lakotas Wolf Tail entend la détonation d'un fer sacré en rentrant de chasse, il s'interroge. Après quelque hésitation, il découvre dans un fourré le corps d'un barbu blessé et décide de le sauver - car malgré sa peur de l'inconnu, un vrai guerrier ne tue que si cela est nécessaire. De retour au campement, le barbu et son arme provoquent des réactions contrastées. Certains, dont Whirlwind et la plupart des anciens y voient l'occasion d'en apprendre plus sur les blancs, de les comprendre et par là, de se protéger. D'autres, dont Bear Heart, ressentent un grand danger dans cette proximité et se montrent hostiles. Et de fait, celui qui avait blessé Gaston de la Vérendrye attaque à nouveau. S'engage alors une poursuite dans les territoires sauvages enneigés où plane l'ombre du fer sacré, cet instrument de pouvoir et de fascination.
Joseph Marshall III appartient à la tribu des Lakotas (Sioux) Brûlés et travaille à en diffuser largement la culture. Il a pour cela rédigé de nombreux ouvrages historiques et littéraires et créé l'Université de Rosebud.
Dans cet ouvrage, c'est bien l'art de vivre Lakota qu'il tricote sur le manteau de la fiction. De nombreux épisodes sont l'occasion d'exposer l'organisation tribale - le choix du chef de guerre, la constitution du conseil des anciens où sont discutées (et non pas imposées) les grandes évolutions et décisions, la place de la femme au sein du foyer, les rituels de fiançailles puis de mariage -, les méthodes de chasse et de guerre - la fabrication des armes, l'entraînement, la manière de pister la proie -, et bien sûr les grandes valeurs qui sous-tendent tout le processus de vie. Les lakotas s'estiment partie intégrante de la nature, non supérieurs. Aussi, chaque élément doit être compris et respecté pour que l'unité subsiste et que l'harmonie soit juste. Ses valeurs sont principalement incarnées par le personnage de Whirlwind, ce chef de guerre d'âge mûr réfléchi et courageux. Toujours pondéré, précis et humble, il se lance seul dans la traque de l'assaillant blanc sans toutefois nourrir un désir aveugle de vengeance. Son objectif est de le capturer afin de le soumettre au jugement des anciens. A contrario, ce fameux Henri Bruneaux incarne la cupidité, l'irrespect, la voracité et la force brute. Malgré l'intérêt de cette dichotomie qui révèle bien des éléments pertinents sur l'opposition de ces deux cultures, on pourrait cependant regretter que l'auteur ne ménage pas sa plume et verse parfois dans un manichéisme un peu trop appuyé.
Le personnage de Bear Heart, à cet égard, est intéressant et offre un peu plus de nuance. De prime abord assez détestable car frontalement opposé à Whirlwind pour des questions d'égo, il offre un tierce point de vue sur le fer sacré : ne serait-il pas nécessaire pour évoluer et pour contrer l'invasion des blancs ? Bien qu'il démontre, du coup, un visage moins idyllique de l'amérindien, il révèle toute l'ambiguité du fer sacré : à la fois instrument de force et de faiblesse, il offre un pouvoir illusoire que l'homme ne tire plus de lui-même mais de l'extérieur. Sans le fer sacré, celui qui est désarmé n'est plus rien.
Au delà d'un portrait des valeurs amérindiennes, L'hiver du fer sacré peut donc aussi être lu comme une réflexion sur l'humanité au sens large et sur l'importance que l'on accorde trop souvent aux objets au détriment de la connaissance, de l'esprit, de la foi et de la nature. Il n'y a qu'à voir aujourd'hui comment l'homme traite sa propre terre.
Quelques réticences donc sur le manichéisme de la forme mais une très belle lecture tout de même, riche en questionnements passionnants.
Challenge Amérindiens
1ere lecture
Challenge Petit Bac 2013 chez Enna
Catégorie Phénomène météorologique
08:51 Publié dans Challenge, Littérature amérindienne, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (4)