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08/09/2015

Amours de Léonor de Récondo

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Amours de Léonor de Récondo, Sabine Wespieser, 2015, 276p.

 

coup de coeur.jpgDans l'univers policé des grandes maisons bourgeoises de province, à l'orée du XXème siècle, aucun fil ne dépasse de la couture. Dans celle des Boisvaillant, le couple d'Anselme - notaire de son état - et de Victoire semble suivre doucement le cours des jours heureux. Il ne manque seulement qu'un enfant à leur bonheur. Mais les grandes maisons bourgeoises de province sont comme les tapis : il faut aller au-delà de la surface. Le couple est le fruit d'un mariage arrangé qui maintient à peine les apparences. Victoire s'ennuie, à l'image d'Emma Bovary, et ne supporte pas le devoir conjugal. Anselme compense en usant de la petite bonne, Céleste, comme d'une opportunité de bon aloi : ce qu'il y a de bien avec les domestiques, c'est qu'elles se taisent. Il ne reste à Céleste qu'à rêver la forêt de son enfance et prier la Vierge ardemment.
(Je n'en dis volontairement pas plus car, en accord ma pourvoyeuse de belle lecture Philisine Cave, je trouve la quatrième de couverture trop bavarde et je ne voudrais pas vous gâcher le plaisir de la découverte.)

Depuis quand n'avais-je pas empoigner un livre dans l'optique d'en lire les quelques premières pages pour me retrouver à le dévorer sans voir ni les heures ni les pages défiler ?! Franchement, je ne me rappelle même plus. Considérons que cela fait donc un sacré bail. Considérons également que ce qui vient de se produire avec le dernier titre de Léonor de Récondo est le signe qu'il s'agit d'un roman que je vais m'employer à encenser pour les lignes à venir.

Je dois à Mina la découverte de Léonor de Récondo en février dernier avec Pietra Viva. Comme beaucoup, j'avais déjà beaucoup aimé cette partition lente et intérieure d'un Michel-Ange très humain. Dans Amours, l'auteure va encore plus loin dans cette finesse et cette douceur retenue car elle ôte le voile pudique qui nous maintenait à distance de Michel-Ange pour nous projeter avec les personnages de la maison Boisvaillant. Je ne saurais trop décrire comment elle parvient à cette pirouette alchimique de créer un style léger, aérien, d'une simplicité éclatante car toute poétique, tout en pénétrant au plus profond des chairs animales et interdites. L'alliance de la chair et du ciel (spéciale dédicace à Christiane Singer) atteint ici un joli sommet. Je pourrais indéniablement pinailler sur un ou deux détails mais cela relèverait de la plus parfaite mauvaise foi. Et puis, c'est précisément dans ces impuretés que se glisse, à mon sens, toute la lumière du roman.
Voilà donc Amours, terrain de toutes les facettes de ce fameux sentiment éponyme et de toutes les relations complexes qui en découlent. Une grande émotion, toujours maîtrisée et juste, se dégage de chaque page et de chaque nouvelle note jouée sur le clavier des amours. Et l'une des plus douces s'accompagne de La sonate au clair de lune de Beethoven.

Ceci étant dit, est-il besoin de conclure en vous suggérant de découvrir ce magnifique roman ?

 

Mille mercis à Philisine Cave pour ce livre voyageur !

Lu en lecture commune avec Mina !

07/08/2015

Sylvia d'Antoine Wauters

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Sylvia d'Antoine Wauters, Cheyne éditeur, 2014, 83p.

 

coup de coeur.jpgCelui-là, je devais le lire depuis longtemps, depuis sa sortie plus précisément, et puis j'ai trainé comme d'habitude. J'ai surtout tourné autour du pot, j'ai hésité. La perspective de lire une certaine vision de Sylvia Plath, poétesse que j'admire particulièrement, sans vraiment qu'il en soit question explicitement, me perturbait un brin. Je ne voyais pas exactement comment cela pouvait s'articuler avec tout autre chose : la mort de deux grands-pères et le processus de deuil afférant. En d'autres termes : je n'ai rien contre un rôti au chocolat, a priori, mais me forcer à y goûter est une autre affaire.

Et puis, je l'ai lu. J'ai fini par céder. Sylvia est bien plus qu'un processus de deuil - parce qu'élaguer les poncifs, ronger l'os et dépouiller, c'est étonnamment avoir moins pour toucher plus. Antoine Wauters parle d'un avant, d'un pendant et d'un après la mort de ces deux êtres si prégnants dans sa vie d'homme - qui ont toujours été là - en déshabillant l'expérience du deuil de ce qui la gonfle fréquemment d'oripeaux indigestes. Pour cela, en revenir aux corps, à la nature organique de la mort. Attitudes animales, pourrissement végétal : l'homme s'inscrit dans cette marche vieille comme le monde. Face à cette expérience d'une banale extrémité, la poésie dit ce qui n'a pas toujours su passer les lèvres, ce qui n'a pas pu être parlé du vivant de Charles ou Armand.

De Sylvia Plath, Wauters dégage la corde lisse, souvent raide et dangereuse mais évidemment sensible, qui se tient entre vie et mort, qui ne forment pas deux entités contraires. Vie et mort sont les deux nuances subtiles d'une même réalité qui circule inlassablement. Expérimenter la mort, le deuil, la douleur, c'est encore vivre. C'est créer : poésie, amour et doucement, une nouvelle vie qui poursuit la boucle. Il y a une lucidité, une âpreté terriblement exigeante dans cette vision holistique de l'existence chez Sylvia Plath qui interdit le détour ou l'apitoiement. Dans la brutalité poétique  que Wauters empoigne - en empoignant la main de Sylvia - l'énigme du vivre se découvre comme flux.

Je n'en dis sans doute pas grand chose, ou du moins il m'est arrivé d'être plus claire. C'est qu'il n'y a pas d'histoire linéaire à vous conter, ni de personnages à présenter. Prenez plutôt Sylvia comme un échange : de la mort à la vie, de l'auteur au lecteur, de la perte à la joie.

 

Et la vie ne se souvient pas, tu dis, ma vie s'écrit pour s'éprouver elle, comme clarté, comme calme, rendue à elle. Nouvelle manière d'être heureuse, tu dis que l'écriture peut, d'un pôle des bronches à l'autre, en l'espace du mot pôle et bronche, faire passer de la jachère au plein jeu de chaleur. Au blanc lacté. A la mamelle d'où expirer viendrait un jour et repartirait le lendemain. Nous laissant vivre. Nous laissant. Nous. p. 21

 

16/07/2015

Le Paradis Perdu de John Milton, mis en image par Pablo Auladell

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Le Paradis Perdu de John Milton par Pablo Auladell, Actes Sud, 2015, 316p.

 

PARADIS_226.jpgCe livre graphique fait typiquement partie de ceux qu'on évite d'acheter à l'impro, sans y réfléchir : non seulement le sujet se choisit clairement, et ne se lit pas aisément entre la poire et le fromage, mais le prix conséquent du livre (35€) freine en outre les ardeurs aventurières. En gros, on se retrouve un beau jour avec ce bouquin dans les mains parce qu'on l'a voulu et parce qu'on a bien pesé le pour et le contre.
Dans cette optique de réflexion, je me suis délectée plusieurs jours de sa simple vue avant de l'entamer. Chaque page est un plaisir pour les yeux avec de l'être pour l'esprit et prépare avec douceur la plongée dans un univers d'une poésie toute martiale.

John Milton écrit Le paradis perdu en 1667, son œuvre la plus célèbre : un opulent poème épique qui brosse la chute de Lucifer puis la chute de l'Homme sous le joug perfide de sa tentation vengeresse. Je ne saurais vous en dire beaucoup plus, n'ayant pas lu le texte original, si ce n'est que j'ai été interpelée à travers l'adaptation qu'en fait Auladell par l'aspect profondément guerrier du récit où règne une volonté de domination et d'obéissance de part et d'autre - et c'est l'occasion de se remémorer à quel point le Dieu de l'Ancient Testament n'a rien de charmant. J'ai également été saisie par le questionnement crucial qui se joue entre l'orgueil et la liberté à travers le personnage de Lucifer/Satan. Au fond, où est la frontière entre les deux et à quel moment, ce qui semble être le droit le plus inaliénable devient un fléau destructeur ? Lucifer est exactement Dom Juan, ni plus ni moins, les nombreuses conquêtes féminines en moins. Lucifer, le premier libertin : n'est-ce pas savoureux ? (Spéciale dédicace à ma chère Mina!)

Quant au graphisme, car de cela je peux vraiment vous en dire quelque chose, c'est tout simplement du grand art. Pablo Auladell crée une atmosphère faite de brouillard et d'éclat, entre le doute - du lecteur, de Satan, de l'Homme - et la puissance divine, la certitude des choses immuables et grandioses.
Le projet d'Auladell, commandé initialement par un éditeur de poésie, a été arrêté au premier livre puis repris par un éditeur numérique puis par Actes Sud en France. Cela explique, nous dit l'auteur, une évolution du graphisme entre ce premier livre et les suivants, évolution qui me semble parfaitement correspondre à l'évolution narrative. On passe ainsi de la chute de Lucifer qui devient alors Satan, tout en bichromie saturée et dans des territoires désertiques, presque angoissants, à sa recherche de la terre des Hommes sous l'égide de la grâce de Dieu, tout en nuances, lumières et couleurs vaporeuses.

Cette œuvre est indéniablement une réussite totale, époustouflante de maîtrise, de talent et de poésie. Le dessin n'a rien à envier à l'illustre poème auquel il s'est attaqué brillamment. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il m'a donné envie de tenter de plonger dans Milton - il ne faut pas pousser mémé - mais il m'a donné envie de le chroniquer, ce qui est déjà en soi un exploit et signe qu'il mérite le détour - parce qu'allez savoir pourquoi, chroniquer les BD me broute un peu en ce moment. Mais je devais chroniquer celle-là. C'était une nécessité. Maintenant, lisez-là (s'il-vous-plait) !

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Challenge a year in England.jpgChallenge A Year in England chez Titine

2ème lecture