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17/01/2016

Le voyage de Pippo de Satoe Tone

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Le voyage de Pippo de Satoe Tone, Nobi Nobi, 2014, 40p.

 

coup de coeur.jpgDire que je chronique rarement des albums serait mentir : je n'en chronique jamais. A tel point que j'ai dû en créer la catégorie sur le blog... Ça pose les choses sans ambiguïté. Et puis voilà, qu'à l'occasion, je suis tombée sur un album délicieux, tout de poésie et de douceur vêtu, qui m'a invitée à revenir sur le silence fait à cette littérature enfantine.

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Pippo la grenouille ne sait plus rêver, alors elle égraine les moutons pour s'endormir. Un beau jour, elle rencontre une brebis qui connaît le secret des rêves : les voilà partis tous deux dans un voyage fabuleux, de peu de mots et d'univers chatoyants, pour visiter les songes de toute une année. Le récit de Satoe Tone délivre le sourire des moments simples et heureux. Qu'elle ait reçu de nombreux prix pour cet album n'est que justice à la vue de ces planches féériques, qui retranscrivent à merveille la sérénité de chaque mois, de chaque saison.

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C'est un plaisir renouvelé pour les yeux des petits et des grands ; c'est le message pur de l'amitié qui se nourrit des rêves, qui se nourrit précisément de l'instant partagé détaché de toute velléité. On plonge dans l'être et dans la joie à chaque page de ce bel album, comme une belle tranche de vie.

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12/01/2016

Cristallisation secrète de Yôko Ogawa

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Cristallisation secrète de Yôko Ogawa, Actes Sud, 2009 [écrit en 1994], 352p.
[Disponible en poche chez Babel]

 

En faisant le bilan des lectures 2015, je me suis aperçue que j'étais bien peu souvent sortie de textes francophones et anglophones sans trop le vouloir. Encore une fois, il faut croire que c'était l'humeur. Mais pour changer, j'avais envie de commencer 2016 avec d'autres horizons - déjà connus certes, mais plus exotiques et dont on ressent indéniablement l'esprit particulier à travers la langue.

coup de coeur.jpgJe retrouve ainsi Yôko Ogawa pour une troisième lecture dans une île étrange où tout semble voué à la disparition. Tel matin, sans savoir pourquoi, un objet, un animal, ou un mot s'efface du monde vivant. A sa place, les cavités grandissent, béantes d'un néant secret et mystérieux car, à mesure que les éléments s'en vont, les êtres en oublient jusqu'au moindre souvenir. Seules quelques rares personnes possèdent le don sublime de se souvenir mais celles-ci sont poursuivies par une police inquisitrice. En fait, les éléments du monde ne font pas que disparaître, ils doivent disparaître et il faut les oublier. Progressivement, il en va ainsi des métiers - et notre héroïne doit se reconvertir de romancière à dactylo - et des êtres eux-mêmes : à force de n'avoir plus rien, pas même la mémoire, les corps s'amenuisent.

 

"Je me demande de temps en temps ce qui a disparu de cette île en premier.

– Autrefois, longtemps avant ta naissance, il y avait des choses en abondance ici. Des choses transparentes, qui sentaient bon, papillonnantes, brillantes… Des choses incroyables dont tu n’as pas idée, me racontait ma mère lorsque j’étais enfant.

– C’est malheureux que les habitants de cette île ne soient pas capables de garder éternellement dans leur cœur des choses aussi magnifiques. Dans la mesure où ils vivent sur l’île, ils ne peuvent se soustraire à ces disparitions successives. Tu ne vas sans doute pas tarder à devoir perdre quelque chose pour la première fois.

– Ça fait peur ? lui avais-je demandé, inquiète.

– Non, rassure-toi. Ce n’est ni douloureux ni triste. Tu ouvres les yeux un matin dans ton lit et quelque chose est fini, sans que tu t’en sois aperçue. Essaie de rester immobile, les yeux fermés, l’oreille tendue, pour ressentir l’écoulement de l’air matinal. Tu sentiras que quelque chose n’est pas pareil que la veille. Et tu découvriras ce que tu as perdu, ce qui a disparu de l’île."

Sous les atours de la simplicité et de la pudeur, Yôko Ogawa crée un univers où se réfléchit la réalité des régimes totalitaires. Outre l'asservissement que ces derniers enjoignent aux peuples, on sent dans Cristallisation secrète toute l'absurdité de tels régimes dont on ne sait trop comment ils ont commencé, dans lequel les êtres en viennent à se satisfaire de leur esclavage et qui finit par se détruire avec ses propres armes. Chacun n'est déjà plus totalement une entité. Les personnages n'ont pas de prénoms : la narratrice reste inconnue, les autres sont désignés par des fonctions ou des initiales. Avant même l'effacement des corps, il y a déjà l'effacement des personnalités car l'homme, par instinct de survie, est prêt à accepter une moitié d'existence. C'est sans doute ce qui fait l'originalité du roman d'Ogawa : cette attention portée à l'aspect humain, anecdotique de l'expérience dictatoriale, au-delà des grandes mesures répressives.

   "Savez-vous que si l’on sectionne ses antennes, un insecte se tient aussitôt tranquille? Effrayé, il reste tapi et finit même par ne plus se nourrir."

 En outre, l'art apparaît peut-être comme le seul instrument possible de résistance. C'est la narratrice qui retranscrit à travers sa prose le miroir de la réalité morcelée de l'île ; c'est l'éditeur qui n'oublie rien des choses disparues. Ainsi, il lui en rappelle régulièrement le souvenir et lorsque les romans disparaissent à leur tour, il invite la romancière à poursuivre son travail, quoiqu'il en coûte. Au prix d'un mot ou deux par jour, péniblement arrachés au labeur quotidien, parfois vidés de leur sens. Au prix de grandes difficultés et d'efforts surhumains. L'exercice de la littérature et de l'art en général - puisqu'on se rappelle que la mère de la narratrice, qui pouvait elle aussi se souvenir, était sculptrice - est ainsi le dernier bastion d'une résistance acharnée face à l'oppression et à l'obscurantisme. 
Voilà sans doute une lecture qui n'aura jamais été aussi nécessairement d'actualité et dont je ressors touchée et conquise !

"Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s’ils avaient été déracinés. Même s’ils ont l’air d’avoir disparu, il en reste des réminiscences quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus, même si les souvenirs ne sont plus là, il arrive que le cœur en garde quelque chose. Un tremblement, une larme."

 

31/12/2015

Au revoir à l'une, salut à l'autre*

 "Elle disait que rien n'avait besoin de demeurer. Qu'on pouvait faire et défaire, et ne rien regretter, jamais"
Michèle Desbordes

Tiens, 2015

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En littérature, comme en art en général, on a jamais fait le tour de la question. C'est ce qu'il y a de particulièrement émoustillant ; c'est ce qui donne envie de toujours chercher, découvrir, s'émerveiller. Depuis le temps que je lis comme je respire, je n'ai toujours pas réussi à me lasser des mots tant chacune de mes humeurs trouve toujours chaussure à son pied.

Force est de constater que cette année fut romanesque. J'ai laissé filer la poésie du jeudi, ai parlé à peine de quelques recueils, pour ne plus chroniquer quasiment que des romans. Même mes lectures graphiques se sont peu montrées sur ce blog si ce n'est quelques coups de cœur ici ou là. C'était l'envie de 2015, aussi l'ai-je suivie sans me poser de contraintes (je le dis assez mais il ferait beau voir que le blog en devienne une).

De cette belle année, riche de plusieurs siècles et de plusieurs langues, je retiens quelques ouvrages qui m'ont particulièrement inspirée, souvent avec étonnement :

                   Le roman de la momie.jpgBruges la morte.jpgles vagues woolf1.jpg

Du côté des classiques, Le roman de la momie de Théophile Gautier m'a révélé un joyau de langue impeccable et sublime tant l'amour et la mélancolie qu'on y respire mêlent les parfums de l'ancienne Egypte et les délices de fin du siècle. Où les envolées poétiques deviennent voyage immobile, avec délectation.
L'amour encore, mais symboliste, fantomatique, habillé des brumes de Bruges dans Bruges la morte de Georges Rodenbach ;
L'amour toujours - ah, mais l'Amour de la vie cette fois, avec le grand A des mystiques (Ou des niais ? Mais j'assume ma niaiserie pour elle) : une relecture des Vagues de Virginia Woolf où l'éternel va-et-vient de l'existence - vie/mort ; joie/nostalgie ; être/s'effacer - est décidément ce qui me ravit le plus. Je lirai ou relirai sûrement une autre oeuvre de Woolf cette nouvelle année.

                      Le peintre d'éventail.jpgMa.jpgNeverhome.jpeg

Du côté des contemporains, c'est Hubert Haddad qui aura marqué mon année 2015 en l'encadrant littéralement : en janvier, je découvrais son univers japonisant, entre zen et poésie occidentale dans Le peintre d'éventail  et je réitérais, avec une sacrée joie en décembre avec , encore plus délicieux. J'ai adoré également patauger dans la boue et les affres de la guerre de Sécession avec l'excellent Neverhome de Laird Hunt et prendre une claque magistrale avec La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaëtan Soucy.

                 La petite fille qui aimait trop les allumettes.jpgAmours Récondo.jpgUne passion.jpg
Il faut bien tout de même un peu d'amour aussi ; C'est chez Léonor de Récondo que je l'ai trouvé dans les Amours bourgeoises et subtiles de Victoire, d'Anselme et Céleste et dans Une passion de Christiane Singer où s'effleurent les amours intemporelles et brûlantes d'Héloïse et Abelard.

         Sylvia.jpgLe paradis perdu.jpgAfficher l'image d'origine

Et puis, bien que peu poétique et peu graphique, 2015 m'a quand même fait dénicher quelques perles dans ces domaines chers à mon cœur. J'ai notamment été époustouflée par la plume d'Antoine Wauters dans son sublime Sylvia où deuil et création poétique trouvent une parfaite apogée ou par le graphisme mystérieux de Pablo Auladel dans l'entreprise périlleuse d'illustrer Le Paradis Perdu de Milton. Enfin, je n'ai pas boudé mon plaisir lorsqu'il s'est agit de rigoler sous cape avec Les vieux fourneaux de Cauuet et Lupano (dont j'ai bien hâte de lire le 3ème tome).

 

Salut 2016 !

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En 2016, j'ai envie de continuer à fureter, à ne m'ennuyer de rien qui soit créatif, original, sensible, drôle et percutant. J'ai envie de continuer à aller voir dans tous les genres littéraires si j'y suis (vous remarquerez d'ailleurs que je ne retiens rien de spécial en polar, jeunesse et SF pour 2015 ; j'ai pourtant lu dans ces genres des titres tout à fait agréables et divertissants mais rien qui casse trois briques à un barcecue).

J'ai aussi envie d'en revenir à un rendez-vous poétique régulier comme je le faisais jadis en 2014. Je ne sais pas encore selon quelle régularité, je ne sais pas d'ailleurs s'il y en aura une, ni même s'il y aura un jour dédié à cela. Tout ce que je sais, c'est que je souhaite à la poésie de revenir plus fréquemment sur ce blog. Non pas seulement sous la forme de chroniques mais sous la forme d'extraits. Honnêtement, je ne me sens aucunement les compétences de chroniquer des poètes universellement reconnus pour leurs talents (je le fais dans le roman pourtant mais, allez savoir pourquoi, j'en perds mon latin en poésie) et pourtant, ils ont plus que leur place ici puisqu'ils m'accompagnent quotidiennement. Des extraits donc, des morceaux poétiques au gré du vent pour le plaisir des mots, des élans et des sensations ; que j'ai bien envie d'agrémenter d'art tant qu'on y est : poésie et art ne se marient-ils pas à merveille ? Pour l'heure un premier rendez-vous poétique est prévu dans la première semaine de 2016 ; d'autres suivront au gré des inspirations. En espérant qu'ils vous inspirent de lire ces poètes et d'admirer ces artistes, ce serait l'idéal !

A tous et toutes, je vous souhaite une année 2016 d'émerveillement renouvelé, de joie, de frissons, de sueurs de toutes les couleurs ; en un mot, je vous souhaite une année riche de vie parce que, bordel, c'est quand même pour ça qu'on est là.

"Lieux, moments, existences vont donc être rendus à une liberté merveilleuse, le réel se faire l'espace même du possible, les sensations se multiplier et tout glisser à la métamorphose"
Jean-Pierre Richard

Et évidemment, bonne fiesta de réveillon !

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Photographies du festival des couleurs en Inde (Source)