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17/03/2014

Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos

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Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, Folio Classique, 2006 [1782], 512p.

 

coup de coeur.jpgLes Liaisons dangereuses tient une place particulière dans mon cœur car il m'a suivi pendant mes années d'éducation littéraire. Je l'ai lu pour la première fois à 16 ans puis l'ai relu tous les ans pendant 8 ans. Du lycée à l'université, mon regard à son endroit a évolué, toujours de plus en plus éclairé grâce à quelques chers professeurs.

Tout le monde en connaît l'histoire, je ne vais donc pas la rabâcher inutilement. Pour résumer très grossièrement, ce roman épistolaire relate les circonvolutions machiavéliques et libertines du Vicomte de Valmont et de la Marquise de Merteuil dont pâtissent un certain nombre de personnages.
Libertines, justement. C'est peut-être au cœur du libertinage et de sa compréhension que subsistent quelques mésententes. Lorsque je l'ai lu pour la première fois, je cherchais le libertinage tel qu'on a tendance à le réduire aujourd'hui c'est-à-dire à une série de coucheries diverses et variées dénuées de tout sentiment (du moins, de tout sentiment pour un autre que soi - car le libertin a un égo surdimensionné, c'est bien connu). Cette idée réductrice, Les Liaisons dangereuses a participé à la construire car, avouons-le, les deux personnages principaux sont effectivement des séducteurs invétérés particulièrement manipulateurs et qui n'en ont pas grand chose à carrer de détruire l'avenir de tel ou tel. Mais s'arrêter là dans la compréhension du roman comme dans celle du libertinage, c'est comme dire qu'on connaît l’œuvre de Depeche Mode parce qu'on a écouté Enjoy the silence deux ou trois à la radio.

fragoloveletter.jpgRevenons-en donc à la pensée libertine. Développée largement au XVIIeme (on pense au Dom Juan de Molière), le libertinage est avant tout un mouvement intellectuel qui concerne celui qui choisit de penser librement, de s'affranchir des dogmes, des conventions de la société dans laquelle il vit pour choisir sa propre voie. Son domaine critique de prédilection est bien sûr la religion ; le libertin est donc matérialiste et choisit d'être guidé non par un dogme érigé par les hommes pour en asservir d'autres (il faut distinguer refuser les dogmes de la religion et être athée) mais par sa raison. C'est sans doute cette suprématie de la raison, de la réflexion, de l'esprit critique qui conduit le libertin a apparaître à l'extrême comme un manipulateur calculateur et froid. Ce comportement est sans doute aussi à remettre dans le contexte historique car la liberté de penser n'allait pas exactement de pair avec la liberté d'expression ; il fallait donc user de stratagèmes pour vivre "en toute liberté". De ce libertinage intellectuel découle le libertinage de mœurs - celui que le XXeme siècle retient. Selon cet éclairage, Valmont et la Marquise sont bel et bien des libertins : les mœurs discutables ne sont qu'un des aspects de deux esprits qui choisissent de défier les conventions d'une société pétrie d'apparences hypocrites et engoncée dans une série de règles que l'on suit sans réfléchir. A cet égard, la longue lettre où la Marquise de Merteuil relate son éducation libertine lors de son entrée dans le monde est édifiante. 

Pourtant, il n'apparaît pas évident de comprendre d'emblée quelle position prend Choderlos de Laclos à l'égard de ces libertins. S'ils sont bien les protagonistes et mènent la barque du déroulement narratif, leurs chutes respectives sont cruelles : Chacun trahit l'autre. Valmont, à trop vouloir jouer avec le feu, s'y fait prendre. Il tombe amoureux, provoque sa propre souffrance et se fait tuer par le souvent ridicule (mais pas tant que ça) chevalier Danceny lors d'un duel initié par la perfidie de la Marquise. Quant à elle, elle est bannie de la société et choppe la honteuse petite vérole - et peine non moins douloureuse est celle d'avoir perdu Valmont. Bref, Laclos défend-t-il ou fustige-t-il le libertinage ? Finalement, un peu des deux. Laclos ne fustige pas le libertinage en soi mais il en fustige les excès. Il fustige d'ailleurs les excès de manière générale, ce fameux húbris de l'homme qui le conduit à chuter par orgueil. De fait, si Valmont et Merteuil connaissent des fins pitoyables, ce n'est pas à cause de leur libertinage de mœurs et encore moins de pensée mais parce qu'à trop louer la suprématie de la raison en toute chose, ils en ont oublié que l'homme par essence n'est pas fait que de raison. La nature humaine est bien plus complexe et faire fi de tout ce qu'on peut ressentir, c'est à coup sûr se précipiter vers sa chute. Où l'on comprend bien que Laclos ne mélange pas húbris et libertinage, c'est à regarder de plus près le personnage de Madame de Tourvel. A priori exempt de tout soupçon, femme vertueuse, sage et délicate, Madame de Tourvel connaît pourtant également une chute cruelle. Elle est également une personne trop entière, trop peu mesurée : tout d'abord à l'égard de la foi puis à l'égard de Valmont, elle s'en remet systématiquement à un tiers pour conduire sa vie et elle le payera bien cher.

Dans ce roman, Laclos nous invite à la mesure en toute chose et en toute circonstance. Point trop ne faut de raison, point trop ne faut de sensibilité. Il faut toujours garder un équilibre entre l'exercice d'un esprit libre, réflexif et ambitieux et un cœur épanoui. Refouler l'un ou l'autre conduit inexorablement à sa propre perte. Je me suis longtemps demandé en quoi résidait le génie des Liaisons dangereuses de paraître si intemporel alors même qu'il a été écrit à la fin du XVIIIe et est, à tout point de vue, particulièrement ancré dans ce siècle. Il me semble avoir trouvé enfin la réponse en comprenant enfin le roman sous cet angle du juste équilibre. Les problématiques liées à l'húbris de l'homme ne cesseront sans doute jamais d'être d'actualité - qu'elles soient ou non déguisées sous le manteau du libertinage. 

 

Je remercie Mina d'avoir initié ce mois-ci un rendez-vous libertin autour de ce merveilleux roman ; j'ai ainsi pu m'y replonger avec délectation.

 

PS : Puisqu'il est également permis de présenter les adaptations diverses et variées du roman, j'en profite pour vous signaler (oui, juste en passant parce que je suis nulle en critique ciné) l'excellentissime version de Stephen Frears avec John Malkovitch (Valmont ♥), Glenn Close (Merteuil ♥), Uma Thurman (Cécile de Volanges) et Michelle Pfeiffer (Madame de Tourvel). C'était pas gagné de transposer au cinéma un roman épistolaire. Ce n'était pas gagné non plus d'interpréter des personnages comme les deux protagonistes de ce roman-là, d'une infinie complexité qui aurait pu rapidement virer en caricature lamentable (exemple : la version "contemporaine" des Liaisons dangereuses intitulée Sexe Intentions avec Ryan Philippe en Valmont vous donnera une idée de ce que j'entends par caricature lamentable). Et bien ici, ce n'est pas le cas. Le film est fabuleux, extraordinaire, jouissif, piquant, plein d'ironie, de piment et de violence. Le must de l'adaptation cinématographique en somme, rien que ça ! Et puis hein, rien que pour la scène d'écriture entre Valmont et sa courtisane préférée... :D

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PS bis : Et rien à voir, mais un peu quand même : Le musée Jacquemart-André organise une exposition autour des Fêtes Galantes de Watteau à Fragonard ce printemps. Qui qui c'est qui bavouille ?! ^^ (Et le musée d'Orsay organise une expo autour d'Artaud et Van Gogh, là pour le coup, ça n'a rien à voir mais je bavouille quand même !)

 

[Illustration : La Lettre d'amour de Fragonard, 1771]

 

challenge melange des genres.jpgChallenge Le mélange des genres chez Miss Léo

2eme participation pour le XVIIIeme siècle dans la catégorie "classique français"

 

 

 

 

 

challenge-des-100-livres-chez-bianca.jpgChallenge des 100 livres à avoir lus chez Bianca

12eme participation

13/03/2014

Un spécimen transparent suivi de Voyage vers les étoiles d'Akira Yoshimura

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Un spécimen transparent suivi de Voyage vers les étoiles d'Akira Yoshimura, Actes Sud, Babel, 2014 [1974], 149p.

 

 

coup de coeur.jpgJe l'ai souvent dit : j'ai du mal avec le format de la nouvelle qui m'en livre tantôt trop, tantôt pas assez à mon goût. Donc je n'en lis plus. Ou presque plus. Mais parce que je ne suis pas à une contradiction près, mon dernier coup de cœur est un recueil de deux nouvelles : tout est normal !

J'ai découvert Yoshimura par hasard il y a deux ans avec le recueil composé de La jeune fille suppliciée sur une étage et Le sourire des pierres. Si je l'avais apprécié, il m'avait surtout intriguée. Il faut dire que j'y découvrais non seulement un univers très particulier à mi chemin entre "l'expérience chirurgicale et le conte merveilleux", disais-je, mais la littérature japonaise en général (oui, je m'y suis mise sur le tard, voyez-vous)
A nouveau dans ce recueil, la persistance d'un univers et d'une construction similaire : deux nouvelles d'environ 70 pages où la mort s'infiltre par le petit trou de la serrure pour contaminer le quotidien d'un fantastique poétique et un poil glacial.

Dans Un spécimen transparent, le vieillissant Kenshiro sublime son attirance pour les os humain en fabricant des échantillons osseux dans un hôpital universitaire. Si cette profession est parmi les plus honnies et souvent ingrate, Kenshiro la conçoit comme une quête esthétique. Jadis, son beau-père sculptait des scènes érotiques dans les os ; lui cherche la perfection à travers la création d'un spécimen osseux parfaitement transparent et lumineux.

Voyage vers les étoiles raconte l'épopée suicidaire d'un groupe d'adolescents marqués par l'ennui existentiel. L'un d'eux lance un beau jour "Et si on mourrait ?!" et ils décidèrent de mourir, en effet, au terme d'un road trip en camion.

Si j'ai retrouvé parfaitement l'ambiance de La jeune fille suppliciée... dans la première nouvelle et l'ai énormément appréciée, c'est la seconde qui m'a fait virer au coup de cœur. Elle développe une poésie d'une grande beauté qui saisit à merveille les paysages et les psychologies. C'est ce qui rend, sans doute, Voyage vers les étoiles si poignant, vibrant et non macabre comme il pourrait l'être. L'auteur est parvenu à me toucher profondément.

Je me rends compte qu'après lecture, les mots de Yoshimura m'habitent longtemps. Je crois lire un petit morceau vite avalé mais il mature et prend mille nouvelles formes dans mon esprit. Je crois pouvoir dire que lorsqu'un auteur me fait cet effet, c'est qu'il est un grand auteur.

 

*

Extraits de Voyage vers les étoiles

 

" Conscient de baigner dans la forte odeur de marée, Keichi regarda le hameau formé d'une succession de maisons longeant le rivage. Accrochées à flanc de montagne, elles paraissaient épuisées, en déséquilibre comme si elles allaient tomber à l'eau d'un instant à l'autre. Était-ce à cause du vent de mer qui soufflait continuellement ? Elles étaient recouvertes de cloques poudreuses blanches comme des kakis séchés, d'ailleurs tout était blanc, jusqu'aux pierre posées sur les pentes des toits." p. 122

"Le corps abandonné aux vagues, Keichi avait les yeux tournés vers les maisons du village qui paraissaient blanches sous le regroupement des tombes. Il s'en élevait ici et là les fumées de la préparation du repas, il y avait donc de la vie, mais elles ne reflétaient pas les rayons du couchant d'une manière aussi fraîche que les stèles. Elles avaient plutôt l'air d'un empilement de vieux morceaux de bois, comme des carcasses de bateaux naufragés jetés sur le rivage par un coup de mer.

Il se rappelait le teint maladif des nombreux vieillards, femmes et enfants sortis sur le seuil de leur maison pour les regarder. Leur seul soutien était sans doute l'argent que leur envoyaient les hommes partis travailler au loin, et en attendant ils devaient tromper leur faim avec le peu de poisson et de coquillages qu'ils pêchaient sur le rivage. En comparaison, leur situation était beaucoup plus enviable. Alors pourquoi cette arrogance à se dire las de la vie ?" p. 127-128

03/03/2014

La messagère de l'au-delà de Mary Hooper

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La messagère de l'au-delà de Mary Hooper, Les Grandes Personnes, 2012, 239p.

 

J'avais repéré Mary Hooper chez Bianca il y a quelques mois. Depuis, elle était restée patiemment dans un coin de ma mémoire, jusqu'à ce que je découvre le titre d'aujourd'hui et Waterloo Necropolis dans une librairie d'occasion début février. Ni une ni deux, je n'ai pas hésité une seconde à sauter le pas de la découverte !

La messagère de l'au-delà s'inspire d'une histoire vraie qui défie les lois de l'imagination !

Dans l'Angleterre de 1650, une loi particulièrement odieuse permet d'accuser d'infanticide toute femme victime d'une fausse-couche, accouchant d'un enfant mort-né ou dont ce dernier décèderait de la mort subite du nourrisson. La malheureuse est alors présumée coupable tant que son innocence n'est pas prouvée. Évidemment, peu de nobles ont souffert de cette loi qui touchait surtout les femmes de basse condition.

C'est donc d'infanticide que se trouve accusée la toute jeune Anne Green, quatorze ans. Servante dans la maison du seigneur Thomas Reade, elle se laisse avoir par les promesses fallacieuses du jeune maître Geoffrey et s'en trouve enceinte ; l'enfant pourtant n'arrivera pas à terme et elle accouchera d'un petit être à peine formé et sans vie à six mois de grossesse. Anne Green pense enterrer l'enfant dans un coin du domaine et cacher tout cela au reste du personnel. Malheureusement, elle est découverte et Thomas Reade apprécie bien peu que la réputation de son petit-fils soit salie par Anne. Dès lors, elle est emprisonnée puis jugée coupable d'infanticide malgré le témoignage d'une sage-femme. Sa peine est la pendaison jusqu'à ce que mort s'en suive, puis son corps sera légué à la science pour être disséqué. Ce qui devait être le point final d'une existence bien douloureuse est pourtant le théâtre d'un évènement hors du commun : Anne Green, sur la table de dissection, cligne des paupières et donne des signes de vie ! Incroyable mais vrai : la jeune Anne Green a survécu à sa pendaison !

L'auteur raconte dans une mini-note finale ce qu'on sait de cette affaire aujourd'hui et les hypothèses qui permettent d'expliquer ce "miracle" ; probablement une sorte de cryogénisation du cerveau due au grand froid le jour de l'exécution qui aurait évité à celui-ci d'être privé d'oxygène.
Supposition scientifique mise à part, Mary Hooper souhaite imaginer toute cette histoire du point de vue de la principale intéressée. C'est donc dans la pénombre de son coma que nous la retrouvons au début du roman. Elle ne comprend pas, alors, ce qui lui arrive, elle espère voir bientôt le paradis et craint l'enfer et surtout, elle se rappelle tout ce qui l'a conduite dans cette situation. Parallèlement, un autre récit s'écrit entre les souvenirs d'Anne Green : celui des médecins qui, pensant pratiquer une dissection, constatent peu à peu les signes de vie et tentent de la sauver.

Au-delà des qualités éminemment romanesques de l'affaire dont s'inspire Mary Hooper, elle nous propose également une plongée fascinante dans l'Angleterre inique, précaire, sombre d'Oliver Cromwell. Une période historique que je ne connaissais absolument pas et qui m'a vivement intéressée. L'auteure fait preuve d'un passionnant souci du détail pour un texte de littérature ado et donne vraiment envie d'en connaître plus sur les faits et la période explorés. En outre, elle ne ménage pas son lecteur et certaines scènes sont décrites de manière tout à fait réaliste, notamment celle de l'accouchement d'Anne Green dans les latrines de la laiterie. Si celle-ci ne choquera certainement pas un lecteur adulte, elle fera probablement forte impression sur un 12-13 ans.

Cela dit et malgré mon âge autrement plus avancé que la cible visée, j'ai vraiment adoré ce livre. Je l'ai dévoré goulument et j'ai tout simplement hâte de découvrir le titre suivant présent dans ma PAL. Bien sûr, il faut avoir conscience qu'on lit de la littérature pour ados lorsqu'on attaque ce livre. Cela évitera d'en espérer plus que ce qu'il ne peut offrir. Pour ma part, il est évident que j'apprécierais à présent en lire une version "pour adulte" qui, tant qu'à faire, ne s'arrêterait pas au réveil d'Anne Green mais ferait aussi la part belle à son existence postérieure de "messagère de l'au-delà". Quelqu'un aurait-il l'inspiration de s'y coller ? Avis aux écrivains de talent !

 

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challenge melange des genres.jpgChallenge Le mélange des genres chez Miss Léo

1ere participation pour la catégorie "Roman jeunesse"