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27/12/2015

Une forêt d'arbres creux d'Antoine Choplin

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Une forêt d'arbres creux d'Antoine Choplin, La fosse aux ours, 2015, 116p.

 

logo_rentreelitteraire.pngDans son dernier titre, Antoine Choplin glisse son lecteur dans les interstices de Terezin, en République Tchèque, dans les années 40. Ville ghetto, on y entrepose ceux qui, bientôt, prendront le train et on les occupe à divers postes. On sépare les familles par la même occasion. Bedrich Fritta y séjourne de 1941 à 1944, loge dans des baraquements où la promiscuité n'a que l'insalubrité pour concurrence à la mort, et se voit affecté au bureau des dessins. C'est ici qu'on recycle tous ceux qui ont l'art de manier le crayon, qu'ils soient dessinateurs ou architectes de métier. Il leur revient de créer ces bâtiments mêmes qui les enferment et les détruiront. Pour contrevenir à cette ironie du sort, Bedrich et les autres se retrouvent peu à peu la nuit à la bougie dans le local des dessins pour en produire d'autres, subversifs aux yeux des nazis, criants de vérité. Leur quotidien sous la mine acérée, sur le papier gravé à jamais. Telle est leur résistance face à l'inexorable.

Par son dernier titre, je découvre enfin Antoine Choplin dont on m'a beaucoup parlé avec délicatesse voire hyperboles. De cette découverte, je retiens un art du fragment et de la simplicité que j'aime tout particulièrement ; une écriture qui va à l'essentiel sans oublier de le faire avec élégance et retenue - ce qui sied au sujet difficile des ghettos et de la déportation. Il me faut néanmoins convenir en toute honnêteté, même si cela me vaut d'être à contre-courant des avis sur ce récit, ne pas avoir grand chose d'autre à en dire. Je m'attendais, je crois, à beaucoup plus de poésie - comme il y en a dans certains morceaux, par exemple cette toute première phrase : "Quand il regarde les deux arbres de la place, il pense à tous les arbres du monde". J'aurais voulu que toutes les phrases soient à l'image de celle-ci : simples certes, mais à la poésie éclatante. Malheureusement, les trois quarts du temps, j'ai trouvé une écriture trop blanche à mon goût. Certes non, je n'attendais aucun lyrisme (en même temps, le premier qui amalgame poésie et lyrisme, hein...), mais plus de vibrations, plus de vie. La vérité : je me suis souvent ennuyée. Voilà, c'est dit. Et tandis que je rédige ce billet quelques semaines après ma lecture, je m'aperçois que j'en ai bien peu à en dire. S'il n'y avait pas eu les matchs de la rentrée littéraire de Price Minister grâce à qui j'ai reçu ce titre, il y a même fort à parier que vous n'en auriez jamais entendu parler.
Au fond, c'est un bon livre mais pour d'autres lecteurs que moi.

Merci à PriceMinister pour m'avoir permis de participer une nouvelle fois à leurs matchs de rentrée littéraire ! #MRL15 #PriceMinister

06/12/2015

Le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux

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Le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, Le livre de poche, 1974 [1907], 281p.

 

L'époque de Noël est particulièrement propice aux lectures doudous ; on s'enroule dans un plaid, on sirote un thé (Mariage Frères, of course) et puis on enfile avidement quelques pages d'un classique bien poussiéreux, bien usé jusqu'à la corne, qui fait du bien. A défaut de faire un sapin (parce qu'avec plusieurs chats frétillants, ça s'apparente à un suicide domestique), je me paye une régression littéraire les week-ends de décembre. C'est mon petit cadeau à moi.

Cela dit, je dis "classique usé jusqu'à la corne", mais je n'avais encore jamais lu celui-là. Il a fallu que je le donne à lire à mes 5e pour considérer qu'il était de bon ton, tout de même, que je m'y colle aussi. Rouletabille y fait une entrée en fanfare - Rouletabille, à peine sorti du berceau, d'ailleurs : c'est quand on lit qu'à dix-huit ans, il est déjà brillant reporter d'un journal national qu'on se dit que le bouquin a bien vieilli - pour démêler la tentative de meurtre spectaculaire de Miss Stangerson dans une chambre totalement close. On peut tourner et virer : l'assassin n'a pas pu sortir. Où est donc le bougre ?! Non content de ce premier exploit, ce dernier le renouvelle quelques jours plus tard. C'est à croire qu'il est un fantôme. Ou qu'il n'existe pas. Ou que l'on se joue de nous.
Heureusement, à l'instar de Poirot qui fait fonctionner habilement ses petites cellules grises quand tout le monde hallucine, Rouletabille sait prendre la raison par le bon bout. L'assassin n'a qu'à bien se tenir !

Ah ! Du pouvoir des retardements en pagaille dans les vieux romans policiers ! Voilà un procédé interminable comme on en fait plus ! Dès le début du roman, on comprend que Rouletabille a compris - pas tout certes, mais l'essentiel. Il - ou plutôt le narrateur - se plait bien sûr à esquiver, à tourner autour du pot, à expliquer de mille manières qu'il faut attendre pour l'efficacité de l'enquête. Ici, ce ne sont pas tant les rebondissements qui font tourner les pages sans s'arrêter jusqu'à la fin, que ces interminables retardements. D'une manière ou d'une autre, quoiqu'il en soit, on est pendu à l'identité de l'assassin. Deux avis possibles à la fin : soit on est époustouflé par un twist savoureux, soit on est quand même tenté de se dire que c'est un peu tiré par les cheveux. Je me rangerais plutôt dans la seconde catégorie objectivement, surtout que Rouletabille, tandis qu'il se targue d'user de sa raison, use surtout d'un flair plus que discutable. Il a du bol que ces élucubrations s'avèrent justes, un point c'est tout. Mais puisque j'ai gardé une âme de gosse en lisant ce roman, j'ai gobé quand même l'invraisemblance. Après tout, je ne réclamais pas grand chose : M'évader, m'amuser, me trouver plonger dans une ambiance, une société et des us et coutumes parfaitement désuets qui fleurent bon le vingtième siècle qui vient de naître. J'ai été servie de ce côté-là. En outre, Rouletabille, comme tous les grands détectives littéraires, est un mélange savamment dosé de figure attachante et de prétention surfaite. C'est un parfait Poirot adolescent, sans moustache et avec l'énergie en plus. je n'en demandais pas plus ! Voilà donc un fort bon week-end passé en la compagnie de Rouletabille, Larsan, Darzac et Stangerson. Il ne manque plus que quelques cookies maison pour parfaire le tableau, que je vais m'employer derechef à pâtisser en regardant l'adaptation ciné de Bruno Podalydès ! Noël is comiiiiiing !

 

01/12/2015

Mā de Hubert Haddad

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de Hubert Haddad, Zulma, 2015, 246p.

"La marche à pied mène au paradis ; il n'y a pas d'autre moyen d'y parvenir, mais il faut marcher longtemps. Avant d'en connaître l'épreuve, je fréquentais assidûment un des bars lilliputiens de la plus étroite des ruelles de Golden Gai, dans la zone est de Tokyo, à proximité de Kabukicho ; les touristes occidentaux, en file indienne sur les chaussées, aiment y retrouver l'ambiance des vieux films de l'après-guerre, au temps de l'occupation américaine. La pègre voisine n'encombre qu'incidemment les Six Ruelles, même si les filles et les noceurs de Kabukicho s'y égarent à l'occasion. Carré de baraques joliment décorées en plein coeur de Shinjuku, Golden Gai est un bout de quartier plutôt tranquille fréquenté par les ronds-de-cuir et les représentants de commerce solitaires habitués des hôtels capsules, quelques cérébraux, des originaux mélancoliques, poètes et barbouilleurs, toute cette bohème noctambule des comptoirs." p.9

coup de coeur.jpg, quel étrange titre pour les européens que nous sommes ! A la fois plein de mystère et vaguement ridicule, ce simple kanji dit pourtant tout l'espace qui relie les éléments du monde dans une harmonie imperceptible. Au fil des pages, à l'image de ce titre taoïste, Hubert Haddad raconte une magnifique histoire de reliance éminemment poétique.
En des époques différentes, deux Shōichi prennent la route. L'un porte en lui la blessure profonde du suicide de sa mère qu'il noie de poésie et de saké. Après quelques tentatives pour vivre sédentaire, c'est dans la marche que ce Shōichi là, devenu Santōka par la magie des pseudonymes littéraires, découvre comment vivre l'instant présent. Entre les pas, Santōka envoie ces haïkus au vent, à la lune et à son éditeur. C'est ainsi qu'on le connait plus d'un siècle après son existence solitaire.
C'est ainsi que Saori lui voue une admiration sans borne. Elle, la quadragénaire fraîchement divorcée qui lui dédie une biographie fouillée dans laquelle elle se permet d'intervenir. Elle, qui se pique d'un jeune serveur sous prétexte qu'il lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Cet autre
Shōichi portera à son tour une blessure : celle de trop aimer Saori qui s'en moque, au fond, et qui disparaît subitement. Laissé seul, désemparé, sans repère, c'est encore une fois la mort qui précipite le malheureusement dans l'errance sans fin. Shōichi choisit malgré lui d'aimer Saori jusqu'au bout en devenant celui qui l'a fasciné : un bougre vagabond.

"Le voyageur, après combien de haltes où nul ne l'espère, se dissout à la fin aux boucles du voyage sans rien avoir appris des espaces. On marche si longtemps, des années, pour oublier ; on pourrait très bien mourir à chaque pas, c'est pour ça qu'on avance. Il faut savoir s'arrêter n'importe où, à n'importe quel moment, et prendre avec délicatesse le pouls de l'impermanence. Si les saisons et les jours sont les enfants du temps, chaque instant est un temple." p. 69

 

Un nouveau roman "japonais" de Hubert Haddad, c'est un appel délicieux que je ne pouvais pas manquer. J'avais encore des impressions très douces de son Peintre d'éventail, sans doute l'un de mes plus agréables souvenirs récents de lecture. Je ne m'attendais à rien, pourtant, de ce nouveau titre, par peur d'être déçue. Et puis, dès la première page, je retrouve ce même souffle fabuleux qui me transporte. Je découvre à quel point j'aime Hubert Haddad, à quel point je le trouve inspiré, précieux dans le style mais juste dans la perception de l'esprit Zen, aérien et subtil, tout en volutes. Il faut dire que je suis sensible à l'esprit japonais suranné et spirituel qu'il évoque à travers la vie dépouillée de Santōka. D'aucuns pourront parler de clichés qui ne reflètent plus le Japon contemporain. Mais j'aime ce Japon qui subsiste malgré tout dans tout le quotidien du pays et Haddad le livre avec une telle poésie que j'en voudrais bien des clichés tous les jours.

Mā, c'est un roman qui peine à se décrire ; c'est avant tout un esprit qui circule entre les êtres et appelle à concevoir les années qui séparent, la mort ou le désamour, comme autant de cordes invisibles qui maintiennent au contraire tous en un même cercle. C'est le roman des destinées oubliées, qui se sont toujours tracées en marge des douleurs et des lumières aveuglantes. nous raconte avec un sacré talent comment la simplicité peut être source du sublime. 

"Les années passent, semblables aux lanternes célestes qui se dispersent très haut et s'éteignent parmi les étoiles. Le passé n'est passé de rien, le futur nous effleure à peine, et tout se résorbe dans l'instant présent." p. 104

 

Challenge pépites.jpgEt une sacrée pépite pour le non-challenge 2015-2016 de Galéa, une !