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08/07/2016

Rendez-vous poétique avec Yves Bonnefoy et Anselm Kiefer

En apprenant la mort d'Yves Bonnefoy voici quelques jours, j'ai réalisé que je ne le connaissais que peu. Je croyais le connaître en ayant croisé l'un ou l'autre de ses textes au hasard de mes études ou en l'ayant entendu lors d'une conférence. Au fond, tout cela restait très superficiel. Aussi, considérant que la mort n'est jamais que le commencement d'autre chose, je me suis dit que c'était l'occasion de partir enfin à sa rencontre. Je me heurtai alors à la pierre qui revient comme une litanie monolithe à laquelle se confrontent toutes nos intentions vivantes. Paroi pauvre, impénétrable, nue par excellence, nos existences s'y déchirent et, dans ce déchirement, éprouvent ce que c'est que mourir, c'est-à-dire ce que c'est que vivre. La pierre : ce livre irréductible sur lequel s'écrit notre humanité imparfaite, lumineuse.

 

UNE PIERRE

Les livres, ce qu'il déchira
La page dévastée, mais la lumière
Sur la page, l'accroissement de la lumière,
Il comprit qu'il redevenait la page blanche

Il sortit. La figure du monde, déchirée
Lui parut d'une beauté autre, plus humaine,
La main du ciel cherchait la sienne parmi des ombres,
La pierre, où vous voyez que son nom s'efface
S'entrouvrait, se faisait une parole

In Les planches courbes, Gallimard Poésie, 2005, p. 39

 

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Sculpture d'Anselm Kiefer

Photo issue de son exposition à la BnF, "L'alchimie du livre"

18/05/2016

D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère

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D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrière, P.O.L., 2009, 310p.

 

Au départ, le couple d'Emmanuel Carrère et d'Hélène bat de l'aile, malgré des vacances paradisiaques au Sri Lanka. Tous s'ennuient et s'engluent dans la frustration jusqu'à ce que le tsunami de 2004 vienne tout dévaster. Emmanuel et Hélène sortent de leur marasme sentimental pour apporter de l'aide à un autre couple, Delphine et Jérôme, qui vient de perdre leur petite fille Juliette. De fil en aiguille, on suit à travers les yeux de l'auteur ces quelques jours infernaux où le deuil s'accompagne de la nécessité de retrouver le corps, de retrouver la paix.
De retour en France et quelques mois plus tard, c'est une autre Juliette qui se prépare à mourir, la soeur d'Hélène cette fois, d'un cancer du sein. Juliette est/était juge d'instruction, mère de trois fillettes. A sa mort, avec le concours du mari de Juliette et de son collègue juge également, Emmanuel va reconstituer la vie de la jeune femme par le menu : l'avant, le pendant et l'après maladie, comme l'envie de saisir rétrospectivement tout de cette Juliette qu'il ne connaissait quasiment pas.

Et là, j'en arrive à la partie où je suis censée développer mon avis critique et je sens se dérouler une monumentale tarte à la crème. Parce qu'autant le dire tout de suite : je n'ai pas goûté mon plaisir, loin de là. Entendons-nous bien : Emmanuel Carrère sait fort bien manier les mots pour promener son lecteur jusque dans les méandres - parfois limites - de sa vie et de la vie des autres (parce qu'il n'est pas seulement question d'autres vies que la sienne dans ce livre) et ses mots savent toucher la plupart du temps. De tout cela, je suis aujourd'hui certaine comme tous les autres lecteurs de Carrère avant moi. Mais manier et toucher comment, pourquoi ? Son style est loin de m'avoir éblouie et l'émotion qu'il a fini par me susciter à l'endroit de Juliette, je l'aurais tout autant ressentie en regardant un téléfilm sur M6. Dans l'ensemble (parce que je ne vais pas y passer la journée non plus), j'ai trouvé Carrère prétentieux, peu inventif, peu subtil, d'un égocentrisme et d'une impudeur parfaitement détestables. Cette façon de se toucher la nouille sur le dos des autres (cette tournure inspire d'amusantes images, tiens, aha) est une tendance qui m'irrite particulièrement dans la littérature contemporaine. Bon, vous l'aurez compris : je ne goûte pas du tout à l'autofiction en général et si certains auteurs/titres font parfois exception, ce n'est clairement pas le cas de Carrère. Et quand je lis que c'est ici un de ses livres les moins narcissiques, je n'ai aucunement envie d'aller voir ailleurs si j'y suis, au risque de chopper de l'urticaire.

Voilà, c'est court, c'est lapidaire mais il vaut mieux couper net au lieu de tourner autour du pot. Un petit mot seulement sur le juge et les méandres juridiques du surendettement que j'ai trouvés particulièrement intéressants. Mais à ce compte-là, sur le même sujet, je lirai autre chose la prochaine fois.

27/04/2016

La mort de Napoléon de Simon Leys

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La mort de Napoléon de Simon Leys, Espace Nord, 2015 [1986], 142p. (dont une quarantaine d'excellent appareil critique)

 

Alors là, avouons-le, Simon Leys s'est payé un culot monstrueux, pour notre plus grand amusement et dont il s'est visiblement beaucoup amusé aussi : Déjà, Napoléon n'est pas mort à Saint Hélène ! - et hop, un détour savoureux par l'uchronie sans avoir l'air d'y toucher - mais en plus, il se révèle bien loin, bien souvent, du personnage que l'Histoire a brossé de lui.

Napoléon, pour le dire tel que Simon Leys l'envisage, a pris la poudre d'escampette de son exil, non sans se faire remplacer au préalable par un sosie maréchal-des-logis, et navigue depuis, de bateaux en points de chute inconnus, afin de reconquérir son empire. Il suit, en fait, un plan tout tracé par on-ne-sait-qui dont les rouages merveilleusement huilés s'enclenchent jusqu'à un petit couac qui vaudra à Napoléon - qui se cache sous le caractère faible et taciturne d'Eugène Lenormand, pour la peine - de vivre quelques loupés rocambolesques dans son entreprise.

Ce qui est tout à fait savoureux, c'est non seulement qu'on a affaire à une aventure, ni plus ni moins, mais que celle-ci est menée clopin-clopant par le plus improbable des anti-héros - celui-là même qu'on s'attendrait plutôt à voir incarner LE héros par excellence ! Ici, nul Napoléon fringant, charismatique (sauf peut-être lorsqu'il s'agit d'engager une vente triomphale de pastèques - à vous de voir dans quelle mesure cela délivre toute l'étendue de son charisme) mais bien plutôt un Napoléon taciturne et taraudé par la question de son histoire, de son avenir et de son identité. Tour à tour, il se trouve fortuitement dépossédé de l'un puis de l'autre, jusqu'à se demander qui il est vraiment et qui il peut encore être dans le regard d'autrui une fois que tout (ou ce qu'il pensait être tout) a foutu le camp.

Il y a un petit côté conte philosophique au vu des thématiques, c'est indéniable, mais que ça ne vous rebute pas (je dis ça parce que le conte philosophique est un peu ma bête noire, a priori) car c'est déroulé avec un humour savamment dosé, une intelligence subtile et une langue qui n'a strictement rien à envier aux plus grands auteurs tant le moindre bout de ciel est l'occasion d'un délicieux arrêt sur image.

Après une telle bonne surprise, je me dois de remercier fort chaleureusement Anne et Mina ainsi que les éditions Espace Nord grâce à qui j'ai remporté ce livre lors du dernier mois belge. Je retenterai forcément le concours de fin du mois lors de cette nouvelle édition si ça doit toujours encore me faire découvrir d'aussi bons morceaux belges !

Chez Mrs Pepys aussi Simon Leys est à l'honneur aujourd'hui !

Le ciel, partagé entre la nuit et l'aube, noir-bleuté de l'ouest jusqu'au zénith, blanc de perle à l'orient, était entièrement investi par la plus fabuleuse architecture de nuages que l'on pût imaginer. La brise nocturne qui avait édifié ce chantier géant de palais, de colonnades, de tours et de glaciers, l'avait abandonné en désordre dans une immobilité et un silence solennels, pour servir de socle à l'aurore. La crête suprême d'un cumulus échevelé déjà était touchée d'un pinceau jaune, premier phare du jour au fronton de la nuit finissante, tandis que les zones inférieures des nuées étaient encore plongées dans une pénombre confuse, creusée de gorges, hérissée de pics, avec des enfilades de falaises et de précipices bleus, de nocturnes champs de neige, de coulées de lave violette. Le ciel entier était possédé d'un élan interrompu, paraissait la proie d'un chaos immobile, le théâtre d'un écroulement figé ; au-dessus de la mer diaphane et sans ride, tout était suspendu dans l'attente du jour. p. 15-16