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27/06/2020

Bienvenue au club de Jonathan Coe

Bienvenue au club.jpgFidèle à son habitude de passer au crible la société anglaise par le petit bout de la lorgnette, Jonathan Coe explore dans ce roman les années 70 pré-Thatcher à travers un groupe d'adolescents, élèves d'un collège très select de Birmingham.
Benjamin Trotter, indéniablement le protagoniste, est un jeune homme réservé et esthète - d'aucuns diraient timoré, notamment son ami Doug - qui se rêve compositeur ou écrivain. Son père Colin est un des principaux responsables du personnel de LA grande usine de Birmingham, celle-là même qui fait plus ou moins vivre l'essentiel de la population de la ville, et sa sœur Loïs est à la recherche de l'amour au départ, tout simplement.
Le fameux Doug, lui, révèle au fil des années une personnalité beaucoup plus cash et n'hésite pas à prendre des positions politiques très affirmées, trait de caractère qu'il a sans doute hérité de son père Bill, principal délégué syndical de l'usine sus-mentionnée. Autant dire que si Benjamin et Doug sont amis, ce n'est pas exactement le cas de Colin et Bill.
Enfin, Philip développe un goût prononcé pour les arts plastiques tandis qu'il assiste impuissant au fil des années à des manœuvres parfois douteuses de son professeur d'art auprès de sa famille.
Autour de ces trois amis gravitent un nombre incalculable d'autres personnages de tous âges et de tous sexes, surtout à mesure qu'ils vieillissent puisque le lecteur à l'heur de les suivre grosso modo de la 4e à la terminale. J'aime autant vous dire qu'avec les années, l'enjeu féminin augmente significativement, si vous voyez ce que je veux dire.

Alors, dit comme ça, on pourrait craindre le roman fleuve anecdotique avec 8000 noms qu'on ne parviendra pas à retenir et au moins la moitié des personnages dont on n'aura que faire et l'on aurait évidemment tort.
Grâce à une construction narrative extrêmement enlevée et une écriture qui mêle à la perfection concision et ironie, Jonathan Coe réalise le tour de force proprement étonnant de transformer le récit de vies banales en véritable page turner. On se sent avec les personnages, ils semblent être nos amis, notre famille, nos meilleurs ennemis ; ils sont vivants et on les suit avec un mélange d'impatience et d'émotion.

A travers eux, c'est toute la décennie 70 qui passe sur le billard. Ainsi, on voit évoluer les modes vestimentaires et les styles musicaux - des Beatles au rock progressif puis au punk - ; on touche du doigt le racisme et la pudibonderie ; on assiste à la naissance des consciences politiques, d'un bord comme de l'autre, en miroir desquelles se jouent l'émergence capitaliste et conséquemment les grandes grèves qui ont soulevées l'Angleterre avant l'élection de Thatcher, sans parler des problématiques nationalistes exacerbées en Irlande et au Pays de Galles. Tout cet arrière-plan hyper léché par Jonathan Coe est aussi riche que passionnant et rajoute le sel primordial à une liste d'ingrédients déjà savoureux.

Je vais tout de même en rajouter un petit dernier - et ce coup-ci, ce sera la cerise sur le gâteau. Rien n'est laissé au hasard dans un roman de Jonathan Coe. Aussi, le fait qu'il ait été lui-même élève d'un collège royal de Birmingham (King's Edward school dans la vraie vie, King's William dans Bienvenue au club) exactement durant les années 70 et qu'il ait voulu, comme Benjamin, être compositeur et écrivain ne sont pas seulement des coïncidences - pas plus qu'il ne faudrait tomber dans l'écueil autobiographique. L'auteur me semble beaucoup s'amuser des entremêlements complexes entre réalité et fiction, tout comme c'était déjà brillamment le cas dans Testament à l'anglaise. Qu'il y ait dans ces deux romans un personnages d'écrivain, l'un sur le retour, l'autre sur le départ, révèle le jeu même qui s'opère dans le récit avec les arcanes de la littérature. Il faut être attentif aux échos, à la typographie - elle a son importance dans les différents messages qui sont envoyés au fil de Bienvenue au club -, aux voix narratives - on passe du je au il l'air de rien - et puisqu'on change de narrateur, il faut prendre garde aussi aux changements de points de vue, de postures narratives et de styles - je pense particulièrement à la dernière partie du présent roman. Bref, les romans de Jonathan Coe ont autant de couches qu'un oignon et c'est absolument passionnant de les effeuiller. En plus, par chance, Bienvenue au club est le premier titre d'une trilogie ! Je me réjouis donc de retrouver prochainement nos adolescents avec quelques dizaines d'années de plus pour apprécier leurs évolutions.

Romans précédemment chroniqués de Jonathan Coe : La pluie, avant qu'elle tombe et Testament à l'anglaise. 

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Le mois anglais chez Lou et Titine

15/06/2020

The Heir de Vita Sackville-West

the heir,l'héritier,vita sackville-west,héritage,domaine,maison,ancêtre,paon,amour,paix,sérénité,mois anglais,lireenvo2020,lire en vo,vintage novelPeregrine Chase découvre le domaine de Blackboys en même temps qu'il en devient propriétaire : sa tante est morte ; il est l'unique héritier. Nul doute qu'il ne souhaite pas s'encombrer de ce manoir vieillissant, de toutes ces fermes en métairie et de ces paons bruyants qui se pavanent en terrain conquis. Aussi Mr Nutley, le notaire exécuteur testamentaire de feu Miss Chase - personnage pénible de mesquinerie et de condescendance au demeurant -  prend-t-il les devants. La visite des lieux faite, il lance immédiatement les hostilités d'une vente aux enchères de tous les biens pour rembourser l'hypothèque qui pèse sur l'héritage, sans vraiment demander l'avis de Chase. En même temps, notre héros est du genre taiseux et observateur. Il laisse faire. Au départ, il ne se destinait effectivement à rien d'autre qu'à faire l'aller/retour à Blackboys pour tout liquider. Mais c'était sans compter l'attraction du domaine dont la lumière et la végétation apportent à Chase une sérénité jusqu'alors inconnue. Le manoir, dans sa famille depuis toujours, résonne à ses oreilles comme une évidence limpide. Le chien, même, reconnaît déjà l'héritier comme son nouveau maître.

https://www.telegraph.co.uk/content/dam/Travel/2020/January/Sissinghurst-Castle-Garden-220643318_%C3%82%C2%A9National-Trust-Images-Andrew-Butler_The-Cottage-Garden-in-April-at-Sissinghurst-Cast.jpg
Un aperçu du jardin de Sissinghurst Castle, le domaine de Vita Sackville-West

Le texte est court (90 pages dans mon édition) et à la fois contemplatif et piquant. Blackboys revêt tous les atours d'un jardin d'Eden païen et luxuriant dans lequel Chase découvre les véritables richesses de l'existence : le silence, la paix, la solitude. C'est une rencontre presque amoureuse ; la maison, d'ailleurs, semble vivante et c'est peut-être bien elle, au fond, le véritable protagoniste de l'histoire. Elle est à elle seule toutes les racines et tous les fruits de la famille depuis longtemps disséminée. En revenant aux sources, Chase se retrouve du même coup. Il n'a beau rien dire et sembler passif une bonne partie du récit, la magie du domaine se déverse puissamment en lui comme la poésie délicieuse de Vita Sackville-West au gré des pages. On sent ici sous la plume son amour de la nature et des jardins. Et puisque Vita reste Vita, elle ne se prive pas non plus d'exercer son ironie primesautière sur le caractère des personnages, notamment des notaires qui en prennent joliment pour leur grade, mais aussi des futurs acquéreurs nouveaux riches, ou même des paons ! The Heir, traduit par L'héritier aux éditions Autrement, se déguste doucement et avec délectation comme une bonne margarita frappée un soir d'été.

For at the center of all was always the house, that mothered the farms ans accepted the homage of the garden. The house was at the heart of all things; the cycle of husbandry might revolve - tillage to growth and growth to harvest - more necessary, more permanent, perhaps, more urgent, ut like a woman gracious, humorous, and dominant, the house remained quiet at the center. To part the house ans lands, or to consider them as separate, would be no less than parting the soul and the body. The house was the soul; did contain and guard the soul as in a casket, the lands were England, Saxon as they could be, and if the house were at the heart of the land, then the soul of the house must indeed be at the heart and root of England, and, once arrived at the soul of the house, you might fairly claim to have pierced to the soul of England.

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Le mois anglais chez Lou et Titine

Journée consacrée aux vintage classics

 

Textes précédemment chroniqués de Vita Sackville-West : Au temps du roi Edouard, Dark Island, Le diable à Westease.

 

11/06/2020

Jude l'obscur de Thomas Hardy

jude l'obscur,thomas hardy,le mois anglais,littérature victorienne,destin,tragédie,amour,mariage,savoir,études,classe socialeDepuis l'enfance, Jude Fawley rêve de faire des études à l'université. Il n'y est pas destiné, clairement. Il est orphelin et vit de pas grand chose au fin fond de la campagne anglaise, dans un comté inventé par Thomas Hardy, chez une vieille tante boulangère. Néanmoins, Jude est animé d'une véritable soif de connaissance qui lui permet les espoirs les plus fous lorsqu'il observe au loin le cloché de l'une des universités de Christminster. A ce stade du roman, comment ne pas penser au personnage dickensien de Pip dans De grandes espérances ? Les deux héros partagent tous deux une enfance malheureuse dans un milieu social qui ne leur permet pas d'autres horizons que la reproduction d'un déterminisme pathétique et pourtant, ils ont tous deux une soif incommensurable de grandeur, Pip par l'argent, Jude par le savoir.

Afin de servir ses espérances, Jude apprend seul le grec et le latin durant l'adolescence et lit les grands textes en conduisant une charrette pour le compte de sa tante. Plus tard, il se lance dans l'apprentissage du métier de tailleur de pierres, très prisé à la ville. Jude sait qu'il lui faut de l'argent pour envisager des études et il sait qu'il n'en a pas. Aussi, il en passe par la case travail, vaillamment, plein d'abnégation pour atteindre son but sans entrevoir que cette impossible tentative de concilier son rêve et la réalité est finalement une manière de ne jamais vraiment se lancer. A cet égard, Jude est un peu le négatif de Martin Eden.

D'ailleurs, Jude a un caractère tendre et sentimental. Il n'a pas la froide détermination et l'absolutisme du héros de Jack London pour qui l'amour a été, à un moment, le moteur de ses ambitions. Jude, lui, se laisse séduire malgré lui, au détriment de son temps et de sa volonté. Par Arabella d'abord, une jeune fille vulgaire de son village qui tient absolument à lui mettre la corde au cou, on ne sait pas trop pourquoi. Puis par sa cousine Sue, une jeune femme sans attache comme lui, qui respire la fraîcheur et la désinvolture. Au contact des femmes, Jude oublie son rêve et avec Sue, il se lance à corps perdu dans une histoire touchante, passionnée, rocambolesque et dévastatrice pour tous deux.

Malgré tout ce que j'ai pu lire sur ce roman, je dois reconnaître que ce n'est pas un coup de cœur pour moi. J'en ressors avec du bon et du moins bon. Je vais commencer par le moins bon, histoire de finir ensuite sur une note positive. J'ai trouvé trop de longueurs au début et à la fin de la relation entre Jude et Sue, beaucoup trop de tergiversations stériles et, in fine pour moi, ennuyeuses. N'étant pas grosse lectrice d'histoires d'amour, j'aime quand elles sont franches, puissantes, viscérales. Ici, c'est le cas au cœur de la relation entre nos deux personnages, bien heureusement d'ailleurs (je n'aurais pas fini le livre sinon, honnêtement) mais les atermoiements de début et de fin m'ont semblé interminables. C'est dans ces moments-là que je suis ravie de savoir lire en diagonale. L'écriture de Thomas Hardy, quant à elle, reflète à merveille le caractère de Jude : elle est intelligente, claire, délicate et tendre. Même au cœur de l'horreur, et on traverse quelques moments pas piqués des hannetons dans ce roman, il a le don de laisser filer le style comme l'eau claire d'un ruisseau sur les roches les plus dures. C'est ressourçant la plupart du temps et puis parfois, c'est un peu trop mou...

Néanmoins, j'ai été absolument subjuguée (oui, tant que ça) par la modernité incroyable du propos de Thomas Hardy à l'égard de l'amour, du couple et a fortiori du mariage. Évidemment, il n'est  pas le premier écrivain en avance sur son temps. Mais c'est véritablement le premier qui me fait l'effet d'avoir réfléchi avec autant d'avance sur ses contemporains. Ce qu'il écrit à la toute fin du dix-neuvième siècle, en pleine ère victorienne corsetée, n'a pas dix, vingt ni même trente ans d'avance mais bien cent ! C'est absolument époustouflant et courageux. Je n'ose imaginer la volée de bois vert que le roman a dû recevoir à sa parution. Rien que pour ça, franchement, il mérite grandement d'être lu. Ses réflexions sont fines et pertinentes. Nos héros qui ne payaient pas tellement de mine pendant un moment se révèlent des personnages arrivés trop tôt dans un monde trop vieux et c'est précisément cela qui fait toute la tragédie de leur histoire.

D'ailleurs au passage, puisque c'est intrinsèquement lié, la religion en prend aussi pour son grade comme une institution obsolète au service de l'asservissement des masses. Elle aussi à son rôle à jouer dans l'empêchement de Jude et Sue à être heureux. Comment être libre, même d'aimer purement et véritablement, lorsque l'être et conséquemment la société, sont enchaînés à des superstitions scrupuleuses ? Je vous laisse méditer !

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Le mois anglais chez Lou et Titine

Journée consacrée à la littérature victorienne