24/04/2015
Les 3 Fruits de Zidrou et Oriol
Les 3 fruits de Zidrou et Oriol, Dargaud, 2015, 80p.
Le roi a eu tout ce dont il rêvait : une femme aimante et douce ; trois fils vaillants et une fille délicieuse ; un royaume paisible et prospère. Une seule chose lui échappe et qu'il désire pourtant conserver plus que tout : la vie. Car le roi est vieux et terrifié à l'idée de mourir. Cette peur viscérale le conduit à sacrifier tous les savants qui avouent leur impuissance face à l'inéluctable puis à accepter l'étrange pacte d'un mage inconnu en échange de la vie éternelle : manger la chair du plus courageux de ses trois garçons. Afin de les départager, le roi les engage à partir dans une quête dont ils devront sortir vainqueurs.
Zidrou, au scénario, signe une réécriture sombre et enchantée du mythe faustien. Tout se joue sous le signe des contrastes : à l'ignominie hallucinée du roi s'oppose la lumière et l'amour sans faille de la mère pour ses fils ; aux archétypes parentaux - le yin et le yang en somme - se dessinent les nuances des enfants : chaque fils, et surtout le plus jeune, propose un portrait entre l'orgueil d'être le meilleur et une démarche sincère à l'égard de la quête. Et que dire de la fille qui reste longtemps dans l'ombre, veille et attend pour mieux apparaître comme celle qui maintient et réunit lorsque tout s'effondre ? La toute fin m'est restée particulièrement opaque, néanmoins. Je n'ai pas su comment interpréter la réaction des frères. Je laisserai chacun s'en faire son avis, curieuse de le lire ensuite.
Quant à Oriol au dessin, il m'a séduite au plus au point et c'est à lui que je dois sans conteste mon coup de cœur. J'ai flashé pour ce graphisme contrasté, indécis, d'une grande nervosité qui imprime au conte de Zidrou cette puissante ambiance macabre et onirique. Au fond, on ne sait trop si l'on a affaire à un univers fantasmé ou au contraire à un univers profondément organique. Sans doute les deux, d'ailleurs et c'est la forme du dessin merveilleusement expressif d'Oriol de nous embarquer dans mille territoires qui tous cohabitent sous nos yeux.
Voilà donc deux auteurs de BD au service d'un album qui se dévore et s'admire (il m'arrive souvent depuis ma lecture de rouvrir l'ouvrage pour le plaisir de me replonger dans la beauté du graphisme, c'est dire !). Quelle ne fut pas ma déception, par contre, lorsque j'ai découvert que la précédente collaboration d'Oriol et Zidrou, La peau de l'ours, n'était pas du tout dans la même ambiance à tous points de vue... J'ai voulu le tenter malgré tout mais le charme n'a absolument pas opéré comme avec Les 3 fruits. J'en resterai donc à ce titre pour l'instant, en espérant un prochain dans le même esprit !
Le mois belge d'Anne et Mina, édition 2015
Rendez-vous autour d'une bande-dessinée
4eme lecture
08:39 Publié dans BD / Comics / Mangas, Contes, Coups de coeur | Lien permanent | Commentaires (4)
19/04/2015
Fraudeur d'Eugène Savitzkaya
Fraudeur d'Eugène Savitzkaya, Les éditions de Minuit, 2015, 167p.
Il y a la tradition de commencer par le résumé d'un livre et il y a l'impossibilité de le faire parce qu'on se fait balader. Littéralement, dans ce roman, Eugène Savitzkaya nous balade d'un bout à l'autre des champs et des fruits mûrs, à tous les âges et à tous les temps. Nous devenons les fraudeurs de la narration bien ordonnée aux côtés du fou, jeune ou moins jeune, qui se moque de ce qui doit être fait et des convenances. La nature en plein essor et ces longues pauses dans les fourrés semblent être condition de vie, ce par quoi l'on continue à naviguer entre une histoire familiale douloureuse et ceux qui s'en vont.
Je choisis de ne pas vous en dire plus - ce qui bien sûr vous désarçonnera à l'approche de ce roman (mais est-ce seulement un roman ?) tant il faut quelques courts chapitres aussi poétiques que lapidaires pour comprendre de quoi il retourne, quand, comment et pourquoi. Mais puisque ce flottement dubitatif, inconfortable, mais surtout émoustillant fait exactement partie du projet et de la plume de Savitzkaya ici, je serais bien mal avisée de vous donner la clé de l'énigme sans vous laisser d'abord pénétrer dans le labyrinthe. Désarçonnée, je l'ai donc été à l'ouverture de ce titre, car de clarté, il n'y en a point. Savitzkaya ne vous explique pas tout par le menu (mais aime par contre appeler un chat un chat) ; à vous de retrousser un peu vos manches pour suivre les méandres de son propos et des déambulations du fou. Il ne rechigne pas d'ailleurs à jouer avec le lecteur à l'occasion, allant ici pour nous inviter docilement à revenir en arrière. Qu'importe : on le suit.
Alors à quoi bon, me demanderez-vous, se plonger dans ce roman court où, très concrètement, il ne se passe pas grand chose entre la ligne de départ et celle d'arrivée, où il s'agit essentiellement de fureter dans les herbes hautes et sous les pommiers, de s'amuser avec un ou deux lapins et d'attendre ? Parce que tout cela est dit avec une virtuosité sensuelle des plus fascinantes. J'ai découvert chez Savitzkaya une puissance hypnotique assez étonnante qui caresse le brut avec la légèreté de la poésie ; qui mélange surtout les deux pour composer ce qui se goûte, se sent, et se lit à l'oreille. Fraudeur n'est pas le genre de roman (mais est-ce seulement un roman ?) qui se dévore ni duquel on ressort emballé ; il est plutôt de ceux dont on se lèche les doigts et les babines, qui écorche et démange à la fois et qui laisse libre cours à une voix telle qu'on en connait pas d'autres. Savitzkaya, c'est indéniablement un style étrange et pénétrant.
Merci à ma douce Charline pour cette découverte !
Le mois belge chez Anne et Mina, édition 2015
3ème lecture
15:07 Publié dans Challenge, Littérature française et francophone, Poésie | Lien permanent | Commentaires (9)
13/04/2015
Miss Peregrine et les enfants particuliers de Ransom Riggs
Miss Peregrine et les enfants particuliers de Ransom Riggs, Bayard Jeunesse, 2011, 444p.
Depuis toujours, Jacob Portman a entendu les histoires fabuleuses de son grand-père Abe. Ce dernier, juif polonais, s'est réfugié durant la seconde guerre mondiale dans un orphelinat perdu sur une île du Pays de Galles. Il y a vécu une enfance loin des atrocités de la guerre, certes, mais près de compagnons aux pouvoirs étranges et de monstres effrayants. Tout d'abord fasciné par les aventures d'Abe, Jacob prend de plus en plus de distance à mesure qu'il grandit : au fond, ces monstres ne sont-ils pas la version revue et corrigée des nazis par un jeune garçon traumatisé par la guerre ?
Jusqu'au jour où Jacob se précipite chez son grand-père après que celui-ci l'a appelé paniqué. Il le découvre moribond dans le bois en face de chez lui et, au moment où Jacob lève les yeux, il tombe nez à nez avec une horrible créature... Les monstres existeraient-ils vraiment ?
Si je parviens à maintenir un semblant d'activité de lecture cette année, je me rends bien compte que mon niveau d'exigence littéraire s'amenuise un poil. Clairement, la période actuelle ne se prête que peu aux envolées alambiquées d'un grand classique quand je me couche le soir. Je profite donc de cette nécessité qu'éprouvent mes neurones bouillis de se reposer pour fureter du côté de genres littéraires que je délaisse habituellement, et la littérature ado fait partie de ceux-là.
Et ce n'est pas un mal, ma bonne dame ! Car j'ai découvert à cette occasion ce roman des plus plaisants et des plus agréables. Il nous fait replonger dans notre adolescence plus si récente puisque le récit se déroule du point de vue de Jacob. Toute la première partie du roman se joue du côté du fantastique : il appartient au lecteur de démêler le vrai du faux et l'ambiguïté est maintenue longtemps sur la question des monstres. Existent-ils vraiment ou sont-ils le fruit de traumatismes divers ? Et puis, progressivement, on glisse du côté de la fantasy et s'ouvre tout un monde parallèle, en marge des lois humaines et des lois temporelles, sur fond de roman initiatique. La fréquentation de Miss Peregrine et de ses enfants particuliers permettra non seulement à Jacob de percer le mystère de son grand-père mais aussi de mieux se comprendre pou partir à l'aventure de soi et du monde.
Le roman se finit un brin en queue de poisson mais pour une bonne raison : il s'agit du premier tome d'une trilogie ! Si vous aborder maintenant ce roman, vous n'aurez pas à vous inquiéter du délai à attendre pour découvrir la suite en plus puisque le deuxième volume est sorti l'an dernier. Inutile de vous dire que je me suis empressée d'aller le louer dans le foulée et qu'il est déjà entamé (mais ceci sera l'objet d'un autre billet).
Deux autres raisons de ne pas hésiter, en outre : Comme cela a beaucoup été souligné dans d'autres billets, l'objet livre est particulièrement soigné et attractif. L'édition est joliment agrémentée de motifs et de photographies anciennes qui toutes ont un lien avec le récit. Il ne s'agit pas tant d'illustrations que d'une plongée véritable dans l'ambiance du roman. Une vrai réussite qu'il faut saluer ! Enfin, ce roman fera l'objet d'une adaptation cinématographique par Tim Burton en 2016 (avec Eva Green dans le rôle de Miss Peregrine, miam!). Je suis tout à fait impatiente d'en voir le résultat !
Challenge Un pavé par mois chez Bianca
Participation d'avril 2015
Challenge USA chez Noctembule
4ème lecture
16:39 Publié dans Challenge, Fantastique/Horreur, Littérature ado, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (8)