03/06/2017
La prisonnière des Sargasses de Jean Rhys
On connait tous, grosso modo, l'histoire de Jane Eyre brillamment racontée par Charlotte Brontë. Malgré une lecture globalement en demi-teinte pour ma part, je garde un souvenir très vif et très intense - comment pourrait-il en être autrement ? - des passages entre Jane et Rochester. Il s'agit indéniablement d'une des plus belles histoires d'amour de la littérature, à la fois passionnée, pudique et ombrageuse comme on les aime (et là, on se revoit dévorer ces quelques pages brûlantes avec un thé, un plaid, quelques chats et des petits gâteaux dans une pièce feutrée en pleine hiver et on s'aperçoit qu'on est le parfait cliché de la blogueuse littéraire. Hmpf.)
Sauf que Jane Eyre et Rochester ne sont pas seuls dans l'histoire et l'ingrédient essentiel - le caillou dans la chaussure ou le grain de sable qui vient gripper la machine, pourrait-on dire - qui met à mal un certain temps leur amour réciproque et sincère est une tierce personne, une femme : la première femme de Rochester. De cette femme, chez Charlotte Brontë, nous ne savons rien ou presque, si ce n'est qu'elle s'appelle Bertha Mason, qu'elle est créole et qu'elle est folle. Aussi son mari a-t-il pris la décision voilà des années de l'enfermer dans le grenier comme une bête furieuse sous la garde de Grace Poole, une bonne femme rude et franchement alcoolique. Et soyons francs : durant la lecture de Jane Eyre, l'esprit ne s'attarde pas vraiment sur le cas de cette femme présentée comme violente, hirsute et destructrice. On se languit seulement, comme Charlotte Brontë a voulu qu'il en soit ainsi, sur l'amour contrarié de son héroïne et de Rochester, maudissant le XIXème de ne pouvoir permettre le divorce comme aujourd'hui, siècle où Bertha Mason aurait été évacuée à coup de signature chez le juge pour que nos tourtereaux convolent puis batifolent à loisir à Thornfield.
Jane Eyre dansé par le Shanghai Ballet à Londres en 2013
Fan Xiaofeng dans le rôle de Bertha Mason
Sauf qu'en y réfléchissant, de quelle folie exactement pouvait souffrir Bertha ? Et, disant cela, on ne peut s'empêcher d'ailler plus loin et de se demander si elle était folle avant d'être enfermée ou si elle l'est devenue des suites de cette incarcération forcée, qui était de moins en moins une évidence à l'égard des déments à l'époque¹, attendu que n'importe quel sain d'esprit enfermé comme un animal en cage deviendrait passablement givré à la longue. Au fond, tout cela tend à cette ultime question qui récapitule toutes les autres : qui était Bertha Mason ?
Jean Rhys et son magnifique La prisonnière des Sargasses nous proposent quelques ébauches de réponses à cette question littéraire. Publié en 1966, il lui a valu d'être reconnue comme une auteure de grand talent mais, comme beaucoup d'excellents romans, il n'a pas su faire le poids face à d'autres plus faciles à lire et moins remuants, sans compter qu'on n'a pas toutes envie d'égratigner le souvenir romantique que nous gardons à l'esprit du beau et ténébreux Rochester (qui se dispute avec Darcy et quelques autres la palme du parfait fiancé littéraire - à ce propos, je lance pour qui veut le top 10 des parfaits fiancés littéraires : je sens que ce sera amusant, tiens).
Selon Jean Rhys, Bertha Mason n'est Bertha Mason qu'aux yeux de Rochester. Pour sa part, elle est née Antoinette Cosway sur l'île de la Jamaïque de parents créoles aisés. Dans la première partie où la voix est donnée à ce personnage muet de Jane Eyre, Antoinette narre la solitude dans laquelle elle vit avec sa mère, son jeune frère et leurs domestiques au domaine de Coulibri, vastitude sauvage non loin de Spanish Town. Son père, beaucoup plus âgé que sa mère et d'une grande violence due à l'alcool, est déjà mort. Il y a quelque chose du jardin d'Eden dans les descriptions qu'induit le regard enfantin d'Antoinette : la végétation semble être la première expérience d'une nature revenue à l'état sauvage, aussi luxuriante que terrifiante. On pressent, à travers cette vision crue et exaltée du dehors l'expression d'une morbidité instinctive qui chatouille le lecteur. Les sens d'Antoinette apparaissent étonnamment développés, sensibles à des dimensions imperceptibles, véhicules de sensations ambivalentes, d'un calme dangereux.
Les sentiers étaient envahis par l'herbe et une odeur de fleurs mortes se mêlait à la senteur vivante et fraîche. Sous les fougères arborescentes, aussi hautes que celles de la forêt, la lumière était verte. Les orchidées fleurissaient hors d'atteinte ou, pour telle ou telle raison, il ne fallait pas toucher. L'une d'elle avait l'aspect d'un serpent, une autre ressemblait à une pieuvre, avec ses longs et minces tentacules bruns sans feuilles, pendant d'une racine rose. Deux fois par an, cette orchidée fleurissait - et alors on ne voyait plus un pouce de tentacule. C'était une masse de blanc, de mauve, de violets foncés, admirable à voir. Son parfum était très suave et très fort. Je ne m'en approchais jamais.
Détail de la couverture de la première édition du roman
Antoinette, dans ce retrait du monde où elle trouve une forme précaire de paix, connaît pourtant les douleurs infligées par l'homme. Le rejet des autochtones, brusque et violent à la suite du remariage de sa mère avec M. Mason, les amène à quitter cet endroit chéri par la jeune fille. Elle y perdra, de façons différentes, sa mère et son frère et sera éduquée loin de tous, dans un dénuement affectif presque total si ce n'est les quelques joies de la camaraderie, et loin de la chaleur d'un foyer. Vous remarquerez que, jusqu'ici, les parallèles avec le personnage de Jane Eyre sont nombreux : origines aisées, drame familial, manque d'amour, solitude, éducation dans un pensionnat strict pour jeunes filles... A ceci près qu'Antoinette vit tout cela sous la chaleur étouffante de la Jamaïque.
Si l'on en croit Rochester dans Jane Eyre, la folie de sa femme serait héréditaire et, en effet, la dépression et l'alcoolisme ne sont pas exempts de sa généalogie. On s'aperçoit, par ailleurs, à travers la narration très vive, saccadée, synesthésique, parfois hallucinée, d'Antoinette d'une idiosyncrasie très particulière. Elle ressent de façon puissante ou ne ressent pas du tout. Elle n'envisage pas la tiédeur ; il semble même qu'elle y dépérisse. Antoinette est une femme qui semble chercher à se réaliser - notion très anachronique pour le XIXème siècle, mais je crois que c'est une volonté de Jean Rhys d'en faire un personnage éminemment moderne et, par là, intemporel - et à se fondre. Plus que folle, il conviendrait mieux de voir Antoinette Cosway comme un personnage complexe, troublé, chez qui un traumatisme lourd et, conséquemment, des forces antagonistes puissantes, sont à l'oeuvre.
Si folie il doit y avoir chez elle, elle est déclenchée par son mariage avec Rochester. Signe très clair d'un rapport au monde qui se brise dès lors : Antoinette perd sa voix de narratrice au profit de celle de son mari. Le mariage, on le sait dans Jane Eyre, est arrangé par les familles Rochester et Mason. Les principaux intéressés n'ont pas leur mot à dire, s'étant à peine rencontrés. Rochester, d'ailleurs, est affligé d'une forte fièvre tropicale qui le tient alité et comateux pendant plusieurs semaines, ce dont profitent allègrement les familles. Finalement, chacun est mis devant le fait accompli présenté comme idéal pour tous - comprendre par là, financièrement principalement - et Rochester s'emploie à ne pas décevoir les espoirs familiaux. Antoinette, elle, semble véritablement tomber amoureuse de son époux dès l'établissement de leur lune de miel dans un de ces territoires sauvages de l'île. Elle se donne à lui avec passion. Rochester, lui, la désire mais ressent pour elle un rejet par ailleurs : ce caractère puissant, enflammé, franc, lunatique, n'est pas pour convenir à qui a en tête la pudeur et la retenue de l'idéal victorien. Somme toute, Antoinette attire physiquement Rochester mais rebute son esprit, jusqu'à le révolter tout à fait. Et plus celle-ci s'épanouit en ce qu'elle est, plus ce dernier s'en éloigne. C'est une banale histoire de mariage raté où règnent le désamour de l'un et la passion de l'autre mais les obligations de l'époque sont ce qu'elles sont : contraints de vivre ensemble, le rejet de Rochester devient révulsion. Le voilà qui s'emploie, consciemment ou pas, à saper ce qu'est Antoinette : elle devient d'ailleurs Bertha pour lui. Ne la supportant plus, il lui invente une nouvelle identité. Cette oppression d'une froideur tyrannique conduit en effet Antoinette à sombrer dans une profonde dépression et à noyer progressivement ce mal être dans le rhum.
Elle m'avait laissé assoiffé, et toute ma vie ne serait que soif et désir ardent de ce que j'avais perdu avant de l'avoir trouvée.
Image extraite du film adapté du roman en 2006
C'est dans ces conditions et, profitant de l'abattement dans lequel est plongée Antoinette, que Rochester la ramène en Angleterre, sans plus jamais lui adresser la parole - négation suprême de l'autre - et l'enferme sous la surveillance d'une femme négligente et tout sauf bienveillante. Très clairement, Rochester présente sa situation comme une fatalité dans Jane Eyre : il s'est marié malgré lui, sous la pression familiale, avec une femme belle mais héréditairement folle et, qui plus est, en dessous de sa condition sociale. Grosso modo, il s'est donc retrouvé dans un piège et nous serions presque à deux doigts de lui reconnaître l'immense compassion d'accorder encore un semblant d'humanité à la décalquée du citron qui lui sert de femme en la logeant, la nourrissant et lui octroyant une gardienne. A travers La prisonnière des Sargasses, on est invité à nuancer ce point de vue et à concevoir Antoinette comme une femme, certes, compliquée, fragile et très extrême, mais non point folle avant de se marier avec un être froid et despotique, qui cherche à étouffer ce qu'elle est pour la façonner selon ce qu'il voudrait qu'elle soit : bref, Rochester incarne dès lors la pensée patriarcale conservatrice et oppressive victorienne.
A bien des égards : en tant que femme, en tant que créole et en tant qu'originale, Antoinette incarne l'autre par excellence. Cette altérité est merveilleusement mise en exergue par l'auteure à travers une narration ultra-sensorielle où la cassure, sensible dans l'usage de nombreuses images antithétiques et de la syntaxe, est un motif abondamment brodé avec talent. On en vient à repenser autrement à Jane Eyre, qui, sous ses atours de simplicité, de fadeur et d'obéissance, apparaît, en contraste, comme la parfaite femme victorienne soumise là où Antoinette serait une femme du XXIème siège piégée dans le corps d'une femme de 1847 ².
En somme, une merveilleuse mise en perspective qui interroge à la fois la société victorienne, le couple, le statut de la femme à travers les siècles et l'usage et le renouvellement des formes narratives, en plus de nous donner à voir sous un autre jour un grand classique duquel on pourrait penser, à tort, avoir fait le tour. Comme quoi, ça vaut toujours le coup de céder à la tentation des romans dénichés à l'impro dans les brocantes estivales (ceci était un message du Comité Décomplexé des Craquages Livresques en Tous Genres).
Seuls la magie et le rêve sont vrais- tout le reste est mensonge.
La prisonnière des Sargasses de Jean Rhys, Folio, 1977[1966], 210p.
(Il est actuellement publié chez Gallimard dans la collection L'Imaginaire)
Le mois anglais 2017 chez Lou et Cryssilda
1ere participation
¹ "In a review of the 1844 report by the Metropolitan Commissioners on Lunacy, the Westminster Review reported that the ‘disposition of the public’ towards the mentally ill was becoming ‘more enlightened and benevolent’. The review promoted the idea that patients in mental asylums ought to be given ‘the benefit of a cheerful look-out on a pleasing prospect’, and that those responsible for their care should ‘avoid everything which might give to the patient the impression he is in prison’". in The Figure of Bertha Mason
13:04 Publié dans Challenge, Coups de coeur, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : mois anglais, jean rhys, rochester, bertha mason, antoinette cosway, jane eyre, jamaïque, vaudou, amour, haine, fièvre
26/05/2017
Le livre de Perle de Timothée de Fombelle
Plus de trois mois que nulle chronique de littérature jeunesse n'est apparue sur le blog et pourtant plus de trois mois que j'ai lu ce merveilleux roman : que le temps passe vite ! Il est grand temps de combler cette lacune avant que mes souvenirs petit à petit ne s'amenuisent, comme ceux de Perle, afin de rendre un hommage mérité à ce qui est sans doute une des plus belles fictions jeunesse qu'il m'ait été donné de découvrir jusqu'ici.
Les histoires naissent ainsi, quand de petits mystères rencontrent des heures sombres.
Perle est le patronyme d'un étrange vieux bonhomme qui vit seul avec ses chiens au milieu des bois. Notre narrateur, un jeune garçon de quatorze ans, tombe sur lui par hasard alors qu'il fugue. Joshua Perle a l'air sympathique mais étrange : il entasse de nombreuses valises au contenu énigmatique qu'il répertorie dans un cahier. Evidemment, il va interdire au narrateur d'y jeter un coup d’œil ; évidemment, ce dernier ne va pas y résister lorsque le vieil homme partira quelques jours en voyage. Finalement, il ne s'agit que d'un bric à brac sans importance. A priori... Mais qui est vraiment ce monsieur Perle ? Progressivement, nous en apprenons un peu plus sur lui, en remontant le temps jusqu'en 1936, date à laquelle il arrive dans la boutique de guimauves du couple Perle. En parallèle de ce flashback et de façon elliptique, nous sommes invités également à plonger dans un autre récit où tout évoque le monde merveilleux, parfois violent, des contes de fées. Rien ne manque à l'appel : roi, reine, princes et princesses ; créatures maléfiques et magiques ; et l'amour à foison, évidemment impossible mais plus fort que tout.
Les guimauves n’étaient ni juives, ni collaboratrices, ni communistes. Elles étaient du parti du sucre.
Le lecteur, au début, est déboussolé de tant d'histoires parallèles, de tant d'informations, semble-t-il, en désordre. Sur le site de l'éditeur, l'ouvrage est conseillé aux plus de 13 ans du fait de cette construction particulière qui peut désarçonner un œil jeune peu aguerri. Pour vous donner une idée, je l'ai conseillé exclusivement à mes très bons lecteurs de 6e cette année et sur les trois à avoir tenté l'aventure, seuls deux sont arrivés au bout. (Pourtant, celui qui a décroché n'avait eu aucun mal à dévorer tous les tomes d'Harry Potter l'année d'avant...)
Mais cette exigence d'attention ne limite en rien le pouvoir profond du récit à susciter l'émerveillement, le rêve et la douceur. Toute adulte que je suis, je me suis fondue dans ce récit passionnant et délicieux le temps d'une après-midi, ne perdant que quelques secondes pour me resservir un thé brûlant. A mesure que les pages défilent, les pièces du puzzle se mettent en place et l'on découvre que cet univers des contes, cet univers si loin du nôtre est en fait le nôtre exactement et que notre pouvoir, le plus puissant de tous sans doute, est celui de l'imagination - en d'autres termes, celui de la littérature. Timothée de Fombelle dévoile à travers Perle que les livres sont ce qui relient les êtres entre eux et les êtres à leur passé. C'est le fil rouge entre les âmes et le cœur. De quoi faire aimer encore plus la littérature !
Merci, Timothée de Fombelle, pour ce roman magique, attachant et d'une incroyable sensibilité. Il sera longtemps en haut de la liste des romans que je conseillerai sans mesure à tous mes élèves de collège.
Nous nous sommes regardés par petites gorgées de temps, baissant parfois les yeux pour respirer.
Le livre de Perle de Timothée de Fombelle, Gallimard, Pôle Fiction, 2017, 325p.
12:23 Publié dans Aventure, Contes, Coups de coeur, Littérature ado, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : timothée de fombelle, les livres de perle, perle, conte, roman, jeunesse, ado, histoire, souvenir, amour, fée, prince, merveilleux, livres, livre, pouvoir, vie
17/05/2017
Amarres de Marina Skalova
J'ai erré d'abord. Le vent me fouettait le visage. Mes cheveux voletaient autour de ma tête. Mes pieds s'enlisaient dans le sable. [...]
Le jour déclinait. Il semblait rougir de devoir disparaître. p. 10
Un narrateur anonyme débarque un soir sur une île inconnue. Nous ne savons pas même à quelle période se déroule le récit. Certains indices inclinent l'esprit à le situer à la fois proche et loin de nous, dans un espace-temps qui existerait de toujours : celui des contes.
A sa manière, en effet, Marina Skalova nous raconte le conte cruellement moderne car il n'a jamais cessé d'exister de l'autre, de l'étranger, celui qui n'est pas d'ici. Le voilà qui arrive de nulle-part, seul, démuni mais non point stupide, avide de connaître un eldorado paisible dont on lui a tant parlé. Ses espoirs se heurtent à l'incompréhension, au rejet, à la solitude et aux idées reçues qui ont la dent dure. Quelques lueurs de bonté jalonnent son chemin, hélas trop rares et trop éphémères. Même elles, finissent pas se laisser engluer dans la doxa toute puissante. Il ne faut pas grand chose pour que l'autre, l'étranger devienne le bouc émissaire de tous les maux : réponse commode à des phénomènes plus grands que lui mais que la communauté ne veut pas ou ne sait pas analyser et comprendre.
Quand le soleil se couchait, des ombres rougeâtres recouvraient le ciel. La brume enveloppait les cimes des arbres. Leurs reflets se heurtaient aux nuages. Le silence était à son apogée. p. 52
Impossible de ne pas faire quelques parallèles avec l'actualité en lisant ce premier récit de Marina Skalova, jeune poétesse et traductrice. Cependant, il ne se limite pas à la critique de circonstance et offre plutôt une réflexion universelle et intemporelle sur la question de l'autre et du rapport que l'on peut, qui que l'on soit, entretenir avec cette altérité. En somme, Marina Skalova invite chaque lecteur à faire son propre examen. Elle ne propose pas un point de vue - le récit, bien plutôt, cultive une certaine neutralité du ton avec ces phrases courtes, lapidaires bien que poétiques, et cette économie drastique de la forme - mais invite chacun à faire sa propre critique et à nourrir sa propre réflexion.
On sent au fil de la lecture, la volonté d'esquisser un tableau, de jouer une scénettes en ombres chinoises : de suggérer. Au lecteur de dire. L'auteure, elle, insuffle la dynamique. J'ai aimé découvrir un tel projet que je trouve aussi ambitieux que pertinent. J'aime qu'un auteur en appel ainsi aux lecteurs à venir, leur fasse confiance et les interroge. Toutefois, je dois reconnaître qu'une forme aussi ramassée, elliptique, concise est d'une exigence folle. Elle doit tout dire en peu de mots. Chacun de ces mots doivent être précieux et pertinents, imposer leur extrême nécessité. Une pointe de déception se glisse sans doute ici dans ma lecture de ce texte : certains morceaux manquent à mon sens de la force, d'une tension suffisante pour apparaître indispensables. Je me suis surprise à trouver à l'occasion quelques longueurs, le comble dans un récit aussi court ! Sachant l'auteure poète, sans doute attendais-je aussi un peu plus de poésie, quelque chose de plus exigeant dans la forme - ce qui survient à la fin mais peut-être un peu trop tard à mon goût. Mais qu'à cela ne tienne ! Il s'agit là d'un premier récit et ce qu'il propose est malgré tout de très bonne qualité, ne serait-ce que pour pour provoquer notre regard aiguisé.
C'est là que un homme deux hommes a lancé ont lancé un pavé les pavés la foule les pavés s'est ruée sur moi les pavés cachés à côté de la fontaine la foule a jeté les pavés une pluie de une pluie une pluie de pavés les pierres sur la place les pierres comme des balles des obus les pierres au son de les cris meurtrier voleur blasphème assassin les pierres les pavés d'abord la poitrine puis le crâne le ventre criblé t r o u é t r a n s p a r e n t la p o it ri n e à n o uv e a u le vi sa ge la mâch oi re le n ez le s t y mp ans sifllent saignent uuuuuhhuuuuuuuurlent à mort le sexe b ro yé é cr a a br ou i llé l a t ê t e la t êt e p. 78
Amarres de Marina Skalova, L'Âge d'Homme, 2017, 79p.
17:45 Publié dans Littérature française et francophone, Poésie, Réflexion | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : amarres, marina skalova, étranger, autre, autrui, altérité, réflexion, bouc émissaire, eldorado, doxa