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22/06/2015

Le récital des anges de Tracy Chevalier

Le récital des anges.gif
Le récital des anges de Tracy Chevalier, Folio, 2003, 434p.

 

Voilà, j'ai loupé la LC Tracy Chevalier de ce mois anglais. La faute à un week-end parisien : quel dommage :D Cela dit, je réussis du coup à publier mon billet un an jour pour jour après le dernier en date de cette auteure sur le charmant Prodigieuses créatures. C'est ce qu'on appelle les hasards insignifiants (et pas follement passionnants non plus, j'en conviens) de la vie que j'aime bien souligner, à l'occasion.

Pour ce roman, le troisième dans la bibliographie de l'auteure, Tracy Chevalier plante le décor dans cette époque charnière qu'est le tout début du dix-neuvième siècle ; ce fameux temps du roi Edouard joliment immortalisé entre autres par Vita Sackville-West. Le roman s'ouvre en janvier 1901, le jour de la mort de la Reine Victoria. Comme de coutume, les familles en deuil se rendent au cimetière, sur la tombe familiale. C'est là que se rencontrent les Waterhouse et les Coleman et leurs deux filles de cinq ans, Lavinia et Maude. Pourtant très différentes, elles deviennent inséparables et complémentaires. Les meilleures amies du monde, en somme. Cette complicité de chaque jour s'accentue lorsqu'elles deviennent voisines. Malheureusement, les deux mères ne s'entendent que peu. Gertrude Waterhouse est très conservatrice tandis que Kitty Coleman est de ces femmes qui aspirent à plus que la condition de femme au foyer corsetée. Elle trouve une échappatoire dans la passion puis dans la cause des suffragettes, l'une et l'autre accaparant dangereusement son temps et son esprit. Kitty Coleman a besoin de se fondre dans plus grand qu'elle pour oublier un vide et une forme de médiocrité quotidienne qui l'engluent. Pendant ce temps, les années passent et les filles grandissent. Les différences se font sentir progressivement, jusqu'à ce qu'un beau jour, le glas sonne à nouveau pour signifier la mort du roi Édouard. A cet instant, de l'eau aura déjà coulé sous le pont de l'amitié...

Je suis décidément bien bon public avec Tracy Chevalier. Parce que, même si j’ai globalement apprécié cette nouvelle lecture, il ne faut pas pour autant se mentir : ça ne casse pas trois pattes à un canard. Je me suis d’ailleurs demandé si j’allais poursuivre après la lecture des premières pages. Elles n’annonçaient pas grand-chose d’autre qu’un roman choral tout ce qu’il y a de plus classique voire un poil ennuyeux tant les considérations de chacun des personnages frôlent le degré zéro de la banalité. Pourtant, je ne sais quels ingrédients magiques distille Tracy Chevalier au cœur de toute cette superficialité pour que je m’attache malgré tout à ces consciences de papier, pour que j’aie envie de les suivre, de les regarder vivre et être au gré du siècle en train de se faire. Finalement, j’étais prise, banalité ou pas. Et j’ai aimé suivre le roman, même si j’y vois objectivement plus de défauts que de qualités – le défaut principal étant, à mon sens, de représenter de manière beaucoup manichéenne et dramatique la mutation du dix-neuvième siècle victorien vers un vingtième siècle sous bien des aspects révolutionnaire. Le trop est l’ennemi du bien, surtout en littérature. Mais, après tout, l’essentiel, c’est qu’il m’ait eue, ce qui prouve qu’au-delà des imperfections se dessinent une certaine intelligence narrative et, surtout, une douceur délicate qui installe le lecteur dans un coton paisible au sein duquel il se laisse transporter.

 

Logo mois anglais 2015.jpgLe mois anglais 2015 de Lou, Titine et Cryssilda

6eme lecture

18/06/2015

Dark Island de Vita Sackwille-West

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Dark Island de Vita Sackville-West, Le livre de poche, 2013[1934], 325p.

 

*Instant www.mylifedelectrice.com*

C'est il y a deux ans, si ma mémoire est bonne, que j'ai fait connaissance avec l'écrivain qu'est VSW. Jusqu'alors, elle était pour moi un personnage important de la vie de Virginia Woolf, rien de plus. Point de vue un brin condescendant, j'en conviens. Savoir que Woolf l'appréciait en tant qu'être mais avait tendance à juger trop superficielle sa littérature ne m'a jamais incitée à pousser plus loin le bouchon.
Et puis, lors d'un mois anglais tout pareil à celui que nous fêtons en ce moment de nos articles en tous genres, j'ai découvert moult articles sur les romans de VSW et notamment sur Dark Island ; je me rappelle notamment avoir été interpelée par le billet très enthousiaste de Shelbylee. Aussi, quand elle proposa de le remporter lors de l'anniversaire de son blog, je me suis inscrite sans hésiter et hop, quelques jours plus tard, il était dans ma boîte aux lettres.
Cela fait donc un bon moment qu'il trône dans ma PAL. J'ai lu un autre VSW entre temps, que je savais plus léger, pour palier à un manque de Downton Abbey et je l'avais grandement apprécié. Il était donc temps que je m'y colle à nouveau (d'ailleurs, depuis, j'ai accumulé deux VSW supplémentaires. Rahhhh). J'attendais simplement le bon moment, car je sentais une pointe de noirceur et de complexité nouvelles dans Dark Island, que je ne voulais pas louper. Et voici le moment arrivé ! 

*Instant clôt. Passons maintenant aux choses sérieuses*

Cette dark Island, c'est évidemment l'île de Storn qui attire bien des vacanciers mais qui, surtout, fascine Shirin. Chaque été, elle l'admire de loin, ne voulant pas toucher cet espace sacré, au risque d'éclater la bulle du paradis. Pourtant, l'été de ses seize ans, elle rencontre le futur maître des lieux, Venn Le Breton et l'échange de cet unique jour fait déjà des étincelles. Elle le reverra dix ans plus tard, fraîchement divorcée et mère de quatre enfants. Ils se marieront en quelques jours et poursuivront ainsi un triangle amoureux étrange, malsain et passionnel avec cette île sauvage. De dizaine en dizaine, Shirin est à la fois toujours la même - profondément indépendante, lointaine, éblouissante - et de plus en sombre et mélancolique. Venn, à force de jalousie et de violence, brise une à une les attaches qui maintiennent Shirin à la surface de la vie : son île, son amie Cristina. Entre l'un et l'autre, se nourrit une haine destructrice dont on sait dès les premières pages du roman qu'elle aura une issue dramatique.

Je ressors perplexe de cette lecture, ne sachant trop dire à quel point je l'ai appréciée. Je l'ai appréciée, la chose est sûre. Mais le plaisir a été malgré tout fluctuant, tantôt hésitant, tantôt très enthousiaste. Il faut vous dire, tout d'abord, que Shirin est typiquement de ces personnages féminins que je déteste. Je ne comprendrais jamais comment on peut confondre à ce point avoir de la personnalité et être une égoïste insensible. Comment on peut trouver hautement séduisant celui ou celle qui se plaît à vous piétiner. Cet espèce d'aveuglement masochiste me laisse à penser qu'en tout cas, celui ou celle qui trouve cela délicieux manque clairement, lui, de personnalité. (A noter que l'un des personnages dans ce cas se fait quand même surnommer paillasson ou tapis de cheminée - je ne sais plus exactement, pardonnez-moi - pour son plus grand plaisir. Tout un poème). Voilà donc l'un des ingrédients le moins agréable à mon goût : cette Shirin pénible, dont l'obscurité m'a semblé d'une superficialité bourgeoise. Quand bien même tous les personnages ainsi qu'elle-même semblent lui trouver une source existentielle profonde, j'y ai vu pour ma part la profondeur d'un dé à coudre. Je lui recommanderais avec force et plaisir une paire de gifles parfumée à la violette pour rasséréner un peu son insensibilité de déesse feinte. 

Par contre, la découverte d'un nouvel aspect de l'écriture de VSW a été un enchantement ! En 1934, VSW et VW se connaissent depuis douze ans. Douze années pendant lesquelles elles ont échangé un grand nombre de lettres aux sujets divers et où la littérature, entre quelques potins mondains et quelques déclarations ambigües, avait nécessairement sa place. Ces douze années, indéniablement, se sentent dans ce Dark Island où les flux de consciences se meuvent abondamment pour livrer une intériorité nouvelle chez les personnages. Jusque là, je connaissais une VSW capable de retranscrire une époque à merveille, d'un éclat et d'une frivolité tranchante. J'ai vu ici comment l'échange avec Woolf avait progressivement ancré ses pas chassés si agréables sur le socle passionnant et sinuant des âmes et sur la longue ligne du temps - tout comme l'échange avec VSW a permis à Woolf d'écrire un Orlando drôle, enlevé, d'une originalité farfelue et décomplexée telle qu'on se plait à sourire franchement à sa lecture. Quel plaisir, vraiment, de lire à quel point une relation tout ce qu'il y a de plus humaine peut donner des fruits littéraires aussi passionnants.
Pour revenir à Dark Island donc, VSW fait suivre à son lecteur, sur quatre décennies, des instants particuliers de Shirin et de ses satellites, en une suite alternée de discours direct, indirect, indirect libre, de flux de conscience et de narration interne ou externe : hop ! en veux-tu, en voilà, je te donne un peu de tout et à toi de voguer, lecteur, sur les vagues fracassantes de l'île britannique la plus attractive et la plus dangereuse. Si ce n'est pas toujours évident de se retrouver dans certains passages dans le creux de la vague (on ne le dira jamais assez : le risque fréquent du flux de conscience, c'est l'ennui), ou dans le flou artistique des faits et pensées, le roman se lit malgré tout de manière plutôt fluide - soyons clairs : si je parle d'influence claire de Woolf, Dark Island n'est pas du Woolf. Il se lit donc bien plus facilement.

D'un point de vue littéraire, Dark island est indéniablement un beau voyage. Il me fait prendre conscience d'une complexité de VSW que je n'avais pas soupçonnée et d'une capacité à moduler, évoluer tout en développant une voix propre et percutante - j'aime ce côté cinglant, cette intelligence du regard social chez VSW. J'ai évidemment envie de lire prochainement ses autres romans dans ma PAL, mais je crois que je vais également craquer pour sa correspondance avec Woolf sans trop attendre. Et que je vais aussi lire prochainement un nouveau Woolf. Oui, je sais : je lis VSW et je reviens encore à Woolf. Tout mène à Woolf, ce n'est pas ma faute...

 

"Finalement, sa situation était totalement extravagante. Être installée là, avec ses inconnus pourtant si proches d'elle. Me voilà comme Alice, assise entre le griffon et la tortue fantaisie. Était-elle condamnée à les retrouver là chaque soir pour le restant de sa vie ? Mais la permanence ou la durée ne signifiaient rien pour elle et elle haussa les épaules, soucieuse comme toujours de ne pas s'enfermer dans ses pensées, selon sa devise "Ici aujourd'hui, demain ailleurs." Elle resterait elle-même, quoiqu'il arrive. Ce serait sa seule fidélité." p. 164

(Sans déconner : Woolf ou pas Woolf ?!)

 

logo mois anglais 2015 3.jpgLe mois anglais 2015 de Lou, Titine et Cryssilda

5eme lecture

LC autour d'une auteure du XXème siècle

16/06/2015

Northanger Abbey de Jane Austen

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Northanger Abbey de Jane Austen, 10/18, 2014, 276p.

 

La vie n'a pas été très tendre avec notre héroïne Catherine Morland jusqu'à ces dix-sept ans - L'ingratitude des corps et la platitude des caractères n'épargnent personne ! -, âge auquel elle se lance dans le monde de Bath en compagnie des Allen. Les débuts sont mornes ; l'ennui guette ; mais voilà qu'elle rencontre les Thorpe puis les Tilney et une valse de rendez-vous, de confidences, de ballades et de soirées ampoulées s'enchaînent pour passer les jours et les remplir d'un semblant de complétude. Catherine, dans cette affaire, tombe amoureuse d'Henry Tilney et se réjouit d'aller passer quelques semaines dans sa famille à Northanger Abbey. Emma Bovary à ses heures - et avant l'heure -, Catherine Morland fantasme immédiatement sur la demeure comme sur les bâtisses hantées de ses romans gothiques. Et c'est plutôt à mourir de rire.

Soyons clairs : dans ce roman-là de Jane Austen - son tout premier achevé pour l'édition mais édité posthume : quel talent déjà ! - tout le monde en prend pour son grade sans déguisement ! J'avais trouvé dans Orgueil et préjugés une ironie bien présente mais subtile, encore que de plus en plus ténue à force de tourner les pages (ou est-ce parce que la lectrice que je suis s'est prise aux filets de Darcy comme une bleue ?). Dans Northanger Abbey, j'ai découvert avec un immense plaisir et, accessoirement un grand sourire scotché aux lèvres tout le long du bouquin, une ironie beaucoup plus affirmée et assumée, qui n'hésite pas, dès lors, à dessiner déjà quelques-uns des ressors qui feront plus tard notre roman contemporain. Ainsi, l'auteure est bel et bien présente - presque en chair et en os - dans les premières dizaines de pages. Et lorsqu'elle parle de Catherine Morland, c'est pour mieux parler de son processus d'écriture et de son amusement piquant à croquer une anti-héroïne extrêmement moderne : Si la vie n'a pas été tendre avec Catherine Morland, l'auteure non plus !

En outre, même si j'ai été un poil déçue (un poil seulement, entendons-nous bien), de découvrir que la partie à Northanger Abbey était si restreinte par rapport à celle de Bath, j'ai heureusement goûté avec plaisir que Jane Austen égrène tout au long du roman des remarques diverses et cinglantes à l'endroit du roman en général et du roman gothique en particulier. Le propos de Jane Austen est plutôt équivoque : elle ne saurait méjuger les lecteurs de romans - bien au contraire : n'en écrit-elle pas, après tout ?! Il ferait beau voir rabaisser ce que l'on pratique soi-même, peu ou prou et c'est bien ce qu'elle met en lumière chez beaucoup de ses contemporains. Le roman a ceci de fabuleux et de virtuose qu'il s'agit de créer un monde nouveau de toutes pièces, par la force seule d'un esprit éclairé et bouillonnant et de savoir, ensuite, le poser en bons mots. Elle se plait par contre à épingler les Emma Bovary en puissance qui prennent leurs lectures pour des réalités et ont, dès lors, le discernement d'une cacahuète grillée. Rassurez-vous ! Catherine Morland s'en remettra ! Mais, en attendant, nous, lecteurs, aurons l'occasion de bien rire de ses escapades dans Northangger Abbey. (N'empêche que, les éloges et les critiques étant fort bien menées, j'ai sacrément envie de lire Ann Radcliffe maintenant !)

Et puis, comme toujours, on retrouvera une peinture au couteau de la gentry entre deux siècles prise dans des questions Ô combien cruciales telles que la qualité d'un tissu ou l'ordre des invitations à danser. Bath est particulièrement propice à ces piques successifs mais surtout orchestrés de main de maître, tant la futilité, l'inconsistance et l'oisiveté semblent être sports nationaux - et Mrs Allen d'en être la championne toutes catégories. Les Thorpe exercent plutôt dans les disciplines alternatives de la mesquinerie et de la fatuité, disciplines qui réclament comédie et stratégie qu'il faut saluer chez la chère amie de Catherine. Sacrée Isabella, qui m'aura eu, moi aussi, pendant un bon moment !

Un roman complet, donc, dans lequel, loin de trouver une Jane Austen en devenir, encore timorée ou embryonnaire, on a droit à une Jane Austen déjà au taquet du piquant et de la modernité. Une Jane Austen exactement là où on elle doit être : les deux pieds dans son époque, mais avec cette verve et cette intelligence vibrante qui la place d'emblée parmi les romancières les plus modernes.

 

Merci beaucoup à Aymeline pour ce cadeau lors de notre Mini British Swap !

 

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4ème lecture

LC autour de Jane Austen