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21/06/2019

Le secret de l'éventail de Nancy Springer

Le secret de l'éventail .jpgAu point au nous en sommes au début de ce quatrième tome, huit mois (seulement !) se sont écoulés depuis le début de la série. Je vous avoue que je n'avais aucune notion du temps dans cette affaire et il me semblait que quelques années étaient passées par là - mais c'est sans doute parce que quelques années se sont effectivement écoulées depuis ma lecture du premier titre. Enola Holmes a aujourd'hui presque quinze ans et, en l'espace de huit petits mois, a réussi à échapper plusieurs fois à ses frères aînés, Mycroft et Sherlock, à vivre de façon autonome et dissimulée dans Londres et à résoudre trois affaires importantes (plus une kyrielles d'autres plus négligeables). En ce mois de mai 1889, elle s'ennuie d'ailleurs d'accumuler les enquêtes sans importance, jusqu'au jour où, par le plus grand des hasards, dans les premières et très innovantes toilettes pour dames du centre londonien, elle retrouve Lady Cecily Alistair qu'elle avait aidée dans le deuxième volume de la série. Celle-ci est aux prises avec deux duègnes peu commodes et laisse à Enola, qu'elle a reconnue, un SOS gravé sur son éventail rose. Notre héroïne s'emploie dès lors à découvrir la nature exacte des problèmes de Lady Alistair et à l'en dépêtrer.

Décidément que j'aime cette série ! Et ce tome-là est indéniablement un très bon cru. Le style de Nancy Springer traduite par Rose-Marie Vassallo se déroule avec une verve et une vivacité auxquelles la narration à la première personne participe grandement. C'est typiquement le genre de série que j'ai plaisir à conseiller à mes élèves tant elle est à la fois accessible et de qualité. La langue est riche et le fond est consistant.

Présentement, la condition de la femme dans l'Angleterre victorienne en prend encore pour son grade. Cecily Alistair est littéralement prise au piège par des plans qui la dépassent simplement parce qu'elle est une jeune fille un peu trop libre qu'on ambitionne de museler. En attendant que tout soit mis à exécution, c'est dans son corps qu'elle est prisonnière, harnachée des habits à la dernière mode parisienne qui empêche tout mouvement ample. Elle est forcée d'avancer à petit pas et de respirer à peine : une véritable torture ! Enola, de son côté, ne peut toujours pas retrouver ses frères car le même sort la guetterait le cas échéant. Toute tentative de liberté féminine doit être vertement réprimandée et étouffée, quel que soit le domaine et quelle qu'en la raison. 

Cependant, une lueur d'espoir commence à poindre pour notre protagoniste car un rapprochement progressif s'opère avec Sherlock. Le célèbre détective enquête sur la même affaire que sa jeune sœur et aura besoin d'un petit coup de main pour se sortir d'un mauvais pas. On comprend dans les dernières pages du récit qu'une ouverture s'amorce (et pour cause, il ne reste plus que deux titres à la série) et il ne pouvait venir que d'un esprit lui-même libre et anticonformiste à bien des égards (pas tous certes, mais tout de même bien plus que Mycroft). J'ai hâte de voir comment cela va évoluer par la suite d'autant qu'Enola devient de plus en plus affirmée, indépendante, inventive et courageuse ; l'esprit et l'action toujours tournés vers son prochain. Elle n'est pas sans failles, certes, mais elle est une héroïne des plus inspirantes, pour les lecteurs et lectrices de tous âges. La question est : vais-je attendre longtemps avant de lire la suite ?

Précédemment dans la vie d'Enola Holmes : La double disparition, L'affaire Lady Alistair et Le mystère des pavots blancs. 

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Participation au mois anglais chez Lou et Titine 

18/06/2019

La mort s'invite à Pemberley de P. D. James

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Dernièrement, j'ai été prise d'un revival Pride & prejudice - pas tant de relire le roman, en fait, que de replonger dans l'histoire et de côtoyer à nouveau les personnages. Je me suis sustentée en visionnant à nouveau la mini-série BBC (indépassable) et le film de Joe Wright (qu'étonnamment, j'apprécie de plus en plus ou peut-être me ramollis-je avec le temps par seul plaisir de retrouver cet univers ?) mais ce ne fut pas suffisant. Je n'avais pas envie de rejouer la même histoire en boucle en fait (d'où l'absence de relecture du roman), mais plutôt de continuer à vivre avec eux (et d'un coup, je comprends, ce qui pousse certains fans à s'abreuver d'austeneries jusqu'à plus soif.). Bref, j'ai donc demandé les bons conseils de consœurs très connaisseuses et finalement, il semble qu'il n'existe pas tant de bonnes austeneries que ça (avis à ceux qui en ont sous le coude : je suis preneuse), or je ne suis pas encore suffisamment à fond pour me passer d'une certaine qualité littéraire. Du coup, j'ai opté pour celle qui fait l'unanimité et que j'avais déjà dans ma PAL en prime (nickel) : La mort s'invite à Pemberley de P.D. James. 

L'intrigue commence cinq ans après la fin du roman de Jane Austen, la veille du bal de Lady Anne, feu la mère de Darcy, au domaine de Pemberley. Les époux Bingley sont déjà arrivés sur place, de même qu'Henry Alveston, un de leurs amis, et le colonel Fitzwilliam, cousin de Darcy. Les retrouvailles sont cordiales, voire chaleureuses entre Elizabeth et Jane, mais une tension indicible et latente semble habiter diversement les individus. Tardivement dans la soirée, alors que tout le monde songe à se coucher, surgit un équipage inattendu : La voiture et le cocher du Green Man et Lydia, la benjamine des soeurs Bennet, dans un état pitoyable. Elle hurle à qui veut l'entendre que Wickham, qui s'est élancé dans les bois à la suite du capitaine Denny, a été assassiné. Tout le monde est évidemment dans la stupeur et ces messieurs décident de partir à la recherche des deux hommes dans le bois du domaine... 

Je me rallie très clairement à l'appréciation générale pour dire que ce roman est une fan fiction absolument excellente et savoureuse. En plus d'être une admiratrice évidente de l'époque et de l'oeuvre de Jane Austen, P.D. James, que je découvre pour l'occasion, est indéniablement une auteure bourrée de talent. Ainsi, les personnages et leurs attitudes sont en parfaite cohérence avec les mœurs d'alors et les caractères créés dans l'oeuvre originale tout en développant de nouvelles facettes et en s'étoffant d'une vie nouvelle. P.D. James prend le temps, dans un long prologue, de combler le vide des cinq ans avant d'avancer lentement mais sûrement - ainsi le rythme narratif est, lui aussi, cohérent avec le roman d'inspiration. C'est crédible, croustillant, fin et très juste. J'ai particulièrement goûté le petit clin d’œil suivant : 

S'il s'agissait d'un roman, le plus brillant écrivain lui-même pourrait-il réussir à faire croire à ses lecteurs qu'aussi peu de temps avait suffi à soumettre l'orgueil et à surmonter les préjugés ? (Je crois qu'on a tous la réponse à cette question)

Ceci étant dit, subsiste la question de la trame policière dans tout ça : on pourrait avoir l'impression de prime abord, et c'est un peu la crainte que j'avais, que l'intrigue tombe ici comme un cheveu sur la soupe. Or, il n'en est rien. Certes, par souci de respect historique, elle n'est pas follement haletante et il ne faut pas espérer un page-turner de folie. Par contre, elle offre l'occasion d'une plongée extrêmement instructive et fascinante dans les rouages judiciaires anglais du début du dix-neuvième siècle Aussi, à défaut d'être vif et surprenant, l'ensemble développe une excellente reconstitution historique plausible. Inutile de préciser que je recommande chaudement ce roman à ceux qui, comme moi, souhaitent continuer un bout de chemin avec Lizzie et Darcy sans forcément relire Pride & prejudice. C'est un bon cru, vous pouvez y aller. 

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Participation au mois anglais chez Lou et Titine 

10/06/2019

Le Serpent de l'Essex de Sarah Perry

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Janvier : Cora Seaborne vient tout juste de perdre son mari - et puisque le récit prend place dans l'Angleterre victorienne de la fin du XIXème siècle, un tel événement équivaut autant à un cataclysme qu'à une liberté retrouvée pour la jeune veuve. Mariée tôt, comme toutes les femmes ou presque à cette époque, elle n'a connu rien d'autre que la domination masculine, passant du père au mari comme il seyait alors. Michael Seaborne est l'homme qui [l']a faite, lui offrant l'éducation et la culture, entre autres cette passion pour la paléontologie. En contrepartie, Michael était un homme froid, cinglant et violent : son corps s'en souvient. Autant dire qu'elle ne saurait souffrir de la mort d'un tel mari. Aussitôt enterré, ou presque, Cora part avec Martha, son amie socialiste convaincue et son fils Francis, très clairement Asperger même si un tel terme n'est évidemment jamais mentionné au vu de son anachronisme à l'époque des faits, dans l'Essex rural. Les deux femmes y font de longues marches vivifiantes et Francis amasse toutes sortes d'objets insolites qui créent un monde cohérent dans son esprit atypique jusqu'au jour où Cora entend parler du serpent. Ce monstre marin légendaire reprend du service après plusieurs siècles de silence sur les lèvres de tous les habitants des environs d'Aldwinter. Cora est piquée de curiosité. Elle se demande si elle ne pourrait pas être la nouvelle Mary Anning car elle est persuadée que le serpent est de ces animaux préhistoriques encore inconnus. Elle embarque sa troupe au village d'Aldwinter où elle fait la connaissance de la famille Ransome et se lie particulièrement avec le pasteur, William.

La question, ce n'est pas ce que je vois, mais ce que je sens : je ne vois pas l'éther ; pourtant, je le sens qui entre et qui part, et je dépends de lui. Je sens que quelque chose arrive : tôt ou tard, souvenez-vous-en. Ce quelque chose s'est déjà vu, comme vous le savez, et il reviendra, sinon de mon vivant, du vôtre ou de celui de vos enfants, donc je me prépare, mon révérend, et si je pouvais me permettre un instant cette audace, je vous recommanderais d'en faire autant. 

Autour de ce noyau dur de personnages dont les relations se développent dès la fin de février grâce à l'entremise des Ambrose se tissent mille et un autres personnages et mille et une autres relations, plus ou moins discrètes, plus ou moins furtives qui composent toute une variation délicieuse sur le thème de l'amitié.
L'amitié, n'est-ce pas, est un sentiment finalement peu exploité en littérature, tout du moins en temps que thème principal - car il y a bien toujours des amis dans la plupart des romans, d'amour par exemple, mais ils ne sont alors qu'un contrepoint. Dans ce roman de Sarah Perry, l'amitié s'affirme, à juste titre me semble-t-il, comme le pilier fondamental des relations humaines et à l'occasion elle flirte avec bien d'autres sentiments - l'amour, la passion, le désir, l'égoïsme, l'idéalisme, l'ambition, la possession, la filiation, la folie - se colore, se mélange, devient mystère, angoisse ou épanouissement mais toujours finit par être la véritable boussole des existences. Ce parti pris, auquel je souscris complètement, et l'incroyable subtilité des variations harmoniques amicales de l'auteure font de ce roman un texte passionnant, fin et juste. Malgré l'empreinte puissante de l'époque victorienne dont elle est aussi, évidemment, une excellente cartographie politique et sociale, et c'en est un plaisir, ce texte résonne de façon puissamment intemporelle. 

J'ai toujours dit qu'il n'y a pas de mystères, rien que des choses que nous ne connaissons pas encore, mais récemment, j'ai pensé que même la connaissance ne pouvait pas retirer toute son étrangeté au monde.

Puisque les êtres, bien plus que les faits, sont au cœur du roman, mieux vaut apprécier une certaine lenteur narrative pour être tout à fait plongé dans les mois qui défilent et ne pas s'attendre à des rebondissements saisissants. La mécanique des cœurs se met en branle doucement, parfois fortuitement, et de façon plausible - comprendre par là qu'il n'y a pas de surenchère illusoire pour faire rêver dans les chaumières. C'est doux et pertinent à défaut d'être fou et fantasmé. Le Serpent de l'Essex est de ces romans que l'on apprécie lorsqu'on on a fait le deuil d'une quelconque attente en tournant les pages : on est dans la vraie vie dès le départ, qui n'attend pas d'événements particuliers pour débuter, qui ne connaît pas cette perpétuelle répétition du même qu'on voit venir à des kilomètres joliment appelé cliché (c'était ma crainte concernant la relation de Cora et Will et, merveille, l'auteure a brillamment tout évité) et qui, conséquemment, n'est pas suspendu à une hypothétique closure finale non plus. Décidément, il faut se détacher de la linéarité en lisant ce roman. Ni début, ni rebondissements, ni fantasmes, ni fin ; seulement la vie et donc l'amitié. Très simplement. 

En plus, j'ai eu la chance de lire ce roman en lecture commune avec une de mes plus chères amies : je ne pouvais pas rêver meilleure cerise sur ce délicieux gâteau. Merci pour nos échanges, ma petite Mélie d'amour ♥

 

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Participation au mois anglais chez Lou et Titine