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05/06/2017

La rivière à l'envers de Jean Claude Mourlevat

la rivière à l'envers,jean claude mourlevat,rivière qjar,tomek,hannah,roman d'aventures,aventures,immortalitéLa rivière à l'envers, c'est en fait deux romans - deux trajectoires de vie qui se croisent au bon moment pour ne plus se lâcher.

Il y a d'abord Tomek que l'on découvre seul et en proie à un ennui grandissant. Jeune orphelin, il vit et travaille dans l'épicerie de sa famille. Son quotidien se partage entre cette boutique, quelques balades et des visites à son grand-père de cœur, Icham, le sage du village. Un beau soir, une jeune fille dont on ignore pour l'instant le nom surgit et lui demande les choses les plus simples puis les plus farfelues. Qu'importe : Tomek a de tout dans son épicerie ! De tout... sauf ce dont a vraiment besoin sa visiteuse : de l'eau de la rivière Qjar, celle qui coule à l'envers, celle qui empêche de mourir. La jeune fille disparaît mais pas l'amour ni l'envie d'aventures qu'elle a fait naître en Tomek. Ni une ni deux, le voilà parti pour traverser des contrées aussi étonnantes que la forêt de l'oubli, le pays des parfumeurs ou l'île inexistante dans l'espoir de retrouver celle qui se prénomme Hannah et l'eau dont elle a tant besoin. 

Le second tome n'est pas une suite mais un parallèle : l'histoire d'Hannah cette fois. Elle a promis à Tomek de lui raconter ce qu'elle avait vécu de son côté, avant de le connaître puis avant de le retrouver. A son tour de parcourir des endroits dangereux et fascinants, de laisser un ami, un vieil homme mourir, de se marier, d'avoir des enfants, de redevenir la fille d'un couple aimant, d'apprendre à lire et à écrire à de jeunes enfants pleins de vie. Hannah semble avoir vécu mille vies en une durant cette année d'aventures ! 

La rivière à l'envers, c'est un bol d'air frais qui donne immanquablement le sourire. C'est fait pour un public assez jeune, à n'en pas douter : il faut de cette naïveté lumineuse pour s'attacher aux personnages et les suivre sans discuter dans des mondes étonnamment bons où rien ne peut vraiment arriver. Pour autant, il y a beaucoup à apprendre de ces épreuves qui sont autant de rites de passage vers la découverte de soi, de l'autre, de ses limites et de ses possibilités infinies - en d'autres termes, vers l'âge adulte. 
Pour ma part, les programmes du collège ayant changés, j'ai opté pour le faire lire et l'étudier en oeuvre intégrale avec mes 6e cette année - uniquement le tome 1. L'adhésion de la classe, exception faite de deux ou trois élèves, a été immédiate et presque unanime, ce qui est suffisamment rare pour être noté ! Plusieurs élèves se sont plongés, dans la foulée, dans le tome 2. C'est même l'un d'eux qui me l'a prêté pour que je puisse le lire à mon tour : n'est-ce pas la plus belle façon de boucler la boucle de l'enseignement ?! Les élèves ont donc été plutôt emballés et ont tiré de nombreux enseignements de leur lecture, pour mon plus grand plaisir :

"La rivière à l'envers nous apprend qu'une aventure ne change pas tout le temps le physique mais aussi le savoir." Aloïs

"Même si les gens sont morts, ils sont toujours là avec nous dans nos pensées." Loane

"J'en tirerais qu'il ne faut jamais abandonner, qu'on en ressort toujours grandi." Albin

"Il faut suivre ses rêves et avoir toujours du courage." Smahane

"Je tire comme enseignement qu'il faut toujours aller au bout de sa quête et ne jamais lâcher" Maëlle

"Si on veut faire quelque chose, il faut s'en donner les moyens en travaillant." Cerise

"L'enseignement que je tire de cette histoire est que la vie ne se résume pas juste à ce qu'il y a au bout de notre nez. [...] Il faut apprendre à aimer avant de voir mourir ceux qu'on aime et l'aventure permet de faire des rencontres inouïes. Il faut savoir profiter de la vie, il n'y a pas une deuxième chance." Erwann

Bref, c'est avec certitude que ce roman s'intégrera à nouveau dans ma progression de 6e l'an prochain.
Je remercie beaucoup Leiloona qui m'a donné l'inspiration de ce roman en début d'année scolaire. 

La rivière à l'envers 1 - Tomek de Jean-Claude Mourlevat, Pocket jeunesse, 2009, 192p. 

26/05/2017

Le livre de Perle de Timothée de Fombelle

Le livre de perle.jpgPlus de trois mois que nulle chronique de littérature jeunesse n'est apparue sur le blog et pourtant plus de trois mois que j'ai lu ce merveilleux roman : que le temps passe vite ! Il est grand temps de combler cette lacune avant que mes souvenirs petit à petit ne s'amenuisent, comme ceux de Perle, afin de rendre un hommage mérité à ce qui est sans doute une des plus belles fictions jeunesse qu'il m'ait été donné de découvrir jusqu'ici. 

Les histoires naissent ainsi, quand de petits mystères rencontrent des heures sombres.

Perle est le patronyme d'un étrange vieux bonhomme qui vit seul avec ses chiens au milieu des bois. Notre narrateur, un jeune garçon de quatorze ans, tombe sur lui par hasard alors qu'il fugue. Joshua Perle a l'air sympathique mais étrange : il entasse de nombreuses valises au contenu énigmatique qu'il répertorie dans un cahier. Evidemment, il va interdire au narrateur d'y jeter un coup d’œil ; évidemment, ce dernier ne va pas y résister lorsque le vieil homme partira quelques jours en voyage. Finalement, il ne s'agit que d'un bric à brac sans importance. A priori... Mais qui est vraiment ce monsieur Perle ? Progressivement, nous en apprenons un peu plus sur lui, en remontant le temps jusqu'en 1936, date à laquelle il arrive dans la boutique de guimauves du couple Perle. En parallèle de ce flashback et de façon elliptique, nous sommes invités également à plonger dans un autre récit où tout évoque le monde merveilleux, parfois violent, des contes de fées. Rien ne manque à l'appel : roi, reine, princes et princesses ; créatures maléfiques et magiques ; et l'amour à foison, évidemment impossible mais plus fort que tout. 

Les guimauves n’étaient ni juives, ni collaboratrices, ni communistes. Elles étaient du parti du sucre.

Le lecteur, au début, est déboussolé de tant d'histoires parallèles, de tant d'informations, semble-t-il, en désordre. Sur le site de l'éditeur, l'ouvrage est conseillé aux plus de 13 ans du fait de cette construction particulière qui peut désarçonner un œil jeune peu aguerri. Pour vous donner une idée, je l'ai conseillé exclusivement à mes très bons lecteurs de 6e cette année et sur les trois à avoir tenté l'aventure, seuls deux sont arrivés au bout. (Pourtant, celui qui a décroché n'avait eu aucun mal à dévorer tous les tomes d'Harry Potter l'année d'avant...) 
Mais cette exigence d'attention ne limite en rien le pouvoir profond du récit à susciter l'émerveillement, le rêve et la douceur. Toute adulte que je suis, je me suis fondue dans ce récit passionnant et délicieux le temps d'une après-midi, ne perdant que quelques secondes pour me resservir un thé brûlant. A mesure que les pages défilent, les pièces du puzzle se mettent en place et l'on découvre que cet univers des contes, cet univers si loin du nôtre est en fait le nôtre exactement et que notre pouvoir, le plus puissant de tous sans doute, est celui de l'imagination - en d'autres termes, celui de la littérature. Timothée de Fombelle dévoile à travers Perle que les livres sont ce qui relient les êtres entre eux et les êtres à leur passé. C'est le fil rouge entre les âmes et le cœur. De quoi faire aimer encore plus la littérature !

Merci, Timothée de Fombelle, pour ce roman magique, attachant et d'une incroyable sensibilité. Il sera longtemps en haut de la liste des romans que je conseillerai sans mesure à tous mes élèves de collège. 

Nous nous sommes regardés par petites gorgées de temps, baissant parfois les yeux pour respirer.

coup de coeur.jpgLe livre de Perle de Timothée de Fombelle, Gallimard, Pôle Fiction, 2017, 325p. 

17/05/2017

Amarres de Marina Skalova

amarres,marina skalova,étranger,autre,autrui,altérité,réflexion,bouc émissaire,eldorado,doxaJ'ai erré d'abord. Le vent me fouettait le visage. Mes cheveux voletaient autour de ma tête. Mes pieds s'enlisaient dans le sable. [...]

Le jour déclinait. Il semblait rougir de devoir disparaître. p. 10

Un narrateur anonyme débarque un soir sur une île inconnue. Nous ne savons pas même à quelle période se déroule le récit. Certains indices inclinent l'esprit à le situer à la fois proche et loin de nous, dans un espace-temps qui existerait de toujours : celui des contes.
A sa manière, en effet, Marina Skalova nous raconte le conte cruellement moderne car il n'a jamais cessé d'exister de l'autre, de l'étranger, celui qui n'est pas d'ici. Le voilà qui arrive de nulle-part, seul, démuni mais non point stupide, avide de connaître un eldorado paisible dont on lui a tant parlé. Ses espoirs se heurtent à l'incompréhension, au rejet, à la solitude et aux idées reçues qui ont la dent dure. Quelques lueurs de bonté jalonnent son chemin, hélas trop rares et trop éphémères. Même elles, finissent pas se laisser engluer dans la doxa toute puissante. Il ne faut pas grand chose pour que l'autre, l'étranger devienne le bouc émissaire de tous les maux : réponse commode à des phénomènes plus grands que lui mais que la communauté ne veut pas ou ne sait pas analyser et comprendre. 

Quand le soleil se couchait, des ombres rougeâtres recouvraient le ciel. La brume enveloppait les cimes des arbres. Leurs reflets se heurtaient aux nuages. Le silence était à son apogée. p. 52

Impossible de ne pas faire quelques parallèles avec l'actualité en lisant ce premier récit de Marina Skalova, jeune poétesse et traductrice. Cependant, il ne se limite pas à la critique de circonstance et offre plutôt une réflexion universelle et intemporelle sur la question de l'autre et du rapport que l'on peut, qui que l'on soit, entretenir avec cette altérité. En somme, Marina Skalova invite chaque lecteur à faire son propre examen. Elle ne propose pas un point de vue - le récit, bien plutôt, cultive une certaine neutralité du ton avec ces phrases courtes, lapidaires bien que poétiques, et cette économie drastique de la forme - mais invite chacun à faire sa propre critique et à nourrir sa propre réflexion. 

On sent au fil de la lecture, la volonté d'esquisser un tableau, de jouer une scénettes en ombres chinoises : de suggérer. Au lecteur de dire. L'auteure, elle, insuffle la dynamique. J'ai aimé découvrir un tel projet que je trouve aussi ambitieux que pertinent. J'aime qu'un auteur en appel ainsi aux lecteurs à venir, leur fasse confiance et les interroge. Toutefois, je dois reconnaître qu'une forme aussi ramassée, elliptique, concise est d'une exigence folle. Elle doit tout dire en peu de mots. Chacun de ces mots doivent être précieux et pertinents, imposer leur extrême nécessité. Une pointe de déception se glisse sans doute ici dans ma lecture de ce texte : certains morceaux manquent à mon sens de la force, d'une tension suffisante pour apparaître indispensables. Je me suis surprise à trouver à l'occasion quelques longueurs, le comble dans un récit aussi court ! Sachant l'auteure poète, sans doute attendais-je aussi un peu plus de poésie, quelque chose de plus exigeant dans la forme - ce qui survient à la fin mais peut-être un peu trop tard à mon goût. Mais qu'à cela ne tienne ! Il s'agit là d'un premier récit et ce qu'il propose est malgré tout de très bonne qualité, ne serait-ce que pour pour provoquer notre regard aiguisé. 

C'est là que un homme deux hommes a lancé ont lancé un pavé les pavés la foule les pavés s'est ruée sur moi les pavés cachés à côté de la fontaine la foule a jeté les pavés une pluie de une pluie une pluie de pavés les pierres sur la place les pierres comme des balles des obus les pierres au son de les cris meurtrier voleur blasphème assassin les pierres les pavés d'abord la poitrine puis le crâne le ventre criblé t r o u é  t r a n s p a r e n t la p o it ri n e à n o uv e a u le vi sa ge la mâch oi re le n ez le s t y mp ans sifllent saignent uuuuuhhuuuuuuuurlent à mort le sexe b ro yé é cr a a br ou i llé l a t ê t e la t êt e   p. 78

Amarres de Marina Skalova, L'Âge d'Homme, 2017, 79p.