23/11/2013
La grâce des brigands de Véronique Ovaldé
La grâce des brigands de Véronique Ovaldé, ed. de l'Olivier, 2013, 284p.
Au commencement, comme souvent chez Véronique Ovaldé, est une jeune fille au nom exotique et énigmatique. Maria Cristina Väätonen a fui le lointain Lapérouse et l'étouffante maison familiale rose-cul à seize ans pour la Californie. Elle publie rapidement un roman à succès où, apprend-t-on, elle est La vilaine soeur et s'acoquine avec l'écrivain à succès Rafael Claramunt. D'une enfance engoncée par la bigoterie un peu dingue de sa mère puis d'une adolescence tourbillonnante entre alcool et soirées promotionnelles, elle devient une adulte solitaire sur les bords de Santa Monica en compagnie de Jean-Luc Godard et Judy Garland. Le roman s'ouvre sur le coup de fil de cette mère que Maria Cristina n'a plus vu depuis son départ en exil et qui l'enjoint de revenir à Lapérouse. Ainsi sonne le retour à l'enfance, à la culpabilité.
Il est vrai qu'on ne manquera pas de retrouver ici le style si particulier de Véronique Ovaldé, entre conte fabuleux et gravité un peu tragique. Quoiqu'elle raconte, elle nous embarque toujours dans un univers onirique où rien n'existe vraiment - les lieux et les dates sont imprécis, les personnages exagérément typiques et pourtant si originaux -, ce qui décidément, rend à merveille la réalité d'une existence en demi-teinte. On flotte toujours, entre le rire et la mélancolie, en imaginant quelques scènes pastels ou rougeoyantes.
Pourtant, même si la forme est délicate, je l'ai trouvé occasionnellement un peu poussive dans ce nouvel opus - comme si le style était parfois étiré sur des lignes et des lignes sans respiration. D'aucuns y verraient l'expression d'un étouffement, pour ma part, j'y ai vu un manque de subtilité un peu pénible. Quant au fond, je n'ai pas retrouvé l'emportement de mon premier coup de cœur pour Ce que je sais de Vera Candida que j'avais totalement adoré. Ici, je ne me suis pas attachée aux personnages et je n'ai pas été emportée par l'histoire. Même si le style participe beaucoup à l'éclairage nouveau du propos, j'avoue que cette histoire de culpabilité et de rédemption d'une jeune fille à l'enfance contrainte qui se libère une l'éloignement venu ne m'a pas transcendée du tout.
C'est plutôt avec regret que je fais le constat de cette déception car Véronique Ovaldé est vraiment une plume qui m'attire énormément mais force est de constater que je me suis vite ennuyée dans cette lecture - comme dirait Valmont, ce n'est pas ma faute.
Je vous invite à visiter les copines blogueuses avec qui j'ai réalisé cette lecture en commun : Philisine Cave, Nadael, Piplo et L'Or rouge.
Challenge de la Rentrée Littéraire 2013 chez Hérisson
7eme lecture
09:00 Publié dans Challenge, Lecture commune, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (16)
14/11/2013
Un roi sans divertissement de Jean Giono
Un roi sans divertissement de Jean Giono, ed. Folio, 1946, 240p.
Un roi sans divertissement s'inscrit dans le cycle des Chroniques dont il est le premier volume et explore à ce titre un fait divers à travers une pluralité de narrateurs-témoins. Il prend place dans une société et une géographie bien particulière : ici les Alpes profondes entre Isère et Drôme. Dans cet espace empêtré de neige et de brouillard, au milieu du XIXe, une jeune femme disparait mystérieusement. Peu de temps plus tard, un second habitant échappe de peu à un semblable enlèvement. La peur étrangle toute la petite communauté et l'on dépêche sur place le capitaine Langlois qui ne parvient pas à empêcher une deuxième disparition. Ainsi s'égrènent plusieurs hivers jusqu'à ce que le meurtrier, un homme comme les autres, soit rattrapé et tué. Après cette affaire, Langlois démissionne, devient commandant de louveterie et intègre le village. Durant cette vie âpre et dans la solitude pesante de la neige, il approche ce sentiment de vacuité qui avait conduit jadis le meurtrier à son étrange divertissement.
L'écriture extrêmement orale de Giono, son emprunte rurale et l'ennui comme noyau dur du propos pourraient être imagés comme un cocktail de Céline, Pierre Michon et Flaubert - bien que ce résumé à l'emporte-pièce n'est pas entièrement satisfaisant et ne rend pas justice aux nombreuses qualités littéraires du roman. Un roman sans divertissement est clairement un livre exigeant. Le grand nombre de narrateurs, qui se succèdent sans crier gare, réclament une attention accrue, d'autant que le récit se fait sur le ton de la confidence autour du feu : le style laisse une large part aux circonvolutions de l'oral qu'il faut parvenir à suivre à l'écrit. Le premier narrateur du livre est anonyme et postérieur à l'affaire de deux générations (me semble-t-il). Il revient dessus, tente de la comprendre. Par la suite, d'autres prendront le relai : des vieillards sachant vieillir, puis Saucisse... Eux sont de véritables témoins et s'enchâssent les uns dans les autres [Le premier narrateur recueille le témoignage des vieillards qui eux-mêmes ont recueilli jadis le témoignage de Saucisse]. Bref, les narrateurs et donc les points de vue sont multiples. On s'enroule pour démêler tout d'abord l'affaire de meurtre puis pour démêler la personnalité complexe de Langlois.
Car soyons clairs : on parle souvent de trame policière pour cette chronique mais elle ne tient, dans les faits, que 80pages. A partir du moment où le meurtrier est rayé de la carte, le roman prend une tournure beaucoup plus psychologique centré autour de la figure de Langlois - charismatique, taiseux, solitaire et énigmatique. Il a semblé comprendre avant tout le monde l'esprit du tueur ; à présent il s'agit de comprendre ce qui l'a mené lui-même à un acte irréparable. Tout le roman se fait sous un angle rétrospectif, travaillé constamment d'allers et venues dans le temps. Ceux qui racontent savent ce qui est arrivé ; ce n'est pas le cas des lecteurs qui doivent deviner. Cette écriture elliptique, également signe d'oralité, en rajoute à l'exigence de lecture. Le fameux acte de Langlois révélé en toute dernière page du roman tombe comme un couperet à la fois fantaisiste et tragique. Le cœur de cette affaire est l'ennui qui englue et précipite dans la noirceur, "la plus grande malédiction de l'Univers" dira Giono. L'ennui comme exact pendant au divertissement, seul capable de l'extirper de la vie humaine. Le divertissement se révèle absolument nécessaire, quel qu'il soit : une procession de Noël, avec la panoplie éblouissante du prêtre et les encensoirs majestueux, ou le meurtre. Langlois, au fond, n'a-t-il pas si bien compris le meurtrier que parce qu'il lui ressemble ?
A travers ce roman, Giono pose plusieurs questions : Stylistiques tout d'abord tant son écriture et l'univers qu'il crée sont pointus, métaphysiques d'autre part, car cette question de l'ennui comme composante ontologique de l'existence est noué à un défaut d'inspiration (et peut-être de foi ?). A cet égard, j'aurai pu relever un certain nombre d'images qui jalonnent le texte et qui ne sont pas sans rappeler une imagerie iconique mais je vous laisserai la découvrir.
Je dois néanmoins avouer, malgré une reconnaissance évidente du talent de l'auteur, que je n'ai pas du tout adhéré à cette lecture. Je crois qu'Un roi sans divertissement est typiquement le genre de livre qui emporte ou laisse sur le carreau : il n'y a pas d'entre deux tant style et propos sont particuliers. Je ne suis pas fan à la base d'écritures empruntent d'oralité - ce qui était mal parti pour ce roman... Quant à la thématique de l'ennui, autant je l'aime passionnément dans la poésie baudelairienne, autant je crois avoir du mal dès lors qu'elle est romanesque. L’Éducation sentimentale de Flaubert - LE livre sur l'ennui - m'avait effectivement ennuyé au plus au point ; ici j'ai ressenti exactement le même désintérêt saisissant. Comme ça ne m'était pas arrivé depuis bien longtemps. Autant dire que je fais partie des laissés sur le carreau. Que cela ne vous rebute pas néanmoins : j'en ai entendu de vifs éloges par ailleurs. Il faut donc absolument le tester pour savoir si ce livre est fait pour vous ou pas.
Challenge Les 100 livres à avoir lu chez Bianca
8eme participation
09:00 Publié dans Challenge, Classiques, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (6)
08/11/2013
Concerto pour la main morte d'Olivier Bleys
Concerto pour la main morte d'Olivier Bleys, ed. Albin Michel, 2013, 234p.
Quatrième découverte de cette rentrée littéraire avec un voyage musical en Sibérie!
Olivier Bleys nous emmène dans l'obscure hameau de Mourava ou règnent la solitude et la vodka. A peine quelques maisons délabrées, la vacuité des jours sans travail - sauf pour l'épicier et le bistrotier - et une saleté incessante que Vladimir Golovkine s'emploie à nettoyer. Il aspire à s'en aller. La compagnie des grands espaces ne lui suffit plus ; à son âge avancé, il veut enfin voir le monde. A cette aventure ratée, car il se fait piteusement refouler de l'avant-dernier bateau de la saison, va se substituer une toute autre aventure : héberger un étranger fraîchement débarqué, visiblement perdu à tous points de vue. Colin Cherbaux, qui devient Kolincherbo dans la bouche de Volodia, est un pianiste assidu mais médiocre et surtout paralysé par le trac. Il espère trouver dans sa retraite impromptue au pays de nulle part une solution à sa main droite paralysée dès qu'il joue le concerto n°2 de Rachmaninov. De cette tentative désespérée va naître une relation amicale teintée de drôlerie où chacun des deux hommes apportent à l'autre l'opportunité d'une renaissance : Ce qu'il faut pour partir pour l'un ; ce qu'il faut pour rester pour l'autre.
Concerto pour la main morte se lit comme on écouterait un morceau de piano : une même facilité aérienne, jubilatoire pourtant pointue et poétique. Cette écriture musicale nous livre une parabole de la quête de soi - qui suis-je et qui ai-je vraiment envie d'être ? - dans les grands espaces de la Sibérie profonde. Aussi hostile que magnifique, pleine de déchéance alcoolique comme de surprises au détour d'un bois, elle est le théâtre parfait pour brosser l'ambiguïté des hommes et mettre à nu leur complexité cachée. Après tout, la forêt n'est-elle pas l'endroit des contes, où se trament tous les caractères fous et typiques qui débloquent les malédictions ?!
Ce Concerto est une vague qui fait rêver, à l'envers. De l'incompréhension, de ce dernier chiffre 7 -magique lui aussi- pour aboutir au numéro 1, du départ vers l'inconnu jouissif, on se laisse griser par la langue, le voyage, les incongruités et les notes de piano qui résonnent autant sur les pages que dans l'esprit amusé. Il n'en faut pas plus pour faire un bon livre ; en même temps voilà un cocktail déjà plus que savamment distillé (et à consommer avec moins de modération que la vodka artisanale de Sergueï).
Merci Anne pour ce livre voyageur ! Et par ici son chouette billet qui m'avait donné l'eau à la bouche !
Naufrage - Yro (2007)
Source
Par la même occasion, je valide une 2eme lecture pour son challenge Des mots et des notes
Et une 4eme pour le challenge 1% de la rentrée littéraire 2013 chez Hérisson
09:00 Publié dans Challenge, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (14)