19/08/2011
La porte des Enfers de Laurent Gaudé
La porte des Enfers de Laurent Gaudé, Actes Sud, 2008
En 1980, l’existence de Matteo de Nittis se délite. Son fils meurt dans une fusillade et sa femme l’abandonne, rongée par la douleur. Au gré de ses errances nocturnes, il fait la connaissance d’une troupe insolite qui le mènera aux Enfers.
En 2002, Filippo s’engage dans un étrange pèlerinage de vengeance et d’amour qui commence par le châtiment d’un vieux mafieux libidineux.
Le récit de l’un et l’autre s’écoute, s’éclaire et se répond par delà les parois tenues et invisibles de la Mort.
Ce livre ne paye pas de mine à priori : une structure narrative en alternance plutôt classique, même si très bien menée, portée par une écriture simple. Pas de quoi attirer l’œil au premier effeuillage. Pourtant, l’originalité se cache dans cette articulation inattendue entre surnaturel, mythe et intimité du deuil et dans l’acuité psychologique de Gaudé à offrir une galerie de personnages complexes, savants et truculents, meurtris et courageux. Et puis ces imprécations de Giulana, si poignantes, non sans rappeler les héroïnes de tragédies antiques, à travers lesquelles s’exprime l’auteur de théâtre !
On referme le livre et on se dirait presque de les Enfers ne sont pas qu’un mythe. Ils sont profondément en nous et sous la terre et, disséminées dans le monde, se cachent les portes qui y mènent. Tout n’est qu’un cheminement de la vie à la mort à la vie, un cycle éternel que rien n’arrête.
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Extrait :
"Je me maudis moi-même, moi, Giuliana, la femme qui n'a pas su ce qu'elle aimait. J'ai cru pouvoir me rendre sourde à la vie. J'ai banni mon homme, mon enfant et ma ville hors de mes pensées. J'ai chassé tous ces souvenirs alors que j'aurais dû les chérir comme les seuls vestiges sauvés du cataclysme. Je me maudis moi-même, moi, Giuliana la laide. Matteo me manque. Matteo me manque qui est mort englouti. Pippo me manque. Mes hommes ont été terrassés et je n'ai rien fait. Je ne les ai pas aidés. Je ne les ai pas accompagnés. Je les ai bannis de mon esprit. Je suis Giuliana la lâche qui a voulu se préserver de la douleur. Alors, je prends ce couteau, et je me coupe les tétons. Le premier, que mon fils a tété, je le coupe et je le laisse sur les pierres des collines en souvenir de la mère que j'étais. Le second, que mon homme a léché, je le coupe et je le laisse sur les pierres des collines en souvenir de l'amante que j'étais."
09:00 Publié dans Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, critique, gaudé, enfer
17/08/2011
La piste mongole de Christian Garcin
Son dernier roman publié (et premier lu) m'avait déjà sacrément botté mais alors là, je suis carrément époustouflée ; ce livre est tout simplement hallucinant. Pour vous dire, je l'ai à peine fini et pas encore rendu à la bibliothèque que je l'ai déjà acheté sur le site de Gibert. Ce livre DOIT faire partie de ma bibliothèque. (Oui, ceci était une information capitale pour votre survie)
La piste mongole de Christian Garcin, Verdier, 2009
Hallucinant, décidément : je ne vois pas comment mieux vous le résumer. Sous prétexte d'une quête d'un ami disparu, nous voilà plongés dès la première page au coeur de mondes parallèles entre rêves et réalités, baignés de chamanisme mongole, de télépathie, de créatures mouvantes, facétieuses et puissantes, d'animaux qui parlent et de rêves prémonitoires. Le tout délivré par une polyphonie narrative labyrinthique qui m'a mis dans un état d'excitation littéraire de jeune pucelle !
Mais revenons-en à un semblant de résumé sérieux et contractuel.
Rosario Traunberg part en quête d'Eugenio Tramonti, personnage récurrent chez Garcin. Dès lors, la Mongolie est un pays de limbes et de brumes, car Tramonti était lui-même sur la piste de Smolienko, dont la trace reste toujours ignorée. Rien ne se perd, rien ne se crée mais tout se transforme.
Et l'on débute du côté d'Oulan Bator, dans une yourte sale. Accompagné d'Amgalaan, dont le nom est un indice, on assiste à la transe chamanique d'une jeune fille obèse guidée de son aînée. Elle délivre un message énigmatique. Du moins, c'est ce que l'on apprendra bientôt car nous sommes d'abord perdu dans l'histoire de Pagmajav.
A partir de là, tout dérive. Le temps et les voix, ceux de la narration et ceux de la quête, se détendent, se mêlent, et surtout se mélangent. Ce que l'on tient pour acquis n'a plus rien à voir en ce lieu et en ces pages. Tout est différent, autre. Parfaitement fantasmatique et parfaitement exact. Où l'on raconte des histoires, s'amuse, baigne dans la solitude de l'éclairé, s'interroge, frissonne et parle à un renard. C'est même à se demander, dans les dernières pages de l'ouvrage, si l'on a pas été mené en bateau depuis le début. Car finalement, où est le vrai, la fiction et qui est l'auteur ?
Je ne nie pas qu'un certain attrait pour les récits alambiqués et les pipes hallucinogènes est conseillé pour apprécié cet ouvrage. Mais que vous dire d'autre si ce n'est qu'il est extraodinaire, magistral, fuselé, incandescent. Chers amis, la réponse est OUI : Au XXIe siècle, il y a encore de brillants écrivains ; ils ne sont pas tous morts avec Julien Gracq. (Levons nos bières à cette bonne nouvelle - enfin, je dis bière, mais ça pourrait bien être autre chose, allez savoir...)
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Extrait
"J'étais assis sur ma couche et repensais comme souvent au loup Barük se jetant sur moi et me déchiquetant, puis à la petite cabane dont je disposais tout près de celle de Sürgündü, au fond du fossé où m'avaient conduit les quatre juments qui étaient les filles de Sürgündü, et je repensais aussi à l'autre cabane, celle qu'habitait Pagmajav à la lisière d'un bois sombre, où m'avaient conduit les trois autres filles-juments de Sürgündü qui avaient assisté à mon démembrement, je repensais à tous les savoirs que l'une et l'autre m'avaient dispensés, Pagmajav en grognant et sans sourire, sauf lorsqu'elle dormait, Sürgündü plus austère d'aspect avec ses bras d'os, ses jambes d'os et son visage d'os, mais plus amène aussi, et finalement plus douce, quoique plus effrayante dans sa cabane surmontée de crânes et d'os, sa cabane qui parfois se dressait sur des pattes de poules pour se déplacer au fond du ravin noir parmi les hautes herbes, je repensais à tout cela lorsque je m'avisai que la respiration de Bauaa avait changé et sentis son regard sur moi. Je tournai la tête et le vis qui me fixait, emmitouflé dans les couvertures, l'air grave."
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09:03 Publié dans Coups de coeur, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, critique, mongolie, garcin
14/08/2011
Les derniers jours de Stefan Zweig de Laurent Seksik
Les derniers jours de Stefan Zweig de Laurent Seksik, Flammarion, 2010, 187p.
C'est le roman de la fin d'un monde et du vent au-dessus de l'abime,
l'exil ontologique de celui qui, très tôt, a la prescience du danger hitlérien et s'engage dans une fuite perpétuelle. Il fuit l'Autriche en 1934 et ne cessera plus de le faire pendant huit ans.
D'abord en Angleterre, où il rencontre sa seconde femme Lotte. Puis à New York et finalement au Brésil. Et c'est avec la vision sereine et mélancolique d'une malle nouvellement arrivée à Pétropolis que s'ouvre le roman de Seksik.
Nous voilà chez le couple Zweig de septembre 1941 à février 1942, au coeur du Brésil et de leur quotidien. Nul travail de biographe pointilleux ni exegèse des derniers travaux de la part de l'auteur. Ils sont simplement nus avec leurs peu de livres et sans plus de patrie, tentant de survivre et d'écrire. On croise des paysages exotiques, le marché, le Joueur d'échec et ces intellectuels également exilés : Bernanos, Ernst Feder, Abroho Koogan. Tout appelle à l'espoir, à l'engagement - à la Vie. Pourtant, derrière cette façade toute pastel et surannée, Zweig est l'inconsolable et d'un humanisme si absolu qu'il ne peut concevoir d'avenir aux atrocités du présent. Si la plume écrit encore, l'homme est brisé. Quant à sa femme, asthmatique et d'une amoureuse abnégation, elle s'évertue à prier et à être celle dont son époux a besoin : l'oreille, l'amie, la distrayante, l'accompagnante au bord du gouffre.
C'est avec une respectueuse pudeur et la simplicité de l'hommage sincère que Laurent Seksik déroule pour nous le quotidien de ce lent suicide que scande les mois comme tourne l'aiguille. Un roman délicat, fascinant et plein d'empathie qui se lit avec une pointe de recueillement.
Et l'on serait tenté d'attribuer à Zweig lui-même ce qu'il avait écrit de la mort de Kleist - "Ce coeur troublé a trouvé la paix, se sent en communion avec l'univers, il parvient à faire de sa souffrance un monument impérissable [...]. Il a su mieux mourir que vivre : sa mort est un chef-d'oeuvre"
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Extrait :
"Pour moi, l'intérêt de tes livres réside dans le mystère de cette relation entre le narrateur et son interlocuteur. Plus encore que le héros, c'est le confesseur qui me fascine, cet être resté dans l'ombre et qui jamais ne juge. Contrairement à la plupart des écrivains, tu n'es pas le héros de tes romans, ton je se promène tout entier dans cet être qui reçoit, impassible, le récit des malheurs du monde... Ce qui demeurera de tes nouvelles, ce n'est pas tant le récit du monde ancien, ton cher monde disparu, mais la chronique d'une dévastation.
Détrompe-toi si tu espères rester comme le plus grand conteur des temps flambants anciens, le chantre de la nostalgie. Les personnages de tes livres témoignent de la désintégration du monde... Et, pardonne ma franchise, tes héros ne font que raconter ta propre blessure, dresser l'inventaire de ta longue dérive. Tu refuses de militer, de signer nos pétitions, de te battre avec les mouvements des exilés, tu as même espéré un temps en Chamberlain, c'est dire! Mais ton militantisme est ailleurs, tu es engagé dans le processus de destruction du monde. "
Challenge Zweig chez Métaphore
1ere lecture
09:00 Publié dans Coups de coeur, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, critique, zweig