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30/08/2011

Ce que je sais de Vera Candida de Véronique Ovaldé

De ces livres qu'on laisse s'endormir sur une étagère après leur sortie puis qu'on finit par aller repêcher à force de critiques enthousiastes (bis) et avant de s'aventurer dans le dernier en date.


 

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Ce que je sais de Vera Candida de Véronique Ovaldé, Editions de l'Olivier, 2009

 

On pourrait penser qu'il y a un projet un peu fou, un peu fleuve, à vouloir parler de quatre générations de femmes qui se suivent et se parlent à peine. S'apprennent dans les gestes. Un projet un peu zolien dans cette lignée tissée de défaillances et une sorte de fatalité ; l'absence de l'homme si vivace dans le non-dit.
Il y a Rose, la grand-mère libre et musculeuse, Violette l'insouciante lointaine, Vera Candida, celle qui part et Monica Rose, celle qui ignore tout cela. Elles font comme elles peuvent dans cette Amérique du Sud moite et fantasmée.

Or, ce livre enchanteur a bien plutôt à voir  avec le conte et sa subtile gravité. Les territoires imaginaires transportent tandis que se dessine la vie, la vraie, celle qui écorche, qui assombrit le regard et fait plisser les sourcils de Vera Candida. Et cette fantaisie du phrasé manié à la perfection, aussi impitoyable que malicieuse nous parle comme si de rien n'était de transmission filiale et du destin des femmes libres. Il y a tout simplement un petit quelque chose qui fait mouche par tant de justesse.

Quel délice de découvrir une conteuse si originale! (et oui, bizarrement, raconter des histoires quand on est écrivain, ce n'est plus une évidence)
Et puis, on se rend compte que le roman lui même est la vie : ce tourbillon qui revient toujours à son point de départ. On ne fuit pas ce qu'on est, on apprend simplement à l'assumer ; pourquoi pas à l'aimer.

 

*

 

Extrait :

 

"Rose Bustamente fut une grand-mère formidable. Elle débitait des sentences à tout bout de champ et Vera Candida les notait (du coup elle avait en permanence un petit carnet et un minuscule crayon de bois dans la poche de son short pour noter les phrases de sa grand-mère et pouvoir les relire à loisir, y réfléchir et les relire, tenter d'y déceler du sens, et puis abandonner et se dire, Ce sera pour plus tard, comme si elle avait engrangé des noix de cajou pour parer à une famine à venir).

Il y a des gens qui pensent qu'il suffit que vous leur plaisiez pour qu'ils aient droit à votre corps, énonçait souvent Rose Bustamente.

Attends la coïncidence des corps, ajoutait-elle.

Il faut que tu ne saches plus où commence ton corps et où finit celui de l'autre, complétait-elle.

Elle disait que c'étaient des choses qu'on devrait enseigner à l'école et que ça éviterait à des filles comme elle ou Violette de devenir des putes ou bien des femmes mal mariées. Quand sa grand-mère parlait ainsi, Vera Candida se sentait sceptique et un peu perdue, comme si elle s'était retrouvée sur un morceau de banquise en pleine débâcle avec l'eau de mer qui recouvrait peu à peu la glace. "

 

 

27/08/2011

O Solitude de Catherine Millot

 

Que les choses soient claires dès le départ : je suis désappointée et c'est peu de le dire. Aussi, vous excuserez le ton acrimonieux de mon billet, il n'a d'égal que ma déception à chaud (ensuite, j'irai bouder dans un coin telle Sophie Senoble)


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O Solitude de Catherine Millot, Gallimard, coll. l'Infini, Août 2011


L'ouvrage est sous-titré roman. Ce doit être une petite facétie commerciale de l'éditeur car ce n'en est pas un. Cela se veut plutôt comme une longue méditation sur la solitude, ponctuée de petits plaisirs quotidiens, de soleil entre les rideaux, de flashbacks et de balades chez les grands auteurs référents. Où il serait question de joie intérieure et de territoires infinis.

SAUF QUE. Parce qu'il y a un "sauf que". Là où je m'attendais à goûter à quelque chose de lumineux, de poétique, d'aérien et, n'ayons pas peur des mots, de spirituel (et il faut dire que l'élogieuse critique de Télérama va en ce sens), je n'ai trouvé qu'un énième verbiage égocentrique avec ce sacro-saint JE usé jusqu'à la moelle. On apprend donc des choses passionnantes comme les détails de sa croisière en Italie, ses premiers amours, le fait qu'à douze ans, elle adorait les fêtes foraines etc. Autant dire que ce soir, j'irai me coucher remplie de tout un tas d'informations essentielles à ma survie.

Vous allez me dire, elle pourrait partir de là pour s'élever mais non. On en reste une psychanalyse ras la mousse.

Alors oui, il y a tout de même des passages constructifs et l'auteur a indéniablement un talent d'écrivain - pour preuve l'incipit cité en 4eme de couverture d'une magnifique poésie. Mais ils sont tellement noyés dans l'égocentrisme qu'on ne parvient plus vraiment à les apprécier.

Si je peux me permettre d'y aller de mon conseil perso, vous pouvez faire l'impasse sur ce bouquin pour la rentrée.

 

*

Un morceau au hasard :

 


"A treize ans, j'avais cru découvrir, en quittant la Finlande, dans l'imminence du départ qui donnait à toute chose une intensité jamais éprouvée, l'essence même du désir. Il naissait donc de la séparation et de la perte. J'en avais conçu, en ce temps où j'essayais de faire de nécessité vertu, un idéal de détachement par lequel je croyais faire miens ces arrachements. La perte, j'eus à cet âge la prétention de la vouloir, de la revouloir sans cesse, et conçus le projet d'imprimer à ma vie ce rythme d'exils alternés de retours. Mais de retours à quoi ? Car, en vérité, il n'y avait pas de retour, si ce n'est à un entre-deux, une sorte de no man's land. Le pays natal n'existait pas pour moi.

Est-ce pour cela qu'à rebours de ce que j'avais pris pour une révélation, je me suis, par la suite, appliquée à ne plus quitter cette ville de Paris que je n'aimais guère, ne pouvant plus, ne voulant plus vivre ailleurs que là où j'essayais désormais de m'arrimer?"

 


critique,littérature,solitudeChallenge 1% de la rentrée littéraire 2011

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20/08/2011

Remonter l'Orénoque de Mathias Enard

J'avoue, en ce moment, je suis "un peu" sponsorisée par Actes Sud.
Non qu'ils n'aient découvert mon extraordinaire talent de critique et m'envoient des livres à chroniquer (hin hin) mais j'écoule tranquillement la masse de bouquins gratuits que j'avais choppé chez eux en service presse lors de mon passage en stage. C'est l'occasion ou jamais, j'en avais marre de les voir moisir sur mes étagères de livres non lus tandis que je louais frénétiquement en biblio. Là, hop, on abat les stocks et je verrai bien ce que j'en fais ensuite selon appréciation.

Et puis je viens d'avoir une fulgurante prise de conscience suite au tri de mes chroniques litt. : Mon univers de lecture, c'est un peu une pub en prose pour le Xanax.  Genre mort, deuil, suicide, absence de communication, solitude, tralala. J'ai de la chance que vous m'aimez bien quand même !

Ceci étant dit, voilà donc mon dernier bouquin pas drôle en date (On change pas une affaire qui roule) (pas plus d'un cacheton toutes les 6h, le Xanax hein) :

 

 


Remonter l'Orénoque de Mathias Enard, Actes Sud, 2005

 

Canicule de 2003, deux chirurgiens et une infirmière forme un triangle amoureux au bord de l'étouffement, engoncé dans un quotidien morbide et un mal-être existentiel. (Bon ok, un demi cacheton de Xanax en rab, pas plus)

Ignacio, la cinquantaine timide et rongée par la passion aime Joana, jeune et trop dévouée infirmière qui aime Youri, le fringant chirurgien plus jeune, plus beau, plus riche q'Ignacio et surtout beaucoup plus dépressif, noyé en permanence dans l'alcool . 
Las de ce quotidien en déliquescence, Joana entreprend un voyage initiatique lovée dans la cale d'un cargo et remonte l'Orénoque, ce fleuve sud-américain qui s'étire vers elle et la dépouille peu à peu. Elle s'y allonge en caressant son ventre et attend d'y retrouver un sens et son origine. 
Tandis que Paris rumine toujours la chaleur et les vapeurs d'alcools, que Youri se débat dans la vacuité, qu'Ignacio se consume d'un amour sans partage et que tous deux opèrent à la chaîne.

De cette situation vaudevillesque à se tirer une balle, le deuxième roman de Mathias Enard est, comme le premier (La perfection du tir, Actes Sud, 2003), une perle littéraire. Tout se passe dans le travail d'une langue habitée de flottements, de débordements, de mystères et de connivence où les personnages se débattent ou se noient. Où l'Orénoque se dessine comme un Achéron mythique et embarque le lecteur au côté de Joana pour le grand voyage.

J'avoue que, présenté comme ça, ce n'est pas des plus engageant, surtout lorsque l'été appelle des lectures rafraîchissantes. Mais VRAIMENT, c'est un très bon livre. Décidément, ce petit Mathias Enard en a sous la plume. Dommage qu'il se soit planté grossièrement dans son dernier ouvrage, fresque plate et insipide d'un Michel-Ange à Constantinople (Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Actes Sud, 2010). Vivement le prochain, avec des vrais morceaux de style dedans comme il sait si bien faire !

(Promis, le prochain coup, j'essaye de trouver un livre rafraîchissant)

 

*

 

Incipit :

 

"Assis sur ma chaise, je pensais il a raison, ce que l'on attend à présent des corps c'est la putréfaction en silence, l'oubli, et de l'âme la survie sr les rôles et les registres, les certificats et les papiers, les marbres, les images. L'embaumement n'est plus de mise, les cadavres doivent disparaître, ils sont confiés à des professionnels chargés de les dissimuler, responsables de leur entrepôt, de leur manutention, de leur stockage, de ler destruction dans la terre ou les flammes - entiers ou morcelés, jeunes accidentés ou vieux rongés de maladies il convient de les cacher ; plus de dépouilles charriées par le vent, les yeux cavés, la barbe pelée ; de cercueils ouverts, de morts à ciel ouvert, le regard fermé dans leur plus beau veston, leur robe noire, il n'y en a plus ; à présent enveloppés de chêne ou de sapin, éloignés sitôt l'agonie du regard des vivants, ils sont portés, poussés en hâte vers les coulisses, vers le sous-sol ù l'on ne les croisera pas, vidés et lavés, évacués du monde qui n'aime plus les voir, ennuyé de ne savoir qu'en penser, se rassurant de photographies, de témoignages digitaux ou celluloïd, autant de défunts immatériels que l'heure éloigne de la chair et pousse vers l'armée de spectres dont nous emplissons nos armoires."