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30/04/2019

Les Cerfs de Veronika Mabardi et Alexandra Duprez

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Face à la mort de sa mère, la petite Blanche, sept ans, ne trouve plus les mots ; ils se sont tous envolés. Alors, elle se tait. Impossible pour elle de formuler un tel traumatisme et là voilà page vierge face au monde. Son père et son frère, eux-mêmes aux prises avec une dépression sourde, n'ont pas la force de se confronter à la douleur indicible de Blanche et la confie aux bons soins d'Annie, dans une maisonnette à la lisière de la forêt. Ici, elle renoue avec le langage des adultes, fait de non-dits, de mensonges, de sous-entendus, toutes ces choses dont Blanche ne veut plus entendre parler, mais aussi de douceur, de compassion, de complicité et de rudesse. Puis elle découvre la nature, ce livre qui ne se dévoile qu'à celui qui s'ouvre de même à lui. Ces banalités quotidiennes sont autant de pas sur le chemin du deuil de cette petite fille muette et sur le chemin de ceux qui gravitent autour d'elle. Tous, ils apprennent ensemble à revenir à l'autre. 

Tous les bruits, ensemble. 

Un jour Blanche prendra les bruits. Elle fera une phrase. Elle fera une phrase avec le monde entier dedans, comme le chemin entre les hautes herbes, le jardin, la prairie, la forêt, le ciel ; toute fine, pas droite du tout, qui n'arrête jamais , on ne pourra pas la retenir, elle changera tout le temps, on sera dedans, on avancera avec elle, en même temps, on oubliera où elle a commencé et on ne saura pas où elle finit, on sera avec elle, à l'intérieur. Elle fera une phrase pour être en même temps jusqu'au ciel. Une phrase pour le renard. 

Texte et images ici sont indissociables et leurs poésies respectives se répondent. Veronika Mabardi écrit un conte tout en contrastes, aussi doux qu'amer, aussi léger que sombre qu'Alexandra Duprez traduit en noir et blanc, en lignes épaisses et métaphores acérées, parfois proches de l'abstrait. Les deux artistes contournent la violence première du deuil pour en exprimer les méandres lunaires qu'il occasionne lorsqu'il s'agit de continuer à vivre. La langue et le dessin sont simples. Aucune grandiloquence nulle part : on est dans le plus grand dépouillement. Cela pourrait laisser un peu dubitatif, de même que le mélange des voix et la grammaire parfois un brin aléatoire - mais ce livre unique doit être pris avant tout comme un laboratoire expérimental pour exprimer l'impossible : la mort, l'absence, cette page Blanche. Pour cela, il propose des échos infimes entre le dessin et des mots qui tâtonnent dans une nouvelle voie - entre le roman et la poésie - et l'ensemble atteint pleinement son but : toucher le lecteur et vibrer en lui après la lecture. 

Elle n'a jamais parlé comme ça, n'importe comment. C'est un début, c'est le langage qui se défait, qui oublie les lignes, tu n'aimes pas les lignes non plus toi, n'est-ce pas ? Dans tes dessins, rien ne va droit. 

Cette oeuvre à la verdeur des chemins peu parcourus, de la fraîcheur, de l'audace et de l'enthousiasme. Il fait bon découvrir de telles propositions artistiques dans le paysage éditorial : la création est décidément vivace et c'est revigorant. A cet égard, je salue le magnifique travail des éditions Esperluète pour ce livre. Le format, la mise en page, la typographie et la qualité du papier en font un objet délicieux qui se savoure autant que les mots de l'auteure et les dessins de l'artiste. Un grand merci à elles, ainsi qu'à Anne qui m'a permis de remporter ce livre touchant et original lors de son concours du mois belge 2018. Étonnamment, malgré le thème clairement difficile, sa lecture n'est jamais plombante. A tout moment, on sait que la lumière, ténue, finira par revenir. On sait aussi qu'elle s'en ira parfois à nouveau. On l'accepte, tout comme le fait Blanche. C'est la vie. 

Un soir, juste à la tombée de la nuit, quand le ciel hésite, il vient, jusque sur le chemin. Une ombre s'est glissée derrière le saule, approchée tout près, Blanche appuie son front à la vitre, elle ne bouge pas, mais lui, il l'a vue. Droit dans les yeux jusqu'au cœur. Qu'est-ce qu'elle croit ? Qu'elle peut devenir un objet, une fille en verre ? Elle se moque de lui, ou quoi ?

Observe, dit le renard. Regarde bien. Tout ce qu'ils font. Si tu regardes bien, tu sauras comment ça va finir. Alors, ce sera facile d'être Blanche. Tu sauras exactement ce qu'il faut faire. Je compte sur toi. 

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Troisième participation in extremis pour le mois belge 2019 chez Anne

24/04/2019

Le pèlerin de Shikoku de Thierry Pacquier

thierry pacquier,le pèlerin de shikoku,japon,pèlerinage,récit de voyage,transboréal,mois japonaisSous-titré "Un chemin d'éveil au Japon", ce récit de voyage retrace le pèlerinage (vous ne l'aviez pas vu venir hein?) de Thierry Pacquier sur Shikoku, l'île des 88 temples.

Taneda Santoka* disait : "Je ne suis rien d'autre qu'un moine mendiant, on ne peut pas dire grand-chose de moi, sinon que je suis un pèlerin fou qui passe sa vie entière à déambuler, comme ces plantes aquatiques qui dérivent de berge en berge. Cela peut paraître pitoyable, pourtant je trouve la paix dans cette vie dépouillée et misérable."

Pour resituer dans le contexte si, comme moi, vous n'êtes pas incollable en géographie, Shikoku est la plus petite des quatre îles de l'archipel  japonais et se situe au sud de Honshū (la grande île) et à l'est de Kyūshū (merci Google) (Pour les curieux, l'île la plus au nord est Hokkaido). Shikoku est particulièrement célèbre pour ce pèlerinage bouddhiste qui parcourt les 1200 km de sa circonférence en hommage à Kūkai dit Kōbō-Daishi, fondateur de l'école bouddhiste ésotérique Shingon.
Après avoir testé une portion du trajet quelques temps auparavant, Thierry Pacquier décide d'entreprendre l'intégralité du pèlerinage d'un seul coup, ce qu'on appelle toshiushi, durant une quarantaine de jours. Il en divise présentement le récit en quatre étapes, rythmées par les différentes préfectures de l'île et leur symbolique spirituelle. Ainsi, la préfecture de Tokushima par laquelle le voyage commence incarne-t-elle le chemin de l'éveil et ainsi de suite jusqu'au Nirvana. La cinquième partie est la fin du voyage, ce moment où Thierry Pacquier dépose son bâton de pèlerin, le kongozue, pour de nouvelles aventures - qui le ramèneront toutefois à Shikoku plus tard avec sa femme (et la boucle est bouclée) - mais ceci est une autre histoire. 

Un certain matin, on se met en marche. Au sens propre. 

Exactement comme Thierry Pacquier, en abordant ce livre, je me suis mise en mouvement - dans ma tête seulement - mais c'est l'intention qui compte. Je lis peu de récits de voyage, honnêtement. Je ne sais même pas combien j'en ai déjà chroniqués (verdict : peu. Vous pouvez aller voir ça en cliquant sur la catégorie dévolue) et, de toutes façons, le dernier date de plusieurs années. J'aborde cette littérature lorsque je suis dans un état d'esprit particulier et lorsque j'ai besoin, au contact du narrateur, de cheminer moi aussi. Les premières pages du texte de Pacquier m'ont donc enchantée et apporté exactement ce qu'il me fallait à l'instant T : cette philosophie simple qui consiste à aller pas à pas. Ce fut également l'occasion pour moi de découvrir succinctement cette frange ésotérique du bouddhisme japonais fondée par Kūkai qu'il me tarde de creuser à présent.

Néanmoins, à part cela et quelques autres réflexions qui, sans être follement novatrices, sont pertinentes et énoncées avec un humour de bon aloi, l'ensemble n'est pas d'une consistance littéraire suffisante pour m'enthousiasmer complètement. C'est d'ailleurs symptomatique que la plus longue citation que je vous livre dans ce billet soit, non de Pacquier, mais de Taneda Santoka qu'il cite à plusieurs reprises. On n'est clairement pas chez Nicolas Bouvier, soyons francs là-dessus. En gros et pour résumer, c'est quand même assez souvent anecdotique et pas toujours très passionnant. Il faut donc le prendre pour ce que c'est : le récit d'une expérience honnête qui rend compte de bien des aspects du pèlerinage de Shikoku, de la fatigue du chemin au plaisir des onsen, bains japonais dont raffole le pèlerin éreinté, en passant par la réservation des nuitées au fil des jours. L'aspect spirituel est assez peu présent finalement, et assez basique. N'attendez pas un livre de fou.

Par conséquent, si j'ai apprécié la sincérité et la simplicité de Thierry Pacquier, je reste clairement sur ma faim. Reste à voir ce que je vais trouver d'autre à présent, de plus consistant et de plus qualitatif à tous points de vue. Peut-être bien Nicolas Bouvier, tiens. Ces magnifiques carnets japonais me font des œillades indécentes.

Le présent, rien que le présent, le reste n'est qu'hypothèse et élucubrations. 

*Thierry Pacquier remercie en fin d'ouvrage Hubert Haddad pour son sublime  qui lui a fait découvrir l'oeuvre de Santoka. Ça l'a tellement inspiré qu'il jalonne son récit des haïkus du poète errant. Comme j'ai adoré également ce roman de Haddad, je ne résiste pas à vous renvoyer à mon billet pour vous le faire découvrir, si vous ne le connaissez pas déjà. 

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Deuxième participation au mois japonais de Lou et Hilde 

16/04/2019

La péninsule aux 24 saisons d'Inaba Mayumi

inaba mayumi,la péninsule aux 24 saisons,éditions philippe picquier,élisabeth suetsugu,vie,nature,saisons,contemplation,méditation,solitude,silence,océan,forêt,paix,coconC'est le monde des origines, chacun de nous y a vécu un jour. 

Grâce à Marilyne (que ferais-je sans elle ?), je me suis retrouvée avec ce livre entre les mains après notre rencontre en juillet dernier. Je savais qu'il devrait attendre le bon moment : le problème avec les livres paisibles et méditatifs - les japonais sont maîtres dans cet art-là - c'est qu'ils peuvent fatalement devenir ennuyeux et creux lorsqu'on s'y force mal à propos. Je l'ai donc laissé tranquillement faire sa vie sur mes étagères et ai mis plusieurs semaines à le lire en entier, picorant ici ou là quelques tranches de vie de la narratrice, jusqu'au moment où elle m'a suivie plusieurs jours sans discontinuer. Son récit a priori insignifiant a fini par m'être un cocon délicat qui parvint à adoucir mes journées. 

Cette narratrice est une femme d'âge mûr (nous n'en saurons pas plus si ce n'est, tardivement et furtivement, qu'elle est ménopausée). Défiant toutes les pressions sociales, elle est célibataire, sans enfant et l'heureuse maîtresse d'un chat (inutile de vous dire qu'elle m'a été spontanément très sympathique). Lassée du rythme effréné de la capitale japonaise où elle réside depuis trente ans, elle décide de partir un an dans sa maison au bord du monde, à quatre heures de train. La voilà à la péninsule aux 24 saisons. 

Je vivrais de la terre. J'irais dans la mer. Je deviendrais pêcheur et chasseur, j'apprendrais à pêcher à la ligne, à cultiver la terre. Quelle vieillesse luxueuse ! 

Son quotidien est rythmé de longues balades dans la nature, d'observations, de cueillettes et de rencontres diverses avec le petit monde humain et animal qui peuple ce territoire reculé. Sous le vernis extrêmement anecdotique du propos se dessine une manière revigorante d'accueillir les plaisirs simples de l'année - et d'accepter aussi son lot d'impondérables. Vivre autant que possible en harmonie avec les saisons n'a rien d'idyllique, évidemment. Le corps est parfois très occupé et les journées bien remplies mais il y a un délice certain à évoluer de concert avec l'intégralité du vivant - c'est peut-être bien la meilleure méditation qui soit. 

Même si je ne parlais à personne de toute la journée, la forêt et les champs retentissaient de chuchotements. Toute la vie de la nature parlait. 

J'ai eu quelques claques littéraires dernièrement - vous voyez tous de quoi je parle, l'impression de se prendre un uppercut au détour des pages (il faudrait que je les chronique un de ces 4 d'ailleurs). Et bien ici, c'est exactement le contraire. J'ai vécu en suspension avec la narratrice, ai écouté le silence et pris le temps de savourer ses lignes simples, sans prétention, mais très justes dans leur intention. C'est vraiment bon, parfois, de prendre ce temps de pause - comme m'y invitait Marilyne dans le commentaire de son billet - pour se rappeler quelques essentiels. 

Est-ce Buson qui a chanté l'"aveuglante lumière de la lune sur les rochers de l'hiver" ? On croit entendre le craquement de la lumière sur les branches, sur la moindre pierre. Les ombres noires dans la forêt, la rangée de petits arbres devant l'entrée, la route qui passe devant la maison en plan incliné, tout déborde du crépitement silencieux des éclats tranchants du clair de lune. Moi, je me penche sur la profondeur des ténèbres silencieuses où ni voiture ni âme ne passe, et mon oreille savoure l'ineffable plaisir d'être absorbée par la densité du silence. 

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Un mois au Japon chez Lou et Hilde