Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/01/2019

Les chats du Louvre de Taiyō Matsumoto

taiyō matsumoto,les chats du louvre,futuropolis,art,quête,enfance,tableau,rêve,douleur,mort,poésie,chats,louvreQui dit Louvre, dit œuvres d'art de folie, mais en rester là serait se limiter au vernis. En grattant un peu, on découvre tout un microcosme fourmillant. Cécile se charge des visites guidées et s'évade en pensées tandis qu'elle déambule dans le bruit ; une bande de chats libres, parmi laquelle Flocon qui ne grandit pas, squatte un recoin isolé et ne sort que la nuit - ou presque ; et Marcel, le vieux gardien de nuit, cherche sa sœur en vain depuis l'enfance. Tous sont écorchés, silencieux et mélancoliques. Le Louvre, un beau jour, est le lieu de rencontre de ces trois êtres seuls à bien des égards qui cherchent à retrouver la flamme. 

La narration de ce manga parfaitement unique est doucement poétique. Comme en rêve, le fil conducteur est ténu et sibyllin ; les associations d'images et d'idées sont surprenantes, parfois saugrenues et bousculent notre perception quotidienne de la réalité ; il faut accepter de se départir de nos certitudes pour rencontrer l'inattendu ; et alors, la magie survient. Ainsi, les chats changent de forme selon les regards qui les effleurent et discutent sous la lune. Ils philosophent même, ils ont peur de mourir, ils font preuve de bassesse, de violence, de lâcheté, de tendresse et font la fête. A force d'aimer un tableau, de s'y reconnaître complètement, on finit par ne former plus qu'un avec lui et vivre éternellement dans sa beauté et sa solitude. Ainsi, le temps va, vient ou s'arrête, à sa guise. De toute façon, comme dirait le lapin d'Alice, qu'est-ce que le tempstaiyō matsumoto,les chats du louvre,futuropolis,art,quête,enfance,tableau,rêve,douleur,mort,poésie,chats,louvre

Lire Les chats du Louvre, c'est vivre une expérience flottante. Vous allez me dire que j'aime les BD, les chats et l'art pictural donc que cette oeuvre était faite pour moi. Oui, mais. Vous pourriez aussi bien aimer les champignons et le macramé que je vous inciterais quand même à faire un petit tour du côté du monde bleu clair et gris foncé de Taiyō Matsumoto tant il est sensible, burlesque et nostalgique. Vous savez, ce genre de livres dont on ressort touché - non pas giflé mais caressé. Voilà. Lire Les chats du Louvre, c'est être caressé par la grâce de l'instant. 

Pour info, les deux tomes séparés sont édités en noir et blanc et l'intégrale, sortie en octobre 2018, est éditée en couleurs. 

 

taiyō matsumoto,les chats du louvre,futuropolis,art,quête,enfance,tableau,rêve,douleur,mort,poésie,chats,louvre

taiyō matsumoto,les chats du louvre,futuropolis,art,quête,enfance,tableau,rêve,douleur,mort,poésie,chats,louvre

En vrai, j'ai un peu de mal à vous trouver des planches éparses qui font vraiment honneur à l'harmonie et à la poésie de l'ensemble. Le mieux serait que vous puissiez feuilleter les bouquins en librairie ou en bibliothèque. Alors, vous verrez... 

09/01/2019

Le manuscrit du Docteur Apelle de David Treuer

le manuscrit du docteur apelle,david treuer,albin michel,michel lederer,traduction,amour,quête de soi,identité,histoire,passé,passion,littérature,mort,naissance,livreÇa commence de façon apparemment banale avec deux histoires fort opposées.

D'un côté, nous avons celle d'Apelle, docteur en philologie et traducteur de langues autochtones, franchement insipide. Célibataire endurci d'une quarantaine d'années, son quotidien est une routine perpétuelle : les mêmes habits, les mêmes rues, les mêmes prostituées, les mêmes tâches à la RECAP, un cimetière de livres où personne ne va jamais et où tous les ouvrages du monde sont oubliés et, tous les quinze jours, la même activité de traduction dans la même bibliothèque.
Le premier chapitre qui lui est consacré rend à merveille cette existence transparente par une blancheur de style qui énumère sans aucune émotion. Lecteur, si tu t'y ennuies, c'est normal et c'est volontaire. Attends un peu. 

Il nous suffira de dire que le roman de la vie du Dr Apelle est moitié anglais avec ses presbytères, ses châteaux, ses thés de cinq heures, ses abstinence et ses abnégations, et moitié français avec ses bordels, ses trahisons et le parfum séducteur des cattleyas. 

D'un autre côté, celle de Bimaadiz et d'Eta, deux enfants trouvés dans les mêmes circonstances désastreuses : après un hiver rigoureux, ils sont les seuls survivants de leurs villages respectifs grâce au secours d'une orignale et d'une louve. De tels auspices font progressivement d'eux des êtres à part, beaux et doués, et la fierté de leurs  parents adoptifs modestes. Evidemment, ce n'est qu'une question de temps avant que de tendres sentiments ne les lient et qu'ils n'excitent les jalousies...
Autant dire que de ce côté-là du récit, David Treuer nous relate un conte épique et doux, qui n'est pas sans cliché - loin de là même - mais qui nous fait intensément voyager et se lit avidement. C'est presque à regret qu'on quitte nos deux héros magnifiques pris dans moult péripéties (si vous êtes clients de ce genre d'histoires d'indiens) pour retrouver le docteur Apelle, antihéros par excellence. 

Il ne pouvait oublier ce qu'il avait vu. Son souffle s'accélérait et son cœur battait plus vite quand il pensait au corps d'Eta. il avait failli être l'esclave de l'ennemi, mais seulement pour devenir l'esclave du désir. 

Sauf que. Je te le disais, ce serait mal connaître l'auteur, tout de même sacrément talentueux, d'imaginer cinq minutes que son roman puisse se résumer à ce va-et-vient stérile entre deux récits à couper au couteau. L'un, progressivement, résonne en l'autre.
Cette histoire d'Eta et de Bimaadiz, c'est Apelle qui l'a trouvée au détour d'une étagère de bibliothèque, manuscrit obscur et oublié, et qui la traduit pour nous. C'est donc lui qui nous la raconte et, à mesure qu'il compose les mots, ceux-ci infusent et circulent en lui. Il s'interroge à leur contact, se cherche en les révélant pour nous. Le traducteur, petit à petit, dialogue avec son texte et par son entremise, réfléchit sur lui-même et dialogue avec nous.

En lisant ce roman, de plus en plus riche, profond et labyrinthique à mesure qu'il avance, m'est revenu en mémoire le titre d'un ouvrage de Jacques Poulin, La traduction est une histoire d'amour (pour le coup, très dispensable) qui m'a semblé être fait pour lui. Les mots enchantent celui qui les écrit, puis celui qui les découvre dans leur langue originale pour les transmettre, et  les faire siens entre temps, dans une autre langue à destination des lecteurs du monde. C'est à la fois une relation intellectuelle et charnelle - une relation totale, en somme. A force, on se demande s'il s'agit d'une traduction, d'ailleurs. Les styles se mêlent, les phrases se font plus souples et circulent d'une page à l'autre. Les barrières tombent. Où s'arrête le traducteur, où commence le récit ? Telle est la question qui nous perd et brouille toutes les pistes. On ne sait plus quelle histoire on lit. Il se pourrait d'ailleurs qu'au fond, on ne lise qu'une seule et même histoire et tu imagines bien qu'avec autant d'interrogations et de porosité entre les textes, c'est de plus en plus délicieux à mesure que les pages se tournent. 

et, comme avec un battement d'ailes, les manuscrits et les pages se referment, pareils à des oiseaux qui se perchent, avant d'être emportés, endormis, vers le comptoir et le chariot qui les attend. 

Pour te dire vrai, grâce à ce livre, je découvre David Treuer romancier et je ne suis pas mécontente du voyage. Je ne l'avais lu, jusqu'ici que comme essayiste, avec pas mal de textes critiques et théoriques sur les littératures autochtones et avec l'excellent Indian Roads, à l'époque de mon mémoire et, conséquemment, de mon challenge amérindien. Franchement, je suis ravie et, quelques semaines après avoir refermé le bouquin, j'ai encore les neurones qui pétillent à son souvenir. Le propos est si lumineux et les mots si subtils - tout autant les siens que ceux de Michel Lederer, son traducteur chez Albin Michel (bravo monsieur) - que ça donne envie de continuer un bout de chemin avec lui. To be continued, donc !

 

 

31/12/2018

Au revoir à l'une, salut à l'autre*

J'allai à vous comme on marche au bord du vide, fouillé par la peur et un pressentiment mortel. 
Pierre Cendors

Résultat de recherche d'images pour "masao yamamoto main papillon"


Tiens, 2018

Clairement, un virage a été pris. Je suis toujours là, certes, mais différemment. Je lis moins et, conséquemment, je chronique moins. Certains livres ont même fini par intégrer ma bibliothèque sans trouver de mots ici - une pensée particulière pour Les maîtres de Glenmarkie de Jean-Pierre Ohl qui m'a accompagnée en Ecosse ou les tomes 2 et 3 du Paris des Merveilles de Pierre Pevel qui m'a pas mal aéré l'esprit pendant les travaux d'été. 

Cette baisse d'assiduité n'est jamais que le symptôme d'un changement plus profond qui chuchote encore. J'aspire à plus d'équilibre et d'horizon. Je dépouille, je furette, je construis, je pense. 
Qu'on soit clairs : il m'est toujours inconcevable de sortir sans un livre et j'en ai toujours un en cours. Je suis toujours viscéralement passionnée par la littérature et je suis toujours aussi enthousiaste à l'idée de transmettre cette passion. Mais, l'espace s'agrandit. La vie est aussi ailleurs. Je tâtonne dans des contrées seulement frôlées jusqu'ici. La lecture s'intègre naturellement mais ne prend plus toute la place. C'est très bien comme ça. 

*

Cette année, j'ai aimé... 

Tout ce qui illuminait à l'intérieur de nous gisait maintenant à nos pieds. 
René Char

Bilan 2018 Classiques.jpg

... beaucoup de classiques ébouriffants, dont quatre, en particulier, me restent à l'esprit.  
Il y a eu les deux lectures communes avec Nathalie autour de l'oeuvre romanesque d'Aragon : Les cloches de Bâle en mars puis Les beaux quartiers en septembre. Il me reste encore deux oeuvres de son cycle du monde réel à lire ou relire et ce sera le cas du troisième roman le 15 mars prochain avec Les voyageurs de l'impériale qui est déjà dans ma PAL. Aragon a quelque chose de Zola, le grain de folie surréaliste et l'ironie subtile en plus. Ce n'est pas toujours ultra reposant mais on pardonne tout au génie. 

Il y a eu aussi la lecture de très longue haleine d'Anna Karénine de Tolstoï dont je garde un souvenir aussi saisissant, passionnant, grandiose, que fréquemment ennuyé. Ce roman-là m'aura mise à rude épreuve et il m'aura bien fallu la farniente d'août pour en venir à bout ! 

[...] et quelque chose s'échappait de tout son être qui était plus suave que le vin et plus terrible que la mort. 
Gustave Flaubert

Et puis, il y a eu l'extraordinaire Salammbô de Flaubert. Ce roman est sans doute ma plus belle lecture 2018. Vous savez, le genre de livres que l'on ouvre sans trop savoir, mi-figue mi-raisin, et dont chaque page s'avère une claque magistrale délicieuse. La quintessence de la poésie baudelairienne faite prose. Absolument indépassable. 

Bilan 2018 ado et graphique.jpg

Je me suis remise aussi à chroniquer un peu plus de BD, même si la plupart de ce que je lis continue à passer à la trappe. 
J'aime décidément beaucoup Edith dont j'ai dévoré La chambre de Lautréamont co-signé avec Corcal et Emma G. Wildford co-signé avec Zidrou. 
Et puis, alors même qu'il ne m'attirait pas lorsque tous les blogs en ont parlé, j'ai fini par céder à La saga de Grimr de Jérémie Moreau et ce fut une sacrée claque graphique. Concrètement, sortir de ses sentiers battus, c'est quasiment toujours une bonne idée. 

En parlant de finir par céder... Ça y est, comme beaucoup, je suis accro à la série de La passe-miroir de Christelle Dabos. Franchement, au départ, j'étais dubitative. Vous savez ce que c'est : les séries qui ont beaucoup de succès paraissent toujours un peu suspectes. Au final, j'ai plongé dans Les fiancés de l'hiver puis dans Les disparus du Clairdelune comme une bleue et j'ai fondu avec La mémoire de Babel. Comment vous dire ma hâte que l'auteure boucle son tome 4 pour connaître le fin mot de l'histoire... 

Ophélie ne savait pas quelle perspective était la plus effrayante. Un monde gouverné par Dieu ou un monde gouverné par des hommes se prenant pour Dieu. 
Christelle Dabos

En matière d'histoire d'amour ado rock'n'roll, j'ai de nouveau eu quinze ans et ai de nouveau écouté les Smiths en boucle grâce à Eleanor & Park de Rainbow Rowell. Ça ne révolutionne peut-être pas l'histoire de la littérature young adult mais c'est tout bonnement juste et vibrant. En comparaison, j'ai été super déçue de ma découverte de Marie-Aude Murail dont tout le monde m'avait pourtant vanté le talent fou. 3000 façons de dire je t'aime n'était sans doute pas la bonne lecture pour commencer... 

Bilan 2018 romans.jpg

J'en viens finalement à la littérature courante après tout ce périple mais je dois bien reconnaître que je ne retiens pas énormément de lectures marquantes... La rentrée littéraire de cet automne m'aura tout de même offert trois belles découvertes : le premier roman d'Hernan Diaz, Au loin, et celui d'Abnousse Shalmani, Les exilés meurent aussi d'amour (D'ailleurs, j'ai reçu Khomeini, Sade et moi pour Noël : je m'en réjouis d'avance !). 

Les idéalistes ne comprennent pas, ou trop tard, que la geste révolutionnaire est un conte, une longue épopée de prince amoureux. Ils ne peuvent concevoir que c'est la littérature qui réussit les meilleures révolutions. 
Abnousse Shalmani

J'ai aussi renoué heureusement avec Jón Kalman Stefánsson grâce à son Ásta charismatique
Voilà. 
A mi-chemin entre le récit et la poésie - du coup, j'hésite à le mettre dans l'une ou l'autre catégorie, et finalement, je le mets à l'impro ici parce qu'il n'y a vraiment pas besoin de case, Minuit en mon silence de Pierre Cendors vaut aussi le détour.

Aucune découverte de fou en poésie cette année, par contre ; plutôt des redécouvertes délicieuses, notamment celle de René Char que j'aime de plus en plus. Du côté de la poésie aussi j'ai finalement préféré le classique au contemporain.
J'ai adoré partager toute cette année mes rendez-vous poétiques avec Marilyne et j'espère que l'on reconduira ça en 2019 !



Salut, 2019

Puis quelqu'un sort se mesurer à la vie en combat singulier. 
Jón Kalman Stefánsson

Vu ma lenteur à chroniquer, je peux déjà vous dire qu'en 2019 arrivent quelques romans amérindiens, du latino,  du québécois, du classique et du graphique, puisque c'est avec ça que j'ai fini ou que je finis décembre sans en avoir encore parlé. 

A part ça... la dilettante ne va pas aller en s'arrangeant, je crois - et c'est très bien. je me réjouis par avance de toutes les découvertes qui me seront offertes durant cette année, à tout point de vue. Je sens qu'elle va être riche ! 

Je vous souhaite exactement la même richesse - de mots, de sens, de plaisir et de joie. 

Bon réveillon à tous, et belle année 2019 à venir*

 

Résultat de recherche d'images pour "masao yamamoto main oiseau"

Connaître la nature, disait souvent Lorimer, cela signifie apprendre à être. Et pour cela, il nous faut écouter le perpétuel sermon des choses. Notre plus haute mission consiste à forger les mots qui nous permettront de mieux participer à l'extase de l'existence. 
Hernan Diaz

 

 

NB : Les trois photographies d'illustration du billet sont l'oeuvre du sublime Masao Yamamoto