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17/09/2020

Sur un air de navaja ou The Long Goodbye de Raymond Chandler

The long goodbye.jpg

Philip Marlowe est LE détective privé de roman noir par excellence : chapeauté, solitaire, à moitié alcoolique et toujours dans les plans foireux. L’affaire de ce roman-ci, d’abord titré Sur un air de navaja puis réédité sous son titre original The Long Goodbye, ne déroge pas à la règle.

Philip Marlowe, donc, rencontre un soir Terry Lennox, espèce d’épave complètement avinée, qui vient de se faire éjecter d’une voiture par sa compagne. Ça s’engage à l’évidence assez mal pour ce jeune homme aux cheveux prématurément blancs et Philip Marlowe décide de jouer les bons samaritains en lui portant secours. De fil en aiguille, les deux hommes lient connaissance et prennent régulièrement l’apéro ensemble – c’est-à-dire très régulièrement et quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit - non parce qu’on va quand même se lester de préoccupations d’ordre alcoolémique. Comme c’était prévisible, au bout d’un certain temps, Terry Lennox à moitié dépressif, se colle salement dans le pétrin et appelle Philip Marlowe à l’aide, qui répond encore une fois présent. A partir de là, c’est le début d’un grand n’importe quoi où un suicide puis deux forcent Marlowe, très désabusé – si seulement on pouvait lui foutre la paix, c’est à peu près tout ce qu’il demande - à aller faire ce qu’il fait de mieux : fourrer son nez dans le linge sale d’autrui pour démêler le vrai du faux.

Sans l’ombre d’une ambiguïté, on est jusqu’aux genoux dans le parfait polar noir américain des années 30 à 60 – celui-ci est paru en 1954 : le détective privé coche toutes les attendus du genre, comme je vous le disais un peu plus haut, Los Angeles apparaît à la fois comme la ville de tous les feux et de toutes les bassesses, les flics sont des ordures finies, tout le monde picole et les personnages féminins sont des sosies flamboyants et vénéneux de Veronica Lake. Ce genre-là, définitivement,  une de mes friandises littéraires préférées. C’est codifié, cynique et désabusé à souhait, à l’image du détective narrateur qui est au bout de sa vie du début à la fin. Dès la première page, on est projeté par on ne sait quelle autosuggestion magique dans l’atmosphère enfumée d’un bar louche qui joue du jazz et c’est absolument jouissif de lire ainsi les chapitres, rythmés par un solo de saxophone imaginaire qui ne nous quitte plus. C’est purement et simplement la carte postale fantasmée d’une époque qui n’existe que dans un coin de notre imagination et le cinéma. A cet égard, si vous ne le savez pas, Marlowe a été immortalisé sur la toile par le génialissme Humphrey Bogart et, forcément, c’est délicieux comme une larme de tabasco dans un shot de Tequila.

Je ne saurais vous en dire beaucoup plus sans déflorer toute l’intrigue qui est ici particulièrement bien troussée. J’ajouterais tout de même cependant qu’une des grandes qualités qui fait de Raymond Chandler un des maîtres absolus du polar noir est son ironie critique magistrale. Il sait qu’il reprend des poncifs éhontés – Dashiell Hammet, entre autres, est passé bien avant lui – et il n’essaye pas de nous les faire avaler tels quels. Il s’amuse beaucoup de ces clichés qu’il infuse jusqu’à plus soif et cela crée, pour le lecteur averti qui connaît ces codes, une distanciation ironique bienvenue pour s’amuser de sa lecture. Avouez que, pour le coup, c’est quand même la cerise sur le gâteau !

Roman précédemment chroniqué de Raymon Chandler : Le grand sommeil

 

nos étoiles contraires,john green,amour,cancer,roman,littérature,une impériale affliction,voyage,amsterdam,mortLe mois américain chez Titine

Journée polar/roman noir/thriller

27/08/2020

Temps glaciaires de Fred Vargas

Temps galciaires.jpgChose promise, chose due : voici le deuxième Vargas dont je vous parlais dans le précédent billet - et puisqu'il m'a offert quelques bons jours de dévoration livresque, j'espère qu'il saura aussi me remettre le pied à l'étrier du blog après cet été d'intense procrastination. J'avoue que là, je peine un peu à trouver la motivation, très engluée dans une flemme intense et probablement aussi un genre de déni de rentrée. Et vous, ça se passe comment ?

Temps glaciaires est l'exception qui confirme la règle de tous les Vargas que j'ai lus jusqu'ici puisque le début n'est pas lent du tout et ça fait du bien. C'est là le premier point qui fait que ce titre est mon préféré de l'auteure à ce jour. Très rapidement, on se trouve confronté à plusieurs suicides qui n'en sont pas, évidemment. C'est d'abord Danglard puis Adamsberg qui participent à l'élucidation de ces morts suspectes, liées entre elles par un étrange signe qui pourrait être une initiale, un signe dans une langue étrangère ou une guillotine stylisée. Allez savoir. En grattant un peu, on se retrouve assez vite (décidément, ce n'est tellement pas courant qu'il faut le souligner) face à deux pistes possibles : celle d'un voyage en Islande vieux de plusieurs années et celle d'une association de reconstitution historique centrée autour de la figure de Robespierre. Dans un cas comme dans l'autre, ça fait un peu froid dans le dos, n'est-ce pas ?

L'enquête est passionnante de bout en bout, non seulement pour son aspect strictement policier puisque le mystère est impeccablement entretenu mais aussi pour son aspect historique - et je retrouve exactement ici ce que j'aime chez Vargas : une auteure qui sait distiller des pointes d'érudition sous un style enlevé, à la fois familier et poétique, et une intrigue qui pique la curiosité. Toutes les discussions entre les personnages autour de la Révolution et de la figure de Robespierre étaient si intéressantes qu'elles m'ont donné envie de creuser le sujet par la suite (A cet égard, je vous conseille l'excellente conférence d'Henri Guillemin sur le sujet disponible sur Youtube : probablement ce que j'ai entendu de plus passionnant et de plus éclairé sur la question).

Au coeur des dites discussions, Danglard tire indéniablement son épingle du jeu et montre une facette de sa personnalité trop peu exploitée jusqu'ici au profit des intuitions d'Adamberg. Je suis ravie que l'auteure lui donne enfin un rôle à sa mesure. En contrepoint, Adamsberg apparaît aussi plus complexe, plus humain à dire vrai. D'une manière générale, j'ai aimé ces personnages de la maturité, moins caricaturaux et plus profonds.

Je n'ai pas enchainé sur un troisième titre de Vargas après ça, bien que j'en aie déniché un nouveau en bouquinerie depuis. Je préfère, pour l'heure, profiter de ce coup de cœur policier comme il m'arrive rarement d'en avoir et le conseiller à tous ceux qui veulent bien m'entendre prêcher la bonne parole (j'ai déjà fait une victime aussi enthousiaste que moi depuis. J'espère avec ce billet grossir les rangs des adeptes). En attendant, le mois américain de Titine attaque très bientôt. Croisons les doigts que cela réveille un peu mon envie d'écrire !

08/08/2020

Sous les vents de Neptune de Fred Vargas

sous les vents de neptune, fred vargas, polar, rompol, roman policier, adamsberg, danglard, enquête, meurtre, serial killer, québec, trident, neptune, souvenir, frère, famillePeu de temps avant de partir au Québec pour une formation de quinze jours avec son équipe, Adamsberg fait face à une panne de chaudière au commissariat (remarquez, ça donne un avant-goût de la caillante canadienne qui attend tout le monde sous peu), à un Danglard complètement fébrile à l'idée de prendre l'avion et à plusieurs malaises sans gravité qu'il finit par relier à une ancienne affaire. Affaire d'autant plus pénible qu'elle l'a occupé douze ans, est ancrée dans son enfance et lui a valu de perdre son frère Raphaël. Plus Adamsberg creuse, plus la plaie de cette ancienne affaire se rouvre. Il se pourrait même qu'elle le suive, armée de son trident, jusqu'aux confins de la banlieue d'Ottawa...

Comme dans beaucoup de romans de Fred Vargas, le début de ce titre est très lent et se concentre sur la psychologie, le caractère et l'histoire des personnages de façon riche et fouillée, principalement celles d'Adamsberg, évidemment, de Danglard, de Retancourt et de quelques-uns de leurs acolytes québécois ensuite. Définitivement, je n'apprécie que peu Adamsberg. Il a beau être présenté comme quelqu'un d'à part dans sa manière d'être flic et sa manière d'être tout court, cela le conduit surtout à être assez lâche et égoïste les trois quarts du temps dans quasi tous les domaines de sa vie. Mais soit, peu importe (d'autant que cette antipathie inspirée par Adamsberg est faite exprès par Vargas - ainsi Adamsberg s'inscrit dans la lignée de Holmes et de Poirot : Très compétent au boulot mais humainement aux fraises), car j'aime tous les autres personnages. Danglard et Retancourt m'apparaissent de plus en plus délicieux à mesure que je les découvre - et accessoirement plus compétents qu'Adamsberg dans ce roman. 

Le début est lent, disais-je, et on serait tenté de se demander pourquoi tous ces détails parfois. Mais c'est parce que les intrigues vargassiennes sont toujours hyper fouillées et pleines de ramifications alambiquées. Dans ce roman-là, Adamsberg sait qui est le coupable - et nous aussi par la même occasion. Sauf que ce n'est qu'une énième intuition du célèbre commissaire contre qui joue un fait a priori irréfutable et sauf que ce coupable est intelligent et puissant comme Neptune - comme Moriarty face à Holmes. Aussi, la tension est toute dirigée vers le moyen de démontrer la théorie d'Adamsberg puis de faire fléchir ce colosse. Que voilà un parti pris original (bien que complètement irréaliste, entendons-nous bien) qui va, en plus, se compliquer au fur et à mesure du récit - mais je ne vous en dis pas plus pour ne pas spoiler plus avant.

C'est globalement un très bon cru de Fred Vargas, même si ce n'est pas mon titre préféré de la série Adamsberg. Clairement, pour moi, le polar est toujours une bonne pioche pour les lectures de vacances, surtout lorsqu'on a à domicile une petite six ans qui accapare pas mal et rend la lecture parfois compliquée. Au moins, avec un polar, je suis tranquille, j'ai le neurone aéré et l'avantage avec Vargas, c'est que ça reste toujours de qualité. J'ai fait une croix depuis longtemps sur les polars au style douteux - je ne parle même pas des traductions dégueulasses de certains polars nordiques - et aux intrigues sempiternellement identiques. Aération neuronale, oui mais purée de neurones, non. A l'heure où je rédige ces lignes, j'en suis déjà à mon deuxième Vargas de la semaine (et pour le coup, il est génialissime donc je vous en parle bientôt). On est pas mal en terme d'aération, là.