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13/03/2019

Gramercy Park de Timothée de Fombelle et Christian Cailleaux

Gramercy Park.jpgMadeleine s'occupe de ses ruches sur le toit d'un immeuble new-yorkais. En face d'elle, un parrain de la pègre reçoit jour et nuit, et ne sort que le dimanche pour une visite mystérieuse. Ils s'observent. Pendant que lui règle ses affaires, elle se remémore son passé à l'Opéra de Paris où elle aidait son grand-père puis où elle a débuté sa carrière de danseuse. Les récits vont et viennent et les questions qu'ils soulèvent ferrent habilement le lecteur. Entre le quotidien de ces deux personnages que tout semble opposer, quelques flics interviennent parfois inopinément et une petite fille s'échappe pour cacher des clés à Gramercy Park. 

Décidément, en ce moment, Timothée de Fombelle touche à tout et il a raison ! Autant je n'avais pas été follement convaincue par son premier roman adulte, autant je le suis totalement par cette BD dont il signe le scénario. L'aventure est sensible et délicate et, entre les mailles de la réalité la plus sombre de la mafia et des couples qui se délitent, l'auteur parvient, comme toujours, à semer son petit grain de magie poétique. Christian Cailleaux, que je découvre à l'occasion, s'en fait parfaitement l'écho avec son dessin simple, tout en bleu gris et estompe. L'héroïne, au visage délicieux d'Audrey Hepburn, apparaît pleine d'émotions dans cet univers où elle cherche désespérément la consolation. Gramercy Park secoue et met du baume au cœur tout à la fois. 

 

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Gramercy Park 2.jpgGramercy Park 3.jpg

Livres précédemment chroniqués de Timothée de Fombelle : 

Le livre de perle

Neverland

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Aujourd'hui, la BD de la semaine est chez Noukette

 

05/07/2017

La nuit d'Ulysse de Salomé Rouiller

La nuit d'Ulysse.jpgUlysse : ce héros ! La fascination qu'il provoque chez les écrivains n'est pas neuve et comme tout ce qui manque d'originalité, la gamelle n'est pas loin. On réinvente tout d'Ulysse depuis l'Antiquité - on l'a même découvert sourd sous l'excellente plume de Charline Lambert - mais ce qui subsiste toujours est le voyage : c'est qu'il y a quelque chose du devenir écrivain dans cette aventure !

Salomé Rouiller ne déroge pas à cette règle dans ce récit qui est son premier texte abouti et publié. Et c'est la sensorialité empêchée qui la guide : le narrateur, dont nous ne saisissons pas exactement l'identité au départ - seulement des bribes elliptiques - ne parvient pas à être au monde. Sa véritable quête revient à se heurter aux éléments du monde avec la violence du désir, ce besoin de contact qui bien souvent se dérobe. Ainsi, part-il à la recherche d'Ulysse dans un New-York contemporain vivant, intense et pourtant (ou bien, donc) hostile. Trop grand, trop bruyant, trop démesuré pour la fragilité de celui qui incarne la solitude, le désœuvrement, la douleur. Il croise tour à tour les protagonistes de la célébrissime Odyssée : Pénélope, Circé, Calypso devenues riche bourgeoise, psy, bohémienne et se perd régulièrement dans le chant hurlant et éthylique des Sirènes de la ville. Il lui arrive aussi de croiser des compagnons de voyages qui n'ont rien à voir avec Homère : ce jeune Ernesto m'a particulièrement fait sourire et j'ai trouvé la référence fort intelligente et à propos. 

Mais qui dit relation au monde compliquée et douloureuse, dit écriture qui s'adapte au mieux pour en restituer la fulgurance et les heurts. Vous ne lirez donc pas sous la plume de Salomé Rouiller un récit d'aventures bien ordonné à travers lequel la trame de l'illustre inspiration s'établirait clairement. Si aventure il y a, elle est intérieure et elle est terriblement houleuse. Ces montagnes russes entre lucidité et désespoir sont livrées avec une langue très poétique, parfois très décousue, qui réclame au lecteur un savant mélange d'attention aux détails et d'abandon à l'originalité de cette forme où le narratif fusionne avec le poétique. En somme, il faut se laisser envoûter : la compréhension émanera des émotions, d'une totale confiance accordée à l'enchantement de la langue de Salomé Rouiller et à l'intelligence de sa réinterprétation, finalement très sensible et très romanesque, de l'odyssée d'Ulysse - qui a toujours été une quête de soi. 

La nuit d'Ulysse de Salomé Rouiller, l'Âge d'Homme, 2017, 83 p. 

 

Brûle. Oh oui, brûle. Le temps s'espace et les minutes fondent. Les secondes se pourchassent et le feu brûle. Mon cœur est un bûcher où les dieux s'interpellent et se poignardent. Mais peu importe. Ils ne peuvent être tués. Sol froid. Contact. Éclats de verre. Brûle. A jamais. Le monde s'effondre. Whisky. Pénélope. A moi. A jamais. Fumée qui s'envole et brûle mes yeux. Je ne serai jamais tien. Perdu. Chaleur. Contact. Elle m'aime. Sensualité. Je te l'ai dit. Vodka. Brûle, oh oui brûle ma gorge. Pensées diluées dans le vide. Brouille mon esprit. Brûle, brûle, brûle, le monde s'effondre et moi je reste. [...] p. 13 (incipit)

22/02/2012

La nuit de l'oracle de Paul Auster

La nuit de l'oracle.jpg

La nuit de l'oracle de Paul Auster, traduit de l'américain par Christine Le Boeuf, Actes Sud, 2004, 238p.

 

 

La nuit de l'oracle, ça commence avec une histoire des plus prometteuses : Sidney Orr se remet d'une longue maladie qui l'a laissé à demi inconscient et cloué à l'hôpital pendant plusieurs mois. Un fois rentré chez lui et afin de reprendre progressivement la forme, il rythme ses journées de promenades de plus en plus longues pendant lesquelles il renoue avec Brooklyn et réfléchit à son travail d'écrivain en stand by. Il tombe un jour par hasard sur une papeterie et y déniche un carnet bleu importé du Portugal : c'est le coup de foudre. Il l'achète et dès son retour chez lui, écrit frénétiquement plusieurs heures l'ébauche d'un futur roman.
Et là, la 4eme de couverture laisse planer le suspens sur les suites de cette écriture hypnotique, évoquant que cela va le conduire à de "dangereuses surprises"... Le carnet aurait-il un pouvoir mystérieux ?

Autant vous dire que ce synopsis m'a immédiatement donné envie de lire le bouquin, d'autant plus lorsque au début du roman, l'auteur commence à filer deux mises en abymes successives : Sidney Orr écrivant son ébauche de roman et y incluant un autre roman dont il relate également l'histoire. On plonge, on plonge avec grande délectation. Décidément, Paul Auster a un don absolument étourdissant de narrateur : on est instantanément vissé à sa prose et on enchaîne les pages avec avidité comme s'il s'agissait d'un polar !

Sauf que - cela se gâte : systématiquement, je finis par être déçue. Je suis harponnée, je bois ses mots, et puis il commence à se barrer en cacahuètes en disperçant l'intrigue, en ébauchant des intrigues dans les intrigues, en distillant des mystères un peu partout, pour finir par une chute à la noix qui ne résoud absolument rien. Un peu comme dans La musique du hasard, il tue un des personnages, comme si la mort était sensée apporter la clé alors que ça apporte quedalle, ça laisse juste en suspens pleins de pistes qu'il n'a fait qu'ébaucher, au milieu desquelles il a fini par perdre le propos et finalement, ne sachant pas comment démêler la chose, il nous plante lamentablement. Genre tadammmm, je savais pas comment finir alors je tue un gars. Heu ouais, génial. Et sinon ?!

Bref, j'ai l'impression de m'être fait embarquer dans une vaste fumisterie, comme si je m'étais fait hypnotiser pour rien, au final. C'est quand même dommage. Il avait de l'or en barre avec son histoire, le père Auster, et encore plus avec son talent de conteur. Pourquoi il veut toujours trop en faire, pourquoi il s'éparpille au lieu de creuser, et pourquoi il chiade par un peu plus ses chutes ?! C'est trop injuste !
En fait, je me dis qu'il devrait travailler avec un scénariste, comme les auteurs de BD. Lui, il écrit - comme d'autres dessinent - parce que pour ça, on est d'accord qu'il est extraordinaire mais il laisse le soin à quelqu'un de compétent d'élaborer une histoire qui se finit pas en queue de cerise !

 

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